Texte de base sur un travail présenté au cours d`Anthropologie

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Texte de base sur un travail présenté au cours d’Anthropologie juridique dans le cadre du DEA en Théorie du droit à
l’Académie Européenne de Théorie du droit - Année 2006-2007
LES FORETS DU BASSIN DU CONGO ENTRE UNE
PATRIMINIALISATION COMMUNE SOUHAITEE ET LES
NECESSITES LOCALES DE DEVELOPPEMENT.
Pour un diatopisme entre le global et le local
Par
Jean Paul Segihobe Bigira
E-mail : [email protected]
Aujourd’hui plus que jamais, la planète Terre vit une crise écologique qui ne cache plus
ses marques : le réchauffement climatique, la disparition progressive des espèces, la destruction
continue de leur habitat, etc. Les grandes avancées technologiques vont en même temps avec les
grandes menaces de dégénérescence de la vie sur terre. Cette situation a amené depuis maintenant
plusieurs décennies les décideurs politiques, les scientifiques et autres acteurs d’envisager un
développement qui s’inscrive dans la protection de l’environnement (voir à ce propos le Rapport
Brundtland). Plusieurs conférences internationales1 se sont tenues à cet effet et la question
fondamentale reste celle de savoir comment concrétiser depuis Stockholm (1972) l’idée d’écodéveloppement devenue développement durable à Rio (1992) ensuite à Johannesburg (2002) ?
S’agissant des pays africains et en l’occurrence ceux de l’Afrique Centrale, la protection
des forêts du Bassin du Congo2 a été au cœur des travaux lors du Sommet Mondial pour le
Développement durable de Johannesburg en marge duquel un Partenariat pour les forêts du
Bassin du Congo (PFBC) a été signé3. Compte tenu de leur importance on ne peut plus capitale
La Conférence des Nations Unies sur l’environnement, tenue à Stockholm, en juin 1972 ; la Conférence des
Nations Unies sur l’environnement et le développement, tenue à Rio de Janeiro, en juin 1992 ; le Sommet Mondial
pour le Développement Durable, tenu à Johannesburg, septembre 2002.
2
Le Bassin du Congo constitue le deuxième plus vaste massif forestier tropical du monde après celui de l’Amazonie.
Ce vaste bloc forestier qui renferme une diversité biologique remarquable et qui couvre près de 227,61 millions
d’hectares (FAO 2005) s’étend sur la République Démocratique du Congo, le Congo-Brazzaville, le Gabon, le
Cameroun, la République Centrafricaine, la Guinée Equatoriale et recèle plus de la moitié de la faune et de la flore
africaines. Mais ces forêts subissent des menaces sous forme de braconnage, d’exploitation forestière et minière, etc.
et chaque année, leur étendue diminue en millions d’hectares. Voir http://www.comifac.org/comifac/historique.htm
3
Les 34 membres fondateurs du PFBC rentrent dans trois grandes catégories : gouvernements ( le Cameroun, la
République Centrafricaine, la République démocratique du Congo, la Guinée équatoriale, le Gabon, la République
du Congo, la Belgique, le Canada, la France, l’Allemagne, le Japon, l’Afrique du Sud, le Royaume-Uni, les EtatsUnis d’Amérique et la Commission européenne), organisations intergouvernementales ( l’Organisations
internationale des bois tropicaux, la Banque mondiale et l’Union mondiale pour la nature) et organisations non
gouvernementales (le Jane Institute, Conservation international, la Wildlife Conservation Society, le Fonds mondial
1
dans l’écosystème à l’ère de grands problèmes environnementaux mais aussi du rôle déterminant
qu’elles doivent jouer pour le développement socio-économique de la sous-région à partir de leur
exploitation rationnelle, ces forêts alimentent des discussions d’ordre politique, juridique, socioéconomique, scientifique dont les contours anthropologico-juridiques restent à explorer.
Le débat sur la question du patrimoine commun de l’humanité appliqué aux forêts du
Bassin du Congo susciterait plusieurs oppositions tant dans le monde politique que dans les
académies des juristes. Pourtant, il nous semble que l’évolution du monde avec les problèmes
environnementaux amènerait certains décideurs politiques engagés dans le PFBC d’envisager
l’introduction de ce massif forestier, si pas certaines de ses zones4, dans ce qu’on a l’habitude de
nommer patrimoine commun de l’humanité. Nous nous poserons cette question (A) avant
d’envisager les forêts du Bassin du Congo comme étant des patrimoines nationaux aux portées
planétaires (B) et d’attirer l’attention sur la complexité liée aux exigences de la protection de ce
massif forestier en vue d’un développement durable (C) qui passe par la conjugaison du global et
du local (D). L’approche anthropologique du droit que nous empruntons pour nous inscrire dans
ce débat nous amènera à faire recours à la méthode diatopique et dialogale dans nos analyses
avec l’objectif de montrer la nécessité de tenir compte des réalités locales pour toute entreprise de
développement qui se veut durable.
A.
Vers la patrimonialisation commune des forêts du Bassin du Congo ?
