Institution et culture - Association Les Lampions

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Institution et culture
L’INFLUENCE DU CONFUCIANISME AU VIETNAM
Huguette Ballester,
Diep Ngoc Nguyen,
Psychologue clinicienne, Secrétaire de l’ADEPASE
Doctorante, Laboratoire PDPS, Université de Toulouse II
- le Mirail
ASSOCIATION POUR LE DEVELOPPEMENT
DE L'EDUCATION ET DE LA PSYCHOLOGIE
EN ASIE DU SUD-EST
Opérateur de la coopération professionnelle et universitaire
Présentation de l’ADEPASE :
L’Association pour le Développement de l’Education et de la Psychologie en Asie du
Sud-est (ADEPASE) a été créée à Toulouse en 1997. Elle est un opérateur de la
coopération professionnelle et universitaire en raison de sa double expérience :
- en enseignement universitaire, recherche et formation professionnelle des cadres
- en conseil et intervention dans les secteurs sanitaire et social, du travail et des
organisations.
Les actions de l’ADEPASE concernent en premier lieu le Vietnam (Hanoi, Son La),
mais font aussi l’objet de sollicitations au Cambodge et au Laos.
Les domaines d’intervention de cette association relèvent de différents domaines, à
savoir :
- La psychologie, l’éducation, le travail social
- La formation, l’orientation et l’insertion
- Le conseil et l’intervention en développement local
Les acteurs de l’ADEPASE sont des universitaires, des praticiens, des étudiants.
La Présidente : Odette Lescarret, Professeur Emérite de Psychologie, membre du
Laboratoire de Psychologie du Développement et Processus de Socialisation (PDPS) à
Toulouse.
L’ADEPASE est une association amie des « Lampions ».
I. Première partie : La transmission des valeurs confucéennes au Vietnam
1. L’influence du Confucianisme comme éthique politique et sociale :
Le Confucianisme a été introduit par les Chinois au IIIème siècle. Plus qu’une croyance
religieuse proprement-dite, le Confucianisme diffuse une éthique politique et sociale selon
laquelle l’homme ne peut se définir que par ses rapports à la communauté, que ce soit la
communauté familiale ou sociale, l’Etat etc. Pour le Confucianisme, l’individu est avant tout
un être social qui a des obligations envers la communauté.
L’influence de la Chine au Vietnam est forte pour des raisons historiques du fait de longues
périodes de domination sur les territoires vietnamiens. Le Confucianisme a continué à être
pratiqué après l’indépendance du Vietnam au Xème siècle et a fait l’objet d’une
reconnaissance par la cour royale. La domination chinoise de plus de dix siècles (les dix
premiers de notre ère environ) a donc transmis des systèmes de valeurs, essentiellement des
valeurs confucéennes qui font partie de la tradition et qui sont respectées par les vietnamiens.
Il s’agit pour nous d’apprécier l’impact psychologique des valeurs confucéennes sur les
personnes dans la société vietnamienne aujourd’hui.
Parmi les valeurs confucéennes, nous pouvons citer : le sens de la famille la piété
familiale), le respect de l’ordre et de la hiérarchie, le respect des règles, le sens des
convenances et de la modestie, la considération pour l’érudition, mais aussi des
qualités personnelles comme le courage, la persévérance et le respect de la parole
donnée.
Les valeurs du Bouddhisme, comme grand système de croyance aussi ancien que le
Confucianisme, joue également un rôle important dans la société vietnamienne actuelle dans
la transmission des valeurs. Le Bouddhisme est né en Inde vers 500 av. J.-C., il a été introduit
au Vietnam du Nord en 189 av. J.-C. quand des bonzes chinois sont venus pour y trouver
asile. Ensuite, au IIIème siècle, des moines bouddhistes de l’Inde sont venus s’installer au
Vietnam.
Parmi les valeurs bouddhiques, nous pouvons citer : la bienveillance, la compassion,
l’amour les uns envers les autres et l’égalité entre les êtres (Vietnam attitude, 2011).
D’un point de vue psychologique, le Bouddhisme apparait comme une tentative de
l’homme de mettre à distance les désirs et/ou les conflits psychiques, et la souffrance
que ceux-ci peuvent générer, en cultivant une certaine forme de détachement.
Mais, le Vietnam n’a pas fait que subir l’influence de la Chine du Nord, il s’est aussi tourné
tout au long de son histoire vers les civilisations du Sud-est asiatique dont il a assimilé les
influences culturelles.
Par ailleurs, l’organisation en communautés villageoises – công dông lang xa- typiques de la
société vietnamienne, a été un facteur de résistance forte au modèle politique centralisateur
chinois et au Confucianisme qui a ont été adoptés officiellement par les dynasties successives
(Ly, Trân, Lê) après l’indépendance du Vietnam au Xème siècle. Au niveau populaire, il y a
eu une forte résistance des sociétés villageoises par rapport à l’imprégnation de la culture
chinoise et au modèle politique centralisé chinois dans lequel le Confucianisme jouait un rôle
important pour maintenir un ordre social stable, dans lequel chacun reste à sa place dans le
respect d’une hiérarchie familiale et sociale (Do Benoit, 2011).
