707 ARTICLE DE REVUE Conséquence inéluctable du traitement antidiabétique L’hypoglycémie chez le patient diabétique Dr méd. Sophie Maitre, Dr méd. Jaafar Jaafar, Dr méd. Giacomo Gastaldi, Prof. Dr méd. Jacques Philippe Service d’endocrinologie, diabétologie, hypertension et nutrition, Hôpitaux universitaires de Genève, Genève L’hypoglycémie est un effet secondaire inévitable de l’insulinothérapie et de certains anti-diabétiques oraux. La morbidité et les coûts occasionnés sont conséquents. L’identification des manifestations et des causes ainsi que la capacité à agir en conséquence sont fondamentales pour la gestion du diabète. Introduction L’hypoglycémie est un effet secondaire redouté mais inévitable du traitement du diabète. La littérature scientifique emploie d’ailleurs le terme d’hypoglycémie iatrogène pour la distinguer de l’hypoglycémie non diabétique. La gestion d’une hypoglycémie devrait être rapide, efficace et inclure l’analyse du contexte. Les données épidémiologiques permettent de comprendre l’importance de la problématique tout en posant un seuil de réflexion sur la fréquence acceptable de l’hypoglycémie du point de vue médical. Leur interprétation requiert néanmoins une grande prudence [1]. L’incidence des hypoglycémies légères à modérées chez les patients diabétiques de type 1 est d’environ 30 épisodes/patient/année (moins d’un épisode par semaine). Celle des hypoglycémies sévères est de 3,2 épisodes/patient/année. En outre, on estime que 2 à 4% des décès chez les patients diabétiques de type 1 sont dus aux hypoglycémies. Concernant les patients avec un diabète de type 2, l’hypoglycémie est moins fréquente avec une incidence respective de 2 à 10 épisodes/patient/ année et de 0,1 à 0,7 épisodes/patient/années d’hypo- quence. Il convient donc de s’accorder sur la terminolo- glycémies modérées et sévères. gie d’hypoglycémie. Chez les patients diabétiques, le Compte tenu de la prévalence du diabète de type 2 et du seuil glycémique auquel des symptômes apparaissent fait que dans les pays occidentaux plus du quart de ces peut varier avec l’équilibre glycémique. Il diminue patients sont traités par insuline, la plupart des épi- chez les patients bien contrôlés et augmente en cas de sodes d’hypoglycémies, sévères y compris, surviennent déséquilibre chroniques. chez ces derniers. L’hypoglycémie est d’ailleurs la deu- Dans le diabète, la définition d’hypoglycémie est toute xième cause la plus fréquente d’hospitalisation pour valeur du glucose sanguin égale ou inférieure à iatrogénie [2]. 3,9 mmol/l. Elle a été élaborée par un consensus d’experts dans le but de prévenir les atteintes potentielles. Définitions et physiopathologie Sophie Maitre En effet, les signes et symptômes d’hypoglycémie (tab. 1) sont observés, chez des volontaires sains, à un Les conséquences biomédicales de l’hypoglycémie sont seuil légèrement inférieur. Les avantages de cette défi- corrélées à trois éléments: la sévérité, la durée et la fré- nition sont d’intégrer une marge de tolérance sécuritaire SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE 2016;16(35):707–713 708 ARTICLE DE REVUE type 1 ou de type 2 de longue date, un défaut intrin- Tableau 1: Signes et symptômes de l’hypoglycémie. sèque de sécrétion du glucagon secondaire au désé- Adrénergiques Neuroglycopéniques quilibre entre cellules α et β ainsi qu’un défaut de la Tremblements Difficultés de concentration réponse autonome aux hypoglycémies («hypoglyce- Palpitations Diminutions des performances Sudations intellectuelles mia-associated autonomic failure [HAAF]»). Ce défaut Anxiété Irritabilité Faim Faiblesse Nausées Céphalées Fourmillements Difficultés d’expression mies répétées (2 vs 3 épisodes d’hypoglycémie prolon- Troubles visuels gée d’une durée de 2 heures à 2,8 mmol/l durant 48 h), Confusion les symptômes adrénergiques et l’activation des hor- est aggravé par la répétition des hypoglycémies. En effet, il a pu être démontré, chez des volontaires sains, qu’en cas d’exposition à deux protocoles d’hypoglycé- Vertiges mones de contre-régulation sont plus atténués après Troubles de la conscience 3 hypoglycémies. Formellement, l’HAAF et l’insensibi- Convulsion lité aux hypoglycémies sont deux entités distinctes Coma bien qu’elles se