Facteurs de contact et d`expansion des langues

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UNIVERSITE HASSIBA BENBOU ALI –CHLEFDEPARTEMENT DE FRANÇAIS
Module : Sociolinguistique
Enseignante : Melle. MEDANE
Niveau : 3éme année
2011-2012
Contact et expansion des langues
La longévité d'une langue dépend de sa vitalité, c'est-à-dire de la distribution de la langue dans
l'espace, mais aussi de certains facteurs d'ordre démographique et social. Plus une langue manifeste de la
vitalité, plus il lui sera possible d'assurer sa longévité; moins elle en a, moins elle aura des chances de
survivre et de s'épanouir.
Parmi les facteurs contribuant à l'expansion d'une langue, mentionnons les facteurs
démographiques, économiques, militaires, culturels, politiques. Pour une faible part, des facteurs
proprement linguistiques peuvent jouer un certain rôle dans la mesure où les facteurs précédents sont
présents. Par voie de conséquence, il faut comprendre que, si les conflits ne favorisent pas l'expansion
d'une langue, ils entraîneront nécessairement sa régression, sinon son extinction. Enfin, il faut savoir que
l'expansion d'une langue peut se faire à l'intérieur d'un pays comme elle peut s'étendre en dehors de ses
frontières. Seules quelques rares langues naturelles ont la possibilité de connaître une grande expansion
en raison de la puissance et de la dispersion de leurs locuteurs.
Facteurs de contact et d’expansion des langues :
Les linguistes (Jean-Louis Calvet dans La guerre des langues par exemple, dont je reprends
certains termes et leur définition en gras dans ce cours) relèvent souvent 4 à 6 facteurs d'expansion d'une
langue.
Le facteur géographique
L'expansion d'une langue suit l'expansion des hommes. Ainsi, une montagne infranchissable pour
l'homme l'est également pour la langue. Une langue se répandra donc le long des cours d'eau à mesure des
déplacements et échanges des hommes mais l'absence (ou la difficulté) des échanges entre des habitants
séparés par une mer empêchera la propagation d'une langue. Ainsi l'anglais n'a pas "débordé" en Belgique
ni le flamand (ou le français) en Grande-Bretagne. Les nouveaux moyens de communication peuvent bien
sûr changer la donne.
Le facteur urbain et démographique
Une langue est un moyen de communication entre deux personnes ; la ville est par essence le lieu où se
côtoient de nombreuses personnes et leur interrelation amèneront donc une homogénéisation des langues
utilisées. Si lorsqu'une ville se développe, de nombreuses personnes venant de différentes régions ou pays
avec différentes langues se côtoient, le temps amènera toutes ces personnes vers l'adoption d'un moyen de
communication (langue) commun. C'est ainsi que le français se répand d'abord dans les centres urbains en
Afrique et qu'il se propage ensuite dans des régions moins urbanisées. La ville est le lieu du grand
brassage linguistique. On peut certes voir des quartiers qui ont une identité et une langue à part (comme
les quartiers italiens de New York (Little Italy) ou chinois (China Town)), ce qui donne un sursis aux
langues qui peuvent servir de langue grégaire1 au sein du quartier, mais l'anglais dans le cas de New
York servira de langue véhiculaire entre les communautés de langue différente. La ville est une unité
géographique et la nécessité de communiquer impose une langue commune. Louis-Jean Calvet cite
l'exemple de Brazzaville où il a fait une enquête au début des années 80 : Brazzaville était une ville dont
l'apport de population était récent et les immigrés de langue véhiculaire lingala (pas forcément leur langue
maternelle) se regroupaient dans le quartier nord et celui de langue véhiculaire munukutuba se
regroupaient dans le quartier sud et le français était utilisé dans le plateau des Quinze Ans.
