Ecole Supérieure de Physique et de Chimie Industrielles Matériaux et Phénomènes Quantiques UMR 7162 Ecole Supérieure de Physique et de Chimie Industrielles M2 Concepts Fondamentaux de la Physique Spécialité Matière Condensée Effet d’un champ électrique : polarons dans un organique, effet piézoélectrique dans un multiferroïque David Malka Maître de Stage : Maximilien Cazayous Responsable de Stage : Alain Sacuto REMERCIEMENTS Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont rendu possible et agréable ce stage. Je veux remercier Nicole Bontemps pour m’avoir accueilli dans son laboratoire et Alain Sacuto pour m’avoir intégré dans son équipe le temps de ce stage. Je veux remercier mon maître de stage Maximilien Cazayous pour sa patience, sa disponibilité et ses nombreuses explications. Mes profonds remerciements vont aussi à Delphine Lebeugle et Dorothée Colson qui nous ont permis de travailler sur leurs échantillons alors que leur synthèse reste encore une première. Je veux remercier également William Guyard grâce à qui le spectromètre n’a (presque) plus de secret pour moi. Je tiens à remercier très chaleureusement Anne Anthore et Aurore Mangin pour la réalisation des transistors à effet de champ et Gilles Horowitz pour les conseils qu’il m’a prodigué concernant le dépôt des molécules organiques. Merci également à tous les doctorants et stagiaires du thésarium sans qui l’ambiance de travail n’aurait pas été aussi chaleureuse. Enfin merci à tous les autres chercheurs du laboratoire : Andreas, Ricardo, Alexandre, Yann, Arlette, Philippe… 2 SOMMAIRE I INTRODUCTION 4 II DIFFUSION ET SPECTROSCOPIE RAMAN 6 2.1 LA DIFFUSION RAMAN 2.1.1 Description classique 2.1.2 Les phonons mis en jeu 2.1.3 Règles de sélection Raman dans une description classique 2.1.4 Brève description quantique 2.2 SPECTROSCOPIE RAMAN III ÉTUDE D’UN TRANSISTOR A EFFET DE CHAMP À BASE DE SEXITHIOPHENE 3.1 LES EXCITATIONS DANS LES CRISTAUX MOLECULAIRES 3.2 TRANSPORT DANS LES CRISTAUX MOLECULAIRES 3.3 RÉALISATION D’UN OFET 3.3.1 Le substrat de base 3.3.2 L’évaporation de l’organique 3.3.3 Les caractéristiques obtenues 3.3.4 Le contactage des transistors 3 13 3.4 SPECTROSCOPIE DES OFET : ÉTUDE DES POLARONS 3.4.1 Les expériences réalisées 3.4.2 Résultats 3.4.3 Perspectives IV ÉTUDE D’UN MULTIFERROÏQUE : BiFeO3 25 4.1 PROPRIÉTÉS DE BiFeO3 4.2 ETUDE EXPERIMENTALE 4.2.1 Les phonons du BiFeO3 4.2.2 Etude de la piézoélectricité 4.2.3 Recherche du double magnon V CONCLUSION 32 REFERENCES 33 4 I INTRODUCTION Le travail présenté dans ce rapport a porté sur deux thèmes qui seront traités séparément : l’étude des polarons dans les transistors à effet de champ et l’exploration des propriétés vibrationnelles des multiferroïques. L’industrie microélectronique ne s’intéresse plus seulement aux semi-conducteurs standards (Si, Ge, SiC…) mais aussi aux semi-conducteurs organiques. L’objectif de ces derniers n’est pas de concurrencer les semi-conducteurs standards dans leurs domaines classiques d’applications: la conductivité des organiques est en effet très inférieure à celle des inorganiques, mais d’apporter une alternative. Les organiques sont peu chers, très modulables et facilement intégrables à d’autres systèmes. Ils sont aujourd’hui le fruit d’importantes recherches d’un point de vue fondamental et applicatif. Pour améliorer les propriétés de transport on peut doper les matériaux organiques de deux manières différentes : soit chimiquement, soit en appliquant un champ électrique via un transistor à effet de champ. Cette dernière technique présente l’avantage d’être réversible et non invasive. D’un point de vue fondamental, il est également nécessaire de comprendre la nature du transport dans ces matériaux. En effet, il n’est pas encore établi si ce transport est un transport de bande ou assisté par phonons. La dernière interprétation est actuellement la plus favorisée. Notre but est d’apporter au travers de la diffusion inélastique de la lumière des informations sur l’interaction entre les charges et les vibrations des molécules. La détection de polarons permettrait de remonter au terme de couplage entre les deux et ainsi contribuer à la compréhension des phénomènes de transport dans les matériaux organiques. Nous avons tout d’abord élaboré des transistors à effet de champ avec des épaisseurs d’organique de quelques monocouches présentant des caractéristiques de transport très proche de celles obtenues dans la littérature. Par la suite nous avons mené à bien plusieurs mesures qui n’ont pas permis pour l’instant de détecter la présence de polarons. La deuxième partie de ce travail a été consacrée à l’étude des multiferroïques en particulier BiFeO3. Les multiferroïques présentent simultanément des propriétés magnétiques et ferroélectriques et font l’objet d’un regain d’intérêt dû non seulement à l’aspect fondamental de la coexistence des deux phases en apparence antagonistes, mais aussi à leur potentiel d’utilisation dans des dispositifs de l’électronique de spin. Récemment, il a été démontré que les deux paramètres d’ordre sont couplés et donc que l’application d’un champ électrique peut affecter l’état magnétique du système. Sur le plan fondamental, il est très intéressant de tenter de comprendre les interactions mises en jeu. Dans le but d’observer 5 expérimentalement le couplage entre aimantation et polarisation spontanée dans ces matériaux, nous avons choisi d’étudier le système BiFeO3 dans lequel coexistent à température ambiante ferroélectricité et ordre magnétique à longue distance. Nous avons dans un premier temps identifié les phonons de la structure. A partir de ce travail, l’application d’un champ électrique a mis en évidence le mouvement des liaisons Bi-O via l’effet piézoélectrique. Ces mesures permettent alors d’obtenir un ordre de grandeur des potentiels de déformation phononique ainsi que le coefficient piézoélectrique. 6 II DIFFUSION ET SPECTROSCOPIE RAMAN 2.1 LA DIFFUSION RAMAN 2.1.1 Description classique Lorsqu'on éclaire un milieu (gaz, liquide, solide) par un faisceau de lumière monochromatique, cette radiation excitatrice peut être transmise, réfléchie, absorbée ou diffusée par le milieu. Pour une diffusion élastique (diffusion Rayleigh), la fréquence de la lumière diffusée est égale à celle de la lumière incidente. Pour une fraction beaucoup moins importante du faisceau incident, il y a échange d'énergie entre le rayonnement et la matière et la diffusion est inélastique. C’est ce dernier phénomène qu’on appelle diffusion Raman. L’échange d’énergie entre rayonnement et matière se traduit par l’absorption (processus antiStokes) ou la création (processus Stokes) d’excitations élémentaires dans le solide notamment de phonons. Sur le spectre, la diffusion Raman se traduit par un déplacement symétrique vers les hautes fréquences (anti-Stokes) ou vers les basses fréquences (Stokes) des raies par rapport à la raie élastique. Toutefois, le spectre n’est pas pour autant symétrique : l’intensité des raies Stokes étant conditionnée par l’existence préalable d’excitations dans le solide : le rapport des intensités Stokes et anti-Stokes est : I anti # Stokes " e # % h$ ! 