HEPATO-GASTRO 6 27/08/02 16:59 Page 325 Médecine prédictive ● P. Jonveaux* “L’homme qui présume de son savoir ne sait pas encore ce que c’est de savoir.” Saint-Paul, épître aux Corinthiens, VII, 2 (traduction de Montaigne, livre II, chap.XII) e développement de la génétique médicale, le décryptage progressif du génome humain et la précision accrue des méthodes de la génétique moléculaire ont permis de caractériser des gènes dont certaines variations allèliques (variations dans la séquence nucléotidique) seraient associées de façon plus ou moins significative à la survenue d’une pathologie donnée. Ainsi, dans l’approche diagnostique et cognitive d’un nombre croissant de maladies, l’information médicale s’enrichit d’une information génomique. À mode de vie égal, deux personnes n’auront pas obligatoirement la même évolution sur le plan de la santé. De cette meilleure connaissance du génome, il est espéré de prévoir l’évolution médicale de façon personnalisée et donc de focaliser l’effort de prévention en fonction de ces gènes prédisposants. Il en résulte que la médecine, déjà préventive tend à devenir de plus en plus prédictive (1). L Toutefois, la réalité génétique de chacun est bien plus complexe. L’influence de l’environnement et les nombreuses interactions entre plusieurs gènes différents doivent être pris en compte, limitant par là même les stratégies prédictives. Fait important, cette médecine prédictive s’adresse, a priori, à un individu sain, dont l’histoire personnelle et/ou familiale le situe comme un “sujet à risque” de développer une maladie le plus souvent à révélation tardive, sujet qui pourra bénéficier ainsi d’un test génétique, dont le résultat le conduira vers le statut de “sujet porteur” (du gène de prédisposition) avant de franchir éventuellement la frontière du statut de “sujet malade”. En fait, le destin médical de l’individu est plus subtil et ne suit pas nécessairement un tel parcours dicté par le destin génétique. À cet égard, il est donc important de discerner dans cette démarche de médecine prédictive, les maladies dites monogéniques, des maladies multifactorielles (2). * Laboratoire de génétique médicale-UPRES 952, CHU Nancy-Brabois, Vandœuvre-lès-Nancy. TEST PRÉSYMPTOMATIQUE ET MALADIES MONOGÉNIQUES Les caractères monogéniques, transmis selon un mode dominant ou récessif, sont rares, mais nombreux et variés, et concernent dans leur ensemble plusieurs pour cent de la population. Si une altération monogénique est nécessaire et suffisante pour provoquer une maladie, la recherche de l’anomalie chez un sujet apparemment sain, asymptomatique, aura un caractère prédictif. Le test génétique est alors un test présymptomatique qui permet de déterminer le génotype de l’individu. Si ce génotype est pathologique, le sujet aura la maladie ou un risque élevé si la pénétrance du caractère est incomplète. Le prototype de l’analyse présymptomatique est celui de la chorée de Huntington, maladie dégénérative du cerveau, de transmission autosomique dominante (mouvements anormaux, troubles de l’humeur, puis démence mortelle, apparaissant chez un adulte jeune de 40 ans). L’absence de traitement actuellement curatif et la pénétrance complète de cette affection font que toute personne portant le gène muté développera inexorablement la maladie. Cependant le test moléculaire ne permettra pas de prévoir à quel âge les signes cliniques apparaîtront. À la frontière des maladies monogéniques, on distingue les formes héréditaires de certains cancers, tel le cancer du sein, où un gène confère l’essentiel mais pas la totalité de la prédisposition. Le cancer du sein frappe 10 % des femmes dans nos pays occidentaux et, parmi ces cas, 10 % (1 % du total) sont héréditaires. Dans ces formes héréditaires, il existe clairement des gènes de prédispositions bien caractérisés (dont BRCA1 et BRCA2). Toutefois, la présence de cette mutation au sein d’un de ces gènes chez une apparentée à risque (de par sa place au sein de la famille) ne conférera pas un risque de certitude (pénétrance incomplète) mais seulement un risque élevé (75 %) de développer un jour un cancer du sein, et à un âge très imprévisible (25 à 70 ans). Le test prédictif concerne plus particulièrement les maladies multifactorielles. Ces maladies résultent du dysfonctionnement de plusieurs gènes, indépendants les uns des autres, qui codent des produits dont les variantes, en interagissant avec des facteurs de l’environnement, influent sur l’apparition de la mala- La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - no 6 - vol. III - novembre-décembre 2000 325 HEPATO-GASTRO 6 D 27/08/02 O S 16:59 S Page 326 I E R T die. Ces affections au déterminisme complexe ne se transmettent pas selon les lois classiques de Mendel, et de par leur fréquence dans la population générale, elles ont des conséquences sociales et économiques très lourdes (hypertension artérielle, cardiopathies ischémiques, obésité, maladie d’Alzheimer, diabète de type II, schizophrénie, psychose maniaco-dépressive, maladies auto-immunes, etc.). Afin de