ENVIRONNEMENT Des corridors biologi pourquoi, comment ? DR ICONOS/JOSEPH La mise en place de corridors biologiques permet de lutter contre l’érosion de la biodiversité, et au-delà, de créer un réseau maillé de voies vertes pour stimuler les modes doux de déplacements. Un alignement d’arbres offre une continuité biologique L ’accroissement des surfaces urbanisées participe au recul des milieux naturels et à l’effacement progressif des paysages ruraux à la périphérie des villes. Non seulement ce mouvement de périurbanisation s’accompagne d’un morcellement des espaces naturels et ruraux, marqué par un repli des milieux propices à la diversité biologique, mais la taille des sites épargnés ne cesse de rétrécir comme une peau de chagrin. L’enclavement de « petits coins de nature », subsistant çà et là dans le périurbain, perturbe les communautés Plus la surface d’un espace vert est importante et plus sa richesse spécifique augmente. La relation aire-espèces suit une droite de la forme : log S = log C + z log A où S est le nombre d’espèces, A la surface, C est une constante du groupe biologique et z mesure la pente de la droite. 20 TTechni.Cités T8 05 2005 animales et végétales. La fragmentation et la réduction des milieux naturels, conjuguées à la banalisation des paysages ruraux, font partie des causes majeures de l’érosion de la biodiversité. À terme, les espèces qui survivent tant bien que mal dans ces zones marginales sont vouées à l’extinction. Les espaces verts en position insulaire Depuis les travaux de Robert H. MacArthur et Edward O. Wilson portant sur les oiseaux des îles Channel, disséminées le long de la côte californienne, nous savons que la richesse spécifique d’une île dépend à la fois de sa taille et de la distance qui la sépare du continent. À surface égale, une île abrite moins d’espèces qu’un territoire continental. Par exemple, l’île de Port Cros (700 hectares) ne compte que 17 espèces d’oiseaux nicheurs alors qu’une superficie équivalente dans le massif des Maures, situé à moins de dix kilomètres « à vol d’oiseau », héberge 38 espèces, soit plus du double. Le modèle insulaire mis au point par MacArthur et Wilson peut être étendu aux espaces verts urbains. Un animal sauvage sait parfaitement accomplir la majeure partie de son cycle vital dans un espace vert urbain. La surface est donc un paramètre clé pour expliquer le niveau de richesse spécifique d’un espace vert : un square est toujours plus pauvre qu’un parc urbain. Mais ce n’est évidemment pas le seul facteur déterminant. Une faible distance de connexion du square au « continent rural » via un corridor vert — la berge arborée d’un cours d’eau, un alignement d’arbres d’ornement, un cordon de ques en ville : haies vives d’un lotissement - diminue les risques d’extinction locale des espèces présentes. Vue du ciel, la structure du « grain de verdure » d’une ville est comparable à un nuage de points noyés dans une mer de construction. Sur le terrain, cet « archipel de taches vertes » est composé d’habitats hétérogènes, jardinets, espaces verts intérieurs privés, terrains vagues, qui sont plus ou moins isolés les uns des autres par des obstacles de toutes sortes, des immeubles et des routes, des clôtures et des murs. L’équilibre démographique d’une population animale recluse dans un square est très précaiLes villes ne re : les effectifs oscillent entre doivent pas être des périodes d’expansion et des phases de déclin, voire de exclues du réseau disparitions complètes. Une écologique qui se communauté en position insulaire est donc dépendante de dessine au niveau l’arrivée de nouveaux immieuropéen grants pour compenser les pertes naturelles. Malgré l’encombrement du milieu urbain, la ville reste le théâtre d’échanges et de dispersions d’espèces sauvages utilisant toute la gamme des continuités vertes disponibles. En premier lieu, les cours d’eau et leur cortège de plantes rivulaires, et en second lieu, les dépendances vertes des voies rapides urbaines et les friches des voies ferrées. Des corridors verts pour renforcer la biodiversité Pour mieux accueillir la faune et la flore des champs candidates à l’immigration urbaine, et gommer les effets d’insularité, il est opportun de maintenir et de renforcer les capacités de connexion des espaces verts intra-muros avec les ceintures vertes périurbaines. D’où l’intérêt de développer des corridors verts en augmentant les continuités biologiques. Il s’agit de créer des voies vertes, sans interruption et sans obstacle physique au même titre qu’une infrastructure routière roulante, dotées de fonctionnalités écologiques et paysagères pour favoriser la libre circulation des animaux et des plantes. Les villes ne doivent pas être exclues du réseau écologique qui se dessine au niveau européen (Natura 2000). Contrairement à une idée reçue, la ville n’est pas un désert biologique, loin s’en faut ! Certains parcs sont aussi riches que les forêts. La question des continuités biologiques se conjugue à toutes les échelles territoriales. Il y a là un champ d’études et de réflexions pour les urbanistes et les services techniques des villes. La prise en compte des corridors biologiques dans les documents d’urbanisme (SCoT, PLU) interpelle les acteurs urbains. En un mot, il faut défragmenter les espaces verts urbains. Cette notion de corridor a le mérite d’être en phase avec le concept de « ville apaisée » qui trouve une oreille attentive auprès des citadins. Pouvoir marcher le long d’un itinéraire vert, « mi-promenade urbaine, mi-jardin public », telle est la demande des citadins qui soulignent à l’envi que la marche est bénéfique pour le corps et l’esprit. Afin de répondre à cette attente, nous préconisons de décliner le concept de corridor biologique, en développant une offre alternative d’espaces verts linéaires. À l’image du « bocage », il s’agit de rétablir des connexions vertes : jouer sur la palette végétale, la densité et la diversité, pour aménager des axes verts multifonctionnels, réhabiliter l’avenuepromenade ou le quai-promenade. Si la largeur et la longueur d’un corridor biologique sont des paramètres fondamentaux pour augmenter les capacités d’échanges, une voie verte fonctionne mieux si elle allie différentes utilités écologiques et paysagères et si elle encourage les modes doux de déplacements. Une voie verte cumulant ces atouts a toutes les chances de séduire les citadins ! Emmanuel Boutefeu Chargé d’études au Certu > Pour en savoir plus… • Composer avec la nature en ville, CERTU, 2001. • Les infrastructures vertes à l’épreuve des plans d’urbanisme. L’agglomération lyonnaise, la construction d’une stratégie, Stéphane Autran, CERTU, 2004. • La demande sociale de nature en ville. Enquête auprès des habitants de l’agglomération lyonnaise, Boutefeu Emmanuel, PUCA, CERTU, 2005. Techni.Cités T8 05 2005 T 21