Optimisation d’un filtre CEM à l’aide d’un modèle quadripolaire pour un système d’entraînement à vitesse variable Chaiyan JETTANASEN1 - Jérôme GENOULAZ2 Christian VOLLAIRE 1 - François COSTA 2,3 (1): Laboratoire AMPERE, UMR 5005, Ecole Centrale de Lyon, 69134 Ecully (2): Laboratoire SATIE, UMR 8029, Ecole Normale Supérieure de Cachan, PRES UnivSud, 94230 Cachan 3 ( )IUFM Créteil, Université Paris 12 E-mail: [email protected] Résumé. L’utilisation du filtre CEM passif est toujours une des approches envisageables pour la réduction des perturbations électromagnétiques conduites dans des systèmes d’entraînement à vitesse variable. Aujourd’hui, la réalisation de ce type de filtre est encore basée sur une approche de type « essai-erreur » ; il est dimensionné en considérant l’impédance interne de la source de perturbations et la charge du système, égales à 50Ω, ce qui n’est pas forcément adapté au système réel. Cet article va donc présenter une méthode d’optimisation d’un filtre de mode commun (MC) à l’aide du modèle quadripolaire des perturbations conduites de MC en tenant compte des vraies impédances de la charge et de la source du système. L’efficacité du filtre optimal sera déduite de la comparaison entre le niveau des spectres mesurés et le gabarit de la norme en vigueur. I. INTRODUCTION Suite au progrès technologique des semi-conducteurs, la fréquence de découpage du convertisseur statique généralement utilisé dans un système complexe de variation de vitesse augmente. Ceci engendre un niveau significatif de perturbations électromagnétiques dans le système, notamment le MC qui est généré par l’effet du couplage électrostatique associé à une valeur de dv/dt élevée [1, 3]. Pour réduire les perturbations conduites de MC qui sont la source majeure du vieillissement prématuré des systèmes [3], plusieurs approches classiques et novatrices sont proposées et étudiées. Jusqu’à présent, le filtre passif de type passe-bas est encore un bon candidat pour minimiser les perturbations. Ce filtre de MC peut être inséré soit à l’entrée de l’onduleur soit à la sortie. Cependant, en réalité, il est très souvent intégré à l’entrée de l’onduleur, là où son insertion est neutre vis-à-vis d’autres équipements électriques. Il pourrait également réduire les perturbations dans d’autres parties du système d’entraînement (dans le câble ou dans le moteur) si ses éléments sont de valeurs suffisamment grandes. Afin de réduire efficacement les perturbations en utilisant le filtre de MC, il faut optimiser les valeurs de ses éléments. L’objectif de cette optimisation est d’obtenir un filtre à valeurs minimales des composants pour réduire son volume, son poids et son coût. L’efficacité du filtre peut être simplement définie en comparant les résultats obtenus à la norme en vigueur, par exemple, MIL-STD-461E (norme militaire), DO-160D (norme aéronautique). D’une part il est nécessaire d’assurer la sûreté de fonctionnement du système complet en respectant le gabarit des normes et d’autre part il devient envisageable de répondre au besoin des applications aéronautiques en diminuant le coût et le poids des systèmes embarqués. Dans cet article, le banc d’essai utilisé sera dans un premier temps présenté. Dans un deuxième temps, la validation du modèle quadripolaire des courants de MC dans le système avec un filtre CEM passif sera confirmée en comparant les résultats de la mesure et du calcul. Dans un troisième temps, le filtre optimal sera traité. Pour finir, les résultats des courants de MC avec insertion de notre filtre optimisé seront illustrés et discutés. Les résultats seront de plus comparés avec ceux obtenus par le filtre commercial pour montrer l’avantage d’optimiser le filtre en considérant les impédances du système en termes de volume et de masse. II. SYSTEME ETUDIE Pour valider la méthode d’optimisation proposée qui a été commencée dans [2], puis développée pour une gamme plus large de fréquences dans [3], un banc expérimental a dû être conçu. Ce banc est constitué d’un RSIL, d’un redresseur à diodes, d’un câble d’interconnexion d’un mètre, d’un onduleur de tension, d’un câble de cinq mètres pour alimenter le moteur, et d’un moteur