1 I stokes Dans la pratique on visualise donc toujours la partie « Stokes » du spectre Raman (cf. Fig 1). Les fréquences du rayonnement optique sont de l’ordre de 1014 à 1015 Hz tandis que celles des vibrations dans les solides sont de l’ordre de 1012 à 1013 Hz. Le déplacement Raman est alors de l’ordre de 100 à 1000 cm-1 soit 10 à 100 meV ce qui est relativement faible par rapport à la largeur de la raie Rayleigh de l’ordre de quelques 1000 cm-1. L’observation de la diffusion Raman nécessite donc d’éliminer efficacement la diffusion élastique. Classiquement, la diffusion d’une onde par un milieu s’interprète par la polarisation de ce milieu par l’onde électromagnétique incidente. Pour les faibles champs électriques, dans le cadre de la théorie de la réponse linéaire en champ, la polarisation du milieu s’écrit : 7 ! ! P " ' 0 &~E ~ où & est le tenseur susceptibilité diélectrique électronique. IR Anti Stokes Stokes n/1 n -400 -300 -200 -100 2i- 2d < 0 0 100 2 200 300 400 2i- 2d > 0 Nombre d’onde (cm-1) Fig.1 Différence d’intensité entre processus Stokes et anti-Stokes d’une diffusion Raman. Les vibrations des atomes ou des molécules du solide modulent cette susceptibilité. A l’ordre 1 en déplacement relatif U des atomes, on peut écrire : - .&~ * ! &~ " &~0 / + ! ( U , .U ) 0 Pour une onde incidente et un phonon: ! ! ! ! E 0 x, t 1 " E cos k i .r # 2 i t ! ! !! U 0 x, t 1 " U cos0q.r # 3t 1 0 1 La polarisation peut se réécrire : ! ~ ! ! ! ' E 0 0 - .& * P " ' 0 &~0 E 0 cos0k .r # 2t 1 / + ! ( U 0 6cos40k i / q 1.r # 02 i / 3 1t 5 / cos40k i # q 1.r # 02 i # 3 1t 5 2 , .U ) 0 Le terme d’ordre 0 traduit la diffusion Rayleigh à la fréquence !i. Le terme d’ordre 1 traduit une diffusion aux fréquences !i – " et !i + ". 8 7 Cette première approche permet de mettre en évidence les lois de conservation de la diffusion Raman traité au premier ordre en modulation de la susceptibilité électronique : ! ! " k d " ki / q 2d " 2 i / 3 ou ! ! " k d " ki # q 2d " 2 i / 3 Pour traiter le phénomène plus proprement, il faut se placer dans le cadre de la mécanique quantique. 2.1.2 Les phonons mis en jeu ! ! ! La conservation de la quantité de mouvement impose : q " k d # k i . La fréquence caractéristique des phonons optiques est de l’ordre de 1013 Hz tandis que celle des photons optiques est de l’ordre de 1015 Hz, donc : ! ! ! k d 9 k i 88 q ! ! donc q 9 0 si ki //kd (configuration de backscaterring) Lors du processus de diffusion à un phonon, seuls les phonons du centre de zone de Brillouin peuvent être impliqués. En revanche, dans un processus à plusieurs phonons seule la somme de leurs vecteurs d’onde doit être à peu près nulle et donc des phonons de toute la zone de Brillouin peuvent être mis en jeu dans ce cas. Cependant, il est évident que de telles diffusions sont beaucoup moins probables. 9 Fig. 2 Phonons sondés par spectroscopie Raman. 2.1.3 Règles de sélection Raman dans une description classique L’intensité Raman diffusée par un solide dépend fortement de sa symétrie et des conditions de polarisation des faisceaux incidents et diffusés. Elle peut s’écrire : ! ! 2 I : ei .;.ed avec ei polarisation du faisceau incident ed polarisation du faisceau diffusé ; tenseur Raman - .< * ;"+ ( , .u ) 0 avec u vecteur directeur du phonon # polarisabilité La forme du tenseur Raman est imposée par les symétries du cristal (théorie des groupes). Dans un cristal non polaire, les phonons optiques changent l’énergie électronique en modifiant la longueur et/ou les angles de liaisons interatomiques : on parle de potentiel de déformation électron-phonon optique. Par exemple le tenseur Raman dans une structure cubique zinc-blende se simplifie sous la forme : -0 0 + ;x " +0 0 +0 d , 0* ( d( 0 () -0 0 d* + ( ;y " + 0 0 0( +d 0 0( , ) -0 d + ;z " +0 0 +0 0 , 0* ( d( 0 () .< avec d " -+ *( , .u ) L’intensité Raman se réécrit : 4 5 ! ! ! ! ! I : ei . e x .;( x) / e y .;( y ) / e z .;( z ) e d 2 avec ex, ey, ez les composantes de la polarisation du phonon 10 Pour certaines configurations de polarisation et d’orientation du cristal, il y a extinction de l’intensité Raman : ce sont les règles de sélection de la diffusion Raman. 2.1.4 Brève description quantique L’approche classique de la diffusion ne permet pas de comprendre le rôle majeur que tiennent les électrons dans le processus. En effet, l’écart considérable (deux ordres de grandeur) entre les énergies des phonons et des photons optiques rend leur interaction directe très improbable. Ce sont les électrons qui servent d’intermédiaires. Fig. 3 a) diffusion intrabande (processus à deux bandes), b) diffusion interbande (processus à trois bandes). La diffusion Raman peut se décomposer en trois étapes : - la création d’une paire électron-trou par absorption d’un photon - la diffusion d’un membre de la paire par un phonon - l’émission d’un photon d’énergie différente du photon incident lors de la de la paire électron-trou restée cohérente recombinaison Au cours du processus, la quantité de mouvement doit être conservée à chaque étape (invariance par translation) tandis que l’énergie ne doit être conservée que sur la globalité du processus (principe d’Heisenberg). La figure 2 schématise la diffusion : Etape 1 : Le solide est initialement dans son état fondamental |0>. Le photon incident a ! l’énergie Ei " #2 i et l’impulsion k i . Il crée une paire électron-trou d’état |a> et d’énergie E a (k i ) . Si Ei " E a (k i ) alors cette étape est réelle et la diffusion Raman est résonante (expérimentalement, on se place dans ces conditions afin d’exalter le signal Raman) ; sinon l’étape est virtuelle. ! Etape 2 : L’électron est ensuite diffusé par un phonon d’énergie E ph " #3 et d’impulsion q . ! La paire électron-trou est alors envoyée dans l’état |b> d’énergie Eb (k d ) et d’impulsion k d . Etape 3 : Enfin, le solide relaxe vers son état fondamental |0> par la recombinaison de la paire électron-trou qui s’accompagne de l’émission d’un photon d’énergie E d " #2 d et ! d’impulsion k d . Formellement, l’amplitude A de probabilité de diffusion Raman peut s’écrire : 11 A: n, Ea , N /1 H photon/ é n,0, N = n #1, Eb , N /1 Hé / phonon n #1, Ea , N = n,0, N /1 Hé / photon n #1, Eb , N /1 (#2i # Ea )(#2d # Eb ) où dans le vecteur d’état |n,E,N > , n est le nombre de photons, E est l’énergie de l’état électronique mis en jeu et N est le nombre de phonons. Cette expression diverge pour Ea " #2 i et/ou Eb " #2 d ce qui correspond bien une diffusion Raman résonnante. Le processus de diffusion peut-être résumé par le diagramme de Feymann suivant : Fig. 4 Diagramme de Feymann de l’interaction électron-phonon pour un processus Stokes. 