M I S E A U P O I N T Neuropsychologie de la mémoire autobiographique Neuropsychology of autobiographical memory ● P. Piolino* P O I N T S P O I N T S F O R T S F O R T S SUMMARY SUMMARY ■ La mémoire autobiographique est à la base du sentiment d’identité et de continuité dans le temps. ■ Elle comprend des connaissances sémantiques personnelles et des souvenirs épisodiques. ■ Nombre de souvenirs se sémantisent au fil du temps. ■ L’accès au souvenir est le plus souvent contrôlé, parfois automatique. ■ L’accès contrôlé met en jeu la mémoire de travail et le modèle d’intégrité personnel du sujet (le self). ■ L’accès aux détails épisodiques passe par l’accès à des connaissances personnelles plus générales. ■ Le caractère épisodique d’un souvenir dépend de la spécificité du contexte spatiotemporel et de la richesse des détails phénoménologiques de l’épisode d’encodage (perception, pensées, émotion). ■ La mémoire autobiographique est sous-tendue par un vaste réseau cérébral qui implique le lobe frontal, le lobe temporal et les régions postérieures. ■ Le rôle du lobe temporal interne dans l’accès aux souvenirs épisodiques serait permanent quelle que soit leur ancienneté. ■ Plusieurs méthodes d’évaluation standardisées permettent d’évaluer la mémoire autobiographique. Autobiographical memory is a multifaceted concept which concerns information and experiences of one’s personal life that gives a sense of self-continuity. Cognitive models proposed distinguishing between an episodic component, containing personal specific events situated in time and space, and a personal semantic component, storing general knowledge of one's past. Neuropsychological studies have showed different profiles of autobiographical amnesia depending on the locus of the lesion and the kind of personal information tested (i.e. personal semantic or episodic). These neuropsychological data have largely contributed to the elaboration of the theories of long-term memory consolidation and retrieval. In recent years, a growing number of functional neuroimaging studies have described the neural substrates of autobiographical memory. New methods of investigation have been elaborated in order to control the nature of memory retrieved and better characterized autobiographical amnesia. This latter should be taken into account when prescribing rehabilitation and memory remediation. Mots-clés : Mémoire autobiographique – Amnésie rétrograde – Neuropsychologie. Keywords: Autobiographical memory – Retrograde amnesia – Remote memory – Neuropsychology. epuis une quinzaine d’années, la mémoire autobiographique est l’objet d’un regain d’intérêt en neuropsychologie cognitive et en neuro-imagerie fonctionnelle, après les travaux de quelques pionniers de la fin du XIXe siècle, tel Théodule Ribot (1881). La progression des recherches est liée à la nature même de la mémoire autobiographique, qui est essentielle à la construction de l’identité personnelle, mais aussi à des questions plus théoriques portant sur l’amnésie rétrograde (qui concerne la mémoire des connaissances acquises avant la survenue de la lésion cérébrale), opposée à l’amnésie antérograde (qui touche la mémoire des connaissances acquises depuis la survenue de la lésion cérébrale), et sur les modèles neurocognitifs de la consolidation à long terme. Après avoir présenté les conceptions cognitives actuelles de la mémoire autobiographique, nous décrirons les différents profils d’amnésie autobiographique observés chez des patients cérébrolésés en fonction de la localisation lésionnelle, avant de nous intéresser aux données de la neuro-imagerie fonctionnelle chez des sujets sains, données qui permettent d’entrevoir les bases biologiques de l’identité. Enfin, nous insisterons sur l’intérêt clinique et les perspectives de la prise en charge de ces troubles. D * Laboratoire de psychologie expérimentale (EPHE, CNRS, UMR 8581), université René-Descartes, Paris et INSERM-université de Caen E0218, France. 