L’implication politico-financière des pays développés5 dans ce partenariat est pour le
moins questionnante si pas « suspecte ». Progressivement l’idée de patrimoine commun de
l’humanité6 se chuchote au sujet de ces forêts mais elle se butte à une farouche opposition des
pour la nature, le World Resources Institute, Forest Trends, l’Association technique et internationale des bois
tropicaux et le Center for International Forest Research). En tant que groupe, les 34 partenaires se sont engagés à
financer et/ou mettre en œuvre des programmes pour la conservation et la gestion durable des forêts du Bassin du
Congo dont le montant s’élève à plusieurs dizaines de millions de dollars américains et d’euros. Voir
http://www.cbfp.org/partenaires.htm
4
C’est probablement l’un des objectifs que se sont assignés les organisateurs ( la Belgique, la France, la Grande
Bretagne, la Banque Mondiale ) de la Conférence Internationale sur la gestion durable des forêts en République
Démocratique du Congo qui s’est tenue à Bruxelles, au Palais d’Egmont, du 26 au 27 février 2007. Voir
www.confordrc.org
5
Les USA et la France par exemple se sont engagés à investir respectivement 52 et 37 millions de dollars pour le
financement de la gestion des forêts du Bassin du Congo. Voir www.cbfp.org; voir aussi Assitou Ndinga, Gestion
des fôrets d’Afrique Centrale. Avec ou Sans les concernés ?, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 72.
6
Sur les origines de cette notion, voir A.-C. Kiss, « La notion de patrimoine commun de l’humanité », in RCADI,
1982,II, pp. 109-119 ; H.R. Herrera Caceres, « La sauvegarde du patrimoine commun de l’humanité », in La gestion
pays abritant ce massif forestier qui les considèrent, chacun dans les limites de ses frontières,
comme étant une richesse nationale. Evidemment, de nos jours, il est tentant d’appliquer à la
protection de l’environnement une notion ayant une résonance générale voire métajuridique 7,
mais surtout faussement rassurante dans la mesure où elle connote l’idée de communauté et
d’implication de tous dans la responsabilité de la protection aussi bien que dans le droit de
jouissance. Les critères politiques de souveraineté ou économiques et financiers seraient
relativisés et déterminés par une exigence écologique supérieure parce que concernant l’humanité
toute entière8. Aussi, est-ce naturellement que l’on a suggéré dans divers forums réunis dans le
cadre de la préparation de la CNUED que les forêts reçoivent cette qualification juridique et par
suite, soient élevées à la catégorie d’un bien supranational, échappant à l’emprise de leurs
légitimes propriétaires qui n’en deviendraient alors que des gardiens, certes privilégiés, mais dans
l’intérêt de tous9. De toute façon, des formulations ambiguës telles que celles qui déclarent que
« les forêts tropicales humides sont de plus en plus considérées comme un bien environnemental
mondial à cause de leur biodiversité et de leur impact possible sur le climat »10 cachent à peine,
comme le relève Maurice Kamto, cette idée de patrimonialisation des ressources forestières au
profit de l’humanité, en particulier celles des pays en développement, puisque toutes les forêts
tropicales humides y sont situées11.
S’agissant de la notion de « patrimoine commun » appliquée aux forêts du Bassin du
Congo, les pays qui les abritent la considèrent comme un moyen pour les pays développés
d’avoir un accès libre à leurs ressources et de continuer sous un nouveau label leur exploitation. Il
est à noter que cette controverse se déroule essentiellement sur le terrain politique alors que l’idée
de patrimonialisation d’une ressource est par dessus tout une question juridique puisqu’elle
implique une opération de qualification qui ne peut se faire qu’à travers la détermination de la
des ressources pour l’humanité : le droit de la mer, Colloque de La Haye, 29-31 octobre 1991, Martinus Nijhoff
Publishers, 1978, pp. 125-126.
7
Lire avec fruit l’approche morale de la notion de patrimoine commun de l’humanité faite par Henri Sanson, « Le
droit de l’humanité à une Maison-Terre habitable », in L’avenir du droit international de l’environnement, colloque
de La Haye, 12-14 novembre 1984, Martinus Nijhoff Publishers, 1985, p. 443.
8
Voir E. Le Roy, « Le patrimoine commun, notion juridique en évolution », in E. Le Roy, A. Karsenty, A. Bertrand,
La sécurisation foncière en Afrique. Pour une gestion viable des ressources renouvelables, Karthala, Paris, 1996, p.
53.
9
Voir Maurice Kamto, « ‘Les forêts, patrimoine commun de l’humanité’ et droit international », in M. Prieur et S.
Doumbe-Bille (dir), Droit, forêts et développement durable, Actes des 1ères journées scientifiques du Réseau « Droit
de l’Environnement » de l’AUPELF-UREF à Limoges, France, 7-8 novembre 1994, p.79.
10
« Forest Policy : An Approch paper », Banque Mondiale, 25 octobre 1990.
11
M. Kamto, Op. cit., pp. 79-80
catégorie appropriée pour classer en droit la ressource ou la chose concernée12. La qualification
s’entend, en effet, du processus par lequel le juriste fait entrer les faits pertinents dans le monde
du droit13 ; c’est par elle que le droit se saisit du fait. Ainsi, qualifier les forêts du Bassin du
Congo de patrimoine commun de l’humanité, c’est au fait les faire entrer dans la catégorie des
biens, c’est-à-dire, des choses dont le titulaire serait l’humanité. Cela n’est possible qu’à la
condition que leurs titulaires actuels, les Etats du Bassin du Congo, renoncent à leurs titres sur
ces biens au profit de ce nouveau titulaire.