recoupent. La définition d’insensibilité Décès aux hypoglycémies englobe l’atténuation et la modification des symptômes d’hypoglycémie observés chez et de se libérer des difficultés inhérentes au manque de les patients souffrant de neuropathie autonome, de dia- précision des glucomètres (11% de marge d’erreur tolé- bète de longue durée ou traités par des bêta-bloquants rée depuis 2015 et 16% précédemment). ainsi que l’HAAF [1, 2]. En cas de baisse de la glycémie, deux niveaux distincts L’existence d’un HAAF est parfois difficile à déceler, s’activent en parallèle (fig. 1). Au niveau endocrinien, il particulièrement si les épisodes d’hypoglycémies sont existe une inhibition complète de la sécrétion d’insu- nocturnes. Dans ce cas de figure, la répétition des hypo- line et une activation de la sécrétion de glucagon qui glycémies induit une diminution progressive du seuil stimule la glycogénolyse et la gluconéogenèse hépa- d’activation des réponses de contre-régulation avec à la tique le temps d’éliminer l’insuline circulante. En paral- longue la disparition de toutes manifestations cliniques. lèle, le système nerveux central (SNC) active le système nerveux sympathique (SNS) et l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (la réponse autonome à l’hypoglycémie). Le SNS stimule la sé- Dans le diabète, la définition d’hypoglycémie est toute valeur du glucose sanguin égale ou inférieure à 3,9 mmol/l. crétion de la noradrénaline responsable des symptômes dits «adrénergiques» de l’hypoglycémie soit la La situation devient apparente seulement lorsqu’une transpiration, les tremblements, les palpitations et hypoglycémie diurne non ressentie finit en un coma l’anxiété alors que la faim et la transpiration sont liées brutal. Les mécanismes neurobiologiques du HAAF à l’action de l’acétylcholine relâchée par le neurone restent pour l’instant insuffisamment compris, mais le pré-ganglionnaire. La stimulation de l’axe hypothala- HAAF se distingue de l’insensibilité aux hypoglycé- mo-hypophyso-surrénalien va de son côté conduire à mies par une forme de réversibilité. En effet, en dimi- une élévation des taux d’adrénaline et de cortisol cir- nuant voire éliminant toutes les hypoglycémies, il est culant qui vont stimuler la sécrétion pancréatique de possible de retrouver une réponse aux hypoglycémies glucagon, avoir une action directe au niveau hépatique déjà après 3 semaines. [3]. (favorise la glycogénolyse et la gluconéogenèse), dimirie et stimuler la glycogénolyse rénale. Enfin, la baisse Importance de la classification des hypoglycémies de la glycémie agit comme stimulus direct sur la sécré- La compréhension des mécanismes d’adaptation à l’hy- tion de l’hormone de croissance, la vasopressine et de poglycémie et de l’éventualité que la symptomatologie l’ocytocine. L’activation combinée de l’ensemble de ces puisse être altérée met en exergue l’importance pour mécanismes de régulation permet d’assurer une pro- le clinicien de classifier chaque épisode en fonction de tection efficace du SNC contre les risques inhérents à la sa sévérité (tab. 2). La prise en charge en dépend. Il lui survenue d’une hypoglycémie. incombe aussi la responsabilité de s’assurer que le seuil Chez les patients diabétiques, l’élimination de l’insu- reste proche de 4 mmol/l. Il est utile que le patient line circulante dépend des propriétés pharmacociné- comprenne l’origine des manifestations cliniques res- tiques de l’insuline ou du traitement administré. Par senties, le lien entre la sévérité et le type d’atteinte et ailleurs, il existe, chez les patients avec un diabète de surtout l’importance de la correction systématique, nuer l’utilisation de glucose par les muscles en périphé- SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE 2016;16(35):707–713 709 ARTICLE DE REVUE même lors d’hypoglycémie plus légère. L’intensité des cessiter une attention particulière, notamment chez les symptômes peut aussi être influencée par la rapidité de patients qui réalisent peu de contrôles glycémiques, qui la diminution du taux plasmatique de glucose, la durée vont se retrouver désorientés par la discordance entre du diabète, les traitements concomitants (bêta-blo- leurs ressentis et les glycémies. quants) et le type de complication (neuropathie autonome). L’hypoglycémie sévère doit être retenue dans chaque situation où l’aide d’un tiers a été nécessaire pour sa Identifier le risque individuel et les facteurs étiologiques de l’hypoglycémie correction. Toute hypoglycémie sévère (tab. 2) doit être analysée avec le patient de manière circonstanciée et L’hypoglycémie étant secondaire au traitement, il est l’insensibilité aux hypoglycémies recherchée. Le re- fondamental que chaque patient soit informé sur sa cours à un senseur glycémique et à une évaluation spé- situation individuelle. L’insuline et particulièrement cialisée devrait être systématique. les régimes insuliniques composés d’injections multi- Enfin, il peut arriver qu’un patient rapporte des signes ples (insuline lente et insuline rapide au moment des d’hypoglycémie sans confirmation biologique. En l’ab- repas) ou d’insulines mixées confèrent le plus de risque. sence d’autres causes de stimulation de l’axe hypothala- La prise d’une unique injection d’insuline basale est mo-hypophyso-surrénalien (crise de paniques, arythmie associée à un risque plus limité. Les sulfonylurées (SU) cardiaque brève, etc.), la terminologie de pseudo-hypo- peuvent aussi entrainer des hypoglycémies. Dans cette glycémie s’applique. Ce type de ressenti physique découle classe thérapeutique, le gliclazide se distingue des an- de l’activation des mécanismes de contre-régulation à ciennes SU, comme le glibenclamide et le glimépiride, des seuils plus élevés, notamment en cas de déséquilibre par une action hypoglycémiante similaire avec un glycémique durable et conséquent. La situation peut né- risque d’hypoglycémie inférieur. Les autres SU ne devraient plus être prescrites. Les glinides confèrent un risque réel d’hypoglycémie mais limité dans le temps de par leur courte durée d’action. Chute de la glycémie (<3,9 mmol/l) A l’inverse, la metformine, les thiazolidinediones, les inhibiteurs de la dipeptidyl peptidase-4 (DPP-4), les analogues du glucagon-like peptide-1 (GLP-1) et les inhibiteurs du sodium-glucose co-transporteur 2 (SGLT-2) Pancréas Cerveau n’entrainent pas d’hypoglycémie significative en l’absence d’autre pathologie concomitante ou de situations métaboliques particulières (le jeûne prolongé, ac- Ì Insuline Ê Glucagon Ê Hormone de croissance Ê Cortisol Ê Système sympathique Ê Adrénaline tivité physique extrême, etc.). Il arrive d’observer des valeurs glycémiques <4 mmol/l sous un traitement considéré non hypoglycémiant. L’hypoglycémie découle Ê Glycogénolyse hépatique Ê Gluconéogénèse (foie + rein) Ì Utilisation périphérique de glucose (muscles) Ê Vidange gastrique Ê Flux sanguin cérébral le plus souvent d’une problématique technique ou de la marge d’erreur du système. En l’absence de répercussion clinique, le patient doit être rassuré. A l’inverse, bien que la situation soit extrêmement rare, la survenue d’une hypoglycémie sévère sous un traitement Figure 1: Mécanismes de contre-régulation. non hypoglycémiant impose une recherche circons- Tableau 2: Définition de la sévérité de l’hypoglycémie chez le patient diabétique* (adapté d'après [1]). tanciée des hypoglycémies non diabétiques. Caractériser le degré de risque d’un individu repose sur la prise en compte d’éléments distincts. Les phases de Légère Glycémie <3,9 mmol/l. Symptômes adrénergiques. Le patient est capable de se corriger de lui-même. changements thérapeutique, de transition de lieu de Modérée Glycémie <3,9 mmol/l. Symptômes adrénergiques et neuroglycopéniques. Le patient reste capable de se corriger de lui-même. ou d’habitude (nombre de repas, reprise activité spor- Sévère Glycémie <3,9 mmol/l, souvent <2,8 mmol/l. Atteintes neuroglycopéniques sévères (confusion, trouble de l’état de conscience). Le patient requiert l’assistance d’une tierce personne pour se corriger. Hypoglycémie Glycémie < 3,9 mmol/l. Non accompagné de symptôme typique. non-perçue (Seuil de déclenchement du mécanisme de contre-régulation abaissé / (asymptomatique) diminution du seuil de sécrétion des catécholamines). * Ces définitions sont limitées aux patients sous traitements hypoglycémiants. SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE 2016;16(35):707–713 vie (retour à domicile après une hospitalisation, etc.) tive, etc.) sont