2.2 SPECTROSCOPIE RAMAN Le spectromètre du laboratoire est un T64000 Jobin Yvon composé de trois parties: un dispositif optique de focalisation du faisceau laser en amont, un spectrographe à réseaux et une chaîne d’acquisition. Fig. 5 Photos du dispositif expérimental. La source est un laser Kr-Ar accordable sur une dizaine de longueurs d’onde comprise entre 457 nm et 676 nm. Un pré-monochromateur en aval du laser permet d’affiner la monchromaticité du faisceau en éliminant les raies plasmas parasites se trouvant au voisinage de la raie laser excitatrice sélectionnée. Celui-ci est ensuite élargi par un télescope et 12 diaphragmmé pour lui donner un diamètre de l’ordre de 5mm. Il est enfin refocalisé sur l’échantillon, le diamètre du spot laser étant alors de l’ordre de quelques centaines de µm. L’échantillon est illuminé à l’angle de Brewster afin que l’absorption de la lumière incidente et donc la l’intensité de la lumière diffusée soient maximales. Du fait de l’indice de réfraction élevé des échantillons tout se passe comme si le dispositif était en configuration de « backscattering » : comme il a été vu, seuls les phonons de centre de zone Brillouin vont être impliqués dans la diffusion Raman. La lumière diffusée est ensuite envoyée dans le spectromètre via une lentille de focalisation. Le spectromètre contient un triple monochromateur constitué de trois réseaux (2 x 1800 traits et 600 ou 1800 traits). La détection de l’intensité incidente est réalisée par une camera CCD refroidie à l’azote liquide afin de réduire le bruit électronique. Spécialement conçue pour le domaine optique, elle atteint pour certaines longueurs d’onde de cette gamme un rendement quantique de 90%. Le triple monochromateur peut être utilisé de deux façons différentes : > > Cependant en spectroscopie Raman, on veut pouvoir s’affranchir de la raie élastique (raie Rayleigh) qui s’étend sur 5000 cm-1 quand le déplacement Raman des raies qui nous intéressent est de l’ordre de 1000 cm-1 tout en sondant une large plage de fréquences. Il faut alors rejeter la raie Rayleigh. Pour cela, on utilise le mode soustractif dans lequel le premier réseau disperse le faisceau à travers une fente de largeur réglable qui va écranter la raie élastique. Le deuxième réseau refocalise le faisceau et le troisième le diffracte à nouveau. Cette configuration est équivalente à un spectromètre simple qui éliminerait la raie Rayleigh. On perd donc en résolution au profit d’une plus grande intensité du signal. En configuration additive, les trois réseaux dispersent tour à tour le faisceau. Cette importante dispersion permet de rejeter très efficacement la raie Rayleigh La résolution est alors très bonne (0.07meV) mais l’intensité détectée est plus faible et la plage de fréquences sondée est étroite. Fig. 6 Principe du spectromètre. 13 III ÉTUDE D’UN TRANSISTOR A EFFET DE CHAMP À BASE DE SEXITHIOPHENE La première partie de mon stage a consisté à étudier un transistor organique à effet de champ (OFET) fabriqué à partir de sexithiophène (6-T). Les OLED (Organic Light Emitting Device) sont depuis longtemps utilisés et produits à échelle industrielle. Ce succès a dynamisé la recherche autour des OFET. La faible conductivité des semi-conducteurs organiques implique que les OFET ne peuvent pas rivaliser avec les FET à base de semi-conducteurs minéraux monocristallins, notamment pour les applications qui nécessitent de grandes vitesses de commutations. Cependant, les mécanismes de transport dans les cristaux moléculaires et en particulier dans les cristaux organiques composés de molécules conjuguées (polymères ou oligothiophènes) ne sont pas totalement compris. S’agit-il d’un transport de bande ou polaronique ? Le but de l’étude des OFET par spectroscopie Raman est d’extraire des données sur l’intensité du couplage entre les charges induites dans le semi-conducteur organique par effet de champ et les phonons (polarons). 3.1 LES EXCITATIONS DANS LES CRISTAUX MOLECULAIRES Un cristal moléculaire est constitué de molécules neutres. Les liaisons qui assurent sa cohésion sont des liaisons faibles du type Van der Waals (énergie de l’ordre de 10 meV très inférieure à l’énergie des liaisons fortes covalentes, ioniques ou métalliques de l’ordre de 1eV). On étudie ici plus particulièrement les cristaux constitués de molécules organiques conjuguées c’est-à-dire présentant une alternance de liaison carbone-carbone simple et double. Ces molécules peuvent être linéaires ou présenter des cycles de type benzénique. Les électrons des liaisons $ et des orbitales 2p sont alors délocalisés sur toute la molécule ce qui la rend particulièrement stable. C’est ce type de molécule organique qui est utilisé dans la fabrication des OFET. Pentacène !-Sexithiophène Fig. 7 Exemple de molécules organiques conjuguées utilisées dans les OFET. 14 Neutre Chargé 30=1.86eV 31=1.81eV 31 LUMO HOMO 30 Fig. 8 Couplage entre une molécule et sa charge (cas du pentacène), le gap 30 diminue en énergie lors du passage de la molécule de son état neutre à son état chargé. Dans le cas d’un cristal d’organique, on a formation de "bandes de valence" (appelées HOMO) et de "bandes de conduction" (appelées LUMO) comme dans les semi-conducteurs classiques malgré la différence d’interaction (interaction de Van Der Walls faible dans les organiques). Comme le montre la Fig. 8, la molécule de pentacène possède un gap 30 de 1.86eV dans son état neutre. Un trou généré par effet de champ s’annihile avec un électron de la bande HOMO (on considère une seule charge par molécules de pentacène). La molécule de pentacène se réorganise ce qui conduit à la diminution du gap 31 de 1.81eV. On définit l’énergie de réorganisation comme : Eréorganisation=31-30. Cette énergie est le reflet de l’interaction entre le trou et les modes de vibration de la molécule et est faible en comparaison de celle rencontrée dans les autres organiques. Ainsi le faible couplage trou-vibrations favorise le transport de charges et font du pentacène un bon candidat pour des applications en électronique. Le trou accompagné de son champ de déformations dans la molécule (vibrations) est