ILFM 2008-2009 Stéphane Carpentier 21 septembre 2008 Commentaire sur Théétète 1 la vérité de Platon QUESTION : dans ce texte, Platon s’interroge sur la thèse de Protagoras, suivant laquelle « l’homme est la mesure de toutes choses », ce qui revient à affirmer que toutes les opinions sont vraies, qu’il n’y a jamais que des vérités relatives aux individus ou aux communautés, mais jamais de vérités absolues (universelles et nécessaires). PROBLEME : si, avec Socrate, on définit la philosophie comme la recherche de la vérité, alors il faut commencer par démontrer que la vérité n’est pas une simple question d’opinion, contrairement à ce qu’affirme Protagoras. Si toutes les opinions sont vraies, à quoi bon chercher la vérité puisque nous la possédons immédiatement et sans effort. La philosophie est alors inutile. REPONSE : il est impossible que la vérité soit une simple question d’opinion, que l’homme soit la mesure de toutes choses. ARGUMENTS : car 1- il est contradictoire d’affirmer que toutes les opinions sont vraies. 2- personne ne peut réellement penser que toutes les opinions sont vraies, pas même celui qui le dit (Protagoras). ARGUMENTATION : 1- réfutation par l’absurde : si toutes les opinions sont vraies, alors l’opinion du contradicteur, selon laquelle « toutes les opinions sont vraies » est nécessairement vraie. Donc il est vrai que toutes les opinions ne sont pas vraies, et donc il est faux que toutes les opinions sont vraies. Cette dernière conséquence est en contradiction avec l’hypothèse de départ, et pourtant elle en est la déduction nécessaire. L’hypothèse initiale est donc absurde. 2- Pour Socrate (le contradicteur de Protagoras), Protagoras a tort, et Socrate ne se contredit pas s’il pense que Protagoras a tort. Mais pour Protagoras, Socrate ne peut avoir tort puisqu’il pense que toutes les opinions sont vraies. Donc Protagoras pense nécessairement que son contradicteur a raison, si bien qu’il pense nécessairement aussi qu’il a tort, puisque son contradicteur pense nécessairement qu’il a tort. Donc pour Socrate, Protagoras a nécessairement tort, pour Protagoras Socrate a nécessairement raison de penser qu’il (Protagoras) a tort. Protagoras n’a raison pour personne, personne ne pense que Protagoras a raison, pas même Protagoras, même s’il dit le contraire et qu’il s’imagine penser le contraire. DISCUSSION : 1- Remarques : il est tout aussi contradictoire d’affirmer que toutes les opinions sont fausses qu’il est contradictoire d’affirmer qu’elles sont toutes vraies. En effet, si on suppose que toutes les opinions sont fausses, alors précisément, l’opinion selon laquelle « toutes les opinions sont fausses » est fausse. Il est donc faux que toutes les opinions sont fausses. Cette dernière conséquence est en contradiction avec notre supposition initiale, et pourtant, elle en est la déduction nécessaire. Cette supposition est donc absurde. Par ailleurs, l’intérêt de ce texte tient également à ceci que Platon découvre la différence entre penser et s’imaginer penser. L’homme n’est donc pas simplement naturellement ignorant, il est naturellement ignorant de sa propre ignorance, ce qui fait de lui un étranger pour lui-même. 2- Limites : dans ce texte, Platon met en évidence l’existence de vérités universelles et nécessaires, mais on ignore quelles elles sont et si elles concernent le domaine du bonheur et de la justice qui sont deux des principaux objets de la réflexion philosophique. Par ailleurs, s’il est tout aussi absurde d’ affirmer que toutes les opinions sont fausses qu’il est absurde d’affirmer qu’elles sont toutes vraies, c’est qu’il existe nécessairement des opinions vraies et des opinions fausses. Mais existe t’il des critères qui permettent de les distinguer ? Enfin, si nous avons admis la thèse de Platon selon laquelle il est absurde d’affirmer que toutes les opinions sont vraies, c’est parce qu’une telle affirmation est contradictoire. Ce faisant, nous avons admis implicitement que la non-contradiction est un critère de vérité. Mais est-il possible de démontrer que la non-contradiction est un critère de vérité, ou s’agit-il seulement d’un simple postulat ?