des périodes à risque. Il existe des facteurs de risques d’hypoglycémie intrinsèques au diabète tels que le déficit en insuline endogène, la durée de diabète, une longue durée d’insulinothérapie et la survenue d’une hypoglycémie sévère dans les 48 heures précédentes (HAAF). L’existence d’une insensibilité aux 710 ARTICLE DE REVUE hypoglycémies ou d’un défaut de la réponse autonome aux hypoglycémies vont augmenter ce risque respecti- Tableau 3: Facteurs de vulnérabilité (adapté d'après [9]). vement de 6 et 25 fois. Il est dès lors peu surprenant de Age (enfants, personnes âgées) constater que la survenue d’une hypoglycémie sévère Insuffisance rénale chronique constitue le premier facteur de risque de récidive dans Insuffisance hépatocellulaire l’année. D’autres facteurs sont listés dans le tableau 3. Enfin, il faut tenir compte du facteur humain. Les élé- Insensibilité aux hypoglycémies Durée du diabète et de l’insulinothérapie ments fréquemment incriminés dans la survenue Déficit en insuline (type 1, pancréatoprive, type 2 de longue date) d’hypoglycémie sont les aptitudes techniques (insuline Troubles cognitifs / démence mal solubilisée: NPH), le vécu de la maladie et des hy- Isolement social poglycémies (anxiété de performance avec glycémies à Comorbidités multiples la limite de l’hypoglycémie), les capacités de comptage Méconnaissance de la maladie des hydrates de carbone, la gestion de l’insuline de correction, la gestion de l’exercice physique, la survenue d’imprévus, sans oublier la gestion de l’hypoglycémie en elle-même (tab. 4). Difficultés techniques (injections, autocontrôle, pompe à insuline, lipodystrophies…) Maladie aiguë Malnutrition Antécédents d’hypoglycémie Résoudre l’équation posée par la survenue d’une hypo- Hospitalisation récente glycémie suppose de la part du clinicien d’arriver à Polymédication (>5 médicaments) et complexité du traitement d’insuline intégrer le contexte somatique général et spécifique au diabète dont l’éventualité d’un HAAF, les circonstances d’apparition et le facteur humain. En revanche, parvenir à éviter que l’hypoglycémie se répète, repose sur la capacité du patient à identifier les situations analogues pour en modifier la gestion. Dépression Insuffisance cardiaque Consommation d’alcool Polyneuropathie des raisons médico-légales évidentes et gagnent à être répétées à l’instauration de chaque traitement et pour Répercussions à court et long terme de l’hypoglycémie tout patient conducteur automobile (http://sgedssed. ch/fr/informations-pour-professionnels/recommanda tions-pour-medecins-de-famille/). Dans les directives Les conséquences de l’hypoglycémie peuvent être sé- 2015, le risque d’hypoglycémie est considéré faible chez parées en fonction de la temporalité des manifestations les patients traités par un analogue lent d’insuline une ou du type de répercussions. Dans leur grande majorité fois par jour ou par gliclazide ou un glinide (répaglinide elles sont négatives comme le montre de nombreux et natéglinide). travaux scientifiques. En cas d’hypoglycémie modérée prolongée et lors A court terme, les hypoglycémies, légères ou modérées, d’hypoglycémie sévère, les signes de neuroglycopénie rapidement identifiées sont simples à corriger et sans (tab. 1) tel que les troubles de l’humeur, les difficultés de réelles conséquences somatiques hormis la désagréable concentrations vont, de fait, empiéter sur l’activité en activation des voies adrénergiques qui va persister en cours ou la stopper brutalement en cas de coma. Le moyenne 30 minutes. En revanche, il est courant d’ob- risque de récidive va s’en trouver augmenté durant les server une crainte démesurée de leur impact, les pa- 48 heures suivantes (phénomène du HAAF) et en cas de tients comme les soignants, les considérant à tort lé- répétition elles vont finir par entrainer la perte des si- tales. gnaux d’alerte. Cette problématique, est connue depuis La dangerosité d’une hypoglycémie légère ou modérée la publication de l’étude DCCT («Diabetes Control and est liée à un double manquement: un environnement Complications Trial») et affectait presque un tiers des périlleux et l’absence de moyens de correction. Par patients diabétiques de type 1 sous traitement intensif. exemple, s’il existe