mieux cerner les gènes impliqués dans ces maladies multifactorielles, des études d’association sont actuellement entreprises sur des individus porteurs du trait pathologique mais non apparentés. De nouveaux marqueurs “SNP” (Single Nucleotide Polymorphism) sont utilisés. Ils correspondent à des mutations d’une seule paire de bases situées dans des régions codantes ou non. Ces marqueurs extrêmement abondants (10 millions par génome) pourraient être responsables de différences phénotypiques entre individus. En circonscrivant des régions d’intérêt, ces études devraient permettre d’isoler les différents gènes de prédisposition impliqués, mais aussi de définir comment les produits polymorphes de ces gènes interagissent entre eux pour déclencher, dans certaines conditions d’environnement, les processus physiopathologiques. En effet, les facteurs environnementaux pourraient faciliter l’expression phénotypique de ces allèles de prédisposition, soit parce que le polymorphisme génétique affecte des voies métaboliques dépendant de la présence de substrats apportés par l’environnement, soit parce que la modification de l’expression d’un gène induite par un facteur environnemental est affectée par le polymorphisme. Ainsi, la caractérisation des interactions entre facteurs environnementaux et génétiques constitue une clé de la compréhension de la pathogenèse des maladies multifactorielles. En revanche, il apparaît clairement que chacun de ces allèles prédisposants, pris isolément, a peu d’effet, et on les retrouve chez beaucoup de personnes qui ne développeront pas la maladie. Le risque relatif associé à l’allèle de susceptibilité est le plus souvent faible. Même lorsqu’il est élevé, la valeur prédictive positive (risque de faire la maladie quand on possède l’allèle de susceptibilité) est faible. Il en résulte que les tests prédictifs sont peu utiles car peu déterminants dans le domaine de la prévention (3). L’influence de chacun des gènes impliqués est limitée, il est donc difficile de préciser les mécanismes moléculaires établissant le lien entre gène et trait pathologique. L’isoforme ε4 de l’Apo E est statistiquement associée à la maladie d’Alzheimer (uniquement dans certaines ethnies), mais aucun mécanisme cohérent ne permet encore d’expliquer cette observation. Dans le contexte des maladies multifactorielles, ce n’est que lorsque une série de facteurs sont simultanément présents que l’augmentation du risque apparaît. Ainsi ces pathologies exigent une évaluation multigénique du risque. En d’autres termes, pour identifier les individus à haut risque génétique, il sera nécessaire de typer simultanément plusieurs polymorphismes délétères. Le nombre de variants génétiques est encore inconnu, mais il est de plus en plus évident qu’ils influencent fortement la prédisposition à ces maladies. On peut prévoir un développement important des tests génétiques au cours des années à venir. L’évolution des techniques diminuera leur coût et les rendra plus accessibles et performants. 326 H É M A T I Q U E DE L’INTÉRÊT DES TESTS GÉNÉTIQUES EN MÉDECINE PRÉDICTIVE Le besoin constant de connaître l’avenir pour soi-même et ses enfants doit être pondéré par les possibilités réelles de prise en charge médico-sociale. Dans le contexte d’une maladie monogénique, la réalisation d’un test présymptomatique permettra de préciser le conseil génétique (risque pour la descendance), et de connaître le statut d’une personne exposée à développer la maladie. L’intérêt de ces tests est manisfeste lorsqu’une thérapeutique efficace peut être offerte au sujet prédisposé. C’est le cas, par exemple, d’une personne appartenant à une famille dans laquelle ségrège la polypose adénomateuse familiale (maladie dominante), ou lors d’une maladie récessive si un germain est atteint (hémochromatose héréditaire). En l’absence de thérapeutique (chorée de Huntington ), le diagnostic présymptomatique ne se conçoit que chez l’adulte qui souhaite connaître réellement son statut. L’absence de bénéfice médical à la réalisation du test engendre d’importants problèmes d’ordre éthique. Ce type de test présymptomatique ne peut être effectué que dans le cadre d’une équipe multidisciplinaire associant généticien, spécialiste d’organe, psychologue, psychiatre et assistante sociale. Cette approche multidisciplinaire permettra de mieux appréhender les motivations du demandeur et surtout d’anticiper ses réactions à l’annonce du résultat (positif ou négatif) pour assurer un suivi et accompagnement optimal. S’agissant des prédispositions héréditaires au cancer, pour lesquelles la pénétrance est incomplète (cancer du sein, certains cancers coliques), le principe du test prédictif répond à une meilleure politique de prévention et de dépistage. La possibilité d’évaluer précisement les risques tumoraux des membres de familles dans lesquelles ségrège une prédisposition, offre l’avantage de focaliser le dépistage sur les seuls sujets porteurs et d’éviter des examens spécifiques (répétés et coûteux) de dépistage à ceux pour lesquels il a pu être démontré