Médecine prédictive

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Médecine prédictive
● P. Jonveaux*
“L’homme qui présume de son savoir ne sait pas encore ce que c’est de savoir.”
Saint-Paul, épître aux Corinthiens, VII, 2
(traduction de Montaigne, livre II, chap.XII)
e développement de la génétique médicale, le décryptage progressif du génome humain et la précision
accrue des méthodes de la génétique moléculaire ont
permis de caractériser des gènes dont certaines variations allèliques (variations dans la séquence nucléotidique) seraient associées de façon plus ou moins significative à la survenue d’une
pathologie donnée. Ainsi, dans l’approche diagnostique et
cognitive d’un nombre croissant de maladies, l’information
médicale s’enrichit d’une information génomique. À mode de
vie égal, deux personnes n’auront pas obligatoirement la même
évolution sur le plan de la santé. De cette meilleure connaissance du génome, il est espéré de prévoir l’évolution médicale
de façon personnalisée et donc de focaliser l’effort de prévention en fonction de ces gènes prédisposants. Il en résulte que la
médecine, déjà préventive tend à devenir de plus en plus
prédictive (1).
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Toutefois, la réalité génétique de chacun est bien plus complexe.
L’influence de l’environnement et les nombreuses interactions
entre plusieurs gènes différents doivent être pris en compte,
limitant par là même les stratégies prédictives. Fait important,
cette médecine prédictive s’adresse, a priori, à un individu sain,
dont l’histoire personnelle et/ou familiale le situe comme un
“sujet à risque” de développer une maladie le plus souvent à
révélation tardive, sujet qui pourra bénéficier ainsi d’un test
génétique, dont le résultat le conduira vers le statut de “sujet
porteur” (du gène de prédisposition) avant de franchir éventuellement la frontière du statut de “sujet malade”. En fait, le
destin médical de l’individu est plus subtil et ne suit pas nécessairement un tel parcours dicté par le destin génétique. À cet
égard, il est donc important de discerner dans cette démarche
de médecine prédictive, les maladies dites monogéniques, des
maladies multifactorielles (2).
* Laboratoire de génétique médicale-UPRES 952,
CHU Nancy-Brabois, Vandœuvre-lès-Nancy.
TEST PRÉSYMPTOMATIQUE ET MALADIES
MONOGÉNIQUES
Les caractères monogéniques, transmis selon un mode dominant
ou récessif, sont rares, mais nombreux et variés, et concernent
dans leur ensemble plusieurs pour cent de la population. Si une
altération monogénique est nécessaire et suffisante pour provoquer une maladie, la recherche de l’anomalie chez un sujet apparemment sain, asymptomatique, aura un caractère prédictif. Le
test génétique est alors un test présymptomatique qui permet de
déterminer le génotype de l’individu. Si ce génotype est pathologique, le sujet aura la maladie ou un risque élevé si la pénétrance du caractère est incomplète. Le prototype de l’analyse présymptomatique est celui de la chorée de Huntington, maladie
dégénérative du cerveau, de transmission autosomique dominante
(mouvements anormaux, troubles de l’humeur, puis démence
mortelle, apparaissant chez un adulte jeune de 40 ans). L’absence
de traitement actuellement curatif et la pénétrance complète de
cette affection font que toute personne portant le gène muté développera inexorablement la maladie. Cependant le test moléculaire ne permettra pas de prévoir à quel âge les signes cliniques
apparaîtront.
À la frontière des maladies monogéniques, on distingue les
formes héréditaires de certains cancers, tel le cancer du sein, où
un gène confère l’essentiel mais pas la totalité de la prédisposition. Le cancer du sein frappe 10 % des femmes dans nos pays
occidentaux et, parmi ces cas, 10 % (1 % du total) sont héréditaires. Dans ces formes héréditaires, il existe clairement des
gènes de prédispositions bien caractérisés (dont BRCA1 et
BRCA2). Toutefois, la présence de cette mutation au sein d’un
de ces gènes chez une apparentée à risque (de par sa place au
sein de la famille) ne conférera pas un risque de certitude (pénétrance incomplète) mais seulement un risque élevé (75 %) de
développer un jour un cancer du sein, et à un âge très imprévisible (25 à 70 ans).