un risque de chute (ouvrier, grutier, Aujourd’hui, elle s’observe aussi chez les patients avec etc.), durant un déplacement (voiture, moto, vélo), lors un diabète de type 2, traité par insuline de longue date de la pratique d’une activité sportive (escalade, ski ran- et dans les cas de surdosage en insuline [3]. donné, plongée, etc.) ou au début de la maladie (non identification par manque d’expérience). Ces situations Hypoglycémie et létalité [2] demandent à être anticipées et systématisées. Elles La létalité de l’hypoglycémie constitue une crainte par- sont sensibles car elles ne peuvent être ignorées alors tagée des soignants et des patients. Du point de vue que leur communication est de fait génératrice d’an- scientifique, le sujet est passablement débattu. Dans xiété. Elles doivent être notifiées dans le dossier pour tous les cas, ce risque ne peut être nié mais il demande SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE 2016;16(35):707–713 711 ARTICLE DE REVUE Tableau 4: Facteurs de variabilité glycémique. Préparation de l’insuline/ des antidiabétique oraux Différence propre au site d’injection Facteurs d’insulino-résistance Facteur humain Dosage Site d’injection (intramusculaire vs sous-cutané) Obésité (prise de poids) et alimentation (acides gras) Comptage des hydrates de carbone Caractéristiques physico-chimiques (suspension, soluble) Profondeur d’injection Activité physique Gestion de l’activité physique Concentration Région anatomique Cirrhose, insuffisance rénale Gestion de l’hypoglycémie Volume Lipodystrophie Acidose Alcool, imprévus Type Modification du flux sanguin cutané Tabac Emploi de l’insuline de correction Mélange préalable Massage Matériel d’injection Age Anxiété de performance Température Problèmes cognitifs Maladies intercurrentes (infections) à être pondéré. Les hypoglycémies sévères prolongées que seulement un tiers des décès constatés découlaient (plusieurs heures) peuvent provoquer la mort cérébrale. de causes cardiovasculaires. Enfin, les épisodes d’hypo- Les décès consécutifs à un épisode d’hypoglycémie se- glycémie étaient associés à une mortalité cardiovascu- raient secondaires à des troubles du rythme cardiaque. laire plus élevée [4, 5]. Le mécanisme postulé est lié à l’observation que la vation du SNS induisent une augmentation du rythme Hypoglycémies et fonctions cognitives chez les diabétiques de type 2 cardiaque et de la pression artérielle systolique. Il s’en Les conséquences des hypoglycémies sévères et répéti- suit une augmentation des besoins en énergie et en tives sur les fonctions cognitives sont elles aussi débat- oxygène du cœur donc du débit coronarien. Chez le tues. Les données existantes montrent un lien avec l’âge. patient souffrant d’une coronaropathie, il peut en ré- Les jeunes enfants et les personnes âgées semblent sulter une arythmie, une ischémie et même la mort. plus à risque d’atteintes du SNC. Dans une large étude Les anomalies du rythme cardiaque mises en évidence populationnelle, menée entre 1980 et 2002, les hypo- suite à des hypoglycémies sont la tachycardie ou la glycémies sévères ayant conduit à une hospitalisation bradycardie sinusale, ou encore des ectopies ventricu- ou à une consultation aux urgences étaient associées à laires ou atriales. Des allongements du segment QT et une incidence de démence deux fois plus importante des troubles de la repolarisation ont également été as- après 2003. Cependant, l’étude n’avait pas évalué l’état sociés à la survenue d’une hypoglycémie. Il existe aussi cognitif des patients lors de leur enrôlement [6]. Dans une tendance à l’hypokaliémie secondaire à l’activa- le sous-groupe ACCORD MIND («ACCORD Memory in tion du système adrénergique qui favoriserait l’aryth- Diabetes Sub Study»), la cognition a été évaluée de fa- mie. Enfin, la tachycardie et l’augmentation de la tension çon longitudinale tout au long de l’étude. Les données artérielle peuvent fragiliser des plaques d’athérosclé- ne montrent pas de différence au niveau des fonctions roses existantes. cognitives entre les groupes intensif et standard [1]. sécrétion des hormones de contre-régulation et l’acti- Tous ces éléments suggèrent un lien fort entre la survenue d’événements cardiovasculaires et celle d’une