222 La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 7 - septembre 2005 DÉFINITION ET ORGANISATION DE LA MÉMOIRE AUTOBIOGRAPHIQUE La mémoire autobiographique est la mémoire par excellence : elle emmagasine les souvenirs personnels d’un individu, accumulés depuis son plus jeune âge et qui sont à l’origine du sentiment d’identité et de continuité. C’est elle qui nous permet de voyager dans le temps subjectif, si vivement parfois que l’on peut revivre mentalement les détails phénoménologiques des événements du passé (le jour de son mariage, par exemple). En plus des images mentales qui jalonnent notre vie, l’émotion est le médiateur privilégié de notre mémoire autobiographique. Cette capacité mnésique correspond à la mémoire à long terme épisodique. Cette dernière permet l’encodage, le stockage et la récupération des événements personnellement vécus situés dans le temps et l’espace (1). Elle est néanmoins le plus souvent étudiée dans la pratique clinique au moyen de tests d’apprentissage et de rappel de listes de mots qui dénaturent l’essence de la mémoire épisodique, mieux appréhendée par l’étude des souvenirs autobiographiques. Toutefois, la mémoire autobiographique est difficile à évaluer de façon contrôlée. De plus, elle n’est pas uniquement épisodique, mais contient également une part sémantique composée de connaissances générales sur soi (les noms de personnes de son entourage, les adresses personnelles, etc.) et de souvenirs d’événements généraux (par exemple, les week-ends à la campagne ou le voyage à Athènes effectué quand j’étais à l’école primaire) sans accès à un contexte d’apprentissage particulier. Cette part sémantique de la mémoire autobiographique est principalement le fruit d’un processus de sémantisation dû à la répétition d’événements similaires qui façonne la représentation d’un événement générique comportant les caractéristiques communes des événements. Toutefois, dans certaines conditions liées à l’importance personnelle et émotionnelle, les souvenirs sont conservés durablement et dans le détail. Un souvenir épisodique implique la contextualisation de l’événement vécu dans ses aspects tant spatio-temporels que phénoménologiques. Dans le vieillissement normal (2, 3), l’âge a un effet délétère sur les aspects épisodiques (revivre un événement particulier), mais pas sur les aspects sémantiques (rappeler les noms de personnes de son entourage, se souvenir d’événements génériques). Cependant, les souvenirs très récents restent les plus détaillés chez les sujets âgés, ainsi que les souvenirs encodés entre l’âge de 15 et 30 ans. Ces deux phénomènes sont connus respectivement sous le nom d’“effet de récence” et de “pic de réminiscence”. Plusieurs modèles d’organisation de la mémoire autobiographique sont fondés sur l’idée que le souvenir est une reconstruction dynamique et transitoire à partir de plusieurs types de représentations mnésiques. Conway (4) propose un modèle qui implique un processus de construction dynamique à partir de trois types de matériaux autobiographiques appartenant à trois niveaux de spécificité croissante : les connaissances associées à une période de vie (“quand j’étais étudiant”), à un événement général (“les réunions de travail du lundi”) et aux détails spécifiques d’un événement (“une réunion de travail particulièrement importante”) et incluant les images, les sentiments, les odeurs… présents lors de l’encodage. Ce modèle propose que La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 7 - septembre 2005 la reconstruction d’un souvenir autobiographique épisodique fait appel à un cycle de récupération sous la dépendance d’un système exécutif central permettant de récupérer et de maintenir en mémoire de travail une représentation transitoire de l’événement au prix d’un effort cognitif. Dans d’autres cas, plus rares, l’exposition (dans l’environnement extérieur ou interne) à des détails perceptivo-sensoriels présents lors d’un épisode d’encodage déclenche un accès automatique au souvenir, dégagé dans ce cas des ressources exécutives du sujet. Le modèle d’intégrité du sujet (le “self”), qui contient ses buts, ses croyances et ses désirs actuels mais également son état émotionnel, détermine quels événements vont être encodés et conservés durablement et quels événements vont être reconstruits dans les souvenirs. Selon cette conception, la mémoire autobiographique épisodique est bien davantage une compétence du self qu’un réservoir contenant des souvenirs particuliers. TROUBLES DE LA MÉMOIRE AUTOBIOGRAPHIQUE Certaines maladies perturbent tout particulièrement la mémoire autobiographique, et endommagent ainsi le maintien de l’identité et le sentiment de continuité. Les données anatomo-cliniques montrent que le profil de l’amnésie rétrograde autobiographique varie en fonction de l’atteinte lésionnelle (figure 1). Les mécanismes de Détails Événements généraux Périodes de vie Administrateur central Self Régions postérieures Lobes temporaux externes Lobes frontaux Liens avec les lobes frontaux (récupération active/accès indirect) Récupération directe automatique Figure 1. Modèle d’organisation de la mémoire autobiographique. Modes d’accès au souvenir et zones cérébrales impliquées (d’après Conway, 2001). 