une pseudo-particule appelée polaron. Le déplacement des polarons le long de la molécule induit la conductivité. La présence d’une charge dans un réseau a pour effet de le déformer localement. C’est le cas dans les cristaux inorganiques dopés tels que Si comme dans les cristaux moléculaires organiques tels que le pentacène ou le sexithiophène (molécule choisie pour notre étude) dopés chimiquement ou par effet de champ. Cette charge ce couple à la déformation qu’elle induit et se comporte alors comme une quasi-particule, un polaron. Ainsi la masse effective des charges qu’on mesure mpol* est plus grande que la masse effective m* prévu par la théorie des bandes du fait de l’inertie des atomes du réseau : la charge « tire » en quelque sorte la déformation du réseau avec elle. Le déplacement des polarons le long de la molécule induit la conductivité. En ce qui concerne les cristaux moléculaires tels que ceux étudiés au cours de ce stage, la charge se couple préférentiellement à certaines liaisons notamment les doubles liaisons C=C. Pour les transistors nous avons utilisé du sexithiophène (6T) plutôt que du pentacène pour des raisons pratiques. En effet, le pentacène possède une énergie de réorganisation assez faible (de l’ordre de 50meV). La conséquence de cette énergie de réorganisation faible est un faible couplage entre les charges et les vibrations de la molécule. Dans le cas du pentacène la formation de polaron que l’on cherche à observer est indétectable par décalage des phonons. Contrairement au pentacène, le 6T possède une relativement grande énergie de réorganisation (de l’ordre de 500meV), c’est donc un mauvais candidat pour le transport mais, grâce au fort 15 couplage entre les charges et les vibrations de la molécule, nous pouvons espérer détecter un décalage en énergie dans le spectre Raman. 3.2 TRANSPORT DANS LES CRISTAUX MOLECULAIRES C’est un question encore non tranchée : on ne sait pas s’il s’agit d’un transport de bande comme dans les cristaux inorganiques (transport « bandlike ») ou bien si, du fait de la relative faiblesse des liaisons intermoléculaires (Van der Waals) par rapport aux liaisons intramoléculaires (covalentes), les charges passent d’une molécule par échange d’énergie avec les phonons du réseau (« phonons assisted hopping »). Le libre parcours moyen des électrons ou des trous serait alors de l’ordre de grandeur de la distance intermoléculaire et les excitations polaroniques seraient alors très localisées sur une molécule. Le but notre étude est d’aider à répondre à cette question. En effet, la déformation des liaisons moléculaires doit se traduire par un déplacement des raies du spectre Raman : si ce déplacement est important alors le couplage charge-molécule est important et les polarons pourrait jouer un rôle essentiel dans un transport par « phonon assisted hopping ». Un OFET est, comme les transistors ordinaires, soit de type p soit de type n. Le pentacène et le 6T sont par exemple de type p. Le OFET fonctionnent en régime linéaire si la tension de grille appliquée (Vgrille) est plus grande que la tension seuil (Vseuil) avec un voltage source-drain faible ( 0 ? Vdrain # source ?? #(Vgrille # Vseuil )) . Dans ce régime, le champ de grille appliqué est distribué uniformément le long du canal de conduction ce qui conduit à une distribution uniforme des charges libres induites dans le canal. Dans le cas d’une mobilité constante, le courant dans le canal croit linéairement avec le nombre de charges additionnelles induites dans le canal par l’augmentation de la tension de grille 0@ Qinduit " Ci@ Vgrille 1 . Pour une faible tension source-drain, le courant dans le canal Ids est donné par: W I ds " B A B Ci 0Vgrille # Vseuil 1 B Vdrain # source L où W est la largeur du canal, L sa longueur, µ la mobilité de la charge. La tension seuil est la frontière entre les régimes d’accumulation/déplétion et d’inversion et dépend du matériau mis en jeu. Pour le 6T, cette tension est proche de zéro à température ambiante. Pour des tensions drain-source importantes Vdrain # source C 0Vgrille # Vseuil 1 , le champ de 0 1 grille au niveau du drain est nul. Cela est le résultat de la formation d’une zone de déplétion ne présentant pas de charge libre autour du drain. Au delà de ce point, le courant dans le canal sature et est donné par la relation : 2 W B A B Ci 0Vgrille # Vseuil 1 I ds " 2L 16 Fig. 9 Régime linéaire et régime de saturation d’un OFET de type p La figure 9 présente un exemple de ces deux régimes. Couche de déplétion Quand une tension Vgrille positive est appliquée à un semi-conducteur de type p, une couche de déplétion est formée à l’interface semiconducteur/isolant. La totalité du film peut être déplétée avec pour limite son épaisseur et le courant Isd tend vers zéro. Il existe donc une épaisseur seuil dth à partir de laquelle le courant commence à circuler dans le canal. dth est approximativement de 1 nm à Vg=0. Cette épaisseur correspond à la couche de déplétion. Couche d’accumulation La couche d’accumulation dans laquelle le courant circule est de quelques monocouches et ne dépend pas de la tension de grille mais dépend de l’organique utilisé. La concentration des porteurs est une fonction de la tension de grille et non de l’épaisseur du film. Facteurs négatifs Le courant traversant le canal décroît en fonction du temps d’utilisation du transistor, en fonction du temps écoulé après sa réalisation. Une part de cette diminution provient d’une hystérésis des charges dans le canal due aux charges piégées par les défauts contenues dans l’organique. L’effet de la lumière sur les propriétés de l’organique ainsi que son oxydation par l’oxygène de l’air contribue à la diminution du courant. 3.3 RÉALISATION D’UN OFET Le fonctionnement d’un OFET est tout à fait similaire à celui d’un transistor inorganique. En appliquant une tension de grille, on accumule des charges à l’interface organique/isolant. 17 6T SOURCE VD DRAIN Au 200 nm SiO2 insulating layer Heavily n-type doped Si GRILLE VG Fig. 10 Schéma d’un transistor organique à effet de champ. Il a été montré par Kiguchi &al [1] que dans les OFET, le transport se fait sur une très faible épaisseur : de l’ordre d’une ou deux couches moléculaires. Les propriétés de transport sont donc celles d’un conducteur 2D contrairement au cas des semi-conducteurs classiques : le courant circule parallèlement au film du fait de l’anisotropie des molécules. En effet la mobilité des charges à travers une couche est bien plus importante que perpendiculairement aux couches. Notre objectif a été de diminuer au maximum le nombre de couches d’organique déposées tout en maintenant les propriétés de transport. La spectroscopie Raman sonde la matière sur une profondeur inversement proportionnelle au coefficient d’absorption du matériau à la longueur d’onde considérée. Dans les organiques cela représente plusieurs microns. Or le transport a lieu sur les 1 à 3 premières mono-couches du transistor. Afin d’être certain de distinguer les signaux provenant des molécules chargées et des molécules neutres, il est nécessaire de réaliser des transistors avec un faible nombre de couche d’organique. 