En associant patrimoine et commun, il se dégage l’idée d’une richesse qui nous est
confiée par héritage à charge pour nous de la transmettre à nos successeurs. Il faut aussi y
associer le principe, à l’inverse du Code civil, que nul n’est autorisé à sortir de l’indivision, c’està-dire que nous sommes solidaires de ce futur commun. Ceci entraînerait des droits mais aussi et
surtout des obligations qui s’imposeraient d’autant plus facilement qu’ils seraient le produit d’un
consensus et garantis par une autorité supra-nationale14. En revanche, la référence à l’humanité
exige du juriste un effort de conceptualisation. L’humanité n’a pas une personnalité juridique,
elle ne peut donc être l’auteur d’une universalité juridique que représente un patrimoine dans son
sens civiliste et ne pourrait donc pas ester en justice ou pour le moins y avoir des actions
patrimoniales, celles-ci devant être exercées par des personnes juridiques.
Le questionnement que suscite la patrimonialisation commune de l’humanité des forêts du
Bassin du Congo pourrait donner lieu à plusieurs tentatives de réponses parfois même opposées
sinon contradictoires selon les approches utilisées pour appréhender ce « phénomène juridique ».
En utilisant une approche strictement positiviste du point de vue du droit international, l’on
pourrait arriver à une proposition telle qu’il est impossible de considérer ces forêts comme un
patrimoine commun de l’humanité compte tenu de l’inadéquation de cette notion appliquée aux
massifs forestiers, de sa pertinence juridique contestable résultant d’une incapacité objective du
titulaire du patrimoine de s’acquitter des devoirs et des responsabilités qui lui incombent à ce titre
et surtout de son efficacité non assurée15. Cette position sera encore confortée avec un regard
rétrospectif sur le sort réservé au patrimoine commun dans le domaine du droit de la mer, qui fut
12
Idem.
Lire C. De Klemm, G. Martin, M. Prieur et J. Untermaier, « Les qualifications des éléments de l’environnement »,
in A. Kiss (dir), L’écologie et la loi , Paris, L’Harmattan, 1989, p. 51.
14
E. Le Roy, Op. cit., p. 53.
15
C’est l’avis partagé par M. Kamto, in Op. cit., pp. 81-84.
13
quasiment un échec16. Même, en abordant cette problématique par une approche anthropologique,
nous arriverons certes à des résultats moins péremptoires comme dans le cas que nous venons de
citer mais du moins des propositions qui témoignent d’un éclectisme qui s’impose par le dialogue
de plusieurs cultures.
En se situant dans la vision africaine, la forêt tout comme la terre représentent des
symboles à signification plurielle et conditionnent la façon de vivre des africains (dans certaines
cultures c’est dans la forêt que se fait la circoncision, l’initiation à la vie dans la société, le
passage de l’âge d’adolescence à l’âge adulte, la passation des pouvoirs coutumiers, la chasse au
gibier et la coupe du bois de chauffe domestique, l’habitation de l’animal totem de certaines
tribus etc.). Bref, la forêt remplit multiples fonctions qui sont écologique, économique, culturelle
et sociale. Elle participe à la réglementation des climats, à la protection des sols, des sources et
des réseaux hydrographiques ainsi qu’à la diversité biologique. Elle constitue un terrain de
prédilection pour l’élevage, l’agriculture, la chasse et la pêche. Elle est source d’emplois et
génère des devises17.
Ainsi, appliquer aux forêts, en l’occurrence celles du Bassin du Congo, la notion de
patrimoine commun de l’humanité relève quelque peu de l’absurdité aux yeux des populations
riveraines compte tenu du rôle qu’elles jouent (tel que nous venons de le mentionner) et constitue
une aporie juridique qui ne tient pas compte des réalités sociales des pays concernés. Plusieurs
raisons justifient l’inadéquation de la notion de patrimoine commun de l’humanité en matière de
gestion des forêts du Bassin du Congo. Nous en relevons deux .
D’une part, nous référant à l’origine de cette notion, il importe de rappeler le contexte
particulier qui l’a vu naître et surtout souligner qu’elle a été forgée pour qualifier une ressource
particulière considérée jusque là comme une res communis par nature : les ressources des fonds
marins au-delà des juridictions nationales en l’occurrence celles de la haute mer. L’appropriation
de ces ressources au profit de l’humanité était possible parce qu’elles n’étaient placées sous la
juridiction d’aucun Etat. D’ailleurs les discussions sur ce nouveau statut juridique des fonds
marins furent ardues et la notion est aujourd’hui remise en cause, ou à tout le moins vidée de son
16
En effet la renégociation de la partie XI de la convention de Montego Bay par un Comité restreint créé à cette fin a
consacré définitivement la ruine de cette notion.
17
Delphine Edith Adouki, “Rapport national du Congo”, in M. Prieur et S. Doumbe-Bille (dir), Droit, forêts et
développement durable, Actes des 1ères journées scientifiques du Réseau « Droit de l’Environnement » de
l’AUPELF-UREF à Limoges, France, 7-8 novembre 1994, p.139.
contenu18. Ainsi, étendre cette notion à d’autres types de ressources naturelles, en l’occurrence
les forêts qui sont sous juridictions nationales paraît manifestement abusif et de nature à
accentuer l’érosion qui caractérise non seulement la notion en question mais aussi la conception
qui est faite du développement durable.
