Pascal SCHMIDT Service d’ORL et de chirurgie de la face et du cou Hôpital Robert Debré, CHU de Reims [email protected] novembre 2002 OTORRHEES Généralités / définitions Pour les patients, c’est “l’oreille qui coule”, tout simplement. Il faut faire préciser la nature de cet écoulement, car: L’issue de cérumen, variable en abondance et en aspect selon les sujets, de jaune “miel clair” à brun foncé, parfois réduite à quelques miettes sèches plutôt squameuses, n’est pas une otorrhée stricto sensu car elle n’est nullement pathologique ! Otorrhée= écoulement anormal extériorisé par le méat auditif externe, sans précision de nature. Otorragie= écoulement de sang Otoliquorrhée= écoulement de LCR La majorité des vraies otorrhées sont séreuses, muqueuses, muco-purulentes, ou purulentes. Elles témoignent d’une poussée d’inflammation et/ou d’infection de l’oreille moyenne qui s’écoule dans le CAE (cas le plus fréquent) ou d’une inflammation/infection cutanée de l’oreille externe (moins fréquent). Diagnostic étiologique Le diagnostic étiologique est fait à partir de l’interrogatoire et d’un examen otoscopique précis. Souvent, ce dernier nécessite des conditions techniques (éclairage, microscope binoculaire, micro-aspiration) qui sont au mieux réunies en consultation ORL. En effet, l’examen direct à l’otoscope est souvent non contributif, en raison de l’encombrement du CAE par l’otorrhée. On se fie aussi aux circonstances d’apparition de l’otorrhée, à ses caractéristiques (apparence, abondance), aux antécédents otologiques, chirurgicaux et traumatiques du patient. OTORRAGIES : l’oreille saigne Otorragies traumatiques Otalgie aiguë + otorragie, après manoeuvre intempestive d’un objet dans le CAE. L’otoscopie montre souvent une simple plaie de la peau du CAE sans lésion tympanique, mais quelquefois il y a une lésion du tympan, qui est ecchymotique ou déchiré, (baisse auditive + acouphènes graves). Le diapason (Weber latéralisé du côté atteint) confirme la surdité de transmission. Avis ORL requis. Exceptionnellement un objet pénétrant atteint la chaîne des osselets et peut léser l’oreille interne (surdité de perception + sifflements +/- vertige périphérique). Avis ORL en urgence indispensable. La plaie cutanée cicatrise seule en général, la plaie tympanique aussi dans la majorité des cas en quelques semaines, et l’on n’a qu’à surveiller cela. Par contre, une atteinte d’oreille interne impose l’hospitalisation pour un traitement vasodilatateur et corticoïde en urgence, voire une exploration chirurgicale en cas de suspicion d’atteinte de l’oreille interne : fuite de périlymphe qu’il faut colmater. Otorragie chez un traumatisé de la face ou du crâne. (même s’il existe une plaie du pavillon de l’oreille, cela ne dispense pas d’examiner le tympan et le CAE. Un train peut en cacher un autre!...). Il s’agit d’une fracture du rocher ou d’une fracture du tympanal. La fracture du tympanal se voit dans les traumatismes de la mandibule: un impact sur le menton fait reculer les condyles mandibulaires qui fracturent l’os tympanal (typiquement: plaie du menton + otorragie). L’otoscopie montre une plaie et un rétrécissement de la paroi antérieure du CAE. A confier à l’ORL, pour traiter l’éventuelle fracture mandibulaire associée et recalibrer le CAE si nécessaire. Les fractures du rocher sont fréquentes, dans les traumatismes crâniens et volontiers en contexte de polytraumatisme. L’otorragie existe quand le CAE osseux ou le tympan sont lésés. Sinon, il y a seulement du sang derrière le tympan: hémotympan. L’otorragie des fractures du rocher peut s’accompagner d’une otoliquorrhée, noyée dans le sang de l’otorragie: on le voit parce que le sang qui coule de l’oreille fait une tache rouge sur l’oreiller ou la compresse, mais cernée d’une tache de liquide incolore plus grande: c’est le signe de l’auréole ou signe de la cocarde, qui est pathognomonique d’un écoulement de LCR. La prise en charge est ORL et neurochirurgicale. 2 Otorragies spontanées Deux cas possibles: Otalgie vive et brutale, oreille bouchée, otorragie de petite abondance après quelques heures: en dehors de toute notion traumatique, c’est probablement une otite moyenne aiguë phlycténulaire. Synonymes: myringite bulleuse hémorragique, ou encore otite “grippale”, en réalité sans rapport avec la grippe! Cela survient par très petites épidémies de quelques cas au printemps et à l’automne, chez l’enfant comme chez l’adulte. Le tympan est comme ébouillanté, fripé, avec des phlyctènes plus ou moins grosses à sa surface, débordant volontiers sur le CAE adjacent, avec un contenu séro-hémorragique. L’otorragie vient de leur rupture et soulage un peu la