hy- Hypoglycémies et qualité de vie poglycémie sévère isolée. Les évidences scientifiques En sus de l’ensemble des répercussions somatiques, il manquent pour affirmer l’existence d’un lien direct. En existe de nombreuses répercussions émotionnelles et revanche, la survenue d’une hypoglycémie chez le pa- sociales qui restent trop souvent ignorées car inexplo- tient diabétique constitue un facteur de vulnérabilité rées (tab. 5). A ce titre, il convient de souligner que la en soi. Une étude utilisant des senseurs glycémiques a peur de l’hypoglycémie est celle qui affecte le plus signi- montré que les épisodes d’hypoglycémie sont plus for- ficativement la qualité de vie des patients diabétiques, tement associés à l’ischémie cardiaque que les phases indépendamment du type de diabète. Il est par ailleurs d’hyperglycémie. En outre, dans l’étude ACCORD («Ac- fréquent d’observer chez les patients souffrant d’hypo- tion to Control Cardiovascular Risk in Diabetes»), les glycémies à répétition, l’existence de conflits inter- patients qui ont présenté un ou plusieurs épisodes personnels en lien direct avec la peur de la dépendance d’hypoglycémie sévère avaient une mortalité augmen- et la perte de contrôle. Par ailleurs, après une hypogly- tée dans les 2 bras de l’étude (intensif ou standard), bien cémie sévère, il existe un réel risque de stigmatisation, SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE 2016;16(35):707–713 712 ARTICLE DE REVUE Tableau 5: Conséquences à court et long terme des hypoglycémies. A court terme A long terme Symptômes aiguës (autonomes, neuroglycopéniques, malaise général) Diminution de la qualité de vie Altération cognitive Peur des hypoglycémies (→ déséquilibre glycémique) Changement d’humeur Prise de poids Diminution de la performance à conduire/travailler Restriction sur la conduite/permis de conduire/emploi Atteinte des activités sociales, sportives Altération de la vie de famille et relations sociales Hypothermie Perte de la sensibilité aux hypoglycémies Morbidité aiguë: accidents, blessures, fractures Augmentation de l’incidence de démence (?) Crise d’épilepsie, coma Evénements cardiovasculaire (SCA, arythmies) Evénements cérébrovasculaires (AIT, AVC) Abréviations: SCA = syndrome coronarien aigu, AIT = accident ischémique transitoire, AVC = accident vasculaire cérébral. notamment par l’employeur ou d’ordre légal (par individuelles (pour l’avoir toujours sur soi et éviter la exemple: restriction pour la conduite automobile) [7]. multiplicité des emballages). Enfin, il existe passablement de données sur les coûts Tous les patients doivent être informés du risque lié à socio-professionnels des hypoglycémies en termes de l’exercice physique. Les facteurs favorisant l’hypogly- journées de travail manquées, de perte de productivité cémie étant les efforts prolongés ou d’intensité inhabi- ou de risque pour la santé de l’individu et de son entou- tuelle, l’apport insuffisant d’hydrate de carbone par rage direct (anxiété, dépression, sentiment d’isolement, rapport à l’insulinémie, l’absence de contrôle glycé- etc.). Par exemple, la survenue d’hypoglycémies noc- mique avant ou pendant l’activité et l’insensibilité aux turnes qui vont altérer la qualité et la quantité de som- hypoglycémies. Les chutes de glucose plasmatique meil et affecter la journée du lendemain. Il existe aussi après le sport (heures qui suivent) ne sont pas banales. un risque majoré de troubles de l’humeur (dépression Un contrôle glycémique après l’activité est donc tout ou anxiété) en cas d’hypoglycémie sévère et répétée. autant important qu’avant et pendant. Si le taux plasmatique de glucose est bas ou normal-bas avant l’activité physique, il est recommandé de prendre Traitement de l’hypoglycémie une collation et d’emporter des hydrates de carbone dis- Le principe fondamental de la prise en charge de l’hypo- ponibles lors de la pratique de l’activité physique. glycémie est la prévention. Elle requiert une formation Lorsque l’activité est prévue pour une durée de plus de appropriée (théorique et pratique) et la détermination trois heures, la dose d’insuline lente devrait être adaptée de cibles glycémiques adaptées. dans la mesure du possible. Le recours à une équipe infirmière spécialisée dans le