Le facteur démographique constitue sans nul doute l'un des éléments les plus importants dans le maintien
ou la force d'une langue. Dans les variables se rattachant au facteur démographique, le nombre des
locuteurs d'une langue constitue certainement un déterminant décisif dans la puissance d'une langue.
Cependant, le nombre n'est pas tout: il faut considérer également d'autres variables telles la fécondité d'un
groupe linguistique, la capacité d'absorption des forces migratoires et la distribution des langues dans
l'espace.
Le facteur économique
L'économie à la base, ce sont des acheteurs et des vendeurs, c'est donc la place de l'échange par
excellence. Ce n'est pas un hasard si Hermes était chez les Grecs le dieu de la communication, le
messager des dieux et le dieu du commerce. Un échange est facilité par un moyen de communication et si
celui-ci n'existe pas, il existera. Ainsi des lingua franca, pidgins, et autres langues véhiculaires ont-ils été
construits par la pratique pour les nécessités de l'échange. Dans d'autres cas, la propagation d'une langue
suit les routes du commerce : swahili, malais, français, anglais... les personnes souhaitant échanger
apprennent la langue de ceux qui viennent échanger. Ainsi certaines personnes n'étant jamais allé à
l'étranger se débrouillent en allemand, français sur les marchés de pays où cette langue n'est pas parlée par
la population.
Le facteur religieux
Certaines langues sont des langues de liturgie : arabe, hébreu, latin et cela a contribué à leur utilisation et
leur expansion. C'est aussi parfois en tant que langue de propagation de la foi (missionnaires, ou mise en
avant d'une langue unificatrice de la liturgie par des colons) qu'elle se répand.
Le facteur culturel et ses variables
La puissance culturelle d'une langue constitue un autre facteur (non économique) pouvant assurer
indéniablement sa vitalité. Le grec et le latin se sont répandus en Occident et sont restés des langues de
culture pendant plusieurs siècles même après avoir perdu leur puissance démographique, militaire et
économique. Le degré de normalisation d'une langue, le nombre de livres édités ou de publications
scientifiques, le nombre et le tirage des journaux, la production cinématographique, la quantité des postes
émetteurs et récepteurs de radio ou de télévision, etc., sont des variables sûres pour mesurer la force
culturelle d'une langue. Il est possible d'accéder à la culture par la musique, les beaux-arts ou la
gastronomie, mais il s'agit là de manifestations culturelles qui n'ont à peu près aucun rapport avec le
rayonnement d'une langue. Aussi est-il préférable de s'en tenir aux vecteurs directement reliés à la langue
1
Langue grégaire : Terme sans connotation péjorative défini par Louis-Jean Calvet dans [Calvet 1987], page 80 et
signifiant : « avec connivence ». Ainsi, une langue grégaire est « une langue de petit groupe, qui limite donc la
communication à quelques-uns et dont la forme est marquée par cette volonté de limitation », par exemple les
argots à clefs (verlan…), les registres sociaux, les formes linguistiques de classes d’âge ou les langues familiales.
Calvet donne encore l’exemple de Français qui, travaillant aux Etats-Unis, utiliseraient le français entre eux
(fonction grégaire).
comme les publications écrites (littéraires, scientifiques, utilitaires, journalistiques, etc.) pour évaluer la
puissance culturelle.
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Les langues à l'ère d'Internet
Le facteur militaire
L'armée en tant qu'institution est un lieu de brassage des langues. Le service militaire a mis en présence
des gens venant d'un peu partout en France et a favorisé l'apprentissage de la langue des officiers mais
aussi des copains de régiment. Ainsi l'armée et le service militaire ont fait beaucoup pour la propagation
du français au début du XXe siècle.
Un célèbre maréchal français, Louis-Hubert Lyautey (1854-1934), qui contribua à l'expansion coloniale
de son pays, fit un jour la déclaration suivante: «Une langue, c'est un dialecte qui possède une armée, une
marine et une aviation.» De fait, les grandes langues doivent toutes leur réussite première à la conquête
militaire et à la colonisation, suite immédiate de l'occupation.