Le test prédictif concerne plus particulièrement les maladies
multifactorielles. Ces maladies résultent du dysfonctionnement
de plusieurs gènes, indépendants les uns des autres, qui codent
des produits dont les variantes, en interagissant avec des facteurs de l’environnement, influent sur l’apparition de la mala-
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die. Ces affections au déterminisme complexe ne se transmettent pas selon les lois classiques de Mendel, et de par leur fréquence dans la population générale, elles ont des conséquences
sociales et économiques très lourdes (hypertension artérielle,
cardiopathies ischémiques, obésité, maladie d’Alzheimer, diabète de type II, schizophrénie, psychose maniaco-dépressive,
maladies auto-immunes, etc.). Afin de mieux cerner les gènes
impliqués dans ces maladies multifactorielles, des études
d’association sont actuellement entreprises sur des individus
porteurs du trait pathologique mais non apparentés. De nouveaux marqueurs “SNP” (Single Nucleotide Polymorphism)
sont utilisés. Ils correspondent à des mutations d’une seule paire
de bases situées dans des régions codantes ou non. Ces marqueurs extrêmement abondants (10 millions par génome) pourraient être responsables de différences phénotypiques entre individus. En circonscrivant des régions d’intérêt, ces études
devraient permettre d’isoler les différents gènes de prédisposition impliqués, mais aussi de définir comment les produits polymorphes de ces gènes interagissent entre eux pour déclencher,
dans certaines conditions d’environnement, les processus physiopathologiques. En effet, les facteurs environnementaux pourraient faciliter l’expression phénotypique de ces allèles de prédisposition, soit parce que le polymorphisme génétique affecte
des voies métaboliques dépendant de la présence de substrats
apportés par l’environnement, soit parce que la modification de
l’expression d’un gène induite par un facteur environnemental
est affectée par le polymorphisme. Ainsi, la caractérisation des
interactions entre facteurs environnementaux et génétiques
constitue une clé de la compréhension de la pathogenèse des
maladies multifactorielles. En revanche, il apparaît clairement
que chacun de ces allèles prédisposants, pris isolément, a peu
d’effet, et on les retrouve chez beaucoup de personnes qui ne
développeront pas la maladie. Le risque relatif associé à l’allèle
de susceptibilité est le plus souvent faible. Même lorsqu’il est
élevé, la valeur prédictive positive (risque de faire la maladie
quand on possède l’allèle de susceptibilité) est faible. Il en
résulte que les tests prédictifs sont peu utiles car peu déterminants dans le domaine de la prévention (3). L’influence de chacun des gènes impliqués est limitée, il est donc difficile de préciser les mécanismes moléculaires établissant le lien entre gène
et trait pathologique. L’isoforme ε4 de l’Apo E est statistiquement associée à la maladie d’Alzheimer (uniquement dans certaines ethnies), mais aucun mécanisme cohérent ne permet
encore d’expliquer cette observation. Dans le contexte des maladies multifactorielles, ce n’est que lorsque une série de facteurs
sont simultanément présents que l’augmentation du risque apparaît. Ainsi ces pathologies exigent une évaluation multigénique
du risque. En d’autres termes, pour identifier les individus à
haut risque génétique, il sera nécessaire de typer simultanément
plusieurs polymorphismes délétères. Le nombre de variants
génétiques est encore inconnu, mais il est de plus en plus évident qu’ils influencent fortement la prédisposition à ces maladies. On peut prévoir un développement important des tests
génétiques au cours des années à venir. L’évolution des techniques diminuera leur coût et les rendra plus accessibles et
performants.
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DE L’INTÉRÊT DES TESTS GÉNÉTIQUES EN MÉDECINE
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Le besoin constant de connaître l’avenir pour soi-même et ses
enfants doit être pondéré par les possibilités réelles de prise en
charge médico-sociale. Dans le contexte d’une maladie monogénique, la réalisation d’un test présymptomatique permettra de
préciser le conseil génétique (risque pour la descendance), et de
connaître le statut d’une personne exposée à développer la maladie. L’intérêt de ces tests est manisfeste lorsqu’une thérapeutique
efficace peut être offerte au sujet prédisposé. C’est le cas, par
exemple, d’une personne appartenant à une famille dans laquelle
ségrège la polypose adénomateuse familiale (maladie dominante),
ou lors d’une maladie récessive si un germain est atteint (hémochromatose héréditaire). En l’absence de thérapeutique (chorée
de Huntington ), le diagnostic présymptomatique ne se conçoit
que chez l’adulte qui souhaite connaître réellement son statut.
L’absence de bénéfice médical à la réalisation du test engendre
d’importants problèmes d’ordre éthique. Ce type de test présymptomatique ne peut être effectué que dans le cadre d’une
équipe multidisciplinaire associant généticien, spécialiste
d’organe, psychologue, psychiatre et assistante sociale. Cette
approche multidisciplinaire permettra de mieux appréhender les
motivations du demandeur et surtout d’anticiper ses réactions à
l’annonce du résultat (positif ou négatif) pour assurer un suivi et
accompagnement optimal.