asynchrone. Le schéma simplifié de ce banc d’étude est représenté sur la Fig.1. Ce système a déjà été modélisé en MC dans l’article [2] en utilisant une approche quadripolaire qui donne directement les résultats dans le domaine fréquentiel. Ce modèle quadripolaire donne de bons résultats jusqu’à 10MHz. Nous avons opté pour ce modèle pour l’étude de l’optimisation du filtre. Concernant le système à modéliser avec intégration du filtre, il peut être représenté avec une chaîne de quadripôles comme illustré sur la Fig.3. Vmc RSIL Filtre Câble 1m Red Câble 5m Ond Moteur Fig.3 – Représentation avec chaîne de quadripôles. Fig.1 – Système d’entraînement à vitesse variable. Afin d’optimiser le filtre de mode commun basé sur le modèle quadripolaire, nous avons d’abord modélisé le système avec l’insertion d’un filtre commercial. Dans cette étude, le filtre utilisé sera introduit à l’entrée du redresseur dans le but de minimiser les courants de MC vers le côté du réseau. Le schéma simplifié en tenant compte des impédances équivalentes de MC et de la partie filtrage localisé en entrée de redresseur est synthétisé ci-dessous (Fig.2) : Le principe de la modélisation des courants de MC reste parfaitement conforme à [2,3]. La mesure des courants de MC est effectuée à tous les niveaux afin de les comparer aux courants simulés. La bonne cohérence entre la mesure et le modèle nous confirmera la validation du modèle quadripolaire utilisé. III.1 Filtre commercial utilisé Pour valider le modèle quadripolaire avec insertion du filtre dans le système, un filtre commercial est utilisé. Sa structure et la valeur des éléments sont présentées sur la Fig.4. Courant nominal = 4A, L = 7mH, L1 = 1,5mH, Cx = 1µF, Cy = 15nF, R = 470kΩ Fig.4 – Filtre commercial utilisé. Fig.2 – Système avec filtre à l’entrée du redresseur. Crcr ≈ 595 pF Cocmm ≈ 8,5 nF III. MODELISATION AVEC INTEGRATION DU FILTRE Les filtres antiparasites servant à réduire les perturbations conduites sont constitués de cellules passe-bas en Π, en T ou en L. Ils peuvent être constitués d’une ou de plusieurs cellules de fréquences de coupure différentes. En principe, le filtrage passif consiste à introduire une désadaptation d’impédance minimisant le transfert de l’énergie perturbatrice entre la source et la charge dans la plage de fréquences considérées. Théoriquement, la structure du filtre CEM de MC devrait se présenter sous la forme d’inductances séries sur chaque phase suivies de capacités parallèles. Les inductances sont bobinées avec des enroulements en opposition de phase de manière à annuler les flux générés par les courants de MD. L’efficacité de ce type de filtre est souvent limitée par les effets parasites répartis dans le bobinage et par les performances limitées en fréquence des matériaux magnétiques. Afin de pouvoir appliquer le modèle quadripolaire, les impédances équivalentes de MC du filtre doivent être déterminées. Les trois phases en entrée et en sortie du filtre sont d’abord court-circuitées, puis ces impédances sont mesurées entre les conducteurs en court-circuités et la masse du filtre. Ces impédances sont finalement présentées sur la Fig.5. 10 10 10 Module (Ω) Les valeurs des capacités équivalentes en BF du système sont : 10 10 10 10 6 Module des impédances de MC du filtre commercial Z11 Z12 Z22 5 4 3 2 1 0 4 10 10 5 6 10 Fréquence (Hz) 10 7 8 10 Fig.5 – Module des impédances de MC. Les impédances illustrées ci-dessus représentent de plus les éléments parasites du filtre, notamment la capacité parasite inter-spire de la bobine. Lors de la comparaison de ces impédances entre la mesure et le calcul théorique selon les valeurs des éléments principaux donnés dans le Fig.4, nous constatons clairement les effets parasites répartis dans le bobinage. 6 Module de l'impédance de MC Z11 du filtre commercial 10 mesure calcul théorique 5 10 et les tensions de MC à tous les endroits du système. Ici, nous allons montrer quelques résultats afin de pouvoir valider le modèle utilisé. La comparaison des courants dans le filtre, dans l’onduleur et dans le câble alimentant le moteur est illustrée sur les figures suivantes. 