Le facteur linguistique
Le facteur proprement linguistique est principalement relié à la proximité ou la distance génétique (ou
typologique) des langues, puis aux problèmes relatifs à leur codification ou à leur normalisation.
L'idéologie linguistique
C'est une opinion très largement répandue que la force d'attraction d'une langue résiderait dans sa valeur
intrinsèque. Contrairement à ce que plusieurs pourraient croire ; cependant, il n'y a pas de langues en soi
plus aptes que d'autres à s'étendre dans l'espace. L'idéologie de la glorification des vertus de la langue n'a
jamais favorisé l'expansion ou la survie d'une langue sauf dans l'esprit de quelques idéalistes. Les
jugements de valeur qui portent sur l'esthétique d'une langue, ses qualités ou ses défauts, ses prétendues
dispositions et sa facilité d'apprentissage, relèvent de critères fort discutables et reposent sur des
considérations arbitraires.
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La clarté et la précision des langues : Certains affirment que le français, l'anglais et l'espagnol
sont des langues importantes en raison de leur clarté et de leur précision. Cela signifierait que les
locuteurs de ces langues seraient privilégiés.
La richesse et la pauvreté des langues
D'autres soutiennent que l'anglais et le français sont des langues riches par rapport à l'apache ou
au zoulou, réputés pauvres. On se fondera, pour porter un tel jugement, sur le nombre plus ou
moins important de mots spécifiques servant à désigner la réalité. Le français et l'anglais
compteraient quelques centaines de milliers de mots alors qu'on n'en relèverait que quelques
milliers en apache et en zoulou.
Les langues «primitives» et «évoluées»
De même, plusieurs croient à l'existence de langues primitives par rapport à desévoluées. Or, aussi
loin que l'on remonte dans l'histoire des langues, on n'a toujours affaire qu'à des langues évoluées,
c'est-à-dire développées, achevées, qui ont donc derrière elles un passé considérable dont on ne
sait rien, bien souvent. Toute langue évolue nécessairement dans le temps, sinon elle meurt. On
associe les concepts de langue primitive et de langue évoluée au développement du progrès
scientifique ou technologique occidental.
La beauté et la pureté des langues
D'autres encore soutiennent que telle ou telle langue est plus belle, plus douce, plus musicale
qu'une autre. De là à prétendre que la beauté supposée d'une langue favorise son expansion, il n'y
a qu'un pas... Mais les critères de la beauté correspondent à des clichés culturels, sujets à des
discussions dont l'issue est toujours aléatoire. En fait, on confond souvent la langue et le sentiment
que l'on éprouve pour le peuple qui la parle; un peuple que l'on estime aura une belle langue, un
peuple méprisé, une langue laide. Pour un francophone, l'anglais, l'espagnol, l'italien et le suédois
sont généralement considérés comme de belles langues; il est peu probable que les mêmes
personnes considéraient avec la même perception le créole haïtien, l'apache, le zoulou ou...
l'allemand des films de guerre («une langue dure, rude, militaire», diraient plusieurs). Pourtant,
beaucoup de locuteurs sont convaincus de la grande beauté de leur langue. Par exemple, lors de
rencontres scientifiques, certains érudits arabophones peuvent s'émerveiller de la beauté de la
langue arabe classique, ce qui fait sourciller plus d'un linguiste. Comme le soulignait le grand
linguiste André Martinet
BIBLIOGRAPHIE :
CALVET L. J., 1987, La guerre des langues et les politiques linguistiques, Payot, Paris.
CALVET, L.J. (1993) : La Sociolinguistique, Que sais-je ?, PUF, Paris.
GARMADI J., 1981, La sociolinguistique, Paris, PUF.
HAMERS, J.-F., BLANC, M., 1983, Bilinguisme et bilingualité, Dessart & Mardaga, Bruxelles.
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