3.3.1 Le substrat de base A partir d’un support commercial composé d’une grille de silicium dopé et d’une couche isolante de SiO2 (200 nm), Anne Anthore et Aurore Mangin du groupe TELEM du laboratoire Matériaux et Phénomènes Quantiques de l’université Paris VII ont réalisé par lithographie électronique est évaporation d’or les électrodes qui serviront de source et de drain. 18 Il existe deux types de configuration d’OFET : « top contact » et « bottom contact» selon que les électrodes soient sur ou sous l’organique. L’étude de Leung & al [4] montre que la deuxième géométrie est plus performante et c’est donc celle-ci que nous avons adoptée pour nos transistors. Nos échantillons comprennent plusieurs canaux de largeurs différentes : 300, 400, ou 500 µm dont le design s’adapte à notre configuration optique. 3.3.2 L’évaporation de l’organique Les évaporations d’organique ont été réalisées au laboratoire ITODYS. Pour réaliser nos transistors nous avons choisi le sexithiophène comme organique semi-conducteur pour son fort couplage charge/phonon. La qualité du dépôt est très sensible à la qualité de la surface du substrat. Ainsi on fait subir préalablement un traitement de surface à l’échantillon. On l’expose à l’ozone généré par lampe UV sous atmosphère d’oxygène. La propreté de la surface est ensuite contrôlée au microscope à contraste de phase. On procède ensuite à l’évaporation du sexithiophène. Le substrat est fixé à un disque métallique placé en regard d’une nacelle contenant une poudre très pure de l’organique. Les vapeurs de sexithiophène résultent de la sublimation de la poudre sous l’effet d’un courant (de l’ordre de 1 A) le traversant. L’opération s’effectue sous un vide poussé (de l’ordre de 10-6 mbar). Du fait de ce vide, le dépôt est homogène sur la surface de l’échantillon. Fig. 11 Photo de l’évaporateur sous vide. L’épaisseur déposée est mesurée à l’aide d’un quartz piézoélectrique, calibré en fonction de la densité du produit déposé, exposé au même flux moléculaire que le futur transistor. On peut ainsi contrôler la quantité d’organique déposée à la couche moléculaire près. La qualité du dépôt est très sensible à la température du substrat et à la vitesse à laquelle les molécules se déposent. Le chauffage du substrat est assuré par une lampe chauffant le porte-échantillon dont la température est asservie à 3 K près à l’aide d’un thermocouple placé contre lui à proximité de l’échantillon. La vitesse de dépôt est relativement délicate à fixer. Elle dépend de l’intensité du courant traversant la poudre de 6-T. Cette dépendance est non triviale et il faut masquer le transistor durant la recherche empirique du courant correspondant au régime stationnaire d’évaporation de vitesse voulue. Les valeurs de ces deux paramètres déterminées empiriquement pour obtenir un dépôt de qualité optimal sont les suivantes : T = 112 K D 3 K et V = 1 nm /min D 0.1 nm/min. 19 L’épaisseur de 6-T déposée est un compromis entre une épaisseur importante qui stabilise les couches actives (c'est-à-dire celle qui seront dopées par effet de champ) et une faible épaisseur qui permet d’augmenter le signal spectroscopique dû aux couches actives. Nous avons ainsi réalisé un transistor avec 15 nm de 6-T soit environ 8 couches (la hauteur d’une monocouche couche est de 22.4 A) et un transistor avec 8 nm de 6-T soit environ 4 couches. 3.3.3 Les caractéristiques obtenues Après le dépôt, on teste le transistor en traçant ses caractéristiques de transport à l’aide d’un testeur sous pointe. Le dépôt est de bonne qualité si les caractéristiques I=f(Vd) ont bien l’allure de celles attendues pour un transistor, si l’effet de champ sur l’intensité du courant est important et si le courant de saturation prend une valeur notable. Les exemples de caractéristiques des transistors réalisés témoignent de leur qualité.. On reconnaît ainsi le régime linéaire pour les faibles valeurs de Vd (Vd<Vg) et le régime de saturation lorsque Vd est de l’ordre de Vg ou supérieur à Vg. Fig. 12 Caractéristiques de deux transistors (8nm de 6-T) pour différentes valeurs de la tension de grille variant de 0 à 60V par pas de 10V d’une courbe à l’autre Les courants de saturation atteints sont dans la moyenne de ce qu’on peut attendre d’un OFET à base de 6-T [1]. Il y a plusieurs approches pour calculer la mobilité des charges dans le canal de conductions et ainsi évaluer les propriétés de nos transistors à la lumière de celles de la littérature. Nous allons utiliser deux approches. Dans la première qui donne une valeur approximative, la mobilité est calculée en négligeant la résistance de contact : 20 A" où g " LBg C i wVd .I d est la conductivité du matériaux à une valeur spécifique de Vd, L et w sont .V g A ; où % est la permittivité électrique d de SiO2, A est l’aire des contacts d’or et d est l’épaisseur de SiO2. On calcule alors une mobilité µ(Vd=-25V)=1.53x10-3 cm2 V-1 s-1 pour un transistor possédant un canal de 300 µm. respectivement la longueur et la largeur du canal, C i " ' La seconde approche prend en compte la résistance de contact. On considère tout d’abord la résistance totale en fonction de Vg : L Rt " Rs / C i wA 0V g # Vt 1 où Rs est la résistance de contact et Vt est le seuil (nul pour 6T à 300K). On calcule Rt à partir .V de la relation Rt " d pour chaque Vg dans chaque transistor. On peut donc tracer Rt en .I d fonction de L et calculer Rs et la mobilité µ pour chaque Vg. On obtient par exemple une mobilité de 0.12 cm2 V-1 s-1 pour une tension Vg de -30V. Nos valeurs de mobilité sont du même ordre de grandeur que celles de la littérature [6]. Nous avons donc réussi à diminuer le nombre de couches de 6T tout en maintenant la qualité de notre transport dans les transistors. 