4 Module (Ω) 10 Courant de MC dans le filtre 3 100 2 80 10 10 0 10 10 4 10 5 6 10 Fréquence (Hz) 10 7 10 8 Fig.6 – Module de l’impédance de MC Z11. Module (dBµA) 1 10 mesure calcul DO160D 60 40 20 0 La mesure de Z11, à la fréquence de résonance (fr) de 164,4kHz, montre bien l’existence de capacités parasites dans l’inductance L (7mH). A partir de cette fréquence, la capacité parasite peut être calculé à l’aide de (1). -20 10 4 5 10 6 10 Fréquence (Hz) 7 10 Fig.8a – Courant de MC dans le filtre. Courant de MC dans l'onduleur 100 (1) 1 . 2 L (2 .π . f r ) Cette capacité parasite nommée CL vaut 133,88pF. 6 10 5 mesure calcul 80 Module de l'impédance de MC Z22 du filtre commercial Module (dBµA) C = 1 mesure calcul théorique 10 60 40 20 0 4 Module (Ω) 10 -20 10 4 10 5 3 10 6 10 Fréquence (Hz) 10 7 Fig.8b – Courant de MC dans l’onduleur. 2 10 Courant de MC dans le câble moteur 1 100 0 80 10 10 4 10 5 6 10 Fréquence (Hz) 10 7 10 8 Fig.7 – Module de l’impédance de MC Z22. La Fig.7 représente le même phénomène de répartition de la capacité parasite dans le bobinage. A la fréquence de résonance de 412,4kHz, la capacité parasite calculée (nommée CL1) à l’aide de (1) en prenant l’inductance L1 (1,5mH) est équivalente à 99,29pF. Ces effets parasites interviennent inévitablement de manière significative sur l’efficacité du filtre III.2 Validation du modèle Pour valider le modèle quadripolaire avec l’insertion du filtre, nous allons donc comparer les courants de MC expérimentaux et les courants calculés à partir de ce modèle. En fait, ce modèle, basé sur la connaissance de la tension de MC de la source de perturbations qui est ici l’onduleur et les impédances équivalentes de MC de chaque constituant du système, nous permet d’estimer ou calculer les courants de MC Module (dBµA) 10 mesure calcul 60 40 20 0 -20 10 4 10 5 6 10 Fréquence (Hz) 10 7 Fig.8c – Courant de MC dans le câble moteur. La mesure et le calcul sont assez cohérents jusqu’à environ 10MHz, ce qui est suffisant pour valider les valeurs optimisées de notre filtre optimal basé sur ce modèle quadripolaire. IV. FILTRE OPTIMAL Dans notre système sans filtre [2], le courant de MC dans le redresseur et dans le câble d’interconnexion dépasse la norme DO-160D. Il est donc nécessaire d’introduire un filtre dans le système. Comme nous Courant de MC dans le redresseur 100 80 60 Module (dBµA) voulons réduire le courant de MC du côté du réseau, le filtre est donc mis à l’entrée du redresseur. Dans la partie précédente, bien que le filtre commercial soit introduit dans le système, le niveau du courant de MC dans le redresseur ne respecte pas très bien, sur toute la gamme de fréquences de MC, la norme imposée. Ainsi, nous allons optimiser un filtre bien adapté au système considéré. Pour le filtre optimal, nous choisissons la structure simple en L comme illustrée sur la Fig.9. 40 20 0 calcul sans filtre calcul avec filtre optimisé DO160D -20 -40 10 4 5 10 6 10 Fréquence (Hz) 10 7 Fig.10 – Courant de MC dans le redresseur sans et avec filtre optimisé sans éléments parasites. IV.1 Principe d’optimisation Le programme d’optimisation est codé sous Matlab. Son principe est de ramener le niveau des spectres du courant de MC dépassant le gabarit considéré au dessous de celui-ci sur toute la gamme de fréquence considérée. Le gabarit considéré, dans notre cas d’étude, est la norme DO-160D qui définit le niveau des perturbations conduites sur la gamme de fréquences 150kHz – 30MHz dans la partie du réseau et dans le câble d’interconnexion. Ici, nous ne nous intéressons de réduire que les perturbations allant vers le réseau, c’est pourquoi notre programme d’optimisation est effectué de manière à bien réduire le courant de MC dans le redresseur (dans le RSIL) de manière à respecter cette norme. IV.2 Valeurs des éléments optimisées L’optimisation donne pour la composante homopolaire du système les valeurs suivantes des éléments du filtre : V.2 Résultats de simulation avec des éléments parasites Pour affiner la prédiction de l’efficacité du filtre, on ajoute à présent les éléments parasites de l’inductance Lmc. Le modèle de cette inductance est constitué par une résistance Rs (0,325Ω) en série avec Lmc et une capacité Cp (7,4pF) en parallèle. Ces