D’autre part, nous y avons fait allusion dans les lignes qui précèdent, la notion de
patrimoine commun de l’humanité appliquée aux forêts du Bassin du Congo se heurte dans son
application à l’indétermination du titulaire du patrimoine19. En effet, qui est l’humanité ? Qui en
est la représentation concrète voire physique ? Qui peut parler et agir en son nom ?20. Les parties
à l’instrument juridique qui consacre la notion et notamment en ce qui concerne les forêts du
Bassin du Congo celles qui se retrouvent dans le Partenariat signé le 4 septembre 2002 à
Johannesburg ? Une tentative de réponse à ces interrogations a été faite. Elle indiquait qu’ « en
réalité, soit un organe international, soit au besoin les Etats qui sont parties au traité servant de
fondement au patrimoine commun de l’humanité peuvent représenter les intérêts de l’humanité
titulaire des droits du patrimoine commun de l’humanité »21. Cette solution est très discutable
dans la mesure où elle tend à confier le rôle de représentation de l’humanité, qui contient l’idée
de l’ensemble de l’espèce humaine, à un groupe d’Etats non expressément mandatés à cette fin, et
dont le seul mérite serait d’être partie à une convention22.
En tout état de cause, l’ambition de parvenir à un contrôle international de la gestion des
forêts sous le couvert de patrimoine de l‘humanité s’est toujours heurtée à l’opposition des pays
du Sud. Ces derniers veulent rester maîtres de leurs ressources, leurs richesses et l’on ne peut
faire autrement que d’attirer leur attention sur l’intérêt écologique collectif desdites ressources et
de les amener à les gérer dans l’intérêt de l’environnement mondial. Ainsi, la notion de
patrimoine nationale aux portées planétaires paraît plus adaptée.
B. Penser l’altérité à travers les forêts du Bassin du Congo comme patrimoine national
aux portées planétaires
18
Voir M. Kamto, Op. cit., p. 82.
Idem, p. 83.
20
Le concept lui-même pose d’énormes difficultés. Voir Sayeman Bula Bula, L’ambiguïté de l’humanité en droit
international. Leçon inaugurale à l’occasion de la rentrée académique 1998-1999 des Universités officielles du
Congo, Académie des Beaux Arts, Kinshasa, le 29 novembre 1998, 19 p.
21
Lire A. Kiss, « La notion de patrimoine commun de l’humanité », in RCADI, 1982,II, p. 237.
22
M. Kamto, Op. cit., p. 83.
19
Dans une de ses réflexions sur l’itinéraire anthropologique qui part de l’altérité à la
complexité, Etienne Le Roy met en exergue l’esprit de tolérance nécessairement indispensable à
toute démarche qui vise l’altérité. Il ne s’empêche pas de citer l’affirmation de Jean-Jacques
Rousseau reprise par Claude Lévi-Strauss qui dit :
« Quand on veut étudier les hommes, il faut regarder près de soi ; mais pour étudier l’homme, il faut
porter sa vue au loin ; il faut d’abord observer les différences pour découvrir les propriétés »23.
L’anthropologue dans ses investigations devra faire l’observation des comportements de
l’homme singulier, puis de ses relations avec d’autres hommes, avec les collectifs qu’ils forment,
et enfin l’emboîtement de ces divers collectifs dans la société. A ces trois étages, les
anthropologues du Droit ont tendance à ajouter, à la suite de Michel Alliot, un quatrième
étagement socio-culturel qu’on désigne comme « les traditions », regroupement de sociétés sur la
base du partage des archétypes qui les caractérisent et de leurs modes particuliers de
spécifications24. Cette dimension de tradition joue un rôle on ne peut plus fondamental pour les
sociétés africaines en général et particulièrement en ce qui concerne leur relation avec le foncier.
La notion de patrimoine nationale aux portées planétaires est, nous semble-t-il,
constitutive de l’altérité qu’il faudra obtenir de manière dialogale et non imposée à l’instar de la
majorité des dispositifs du droit international qui résultent des rapports de forces entre les Etats
dont les plus forts finissent par imposer leurs vues.
Il paraît à nos yeux que la tentation de certains Etats et certaines institutions à considérer
le massif forestier de l’Afrique Centrale comme un patrimoine de l’humanité pécherait par un
manque de découverte de l’altérité. L’altérité envisagée ici n’est pas celle fustigée par Francis
Affergan25 mais plutôt celle qui s’émancipe d’une manière ou d’une autre du « continuum », de
l’univers supposé homogène et épuisable à travers les lumières de la Raison. Il s’agit d’admettre
qu’il n’y a pas forcément un horizon universel pour comprendre nos vies en société, mais qu’il
Claude Lévi-Strauss, « Jean-Jacques Rousseau, fondateur des sciences de l’homme », Anthropologie structurale
deux, Paris, Plon, 1973, p. 47 cité à son tour par Etienne Le Roy, Le jeu des lois. Une anthropologie « dynamique »
du Droit, LGDJ, France, 199,Col. Droit et Société, Série anthropologique, p. 383.
24
Voir E. Le Roy, Op. cit., p. 382.