223 M I S E A Encadré. Lorsque l’on essaye de se souvenir d’un événement particulier, le processus de récupération est le plus souvent contrôlé (administrateur central de la mémoire de travail et self) et indirect, passant par des connaissances générales (périodes de vie et événements généraux) pour accéder aux connaissances plus spécifiques (détails perceptivo-sensoriels). Cette construction du souvenir implique un vaste réseau cérébral largement distribué. Les perturbations de la mémoire autobiographique observées avec les méthodes d’évaluation standardisées peuvent survenir dès l’atteinte de l’une de ces régions ou de leurs connexions, empêchant la reconstruction du souvenir à différents niveaux : l’initiation et la vérification, la recontextualisation par les connaissances générales, la reviviscence des détails spécifiques. L’accès aux détails spécifiques peut aussi être automatique et direct, le souvenir semblant alors surgir dans la conscience (“la madeleine de Proust”). Cet aspect pourrait être mieux préservé chez les patients, mais il est difficile à mesurer avec des méthodes d’évaluation standardisées. perturbation peuvent néanmoins être très différents selon les pathologies. Ils peuvent correspondre à un trouble d’accès et/ou de stockage sous-tendu par différentes localisations lésionnelles. Les patients atteints d’une lésion principalement limitée à la partie interne du lobe temporal (syndrome amnésique ou maladie d’Alzheimer débutante) présentent une amnésie antérograde et une amnésie rétrograde autobiographique qui obéit à la loi de Ribot (meilleure préservation des souvenirs anciens). Lorsque la lésion cérébrale concerne le néocortex, notamment la partie externe du lobe temporal (comme dans la démence sémantique), épargnant la partie interne du lobe temporal, l’acquisition de nouveaux souvenirs est relativement préservée, et l’amnésie rétrograde présente un gradient temporel inverse à celui de Ribot. Enfin, lorsque la lésion touche à la fois la partie interne du lobe temporal et les régions néocorticales où sont stockés les souvenirs ou qui sont nécessaires à leur récupération (comme dans l’encéphalite herpétique et la maladie d’Alzheimer à un stade plus sévère), l’amnésie rétrograde s’étend et peut devenir globale, touchant l’ensemble des périodes de vie, même les plus anciennes. Ce type de profil peut également s’observer dans certains cas où les lésions concernent le lobe frontal (traumatisés crâniens ou démence fronto-temporale), traduisant une perturbation massive des processus de récupération des détails autobiographiques spécifiques, notamment du contexte temporel. Les formes d’amnésie rétrograde caractérisées par un gradient temporel de Ribot en faveur du passé lointain constituent des données essentielles pour le modèle dit standard de la consolidation du souvenir, qui assigne au lobe temporal interne (LTI) un rôle temporaire (2 à 10 ans) dans la récupération des souvenirs épisodiques et des connaissances sémantiques. Toutefois, certains résultats dans le syndrome amnésique et dans la maladie d’Alzheimer suggèrent que l’amnésie rétrograde est plus étendue pour les souvenirs épisodiques que pour les informations sémantiques personnelles et les connaissances générales, voire qu’elle est globale sans gradient temporel (5, 6). Un modèle concurrent incorpore ces différences en proposant de distinguer les processus de la consolidation en fonction de la nature épisodique ou sémantique de l’information. Ce modèle, appelé “trace multiple”, s’accorde avec le modèle standard pour ce qui est des connaissances sémantiques, mais suggère que le rôle du LTI est perma224 U P O I N T nent dans la récupération des souvenirs épisodiques. À ce jour, la question du rôle du LTI dans la mémoire à très long terme n’est pas encore tranchée. L’amnésie rétrograde isolée sans gradient, en l’absence d’amnésie antérograde, est l’un des phénomènes les plus fascinants d’atteinte de la mémoire humaine chez les patients cérébrolésés – souvent des traumatisés crâniens. Curieusement, ces patients présentent une perte soudaine d’identité après une lésion