douleur. Traitement: comme une OMA bactérienne. seconde possibilité, plus fréquente peut-être: Otorrhée séreuse ou purulente qui dure depuis plusieurs jours puis apparition de petits saignements spontanés: c’est probablement un polype inflammatoire du tympan qui a saigné. Ce « polype » est un bourgeon charnu extrêmement friable et hypervascularisé, qui témoigne d’une inflammation intense (équivalent d’un bourgeon charnu à corps étranger). L’otoscopie faite par l’ORL sous micro-aspiration montrera une otite chronique cholestéatomateuse (rarement une otite chronique simple à tympan ouvert), ou plus banalement une réaction à corps étranger autour d’un aérateur transtympanique infecté (macération de squames tympaniques autour de l’ATT). Traitement: détersion des débris encombrant le CAE par des gouttes auriculaires et ablation éventuelle du polype s’il est gros, voire de l’aérateur lui-même s’il n’est plus fonctionnel. Une fois asséchée, l’oreille devra être revue “à froid” pour le bilan et le traitement de l’otite chronique quelle qu’elle soit. OTOLIQUORRHEES Une otoliquorrhée isolée est absolument exceptionnelle. Presque toujours, les écoulements de LCR par l’oreille sont traumatiques, après fracture du rocher ou intervention chirurgicale (cf. otorragies traumatiques). Très exceptionnellement, une otoliquorrhée post traumatisme peut persister, ce qui suppose que la fracture n’est pas consolidée (fracture translabyrinthique, passant au travers du labyrinthe de l’oreille interne et donc toujours avec une surdité totale), et que de surcroît le tympan est resté perforé. Le risque de méningite bactérienne est majeur (pneumocoque+++) et impose après bilan TDM une intervention chirurgicale de comblement pour obturer la fuite de LCR. En réalité, après un traumatisme le tympan cicatrise presque toujours, et si une fuite de LCR persiste, elle va s’extérioriser non pas dans le CAE mais vers le nez à travers la trompe d’Eustache: fausse rhinorrhée aqueuse, très suspecte parce qu’elle est est unilatérale et apparaît en décubitus chez quelqu’un dont l’oreille du même côté est totalement sourde depuis un traumatisme... Questionnez le patient sur ses antécédents de chirurgie ou de trauma crânien, et sur son audition du même côté!!! 3 OTORRHEES SÉREUSES, MUQUEUSES, PURULENTES Archi-fréquentes. L’otoscopie et l’interrogatoire conduisent au diagnostic: Otorrhées d’oreille externe Otalgie intense + otorrhée purulente peu abondante, synchrones, apparues peu après une baignade ou un lavage d’oreille, sans ATCD otitique (en principe). La douleur est exacerbée à la mobilisation ou au contact de l’oreille externe+++, ainsi qu’à la mastication: c’est pathognomonique d’une otite externe. Le tympan est normal, mais parfois difficile à voir tant la peau du CAE est tuméfiée et douloureuse. Traitement local: gouttes antibiotiques + antalgiques voire antibiotiques par voie générale. Il faut réexaminer l’oreille après 8 jours pour vérifier la guérison et la normalité tympanique. Attention si non-guérison de l’otite externe: penser à l’otite externe “maligne”, (en fait: otite externe avec chondrite et ostéite) chez le diabétique. (cf.: ce chapitre dans le cours sur les otalgies) Attention aussi si les signes d’otite externe, et principalement la douleur à la mobilisation du pavillon, sont apparus après plusieurs jours d’otorrhée et pas d’emblée. C’est alors plutôt une otorrhée d’oreille moyenne qui a secondairement déclenché, par macération, une inflammation douloureuse de la peau du CAE. On devra traiter l’otite externe pour elle-même, puis refaire le point sur l’otite chronique sous jacente! Autres otorrhées d’oreille externe: C’est plus rare. Citons: la fausse otite externe sur corps étranger du CAE, méconnu et qui se surinfecte. Chez l’adulte c’est un coton ou une boule Quiès oubliés (!), chez l’enfant ce peut être n’importe quoi. Tout rentre dans l’ordre après ablation du corps étranger, mais si la première tentative n’est pas réussie, il faut passer la main à l’ORL sans s’escrimer au risque de faire des dégâts! l’otite externe mycosique, avec peu ou pas de douleurs locales et un suintement purulent peu abondant. Le tympan est normal mais mal visible car le CAE est encombré d’un enduit plus ou moins crémeux, parfois avec un aspect de “moisi” évident. A confier à l’ORL pour prélèvement et traitement, souvent assez long d’ailleurs. la myringite granulomateuse est très peu symptomatique, au point que souvent le patient ne s’en aperçoit pas immédiatement. Il s’agit d’un très faible suintement provenant de la surface du tympan (non perforé), sans autre signe. L’épiderme du tympan s’est érodé superficiellement