25
Effet Francis Affergan met en garde contre un glissement d’une perception de l’altérité à une approche en termes
de ressemblances/différences qui porte en elle ses limites à travers la création d’un continuum entre les deux pôles de
la comparaison : « nous » et « les autres ». L’altérité nous confronte à ce qui est « autre ». Et bien évidemment toute
prise de conscience d’une altérité présuppose une comparaison et donc aussi une reconnaissance de ce qui est
partagé, de ce qui unit. (…) si dans cette comparaison entre « soi » et « l’autre » on glisse vers une approche en
termes de ressemblances/différences on risque au bout du compte de voir l’autre s’évanouir et ne trouver à sa place
plus que sa propre image inversée. Voir Affargan Francis, Exotisme et altérité. Essai sur les fondements d’une
critique de l’anthropologie, Vendôme, PUF, 1987, cite par Christoph Eberhard, Le droit au miroir des cultures. Pour
une autre mondialisation, LGDJ, Paris, 2006, p. 18.
23
peut y en avoir différents26. Si avant d’envisager de considérer les forêts du Bassin du Congo
comme patrimoine commun de l’humanité, on avait pris au sérieux les peuples de cette partie de
la planète avec leurs weltanschauung, l’on devait reconnaître que leurs manières de percevoir le
monde, la considération qu’ils ont pour leurs forêts sont aussi légitimes que celles qui
caractérisent les autres peuples du monde. Nous vivons dans un « plurivers »27 qui nécessite un
dialogue permanent entre les cultures. Ce qui exige d’aller au-delà du simple débat, de la
controverse, pour déclencher un véritable processus de dévoilement mutuel des partenaires et de
leurs présupposés et positions respectives28. Pour emprunter les termes de Raimon Panikkar, le
dialogue dialogal différent d’un pur dialogue dialectique qui a comme corollaire une démarche
diatopique29 fait cruellement défaut dans les initiatives de développement. Ainsi, le droit qui en
résulte est porteur des apories de l’unidimensionnel alors qu’il aurait pu être rassembleur et
arracher l’adhésion de tous si sa normativité était tributaire de la multidimensionnalité.
Tout compte fait, les forêts du Bassin du Congo sont d’abord des ressources et des
richesses nationales, cependant les Etats possesseurs doivent les gérer ou les exploiter de façon
compatible avec le développement durable parce que ce massif forestier contient une biodiversité
d’intérêt écologique commun ou planétaire. L’impératif d’une approche diatopique, porte
étendard d’un dialogue dialogal entre les exigences planétaires sur la protection de
l’environnement et les nécessités existentielles de développement des populations du Bassin du
Congo, s’avère catégorique. L’altérité qui en découlera et qui sera pensée aura comme champ
d’action la patrimonialisation nationale des forêts du Bassin du Congo avec une ouverture au
monde. Evidemment l’altérité ainsi envisagée est le point de départ d’une complexité que revêt le
protection de l’écosystème de cette partie du continent noir.
C. La complexité liées aux exigences de la protection des forêts du Bassin du Congo
pour un développement durable
26
C. Eberhard, Op. cit, p. 18.
Idem.
28
Voir C. Eberhard, « Redéfinir nos responsabilités entre globalités et localités. Dialogues introductifs », in Droit,
gouvernance et développement durable, (sous la direction de C. Eberhard ), Cahiers d’Anthropologie du droit, LAJP,
Karthala, Paris, 2005, p. 11.
29
Raimon Panikkar, « The Dialogical Dialogue », in Whailing F. (éd.), The World’s Religious Traditions,
Edinburgh, T.& T. Clark, 311 p., cité par C. Ebrerhard, Op. cit., p. 11.
27
Dans son effort de découvrir et de mieux appréhender le phénomène juridique dans son
originalité à travers la diversité des sociétés, Michel Alliot a construit la théorie des archétypes
sociaux30. Celle-ci était nécessaire pour rendre moins ethnocentrique la comparaison entre des
traditions humaines qui ne partagent pas le même horizon de sens et qui de ce fait n’organisent
pas leurs perceptions du monde et leurs interactions avec lui en se basant sur les mêmes concepts.
Mais elle avertit en même temps de se garder d’enfermer l’autre dans une altérité qui n’est
qu’une construction intellectuelle31. Si il existe des différences dans la manière de considérer les
forêts entre les peuples africains, en l’occurrence ceux de l’Afrique Centrale, et ceux du monde
occidental, il importe de ne pas perdre de vue que l’explication de ces différences et l’approche
de l’altérité qui en sera préconisée relèvent des intellections situées dans des contextes bien
spécifiques32 et les situations concrètes, nos vrais « jeux du Droit » sont toujours complexes et ne
se laissent pas réduire à des explications monocausales et structuralistes33. L’approche
anthropologique est donc nécessaire pour s’ouvrir à la complexité que représente la conciliation
de la protection des forêts du Bassin du Congo, nécessaire au développement souhaité comme
durable et les multiples et variés rôles que jouent ces dernières pour les populations riveraines.