qu’ils n’étaient pas porteurs. Cela étant, il doit être gardé à l’esprit, que l’absence du gène responsable de la prédisposition familiale chez un individu de la famille laissera un risque tout à fait significatif, celui de toute femme de développer un cancer du sein (10 %). Dans tous les cas, la réalisation de tels tests prédictifs ne peut se concevoir qu’après l’obtention d’un consensus de la communauté médicale sur les stratégies possibles de prévention, à la recherche d’un réel bénéfice direct, et cela à l’aide de techniques d’évaluation rigoureuse préalables. Pour les maladies multifactorielles, beaucoup plus fréquentes, l’interaction des facteurs génétiques et de l’environnement est encore mal connue. Chaque anomalie d’un gène n’est pas suffisante pour entraîner un processus pathologique dans un contexte donné environnemental. Être porteur d’un allèle de susceptibilité augmente seulement un peu la probabilité de développer la maladie mais ne signifie nullement que la personne soit exposée réellement à la developper. Il s’agit donc ici pour le moment d’une médecine probabiliste dont les applications actuelles dans le domaine de la prévention sont encore en attente. La validation d’un ensemble de marqueurs moléculaires devrait permettre de mieux définir les risques individuels de développer une maladie. Ces informations déboucheront sur la définition de populations pour lesquelles des La lettre de l’hépato-gastroentérologue - no 6 - vol. III - novembre-décembre 2000 HEPATO-GASTRO 6 27/08/02 16:59 Page 327 recommandations spécifiques sur le mode de vie et, sans doute, des protocoles adaptés de surveillance pourront être proposés. Dans un même ordre d’idée, la pharmacogénétique qui a pour but de mieux comprendre la réaction médicamenteuse individuelle (toxicité, efficience, etc.) pourrait utiliser les tests de prédisposition afin d’identifier les individus qui bénéficieront au maximun d’un traitement et d’exclure ceux pour lesquels le risque thérapeutique excéderait les bénéfices attendus. LES DÉRIVES NON MÉDICALES DES TESTS GÉNÉTIQUES Le marché des biotechnologies suscite de puissantes motivations commerciales à la réalisation des tests prédictifs. Des utilisations indésirables de la médecine prédictive se profilent à l’horizon. Certains employeurs, assureurs pourraient être tentés d’identifier par des tests génétiques quels candidats à l’emploi, à l’assurance seraient moins solvables ou moins “productifs à long terme” que d’autres, du fait de leur héritage biologique. Il s’agirait alors d’une utilisation détournée de la médecine et, qui plus est fallacieuse, étant donné le manque d’efficacité prédictive des tests. Or, sur le plan génétique doit-on parler d’individu parfait, d’individu normal ou plutôt tout simplement d’individu ordinaire ? Nous sommes tous porteurs d’un fardeau génétique, avec des gènes prédisposants à des maladies potentiellement graves. Cette stratégie conduisant à récuser les candidats testés serait contraire aux principes éthiques et sociaux les plus élémentaires de respect de la personne humaine, de la solidarité sociale et de l’égalité devant la loi (4). Il est ainsi fondamental de respecter lors de la pratique des tests génétiques en médecine prédictive, le droit de ne pas savoir, l’autonomie, le consentement éclairé, la confidentialité et l’éga- lité. Le défaut d’information avant le test pourrait résulter en erreurs d’interprétation des résultats, tant pour le sujet testé que pour ses apparentés, d’où la nécessité d’un encadrement médical des tests génétiques au sein d’équipes compétentes et capables de garantir ces principes dans l’intérêt du patient. S’agissant d’un mineur asymptomatique, son intérêt doit primer sur celui de ses parents. Il existe un bénéfice direct pour lui si la maladie survient dans l’enfance ou l’adolescence et si la reconnaissance précoce peut améliorer le soin, la prévention, l’accompagnement. Il ne serait pas éthique que les intérêts commerciaux l’emportent sur l’intérêt de l’enfant et le devoir fondamental de ne pas lui nuire. C’est ainsi que le décret 2000-570 du 23 juin 2000 de l’article L 145-15.1 du code de la santé publique décrit les conditions précises à la prescription et la réalisation de l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne à des fins médicales, et cela dans le respect de l’intérêt du patient. ■ Mots clés. Test génétique – Test présymptomatique – Test prédictif – Médecine probabiliste. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Meador CK. The last well person. N Engl J Med 1994 ; 330 : 440-1. 2. Harper P. What do you mean by genetic testing. J Med Genet 1997 ; 34 : 749-52. 3. Welch HG, Burke W. Uncertainties in genetic testing for chronic disease. JAMA 1998 ; 280 : 1525-7. 4. Pauker SG, Kassirere JP. Contentious screening decisions : does the choice matter ? N Engl J Med 1997 ; 336 : 1243-4. Le prochain dossier thématique Colites infectieuses Coordinateur : Dr P. Desreumaux (Lille) La lettre de l’hépato-gastroentérologue - no 6 - vol. III - novembre-décembre 2000 327