diabète est recommandé pour Hypoglycémie: quelle éducation thérapeutique? [8] remplir ces différents objectifs à la vitesse du patient. L’enseignement dédié à la problématique de l’hypogly- Cible thérapeutique, comment la définir? cémie consiste à rendre les patients capables d’identifier Le risque d’hypoglycémie va augmenter en fonction de l’hypoglycémie (tab. 1) et la manière de la corriger effica- la sévérité de la cible thérapeutique. La valeur d’HbA1c cement (tab. 6) grâce à la prise de glucose à absorption doit être individualisée de même que les cibles glycé- rapide. Il est donc essentiel d’enseigner aux patients miques. Il est préconisé de tenir compte du contexte traités par insuline ou par SU à réaliser des contrôles glycémiques capillaires. Un minimum de connaissance sur le mécanisme d’action et la pharmacody- Le principe fondamental de la prise en charge de l’hypoglycémie est la prévention. namique des traitements prescrits ainsi que sur les éléments de diététiques de base (aliments contenants clinique, des facteurs de risques cardiovasculaire, de des hydrates de carbone) sont recommandés. l’espérance de vie et des possibilités du patient de s’im- En pratique, le patient à risque, devrait repartir avec pliquer. En cas de traitement hypoglycémiant, lorsque une forme de sucre rapide sur soi et avoir été incité à la valeur d’HbA1c est proche ou inférieure de 6,5% le réfléchir sur les moyens à sa disposition dans son risque d’hypoglycémie est augmenté. À l’inverse, une quotidien pour se corriger en cas d’hypoglycémie. Il valeur élevée d’HbA1c n’est pas prédictive de l’absence convient de privilégier la simplicité et les préférences de risque. SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE 2016;16(35):707–713 713 ARTICLE DE REVUE Tableau 6: Correction de l’hypoglycémie en fonction de la sévérité. Si hypoglycémie <4 mmol/l et patient conscient, corriger avec 15 g de glucose 4 morceaux de sucre ou 2 cuillères à café de miel ou 2 cuillères à soupe de sirop ou 1,75 dl de boisson sucrée (jus de fruit ou Coca Cola* ou Limonade*, etc.) Si hypoglycémie <2,5 mmol/l et patient conscient, corriger avec 30 g de glucose 8 morceaux de sucre ou 4 cuillères à café de miel ou 4 cuillères à soupe de sirop ou 3,5 dl de boisson sucrée (jus de fruit ou Coca Cola* ou Limonade*, etc.) – Refaire une glycémie 20 à 30 minutes après l’apport de glucides – Si glycémie < 4 mmol/l corriger à nouveau avec 15–30 g de glucides Si hypoglycémie et altération de l’état de conscience/coma, injecter glucagon im ou iv 1 mg pour les adultes et corriger avec >30 g de glucose une fois le patient conscient (appeler des secours et consultation médicale requise) Chez les patients traités par insuline ou connus pour la survenue d’hypoglycémie, il est utile de fixer un nombre maximum d’hypoglycémie hebdomadaire suite auquel le traitement doit impérativement être adapté. La problématique de l’hypoglycémie est moindre pour les patients avec un diabète de type 2 récent. Leur risque d’hypoglycémie sévère est faible car le système de contre régulation est parfaitement fonctionnel. Sans compter qu’avec l’arsenal thérapeutique actuel, les traitements hypoglycémiants sont rarement privilégiés de prime abord. La situation change avec l’évolution du diabète et en cas de polymédication. Il importe alors d’être vigilant. La diminution de la sensibilité aux hypoglycémies devrait être recherchée, chez tous les patients, lorsque l’HbA1c est à <6,5% et plus spécifiquement chez ceux qui Correspondance:: ont un diabète de type 2 et dont le dosage de l’insuline Prof. Dr méd. lente dépasse 1 UI/kg/j (>0,5 UI/kg/j en cas de diabète de Service d’endocrinologie, type 1). Une manière de procéder consiste à demander diabétologie, hypertension au patient s’il ressent systématiquement la survenue et nutrition, Hôpitaux universitaires d’une hypoglycémie. Enfin, il semble trivial d’énoncer de Genève l’importance d’aborder la problématique des hypogly- Rue Gabrielle-Perret-Gentil 4 CH-1211 Geneva jacques.philippe[at]hcuge.ch Toute hypoglycémie demande à être corrigée. Les recommandations préconisent 15 g de sucre à absorption rapide pour les stades légers et modérés. Ils permettent, en moyenne, une élévation d’1 à 2 mmol/l de la glycémie et