éléments parasites sont a priori très proches de ceux mesurés expérimentalement sur une inductance similaire. Les résultats obtenus en simulation, en tenant compte des effets parasites, sont évidemment différents de ceux simulés sans eux. La Fig.11 présente le résultat obtenu. Courant de MC dans le redresseur 100 80 60 Module (dBµA) Fig.9 – Structure du filtre de MC en L. 40 20 0 calcul sans filtre calcul avec filtre optimisé DO160D -20 Lmc = 1,117mH et Cmc = 0,72pF Nous constatons que la valeur de Cmc est négligeable devant Crcr (595pF), ce qui signifie que Cmc n’est pas nécessaire. En fait, c’est la capacité de mode commun de l’ensemble redresseur-câble qui joue le rôle de capacité de filtrage. Il suffit donc de ne placer que l’inductance de MC à l’entrée du redresseur, ceci contribue à réduire encore le volume du filtre. V. RESULTATS V.1 Résultats de simulation En utilisant le filtre optimisé sans l’introduction de ses éléments parasites, le courant de MC est bien réduit sur toute la gamme de fréquences considérées dans le redresseur (Fig.10). -40 10 4 10 5 6 10 Fréquence (Hz) 10 7 Fig.11 – Courant de MC dans le redresseur sans et avec filtre optimisé en tenant compte les éléments parasites. D’après les Fig.10 et Fig.11, nous constatons bien que les éléments parasites du filtre jouent un rôle très important sur son efficacité, notamment en HF. En pratique et selon la technologie de réalisation employée, les valeurs des éléments parasites pourraient être plus grandes que dans cette simulation, dégradant encore l’efficacité du filtre. Il faut donc contrôler finement ces éléments lors de la fabrication. V.3 Comparaison des résultats obtenus par le filtre optimisé et le filtre commercial La comparaison du courant de MC à l’entrée du redresseur pour le système sans filtre et celui avec filtre commercial et optimisé avec éléments parasites est illustrée sur la Fig.12. Vollaire, "Modelling of Common Mode Conducted Noise Emissions in PWM Inverter – Fed AC Motor Drive Systems", Proceedings of the 12th European Conference on Power Electronics and Applications (EPE), Aalborg, Denmark, September 2-5, 2007, paper 398. Courant de MC dans le redresseur 100 80 Module (dBµA) 60 40 20 0 calcul sans filtre calcul avec filtre commercial calcul avec filtre optimisé DO160D -20 -40 10 4 10 5 6 10 Fréquence (Hz) 10 7 Fig.12 – Courant de MC dans le redresseur. Les résultats montrent que le filtre optimisé réduit mieux les perturbations conduites de MC que le filtre commercial utilisé dans cette étude car il est calculé à partir des valeurs vraies des impédances de MC du système. Il est donc mieux adapté au système considéré, inversement au cas où les filtres sont dimensionnés pour des impédances génériques de propagation de 50Ω. VI. CONCLUSION Le modèle quadripolaire des courants de MC dans le système avec insertion du filtre à l’entrée du redresseur donne des résultats qui sont en assez bonne cohérence avec la mesure jusqu’à environ 10MHz. Ceci confirme que l’optimisation du filtre peut être effectuée à partir de ce modèle. La méthode d’optimisation peut être utilisée pour d’autres systèmes existants. De plus, elle est applicable pour différentes structures de filtre (L, T, ou ∏ ; un étage ou plus…) qu’ils soient positionnés à l’entrée et/ou à la sortie de l’onduleur. L’efficacité du filtre dépend de la fonction d’objectif envisagée. Dans cet article, la norme imposée est choisie pour montrer l’efficacité et dimensionner notre filtre optimal. En pratique, les éléments parasites du filtre devront être bien contrôlés afin de ne pas dégrader son efficacité, notamment en HF. REFERENCES [1] H. Akagi, T. Doumoto, "A Passive EMI Filter for Preventing High-Frequency Leakage Current From Flowing Through the Grounded Inverter Heat Sink of an Adjustable-Speed Motor Drive System", IEEE Transactions on Industry Applications, Vol. 41, No 5, pp. 12151223, September/October 2005. [2] F. Costa, C. Vollaire, R. Meuret, "Modeling of Conducted Common Mode Perturbations in Variable-Speed Drive Systems", IEEE Transactions on Electromagnetic Compatibility, Vol. 47, No 4, pp. 1012-1021, November 2005. [3] J. Genoulaz, C. Jettanasen, F. Costa, C.