sur une surface plus ou moins grande, arrondie ou ovalaire, dénudant le mince tissu conjonctif sous-jacent qui suinte, avec un aspect de fins granulomes rosés, humides et luisants. C’est favorisé par l’humidité et la macération (CAE rétréci, port d’un embout obturant de prothèse auditive) et aussi par une mauvaise qualité de l’épiderme tympanique (tympans cicatriciels, tympans opérés). Les récidives sont fréquentes, parfois favorisées par la baignade. Traitement local: gouttes corticoïdes + antibiotiques, éventuellement arrêt temporaire du port de la prothèse voire chirurgie de recalibrage du CAE s’il est sténosé. L’écoulement provient de l’oreille moyenne et s’extériorise à travers le tympan. Il traduit: • soit une poussée infectieuse aiguë dans une oreille moyenne initialement saine et qui ne demande qu’à le redevenir (otite moyenne aiguë au stade de perforation tympanique spontanée), • soit une poussée de surinfection (acutisation : réchauffement) d’une otite moyenne chronique. L’OMAP spontanément perforée donne une otorrhée franchement purulente, précédée des signes usuels d’OMA (otalgie, fièvre) généralement chez un enfant de 3 mois à 3 ans, c’est à dire à 4 l’âge des OMAP! Traitement: cf. cours sur les OMA. n’oubliez pas de vérifier la guérison otoscopique... La surinfection d’otite séro-muqueuse chronique est déclenchée par une rhinite ou une pharyngite aiguë, avec plutôt moins de signes généraux que l’OMAP vraie, et aussi moins de douleur. L’écoulement est abondant, gluant, inodore. Traitement initial: celui d’une OMA en insistant sur l’intérêt du ttt local (gouttes ATB +/- corticoïdes). Il est indispensable de revoir l’oreille après assèchement de l’otorrhée, pour entreprendre la surveillance et le traitement de cette otite séro-muqueuse. La surinfection à tympan ouvert, (otite séro-muqueuse avec aérateur trans tympanique, ou otite chronique simple à tympan perforé), est déclenchée soit via la trompe d’Eustache, (rhinite ou pharyngite aiguë), soit par contamination directe de l’oreille à travers la perforation ou l’aérateur (baignade). Dans ce cas, il n’y a a aucun signe général autre que celui de l’éventuelle inflammation rhinopharyngée, et d’emblée l’oreille coule, sans douleur aucune. Après microaspiration des sécrétions, l’otoscopie montre une perforation arrondie “en plein tympan”, inflammatoire, ou bien un aérateur en place à travers lequel l’otorrhée sourd par saccades. Le traitement initial est surtout local, avec bien sûr poursuite de la prise en charge au long cours par l’ORL. (cf. cours) La surinfection d’otite chronique dangereuse, poche de rétraction ou cholestéatome, est elle aussi déclenchée par voie muqueuse (infection des VAS) ou par voie externe cutanée par une introduction d’eau dans l’oreille. Une otorrhée peu abondante et franchement fétide (odeur de peau macérée) est très suspecte de cholestéatome chez un sujet aux ATCD d’”otites”. Toutefois, l’otorrhée d’une otite chronique dangereuse n’est pas forcément aussi caractéristique, en particulier chez l’enfant où elle est bien souvent encore intriquée avec une otite séro-muqueuse toujours active. Seule une otoscopie attentive, après tarissement de l’otorrhée, sous microscope, permet de faire la part des choses. C’est extrêmement important puisque l’attitude thérapeutique qui en découle est très différente.(cf.cours otites chroniques) Le cas particulier des otorrhées sur une oreille opérée Après chirurgie de l’otite chronique, l’aspect otoscopique peut être très différent de la normale sans que cela soit forcément pathologique! Si l’on ajoute à cela les modifications supplémentaires apportées par une poussée d’otorrhée, il peut y avoir de quoi perdre son latin... Il est toujours préférable de reprendre avis auprès de l’ORL traitant du patient, même si cela ne dispense pas du sempiternel traitement local qui repose beaucoup sur des gouttes ATB. EN CONCLUSION Méfiez vous toujours d’une otorrhée de l’adulte, et des otorrhées à répétition de l’enfant. L’ otorrhée peut avoir une signification très variable en fonction de l’affection qu’elle traduit. Généralement, il faut traiter pour “assécher l’oreille”, afin de mieux faire le point otoscopique à froid après une ou deux semaines. Cela va de la simple OMAP perforée chez un petit enfant qui fait ses dents, ou du banal incident de parcours dans l’histoire d’une oreille d’enfant qui a une OSM et des aérateurs, à l’épisode otorrhéique révélateur d’un cholestéatome potentiellement grave et qui travaillait à bas bruit depuis des années. Un peu de flair clinique, une otoscopie attentive et un bon dialogue avec le correspondant ORL permettent d’y voir clair. 5