le double en cas d’hypoglycémie sévère. Il est par ailleurs essentiel que le patient associe à la correction de l’hypoglycémie la prise d’un sucre lent, lorsqu’elle survient à distance de plus d’une heure du prochain repas (tab. 6). Les proches des patients traités par des injections multiples d’insuline devraient bénéficier d’un enseignement à l’utilisation du glucagon et sa * non light ou zéro. Jacques Philippe Hypoglycémie, comment la corriger en pratique cémies à chaque visite médicale (fréquence, horaire, causes, symptomatologie, sévérité). prescription. Il n’est pas rare de constater une tendance à sur-traiter l’hypoglycémie. La situation étant vécue comme une levée d’interdit et d’observer la prise d’aliments sucrés non recommandés comme le chocolat ou les biscuits. Les risques inhérents à ce type de choix alimentaires sont de retarder le rétablissement glycémique et de favoriser la prise de poids (tab. 6). Ajustement des médicaments Lorsque le patient est capable d’identifier de lui-même la cause ou les facteurs ayant précipité l’hypoglycémie (omission d’un repas, exercice physique imprévu, consommation d’alcool, accident dans le dosage de l’insuline, etc.) le risque de récidive est généralement limité. A l’inverse, en l’absence d’un facteur causal clair et exceptionnel, le traitement devrait être systématiquement revu. En cas d’hypoglycémie sévère, l’insulinothérapie lente doit être diminuée immédiatement d’au moins 20% et une évaluation spécialisée est recommandée. La tenue d’un carnet à glycémie peut apporter de l’aide pour identifier les périodes de la journée ou de la nuit à risque. En l’absence d’autocontrôles glycémiques réguliers, le recours au senseur glycémique peut s’avérer utile. En cas de diabète de type 2, le premier réflexe consiste à évaluer la possibilité d’employer des traite- L’essentiel pour la pratique • L’hypoglycémie est un effet indésirable inéluctable du traitement du dia- ments non hypoglycémiants. bète par l’insuline ou un sécrétagogue. Le risque augmente avec les thé- Disclosure statement rapies intensives et selon les comorbidités. JP a reçu des honoraires pour consultations ou conférences de Lilly, Novonordisk et Sanofi. Les autres auteurs n’ont déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article. • Les symptômes peuvent être de type adrénergiques ou neuroglycopéniques. Mais après une longue durée de diabète (type 1 et 2), et d’insulinothérapie, les mécanismes de contre-régulation peuvent être altérés. • En cas d’hypoglycémies répétées, l’insensibilité aux hypoglycémies est accentuée et le risque d’hypoglycémie sévère est conséquent. • Il est essentiel de rechercher activement la présence d’hypoglycémies chez les patients à risque et de s’assurer que la gestion de l’hypoglycé- Crédit photo © Sergey Lavrentev | Dreamstime.com Références La liste complète et numérotée des références est disponible en annexe de l’article en ligne sur www.medicalforum.ch. mie soit efficace. • La prévention des hypoglycémies passe par la mise en place de cibles thérapeutiques individualisées et une éducation thérapeutique structurée. SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE 2016;16(35):707–713 L’article «L’hypoglycémie chez le patient non diabétique» est paru dans la précédente édition FMS. LITERATUR / RÉFÉRENCES Online-Appendix Références 1 2 3 4 5 6 SWISS MEDI CAL FO RUM Seaquist ER, Anderson J, Childs B, Cryer P, Dagogo-Jack S, Fish L, Heller SR, et al. Hypoglycemia and diabetes: a report of a workgroup of the American Diabetes Association and the Endocrine Society. Diabetes Care. 2013;36(5):1384–95. doi: 10.2337/dc12-2480. Frier BM. Hypoglycaemia in diabetes mellitus: epidemiology and clinical implications. Nat Rev Endocrinol. 2014;10(12):711–22. doi: 10.1038/nrendo.2014.170. Yeoh E, Choudhary P, Nwokolo M, Ayis S, Amiel SA. Interventions That Restore Awareness of Hypoglycemia in Adults With Type 1 Diabetes: A Systematic Review and Meta-analysis. Diabetes Care. 2015;38(8):1592–609. doi: 10.2337/dc15–0102. Lalic NM. The case for: hypoglycemia is of cardiovascular importance. Diabetes Care. 2013;36 Suppl 2:S264–6. doi: 10.2337/dcS13–2016. Goto A, Arah OA, Goto M, Terauchi Y, Noda M. 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