Parlant du développement durable et de ses implications pratiques, Etienne Le Roy note
que le paradigme fondamental de la conception actuelle du développement durable reste entaché
d’un ethnocentrisme qui, d’une part, considère que les causes du sous-développement sont dans
la démographie ou dans la pauvreté, alors que certains analystes commencent à mettre en cause
un environnement institutionnel inadéquat. D’autre part, ce paradigme considère que les solutions
aux problèmes de développement sont une fois pour toutes disponibles dans la panoplie de
l’économie marchande, ce qui fonde un universalisme auquel les sociétés en développement
doivent accéder en récusant tout ce qui, dans leurs propres cultures, peut y faire obstacle. Une
telle approche, qui porte au plus haut degré les conceptions développementalistes, nous dit cet
éminent chercheur, est d’une terrible naïveté34. En outre, elle interdit de prendre en considération
Lire avec fruit Michel Alliot, « Anthropologie et juristique. Sur les conditions de l’élaboration d’une science du
droit », Bulletin de Liaison du Laboratoire d’Anthropologie Juridique de Paris, n°6, 1983, pp. 83-117, republié dans
Michel Alliot, Le droit et le service public au miroir de l’anthropologie. Textes choisis et édités par Camille Kuyu,
Paris, Karthala, 2003, 400 p., particulièrement les pages 283-305.
31
Voir C. Eberhard, Op .cit., p. 21.
32
Voir Francis Afergan ; Geertz ; Kilami cités par C. Eberhard, Op .cit., p. 22.
33
C. Eberhard, Op.cit., p. 22.
34
E. Le Roy, « Les droits des populations autochtones et les forêts principalement dans certains pays francophones
d’Afrique noire », in M. Prieur et S. Doumbe-Bille (dir), Droit, forêts et développement durable, Actes des 1ères
30
le point de vue des acteurs marginalisés, notamment les populations autochtones, dans la gestion
et l’exploitation des forêts.
Pour envisager le développement durable des Etats du Bassin du Congo à travers, entre
autres, la protection de leurs forêts, il est indispensable de tenir compte des réalités locales
caractéristiques des modes de vie, des visions du monde des populations concernées
particulièrement leurs rapports avec la nature, en l’occurrence les forêts car
toute société dispose d’un ensemble de savoirs –savoir-faire et savoir-penser – qui expliquent sa
manière particulière d’organiser son rapport à son environnement et de le gérer selon une logique qui,
pour n’être ni cartésienne ni marchande, n’en a pas moins une certaine rationalisation qui doit être
prise en considération35.
Les exigences du développement durable, par la protection de l’environnement, doivent aussi
s’inscrire dans la complexité qui caractérise les sociétés africaines. Celles-ci requièrent pour leur
compréhension, qu’on saisisse de l’intérieur une explication qui ne s’obtient que lentement par
étalonnage rétrospectif de l’ensemble des expériences accumulées36. L’explication ainsi obtenue
est assez atypique si l’on reste uniquement dans l’univers rationaliste occidental qui fonctionne
selon les découpages de la réalité en « nature/culture », ou de la « société » en « politique »,
« économique », « juridique » etc37 mais nous fait découvrir une complexité qui induit incertitude
et instabilité38. Partant de cette considération, il peut paraître absurde de légiférer ou d’imposer
un droit aux populations riveraines des forêts du Bassin du Congo à partir des bureaux vitrés et
climatisés des institutions onusiennes ou des Conférences internationales, fût-il prétendument
pour le bien de l’humanité. Le travail de terrain et l’observation participante restent nécessaires.
C’est ici que nous pouvons encore souligner l’importance de l’anthropologie juridique et de sa
méthode.
La complexité que va découvrir l’anthropologue du droit est fondamentalement une
complexité assise dans les altérités, plus que par exemple une « complexité systémique » telle
qu’elle peut apparaître dans d’autres approches de théorie, voire sociologie du droit39 . Il va
notamment remarquer que la forêt est un élément de la personnalité du négro-africain. En effet,
journées scientifiques du Réseau « Droit de l’Environnement » de l’AUPELF-UREF à Limoges, France, 7-8
novembre 1994, p.415.
35
Idem, p. 417.
36
E. Le Roy, Le jeu des lois. Une anthropologie « dynamique » du Droit, Op. cit., p. 385.
37
Voir C. Eberhard, Le droit au miroir des cultures…, Op. cit., p. 23.
38
E. Le Roy, Op. cit., p. 387.
39
C. Eberhard, Op. cit., p. 22.
ce dernier vit en relation intime avec la nature environnementale. Cette proximité demeure
présente en zone de forêt. Cette dernière constitue pour les populations une source d’attraction et
de répulsion. Elle est une source d’attraction car elle fournit à l’homme son alimentation, les
matériaux nécessaires à son habitat, ses médicaments, son énergie et parfois son habillement. La
forêt est aussi une source de répulsion, car elle est perçue comme le siège des mannes des
ancêtres. Elle apparaît comme le domicile des génies. Qu’ils soient bienfaisants ou malfaisants,
ceux-ci sont toujours respectés, honorés et craints. Ces croyances débouchent sur
l’institutionnalisation de « forêts sacrées » soustraites aux activités humaines et soumises à des
rites particuliers officiés par des initiés. La forêt apparaît, par conséquent, comme une partie de la
personnalité de ses habitants40.