cérébrale touchant le plus souvent les régions fronto-temporales externes ou les régions postérieures, notamment occipitales. La région fronto-temporale droite serait préférentiellement impliquée dans l’atteinte des informations anciennes de nature épisodique, tandis que son homologue gauche serait impliqué dans celle des informations anciennes de nature sémantique. Une perte totale d’identité serait compatible avec une atteinte bilatérale. Ces données ont élargi nos connaissances sur les substrats neuro-anatomiques de la mémoire autobiographique en soulignant le rôle crucial de certaines régions néocorticales dans l’accès (régions fronto-temporales) aux détails perceptivo-sensoriels stockés dans les régions postérieures. Toutefois, la mise en évidence d’un dysfonctionnement cérébral observé en neuro-imagerie fonctionnelle (TEP, SPECT, IRMf) ne résout pas forcément la question de l’origine organique ou psychogène de ce type d’amnésie (7). En effet, les études portant sur des patients dont l’amnésie d’identité est manifestement psychogène montrent également l’existence d’un dysfonctionnement cérébral lié à des facteurs environnementaux ou psychologiques, dysfonctionnement dont les localisations sont assez proches de celles des amnésies rétrogrades isolées organiques avec lésions objectivées. Finalement, dans toute amnésie rétrograde autobiographique massive il ne faut pas sous-estimer l’intrication constante des facteurs organiques et psychosociaux. NEURO-ANATOMIE FONCTIONNELLE DE LA MÉMOIRE AUTOBIOGRAPHIQUE Les études en imagerie cérébrale fonctionnelle de la mémoire autobiographique sont en pleine expansion depuis 5 ans. Les protocoles d’activation en mémoire autobiographique proposés à des sujets sains portent sur des tâches de reconnaissance ou d’évocation mentale de souvenirs personnels spécifiques à partir d’indices (mots, phrases ou photographies). Dans l’ensemble, les études mettent en évidence une activation étendue du néocortex, incluant les régions frontales et temporales ainsi que les régions postérieures. Les études qui se sont intéressées aux différences d’activation selon la nature épisodique ou sémantique des productions des sujets ont mis en évidence l’existence d’activations spécifiques à la mémoire épisodique autobiographique, impliquant l’hippocampe, le cortex préfrontal médian et le pôle du lobe temporal. Quelle que soit la nature des informations autobiographiques testées, les activations cérébrales sont essentiellement latéralisées à gauche. Cette latéralisation contraste avec les résultats des études anatomocliniques, qui tendent à montrer que l’hémisphère gauche sous-tend la récupération des seuls aspects La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 7 - septembre 2005 MÉTHODES D’ÉVALUATION ET PRISE EN CHARGE DES TROUBLES DE LA MÉMOIRE AUTOBIOGRAPHIQUE CHEZ LES PATIENTS CÉRÉBROLÉSÉS En neuropsychologie, l’amnésie rétrograde est encore fréquemment considérée comme secondaire dans le diagnostic clinique et la prise en charge des patients. Elle est estimée le plus souvent de façon informelle lors du premier entretien clinique. Il existe pourtant des méthodes d’évaluation standardisées, mais elles sont coûteuses en temps. Trois grandes catégories de tests autobiographiques ont été développées : les questionnaires autobiographiques, la méthode des mots-indices et l’épreuve de fluence verbale. Le questionnaire de Kopelman est le plus utilisé en France. Il porte d’une part sur le rappel d’informations sémantiques personnelles (noms de personnes de l’entourage, adresses et dates), et d’autre part sur le rappel de souvenirs d’événements autobiographiques spécifiques provenant de trois périodes de vie distinctes : l’enfance et l’adolescence, le jeune adulte, le passé récent. Le test épisodique de mémoire du passé autobiographique [TEMPau (9-10)] est un autre questionnaire, utilisé surtout à des fins de recherche, qui évalue spécifiquement la capacité à se projeter dans le temps subjectif et à revivre mentalement les détails phénoménologiques et contextuels des événements autobiographiques épisodiques en fonction de cinq périodes de vie : l’enfance et l’adolescence (0-17 ans), le jeune adulte (18-30 ans), l’adulte plus âgé (plus de 30 ans), les 5 dernières années (hormis les 12 derniers mois) et les 12 derniers mois (figure 2). Les souvenirs évoqués sont contrôlés lors d’un nouveau test proposé au sujet et auprès de la famille. La