S’agissant des prédispositions héréditaires au cancer, pour lesquelles la pénétrance est incomplète (cancer du sein, certains cancers coliques), le principe du test prédictif répond à une meilleure
politique de prévention et de dépistage. La possibilité d’évaluer
précisement les risques tumoraux des membres de familles dans
lesquelles ségrège une prédisposition, offre l’avantage de focaliser le dépistage sur les seuls sujets porteurs et d’éviter des examens spécifiques (répétés et coûteux) de dépistage à ceux pour
lesquels il a pu être démontré qu’ils n’étaient pas porteurs. Cela
étant, il doit être gardé à l’esprit, que l’absence du gène responsable de la prédisposition familiale chez un individu de la famille
laissera un risque tout à fait significatif, celui de toute femme de
développer un cancer du sein (10 %). Dans tous les cas, la réalisation de tels tests prédictifs ne peut se concevoir qu’après
l’obtention d’un consensus de la communauté médicale sur les
stratégies possibles de prévention, à la recherche d’un réel bénéfice direct, et cela à l’aide de techniques d’évaluation rigoureuse
préalables.
Pour les maladies multifactorielles, beaucoup plus fréquentes,
l’interaction des facteurs génétiques et de l’environnement est
encore mal connue. Chaque anomalie d’un gène n’est pas suffisante
pour entraîner un processus pathologique dans un contexte donné
environnemental. Être porteur d’un allèle de susceptibilité augmente
seulement un peu la probabilité de développer la maladie mais ne
signifie nullement que la personne soit exposée réellement à la developper. Il s’agit donc ici pour le moment d’une médecine probabiliste dont les applications actuelles dans le domaine de la prévention sont encore en attente. La validation d’un ensemble de
marqueurs moléculaires devrait permettre de mieux définir les
risques individuels de développer une maladie. Ces informations
déboucheront sur la définition de populations pour lesquelles des
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recommandations spécifiques sur le mode de vie et, sans doute, des
protocoles adaptés de surveillance pourront être proposés.
Dans un même ordre d’idée, la pharmacogénétique qui a pour but
de mieux comprendre la réaction médicamenteuse individuelle
(toxicité, efficience, etc.) pourrait utiliser les tests de prédisposition afin d’identifier les individus qui bénéficieront au maximun
d’un traitement et d’exclure ceux pour lesquels le risque thérapeutique excéderait les bénéfices attendus.
LES DÉRIVES NON MÉDICALES DES TESTS GÉNÉTIQUES
Le marché des biotechnologies suscite de puissantes motivations
commerciales à la réalisation des tests prédictifs. Des utilisations
indésirables de la médecine prédictive se profilent à l’horizon. Certains employeurs, assureurs pourraient être tentés d’identifier par
des tests génétiques quels candidats à l’emploi, à l’assurance
seraient moins solvables ou moins “productifs à long terme” que
d’autres, du fait de leur héritage biologique. Il s’agirait alors d’une
utilisation détournée de la médecine et, qui plus est fallacieuse,
étant donné le manque d’efficacité prédictive des tests. Or, sur le
plan génétique doit-on parler d’individu parfait, d’individu normal
ou plutôt tout simplement d’individu ordinaire ? Nous sommes tous
porteurs d’un fardeau génétique, avec des gènes prédisposants à
des maladies potentiellement graves. Cette stratégie conduisant à
récuser les candidats testés serait contraire aux principes éthiques
et sociaux les plus élémentaires de respect de la personne humaine,
de la solidarité sociale et de l’égalité devant la loi (4).
Il est ainsi fondamental de respecter lors de la pratique des tests
génétiques en médecine prédictive, le droit de ne pas savoir,
l’autonomie, le consentement éclairé, la confidentialité et l’éga-
lité. Le défaut d’information avant le test pourrait résulter en
erreurs d’interprétation des résultats, tant pour le sujet testé que
pour ses apparentés, d’où la nécessité d’un encadrement médical des tests génétiques au sein d’équipes compétentes et capables
de garantir ces principes dans l’intérêt du patient. S’agissant d’un
mineur asymptomatique, son intérêt doit primer sur celui de ses
parents. Il existe un bénéfice direct pour lui si la maladie survient
dans l’enfance ou l’adolescence et si la reconnaissance précoce
peut améliorer le soin, la prévention, l’accompagnement. Il ne
serait pas éthique que les intérêts commerciaux l’emportent sur
l’intérêt de l’enfant et le devoir fondamental de ne pas lui nuire.
C’est ainsi que le décret 2000-570 du 23 juin 2000 de l’article
L 145-15.1 du code de la santé publique décrit les conditions précises à la prescription et la réalisation de l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne à des fins médicales, et cela
dans le respect de l’intérêt du patient.
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Mots clés. Test génétique – Test présymptomatique –
Test prédictif – Médecine probabiliste.
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1. Meador CK. The last well person. N Engl J Med 1994 ; 330 : 440-1.
2. Harper P. What do you mean by genetic testing. J Med Genet 1997 ; 34 :
749-52.
3. Welch HG, Burke W. Uncertainties in genetic testing for chronic disease.
JAMA 1998 ; 280 : 1525-7.
4. Pauker SG, Kassirere JP. Contentious screening decisions : does the choice
matter ? N Engl J Med 1997 ; 336 : 1243-4.
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Colites infectieuses
Coordinateur : Dr P. Desreumaux (Lille)
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - no 6 - vol. III - novembre-décembre 2000
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