Par ailleurs, tout en restant uniquement sur terrain du Bassin du Congo, le « législateur »
qui a pris les soins d’aller sur terrain avant de légiférer va se retrouver devant des complexités de
la complexité (complexité au second degré) notamment que ce que représente la forêt pour les
populations du Cameroun, du Gabon ou du Tchad est différent de ce que pensent celles de la
République Démocratique du Congo, de la Guinée ou de la République Centrafricaine. Ou encore
de manière plus complexe (complexité au troisième degré) dans un même pays comme la
République Démocratique du Congo qui à elle seule prend plus de 60% des forêts de l’Afrique
Centrale avec une population qui se caractérise par une diversité culturelle importante, les
Congolais des provinces de l’Est et de l’Ouest n’ont pas par exemple forcément la même vision
de la forêt que les ceux des provinces du Nord et du Sud, parce que leurs pratiques et rapports
avec la forêt diffèrent. Même au sein d’une même province, l’Equateur par exemple, les
différentes ethnies qui l’habitent ne partagent pas d’identiques rapports avec la forêt. Si nous
quittons le terrain africain pour nous amener dans les forêts amazoniennes, les choses sont
différentes et ainsi le droit envisageable pour les forêts du Bassin du Congo ne sera pas
applicable pour l’Amazone. Et au sein même de l’Amazone les rapports avec la forêt diffèrent
selon que l’on est au Brésil ou dans un autre pays forestier de l’Amérique latine. La complexité
reste une évidence.
Ainsi, le droit qui doit s’appliquer à ces forêts du Bassin du Congo ne doit pas être celui
qui est proclamé ou imposé par des instances internationales qui ne tiennent pas compte des
40
Delphine Edith Adouki, Op. cit., p. 154.
interactions des sociétés concernées mais plutôt un droit négocié41, qui résulte d’un consensus,
bref un droit dans lequel se retrouvent les populations riveraines du massif forestier. C’est ce
droit qui pourra être effectif et contribuer de manière efficace et significative au développement
de ces populations, car après tout le développement est avant tout endogène avant que les
adjuvants extérieurs ne jouent leur rôle du reste nécessaire et utile. Ce qui oblige de penser la
juridicité sur les forêts du Bassin du Congo non pas à partir d’un a priori, mais en partant de la
totalité sociale42, les Etats du Bassin du Congo à travers leurs populations respectives devant être
le point de départ et l’horizon de toute patrimonialisation commune pour l’humanité de leurs
forêts.
Cependant, les périls occasionnés par une surexploitation des forêts ou une mauvaise
exploitation qui ne tient pas compte des conséquences néfastes sur l’écologie ne doivent pas
échapper à l’attention des populations du Bassin du Congo43. Il est vrai qu’il est nécessaire de
dialoguer, de tenir compte des réalités des populations autochtones, mais le développement
durable qui postule la protection de l’environnement, en l’occurrence les forêts du Bassin du
Congo pour notre réflexion, a des exigences dont il faut tenir compte, sinon ce serait un
développement qui pêcherait par manque de durabilité ou simplement rien du tout. Or les peuples
riverains des forêts du Bassin du Congo doivent améliorer leur bien-être. Ceci nous amène encore
une fois à nous situer du côté des Etats du Bassin du Congo. Les exigences du développement
durable liées à la protection des forêts du Bassin du Congo doivent être « inflexionnelles », c’està-dire elles doivent s’articuler autour des nécessités des populations locales. Cela ne doit pas être
des exigences extérieures, en l’occurrence occidentales, pour le développement de l’Afrique
Centrale (car les priorités de développement pour l’Europe, l’Asie ou l’Amérique ne sont pas les
mêmes pour l’Afrique) mais plutôt des exigences qui sont dégagées de la complexité assise dans
les altérités ci-haut évoquée et vont concilier l’exploitation des forêts du Bassin du Congo par les
Voir l’excellent ouvrage de Philippe Gérard, François Ost et Michel van de Kerchove (dir), Droit négocié, droit
imposé ?, Bruxelles, Publications universitaires Saint Louis, 1996, 703 p.
42
C. Eberhard, Op. cit., p. 23.
43
Le ministre belge de la coopération, Armand De Decker l’a bien rappelé lors de la Conférence Internationale sur la
gestion durable des forêts en République Démocratique du Congo (Bruxelles, 26-27 février 2007) en insistant sur le
fait qu’ « il faut apporter des réponses concrètes, plus structurelles, à la désastreuses déforestation, à la dégradation
irresponsable des habitats de la faune, à l’irrationnelles exploitation commerciale de ressources naturelles, ainsi
qu’à la disparition progressive de certaines espèces animales et végétales », in http://www.confordrc.org/viewfr.php
Nous pensons qu’au delà du discours politique, il faut qu’il y ait quelque chose de concret qui rompe avec des
méthodes avérées peu efficaces.
41
Etats comme patrimoine national et la protection de l’environnement qui a une portée planétaire.
La conciliation dont il est question exige un cadre pour sa réalisation : l’interculturalité.
D. L’interculturalité à travers la conjugaison des nécessités du global et les besoins du
local
Au regard de ce que nous venons de dire, l’interculturalité est comparable à un point
d’orgue dans l’exécution des partitions musicales composées des mélodies des populations du
Bassin du Congo qui expriment leur attachement à leurs biens que sont les forêts et celles
apportées par les peuples de la planète qui expriment leur souci de préserver la terre des
catastrophes écologiques par la protection de l’environnement. Cette psalmodie a pu être
harmonisée grâce à la méthode diatopique et dialogale.
Avec la mondialisation, le monde se rétrécit et un vaste champ des possibles est ouvert. Il
importe à cet effet de redéfinir nos responsabilités entre les nécessités du global et les besoins du
local44 car
« la mondialisation ne supprimera pas les repères. Elle les transformera en offrant à chacun plus de
possibilités et donc plus de responsabilités »45.