méthode des mots-indices consiste à présenter successivement des mots (“avenue”, “bébé”, La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 7 - septembre 2005 Scores moyens sémantiques de la mémoire du passé lointain (voir supra). Plusieurs facteurs pourraient expliquer ce résultat, qui témoignerait : – de biais méthodologiques dans la façon de tester les souvenirs épisodiques ; – de l’importance de la mémoire sémantique personnelle dans l’accès aux souvenirs anciens (voir le modèle de Conway) ; – de la mise en jeu de processus exécutifs spécifiques lors de la construction du souvenir. Par ailleurs, les souvenirs strictement épisodiques semblent impliquer la partie interne du lobe temporal quel que soit l’intervalle de rétention testé (8), contrairement aux souvenirs sémantisés (6). Ces différents résultats sont davantage compatibles avec le modèle de la consolidation, qui assigne un rôle permanent au LTI dans la récupération des souvenirs épisodiques autobiographiques, même très anciens, plutôt qu’un rôle temporaire. Néanmoins, certains résultats nuancent cette hypothèse en suggérant une spécialisation fonctionnelle de régions hippocampiques dans la consolidation, en fonction notamment de la latéralisation, et en montrant que, outre la durée de rétention, d’autres facteurs tels que la valeur émotionnelle ou l’importance personnelle influencent le degré d’implication du LTI dans la mémoire autobiographique, par l’intermédiaire, par exemple, du degré de réactivation des souvenirs. MA DS Témoins 16 14 12 10 8 6 4 2 0 0-17 ans 18-30 ans > 30 ans 5 dernières années 12 derniers mois Périodes d’encodage Témoins (n = 18) ; maladie Alzheimer débutante (MA, n = 13) ; démence sémantique (DS, n = 10). Figure 2. Profils de l’amnésie autobiographique recueillis avec le TEMPau en fonction des périodes d’encodage dans la maladie d’Alzheimer (gradient de Ribot) et dans la démence sémantique (gradient inversé). “chat”, etc.) et à demander au sujet d’évoquer le premier souvenir personnel qui lui vient à l’esprit, puis de le dater. Enfin, l’épreuve de fluence verbale autobiographique consiste à énumérer en un temps donné (60, 90 ou 120 secondes selon les auteurs) deux catégories d’informations autobiographiques, l’une sémantique (noms de personnes de l’entourage, amis et professeurs) et l’autre épisodique (événements personnels), provenant de plusieurs périodes de vie distinctes (enfance et adolescence, âge adulte et période récente, par exemple). Enfin, dans la pratique clinique, des épreuves de rappel à partir d’indices personnalisés (photographies ou anecdotes familiales, par exemple) peuvent être spécialement élaborées pour un patient en fonction de différentes périodes de sa vie. Néanmoins, l’élaboration d’un tel matériel s’avère très coûteuse en temps, pour des résultats finalement peu différents de ceux mis en évidence avec des outils d’évaluation standardisés. L’évaluation des troubles autobiographiques fournit des données cliniques qui peuvent contribuer au diagnostic, la forme du gradient étant différente selon les pathologies, et au type de prise en charge proposé au patient. La prise en charge des troubles est essentielle, car l’amnésie autobiographique est à l’origine de nombreux troubles du comportement adaptatif qui représentent une difficulté majeure dans la vie quotidienne (familiale, institutionnelle) des patients et qui contribuent aux difficultés de réinsertion sociale des traumatisés crâniens. En effet, parmi les fonctions attribuées à la mémoire autobiographique, la poursuite des buts du sujet et la cimentation des interactions familiales et sociales occupent une place prépondérante. Ainsi, les patients privés d’une mémoire autobiographique fonctionnelle perdent leur passé et en même temps leur futur, ils vivent dans un présent perpétuel, sans but. L’objectif des programmes de réhabilitation de la mémoire du passé autobiographique doit viser la reconstruction du sentiment d’identité et de continuité en réinstaurant 225 une temporalité, en renforçant les connaissances sémantiques personnelles et les capacités de reviviscence des souvenirs épisodiques anciens. Il existe des techniques provenant des thérapies de la réminiscence utilisées en clinique comme moyen d’intervention thérapeutique auprès des personnes âgées, dans la dépression et la maladie d’Alzheimer (11). Ces thérapies, effectuées en groupe ou individuellement, retiennent l’idée qu’une introspection