3.3.4 Le contactage des transistors Fig. 13 Photos du transistor sur son support et d’une vue de dessus montrant les microfils d’or Afin de pourvoir appliquer facilement des tensions au transistor, on le colle avec de la laque d’argent sur une plaque de cuivre elle-même montée sur un support adaptateur à contact doré. La grille est reliée à un contact en or du support par de la laque d’argent via la plaque de cuivre. La tension et le drain de chacun des canaux sont reliés à différents contacts du support par microsoudure du fait de la taille de l’échantillon. La microsoudeuse permet de tisser un microfil d’or fin entre deux points de la surface millimétrique au moyen d’une aiguille traversé par ce fil. Sa position est commandée électroniquement. Elle réalise la microsoudure 21 en faisant fondre le fil par compression et vibration contre de celui-ci contre la surface. L’opération est suivie et dirigée par l’expérimentateur à travers un microscope. 3.4 SPECTROSCOPIE DES OFET : ÉTUDE DES POLARONS Des études spectroscopiques du couplage charge/phonon dans les semi-conducteurs organiques ont déjà été réalisées. L’injection de charge a toujours été effectuée par dopage chimique c'est-à-dire par oxydoréduction. Il a été montré que certaines raies Raman étaient déplacées de l’ordre de 10 cm-1 par rapport au composé neutre (cf. Figure 14) traduisant la déformation de certaines liaisons par les charges introduites [2], [3]. Fig. 14 Effet du dopage chimique sur le phonon à 1456 cm-1 (liaison C=C) du 6-T. L’inconvénient du dopage chimique est qu’il est irréversible et intrusif (des molécules dopantes s’introduisent dans le réseau du cristal organique et perturbe sa structure de manière irréversible) [8]. Le but des expériences menées est de doper l’organique par effet de champ, phénomène parfaitement réversible et non invasive. 3.4.1 Les expériences réalisées Nous avons enregistré les spectres Raman du 6-T des transistors organiques de 15 nm d’épaisseur de dépôt à température ambiante (T = 294 K), en l’excitant successivement avec les raies à 457.9 nm et 647.1 nm du laser Ar+-Kr+ et ce en appliquant un tension de grille VG nulle ou égale à 100 V. Les tensions de source et de drain étaient nulles. Le spectromètre a été configuré en configuration triple soustractif, les résolutions des spectres pour les longueurs d’onde utilisées sont alors respectivement de 3 cm-1 et de 1 cm-1 selon la plage de fréquence visualisée. La puissance du laser en sortie du monochromateur était respectivement de 6 mW pour l’étude dans le bleu et de 15 mW pour l’étude dans le rouge. La polarisation du faisceau incident était elliptique et nous n’avons pas procédé à une analyse du faisceau diffusé. 22 3.4.2 Résultats Fig. 15 Spectre Raman d’un cristal de 6-T neutre (E=457.9nm). La Figure 15 montre le spectre Raman du transistor à tension nulle et permet d’identifier les phonons du 6-T neutre. Ces phonons sont en accord avec ceux déjà répertoriés dans la littérature [2]. Des calculs théoriques permettent d’assigner chaque pic aux vibrations de liaisons particulières du 6-T [2]. Les pics au voisinage de 700 cm-1 sont associés aux vibrations C-S-C des cycles ; les pics à 968 cm-1 et 1043 cm-1 sont associés respectivement aux vibrations des liaisons C-C intercycles et aux « bending » vibrations des liaisons C-H en % des atomes de soufre. Enfin il est certain que le pic à 1455 cm-1 résulte de la vibration des liaisons C=C du 6-T. Cette raie est celle qui subit le plus grand déplacement par dopage chimique ce qui tend à montrer un couplage préférentiel de la charge de la molécule avec cette liaison. C’est donc sur l a raie à 1455 cm-1 que nous avons concentré notre étude. Fig. 16 Spectres Raman d’un OFET au 6-T (15 nm) neutre et dopé par effet de champ (E=457.9nm). 23 Le spectre obtenu en appliquant un tension de grille de 100V au 6-T et en l’excitant à la longueur d’onde de 457.9 nm est identique à celui obtenu en tension nulle. A cette longueur d’onde, on n’excite pas les molécules ionisées mais uniquement les molécules neutres du 6-T. Ce résultat est en accord avec celui obtenu parYokonuma & al [3]. Fig. 17 Spectres Raman d’un OFET au 6-T (15 nm) neutre et dopé par effet de champ (E=647.1 nm). Pour se rapprocher des conditions de résonance avec les polarons nous avons repris l’expérience en excitant le 6-T avec la raie à 657.1nm du laser. En effet, la longueur d’onde de résonance des polarons est autour de 780 nm. Actuellement, notre source laser ne nous permet d’aller qu’à 657.1 nm. A cette longueur d’onde on n’observe aucun décalage en fréquence des phonons et en particulier de la raie à 1455 cm-1. Le spectre est simplement plus bruité : on s’éloigne des conditions de diffusion résonante avec les molécules de 6-T neutre (l’intensité du signal associé diminue) et l’ efficacité de détection de la CCD est moindre dans le rouge. La reprise des expériences sur le transistor d’épaisseur de 6-T égale à 8 nm a donné les mêmes résultats. 3.4.3 Perspectives Plusieurs raisons peuvent expliquer nos difficultés d’observation. Tout d’abord, on peut penser que la longueur d’onde utilisée est trop basse pour exciter les molécules chargées. En effet, lors des expériences similaires effectuées sur du 6-T dopé chimiquement les longueurs d’onde utilisées pour exciter les polarons étaient 780 nm et 1064 nm. De plus, ces résonances sont relativement étroites et à 647 nm on se trouve dans le pied de la résonance du polaron. 24 L’autre cause possible est que le nombre de molécules ionisées par effet de champ est trop faible pour induire un signal détectable. En effet, si le dopage chimique ionise environ une molécule sur cinq, le dopage par effet de champ est moins efficace. On peut évaluer l’ordre de grandeur du nombre de molécules ionisées par effet de champ lors de notre expérience par un modèle grossier de condensateur plan (seule la monocouche la plus proche du substrat étant chargée) : n 6T / " ' r' 0 ed VG 9 1012 molécules / cm 2 n densité surfacique d’électron 'r la constante diélectrique du SiO2 de l’ordre de 1 d l’épaisseur de l’isolant de l’ordre de 200 µm VG la tension de grille de l’ordre de 100 V Les paramètres de maille du 6-T permettent de calculer sa densité surfacique : n6T " 1014 molécules / cm 2 Et sachant qu’il y a environ 8 couches de 6T pour une seule conductrice, seule une molécule sur 800 est ionisée. C’est également ce qu’ont déterminé Kiguchi & al [1] de façon plus rigoureuse par des mesures de conductivité. Pour aller plus loin, il faudrait reprendre les expériences de spectroscopie en utilisant une longueur d’onde de 780 nm ou de 1064 nm. C’est une chose que nous avons entreprise à l’aide du laser Ti-Sa de Mr Bernard Jusserand de l’INSP, malheureusement un problème de CCD a rendu nos résultats impossibles à interpréter. 