L’interculturalité que nous préconisons ici est celle qui résulte de la compréhension par le
reste du monde de l’originalité de la conception que les populations du Bassin du Congo ont de
leurs forêts. Mais elle ne se limite pas à ce stade car elle s’arrêterait alors au niveau d’une théorie
interculturelle du Droit qui, d’un point de vue des sciences sociales, fait avancer et éclairer
davantage comment des individus interagissent dans et pour la reproduction des sociétés tel que
cela ressort de la définition de l’anthropologie du Droit comme « ce qui met en forme et met des
formes à la reproduction de l’humanité dans les domaines qu’une société considère comme
vitales »46. Cette interculturalité doit aller au-delà et arriver, par un dialogue dialogal, à un
dévoilement de l’être de chaque partie (les peuples du Bassin du Congo et les autres de la
planète) et partant à un enrichissement mutuel. On s’acheminera alors vers une approche
interculturelle du Droit lors de laquelle on accepte que chacun des interlocuteurs parle de sa
perspective : chacun aura, à travers sa découverte de l’autre, ouvert plus grand sa fenêtre sur le
44
Lire avec intérêt C. Eberhard, « Redéfinir nos responsabilités entre globalités et localités. Dialogues introductifs »,
Op. cit., pp. 9-23.
45
M. Alliot, Le droit et le service public au miroir de l’anthropologie. Textes choisis et édités par Camille Kuyu,
Paris, Karthala, p. 388.
46
Voir C. Eberhard, Le droit au miroir des cultures…, Op. cit., p. 26.
monde, tout en restant conscient de l’originalité de la perspective qu’elle offre et de son
incommensurabilité partielle avec d’autres perspectives47. Dans cette approche interculturelle du
Droit, nous voyons émerger « le mythe du pluralisme et de l’interculturalisme de la réalité »48.
L’interculturalisme est profondément lié au pluralisme qui n’est pas la simple pluralité. En effet :
« le pluralisme est certes basé sur la conception de la pluralité, mais il inclut aussi une conviction que
quelque soit le degré de réalité que nos idées puissent avoir, elles ne sont pas toute la réalité. C’est une
attitude fondamentale, une conscience ontique, qui n’appartient à aucun échafaudage conceptuel
particulier . Elle surgit quand on reconnaît les limites de la raison et qu’on ne les identifie pas avec les
limites de l’Etre, c’est-à-dire quand on ne met pas sur le même pied la Pensée et l’Etre, quand on ne
présuppose pas l’intelligibilité totale du réelle »49.
Ceci reste un défi et une grande distance est à parcourir.
Pour y parvenir et lever ce défi, il paraît à nos yeux que la conjugaison de ce que demande
le global à travers la protection de l’environnement, en l’occurrence des forêts pour un
développement durable, et ce que veulent les Etats du Bassin du Congo reste indispensable. Pour
ce faire, la méthode dialogale et son herméneutique diatopique s’avèrent utile car elles nous
inscrivent dans une démarche qui ne saurait être purement comparative, mais se devra d’être
« imparative »50. C’est une démarche où l’essentiel n’est pas de comparer diverses expériences
par rapport à un standard prédéterminé, mais plutôt d’entrer dans un échange mutuel qui
contribuera à un enrichissement des parties mises en relation, ce qui implique une métamorphose
des parties en présence.
Pour essayer de conclure
Somme toute, les exigences mondiales pour l’environnement restent sérieuses et aucun
Etat ne peut les négliger ou les ignorer uniquement pour de raison d’ordre souverainiste.
Cependant, force nous est également de dire que les nécessités locales des populations riveraines
des forêts du Bassin du Congo doivent être prises en compte. Ainsi, il nous a paru abusif de
chercher à considérer les forêts du Bassin du Congo, compte tenu de leur importance dans
l’écosystème mondial, comme faisant partie du patrimoine commun de l’humanité (droit ambigu
47
Idem.
Robert Vachon, « Le mythe émergent du pluralisme et de l’interculturalisme de la réalité », Conférence donnée au
séminaire Pluralisme et Société, Discours alternatifs à la culture dominante, organisé par l’Institut Interculturel de
Montréal, le 15 février, 1997, 34 p. consultable sur http://www.dhdi.org
49
Idem, p. 7 ; voir aussi C. Eberhard, Op. cit., pp. 26-27.
50
Voir C. Eberhard, « Redéfinir nos responsabilités entre globalités et localités. Dialogues introductifs », Op. cit., p.
14.
48
par ailleurs) et ignorer, pour des raisons en tout cas qui ne concernent pas primordialement le
bien-être économique, social et culturel des Etats de l’Afrique Centrale, que ces forêts sont avant
tout un patrimoine national.
Le dialogue (la conjugaison) entre le global et le local s’offre comme la solution
appropriée. Et dans le contexte inéluctable de la mondialisation, on ne peut plus opposer
globalisation et localisation. C’est un couple rigoureusement uni, pour lequel on a d’ailleurs
fabriqué le mot ‘glocalisation’, un couple qui résume la phrase admirable du portugais Miguel
Torga : ‘L’universel, c’est le local moins les murs’51. Il est important que pour des raisons
mondiale de protection climatique à travers l’environnement des forêts les instances
internationales s’impliquent dans le Bassin du Congo. Cependant, la démarche peu appropriée
serait de gérer ce massif forestier sans les premiers concernés, c’est-à-dire, les peuples riverains.
51
M. Alliot, Op. cit., p. 388.
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