sur son propre passé aurait une fonction adaptative dans le présent en renforçant l’identité et l’estime de soi ou en favorisant l’intégration dans un nouvel environnement. En ce qui concerne plus particulièrement la maladie d’Alzheimer, la réminiscence semble avoir un effet visible sur la sphère comportementale et cognitive agissant sur la dépression, sur les interactions sociales, sur les troubles du comportement, sur la désorientation spatiotemporelle et la capacité à rester engagé dans une activité et à planifier les actions futures. Aucune étude n’a cependant véritablement testé l’impact de la réminiscence sur le plan cognitif ; par ailleurs, ce champ d’étude manque le plus souvent d’une méthodologie rigoureuse. Toutefois, les résultats préliminaires d’un protocole de recherche visant à comparer, à l’aide d’outils standardisés, les troubles comportementaux et l’amnésie autobiographique présents avant et après le suivi d’un programme de réhabilitation cognitive de la mémoire autobiographique sont encourageants. Ils semblent en effet indiquer que les patients traumatisés crâniens ou atteints d’une maladie d’Alzheimer débutante pourraient bénéficier favorablement de ce type de programme de revalidation du point de vue cognitif (accès facilité au passé lointain) et comportemental (désorientation spatiotemporelle et anosognosie diminuées). la mémoire autobiographique, laissant les patients, dans les cas les plus extrêmes, comme étrangers à eux-mêmes. Il est important, dans la pratique clinique, de disposer d’outils valides et sensibles permettant de détecter le plus précocement possible ces troubles et de les prendre en charge pour améliorer la qualité de vie des patients. ■ R Raconter et faire partager nos expériences passées sont des phénomènes universels qui participent à la construction de notre identité. Certaines pathologies cérébrales atteignent massivement U U T T O O - É É V V I. La mémoire autobiographique est une mémoire de nature : a. sémantique b. épisodique c. épisodique et sémantique II. Le profil de l’amnésie autobiographique dans la maladie d’Alzheimer débutante est : a. gradué dans le temps dans le sens d’une meilleure préservation des souvenirs anciens B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Tulving E. Episodic memory and common sense: how far apart? Philos Trans R Soc Land B Biol Sci 2001;356:1505-15. 2. Piolino P, Desgranges B, Benali K. Episodic and semantic remote autobiographical memory in aging. Memory 2002;10:239-57. 3. Piolino P. Le vieillissement normal de la mémoire autobiographique. Psychol Neuropsychiatr vieil 2003;1:25-35. 4. Conway MA. Sensory-perceptual episodic memory and its context: autobiographical memory. Philosophical Transactions of the Royal Society 2001;356: 1375-84. 5. Piolino P, Belliard S, Desgranges B, Perron M, Eustache F. Autobiographical memory and autonoetic consciousness in a case of semantic dementia. Cogn Neuropsychol 2003;20:619-39. 6. Eustache F, Piolino P, Giffard B et al. In the course of time: a PET study of the cerebral substrates of autobiographical amnesia in Alzheimer’s disease. Brain 2004;22:1549-60. 7. Piolino P, Hannequin D, Desgranges B et al. Right ventral frontal hypometabolism and abnormal sense of self in a case of disproportionate retrograde amnesia. Cogn Neuropsychol 2005 (in press). 8. Piolino P, Giffard-Quillon G, Desgranges B, Chételat G, Baron JC, Eustache F. Re-experiencing old memories via hippocampus: a PET study of autobiographical memory. NeuroImage 2004;22:1371-83. 9. Piolino P, Desgranges B, Eustache F. La mémoire autobiographique : théorie et pratique. (Marseille:Solal 2000). 10. Piolino P, Desgranges B, Belliard S et al. Autobiographical memory and autonoetic consciousness: triple dissociation in neurodegenerative diseases. Brain 2003;126:2203-19. 11. Haight BK, Webster JD. The art and science of reminiscence: theory, research, methods, and application. USA: Taylor and Francis, 1995. CONCLUSION A A É F É R E N C E S A A L L U U A A T T I I O O N N b. gradué dans le temps dans le sens d’une meilleure préservation des souvenirs récents c. non gradué dans le temps III. Selon le modèle standard de la consolidation à long terme, l’évocation des souvenirs anciens implique seulement : a. l’hippocampe b. le néocortex c. l’hippocampe et le néocortex Résultats : I : c ; II : a ; III : b. La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 7 - septembre 2005 227