25 IV ÉTUDE D’UN MULTIFERROÏQUE : BiFeO3 Les multiferroïques sont les rares composés qui présentent simultanément des propriétés ferroélectriques et un ordre magnétique. En effet la plupart des oxydes magnétiques sont centro-symétriques ce qui exclut toute ferroélectricité. Le couplage entre les degrés de liberté de spin (responsables du magnétisme) et les degrés de liberté de vibration (étroitement liés à la ferroélectricité) expliquent l’engouement et l’explosion des études récentes. De plus, la coexistence des deux propriétés physiques ouvre la voie à l’utilisation des multiferroïques dans des dispositifs de l’électronique de spin. Parmi les multiferroïques, BiFeO3 est le seul composé actuellement connu pour présenter à la fois un ordre magnétique (antiferromagnétisme) et un ordre ferroélectrique à température ambiante (TCurie = 370°C et TNéel = 810°C). 4.1 PROPRIÉTÉS DE BiFeO3 La structure de BiFeO3 est une pérovskite très légèrement distordue dont le groupe d’espace est R3c. C’est cette distorsion qui est à l’origine de la ferroélectricité de BiFeO3 selon l’axe [111] de la structure pseudo-cubique. Les paramètres de la maille rhomboédrique sont <=89.28° et a=5.61 A : la maille est presque cubique. Fig. 18 Structure de BiFeO3 : pérovskite déformée. 26 Les échantillons que nous avons étudiés ont été synthétisés par D. Lebeugle et D. Colson du CEA Saclay sous la forme de monocristaux. Grâce à la très haute qualité de ces monocristaux, elles ont pu pour la première fois mettre en évidence un cycle de polarisation électrique à température ambiante (cf. figure 19) en mesurant les courants issus du retournement de la polarisation en fonction de la tension appliquée. La polarisation spontanée obtenue est très large (environ 90 C/cm²). Auparavant uniquement observée sur les couches minces, cette polarisation est du même ordre de grandeur que celle prévue théoriquement 2 P (AC/cm ) 50 40 30 20 10 0 -50 -40 -30 -20 -10 -10 0 10 -20 20 30 40 50 E (kV/cm) -30 -40 -50 Fig. 19 Cycle de polarisation d’un monocristal BiFeO3.[9] D’un point de vue magnétique, BiFeO3 présente une structure antiferromagnétique (TN=643K) avec une composante cycloïdale de période 65nm. (1-10) q [110] ! = 62 nm Fig. 20 Structure antiferromagnétique de BiFeO . 4.2 ETUDE EXPERIMENTALE La deuxième étude de mon stage a consisté en l’exploration des propriétés vibrationnelles, piézoélectrique et dans une moindre mesure magnétique (recherche de magnons à basse température) du multiferroïque BiFeO3. Quelques études Raman ont déjà été effectuées, la plupart sur des couches minces de BiFeO3. 4.2.1 Les phonons du BiFeO3 Préalablement à toute autre mesure il faut procéder à l’inventaires des phonons de BiFeO3. Des mesures en polarisation croisée et parallèle effectuées sur un échantillon bidomaine ferroélectrique ont permis d’assigner ces différents modes. Les monodomaines ferroélectriques ont été différentiés par analyse de lumière blanche réfléchie par l’échantillon Pour nos mesures nous avons utilisé la raie à 514.5 nm du laser Ar+-Kr+.avec un spot de 1µm de diamètre à travers un microscope confocal afin de pouvoir focaliser le laser sur un 27 seul monodomaine. Les spectres ont été enregistrés à 10 K en utilisant le spectromètre en mode triple soustractif. La résolution de ces spectres est de 3 cm-1. Fig. 21 Spectre Raman polarisés de BiFeO3, les spectres (a), (b) et (c),(d) ont été réalisés sur deux domaines ferroélectriques différents. (a) et (c) :polarisations croisées ; (b) et (d) polarisation parallèles L’attribution des modes a été faîte en considérant la structure idéale de BiFeO3. La théories des groupes prévoit 13 modes actifs : 4 modes A1(TO) et 9 modes E(TO). On distingue les modes A1(TO) et E(TO) au travers de l’exaltation de ces derniers en polarisations croisées par rapport aux polarisations parallèles et réciproquement pour les modes A1(TO). Selon ces considérations la figure 21 montre que l’attribution des modes A1(TO) est évidente pour trois phonons (145, 175 et 222 cm-1) et pour sept phonons des modes E (132, 263, 276, 348, 370, 441 et 525 cm-1). Ces derniers modes peuvent être assignés avec certitudes. Ils sont en bon accord avec ceux observés par Fukumura & al [5] sur un monocristal et dans une moindre mesure avec les mesures de Singh &al [7] ; ces dernières ayant été effectuées sur des microfilms et non un monocristal. Cependant, nous observons un mode non répertorié à 295 cm-1 dont le comportement est typique des modes E(TO). Le phonon à 471 cm-1 est attribué à un mode E(TO) par Fukurama & al sur la base d’un spectre de qualité (rapport signal/bruit) inférieure à nos mesures. Nous attribuons donc un mode A1(TO) à ce phonon car il est bien plus intense en configuration parallèle qu’en configuration croisée. Il apparaît également un phonon à 550 cm-1 se comportant comme un mode A1(TO) mais uniquement pour un des monodomaines ferroélectriques. Les modes A1(TO) ayant été 28 en totalité attribués, il apparaît logique d’attribuer ce pic à un mode A1(LO). De plus l’observation d’un pic à 1100 cm-1 associé au mode double, nous conforte dans cette hypothèse. Cependant l’observation de ce mode est interdite par les règles de sélection. La rupture de ces règles de sélection peut résulter des contraintes dues à l’étroitesse du domaine ferroélectrique. De plus, si la séparation en énergie des modes LO-TO est négligeable dans les films minces, des séparations géantes sont prédites dans les pérovskite monocristalline[10]. Cette interprétation pourrait alors s’appliquer à ce mode mettant en évidence la différence entre films et monocristaux. Dans les films, l’interaction à courte distance prédomine sur l’interaction à longue distance ; comportement qui s’inverse dans les monocristaux. Enfin, ils ne restent que les phonons à 70 et 77 cm-1 (respectivement observés en polarisation parallèle et croisée) pour l’assignation du dernier mode E. Nous pensons que le pic à 70 cm-1 correspond à un mode E(TO) et le mode à 77 cm-1 à un mode E(LO) sans pour autant pouvoir en apporté la preuve formelle. Le tableau suivant résume l’attribution des différents modes : Fréquence (cm-1) Attribution Fréquence (cm-1) Attribution 75 E(TO) 295 E(TO) 81 E(LO) 348 E(TO) 132 E(TO) 370 E(TO) 145 A1(TO) 441 E(TO) 174,5 A1(TO) 471 A1(TO) 222,7 A1(TO) 523 E(TO) 263 E(TO) 550 A1(LO) 276 E(TO) A partir des premiers calculs réalisés sur des films minces, on peut déterminer la liaison qui contribue majoritairement aux modes. Ainsi, la liaison Bi-O contribue majoritairement aux modes A1 et E(1TO) et (E(2TO) tandis que la liaison Fe-O contribue aux modes E(3TO) et (E(4TO). 4.2.2 Etude de la piézoélectricité La compréhension et l’utilisation des propriétés ferroélectrique de BiFeO3 nécessitent d’étudier le comportement de ce composé sous champ électrique. Afin d’appliquer un champ électrique perpendiculairement à la surface de l’échantillon deux contacts ont été réalisé par dépôt d’indium. Le contact supérieur a été réalisé en anneau afin de produire un champ le plus homogène possible tout en laissant une surface nue pour le faisceau laser. La longueur utilisée est toujours 514.5 nm et l’expérience a été réalisée à température ambiante. Le spectromètre a été configuré en mode additif afin d’atteindre une résolution de 0.1 cm-1. Les mesures ont été effectuées proche de l’électrode, là où le champ électrique appliqué est le plus important. 29 Fig. 22 Echantillon contacté de BiFeO3. Un déplacement des phonons à 70 et 77 cm-1 de l’ordre de 0.6 cm-1 a été mesuré par application d’une tension comprise entre 0 et 500V (cf figure 23). Fig. 23 Déplacement de la fréquence des phonons à 70 et 77 cm-1 par effet piézoélectrique. Ce déplacement en fréquence est associé à la déformation de la liaison Bi-O qui contribue majoritairement à ces modes. Cette déformation résulte de l’effet piézoélectrique qui induit une expansion du cristal sous l’effet du champ électrique appliqué. Le décalage Raman des modes E est lié aux éléments de déformation 'ij au travers des potentiels de déformation phononique <, %, F : 2 G2E " < 0 ' xx / ' yy 1 / %' zz / F HJ0' xx # ' yy 1 / 4' xy 2 IK L M 1/ 2 Pour des raisons de simplicité, nous avons décrit BiFeO3 comme une structure trigonale et considéré que les déformations dans le plan n’étaient pas générées par un champ électrique selon l’axe z. Dans l’équation ci-dessus on néglige ainsi les termes 'xx, 'yy, 'xy. Le décalage en fréquence est donc une fonction de 'zz, et du potentiel de déformation %. Malheureusement, ce 30 dernier n’est pas connu. Néanmoins, de manière simple on peut relier 'zz au champ Ez via le coefficient linéaire piézoélectrique d33 : ' zz " d 33 E z . En utilisant la valeur de d33 mesurée par ailleur [11] et le champ de 5.107V/cm appliqué à 500V, on déduit une valeur de 'zz de 3.10-3. Le potentiel de déformation associé au mode E est donc de -200 cm-1/unité de déformation. Cette valeur est du même ordre de grandeur que celle obtenue par exemple pour le quartz. Au travers de ces mesures, il est possible d’accéder à un ordre de grandeur des potentiels de déformations phononiques ou, si ces derniers venaient à être calculés ou mesurés par ailleurs, à une mesure du coefficient piézoélectrique d33. 4.2.3 Recherche du double magnon L’étude des propriétés magnétiques par spectroscopie Raman se fait au travers des excitations de spin appelées magnons. Des recherches sur le composé <-Fe2O3 ont démontré l’existence d’un double magnon à des fréquences voisines de 1000 cm-1. Sur BiFeO3, on observe dans cette plage des pics larges à 1075, 1150 cm-1 et 1250 cm-1 (cf. figure 24) . De plus, sous les deux premiers pics qui correspondent à des doublets de phonons, une composante se dégage à haute température. Le mode à 1250 cm-1 est quant à lui attribué à un mode 2LO [12]. Pour trancher l’attribution des signaux, la température est utilisée afin de distinguer le magnon des phonons. En effet, le magnon devrait présenter un comportement différent sur une échelle de température fonction de la température de Néel. Fig. 24 Effet de la température sur les excitations entre 1000 et 1400 cm-1 . Les pics à 1075, 1150 cm-1 et 1250 cm-1 n’ont pas de comportement en température cohérent avec TN. La figure 25 montre le comportement de la composante continue sous les deux premiers pics en fonction de TN. Ce comportement est similaire à celui du double magnon observé dans le composé <-Fe2O3 lui-même caractéristique du ramollissement du mode double magnon avec la température. Nous avons donc sans ambiguïté réussi à localiser 31 le double magnon. L’étude sous champ magnétique de ce mode devrait nous permettre d’explorer l’anti-ferromagnétisme des multiferroïques. Fig.25 Déplacement en fréquence du double magnon avec la température pour BiFeO3 et<Fe2O3. 32 V CONCLUSION Si les transistors à base d’organiques sont en passe d’être commercialisés, la nature du transport par bande ou polaronique dans ces composés reste encore mal comprise. Durant ce travail, nous avons réalisés des transistors à base de quelques monocouches de sexithiophène tout en maintenant de bonnes caractéristiques de transport. Malgré nos efforts, l’observation des polarons au travers du déplacement en fréquence des liaisons C=C par spectroscopie Raman est restée infructueuse. Cette observation dans des conditions expérimentales plus favorable est à venir. Dans un second temps nous nous sommes intéressés au composé multiferroïque BiFeO3 qui est le seul à présenter des propriétés ferroélectriques et anti-ferromagnétiques à température ambiante. Notre étude a permis l’attribution complète des modes Raman prévues par la théorie des groupes. Elle a mis en évidence le dédoublement de certains pics [les modes de vibration LO et TO ne sont pas à la même fréquence] et ceci contrairement aux films de BiFeO3. Cette différence montre que les forces ioniques à longue distance dominent sur les forces interatomiques à courte distance contrairement à ce qui a déjà été observé sur les films. Nous avons également réalisé des mesures sous tension à température ambiante pour mettre en évidence l’effet piézoélectrique. Ces premières données montrent un décalage en fonction de la tension appliquée des modes de vibrations associées aux liaisons Bi-O. Elles permettent de remonter aux valeurs des potentiels de déformation cristallines, données encore non répertoriées par ailleurs. Ces travaux font l’objet d’un article en cours de soumission. Le spectre Raman fait également apparaître un pic que nous avons réussi à attribuer au double magnon Les projets à venir s’organisent autour de deux axes. Le premier consiste à mesurer l’évolution des phonons sous champ électrique et à basse température. Les basses températures permettent d’obtenir des largeurs très faibles des phonons conduisant à une précision plus grande sur le décalage en fréquence des pics Raman sous l’effet de la tension en comparaison des mesures à température ambiante que nous avons réalisés. On s’attend en particulier à pouvoir mesurer des décalages en fréquences pour d’autres pics et donc d’autres liaisons. Le deuxième axe de recherche est d’étudier les excitations magnétiques dans ce composé. Leur étude en fonction de la température doit nous renseigner sur la nature des couplages antiferromagnétiques (via un modèle simple d’Heisenberg antiferro pour commencer). 33 REFERENCES [1] Kiguchi, Nakayama, Shimada, Saiki: Physical Review B 71, 035332 (2005) [2] Louarn, Buisson, Lefrant : J. Phys. 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