2. L’influence française :
La colonisation française a également eu une influence sur les valeurs, les attitudes et les
comportements des vietnamiens, puisque l’assimilation de la langue et de la culture françaises
a été imposée par le pouvoir colonial. Mais cela s’est fait de manière limitée, dans la mesure
où cette influence a surtout touché l’élite vietnamienne riche et lettrée des villes qui
fréquentait les écoles et lycées français, et les beaux-arts. Cette élite a pu ainsi s’imprégner
des valeurs occidentales, adopter le style français sur le plan vestimentaire,… En revanche, la
colonisation française a eu beaucoup moins d’influence en milieu rural (Vietnam attitude,
2011).
Les historiens du Vietnam notent qu’une des caractéristiques de la culture vietnamienne est de
parvenir à « vietnamiser » tous les apports, tous les éléments culturels qui viennent de
l’extérieur, de les faire concorder avec les siens propres, pour mieux les dépasser et innover
pour en faire autre chose, y compris le Confucianisme (cf. la notion de « bricolage » proposée
par Phan Ngoc). L’identité culturelle vietnamienne est pluraliste, elle se caractérise par une
grande adaptabilité et une capacité d’innovation (Do Benoit, 2011).
Sur le plan psychologique, cela pose la question de savoir ce que chacun, individu ou groupe,
fait d’une transmission culturelle ou psychique, comment il se l’approprie pour mieux la
subvertir et en faire autre chose : une création personnelle, une innovation collective.
3. Le sentiment d’identité nationale et le parti communiste :
Le Vietnam a été bousculé tout au long de son histoire par des guerres tragiques. Il est resté le
symbole d’un petit pays agressé par de grandes puissances étrangères qu’il a réussi à vaincre,
à chaque fois, grâce à un peuple courageux et indépendant. A différentes périodes de son
histoire, le Vietnam s’est libéré des chinois, des français, des américains et des japonais, entre
autres.
Quelques dates et périodes clés : (Mai Ly, 2009)
1884-1945 : Domination française et chute de l’Etat monarchique centralisé du Vietnam.
1945-1954 : Période d’indépendance nationale et de résistance à la reconquête française (Ho
Chi Minh lit la déclaration d’indépendance à Hanoi le 2 septembre 1945).
Cette période se caractérise par une critique radicale du Confucianisme, qui était
associé au féodalisme, et qui était à combattre au même titre que le colonialisme.
1954-1975 : Guerre contre les américains aboutit à la libération totale du Sud-Vietnam et à la
réunification du pays. Le 30 avril 1975, la prise de Saigon met fin à la guerre armée contre les
américains avec, au moins, 4 millions de morts côté vietnamien.
Néanmoins, pendant cette période, on va assister à un retour du Confucianisme par le
biais de la formation des cadres politiques du parti communiste vietnamien en Chine.
Ceux-ci vont adopter le modèle maoïste chinois et vont voir dans le Confucianisme un
outil idéologique pour soutenir le développement économique du pays. A titre
d’exemple, la réforme agraire vietnamienne de 1953 et 1956 va s’inspirer de la
« rectification idéologique » maoïste (Do Benoit, 2011).
1975-1986 : Restauration du pays après deux guerres libératrices, française et américaine.
Mais, en 1976 des conflits frontaliers avec le Cambodge et les Khmers rouges vont se
rajouter aux difficultés existantes et affaiblir la jeune république socialiste. Pendant toute cette
période, jusqu’à la fin des années 80 avec l’effondrement de l’Union Soviétique, le Vietnam
ne pouvait compter que sur les aides de l’URSS et des pays de l’Est puisqu’il subissait un
embargo commercial et financier américain. Le pays était isolé.
Depuis 1986 : Lancement d’une politique dite de Renouveau, période dite du dôi moi. On
assiste à une ouverture pour tenter de résoudre les difficultés économiques internes et
retrouver une place sur le plan international, d’abord en normalisant les liens diplomatiques
du Vietnam avec la Chine et les Etats-Unis, et en tissant des coopérations avec le Japon et
l’Union Européenne. Cette politique volontariste de Renouveau a contribué à instaurer une
dynamique de réconciliation sur le plan international mais aussi, en interne, sur le plan
national.
Durant cette période, le Vietnam est amené à réviser son adhésion au modèle
confucianiste en même temps que les conditions de son développement économique.
Aujourd’hui, le Vietnam est une société certes avec un seul parti au pouvoir (PC vietnamien)
mais qui a adopté ce que les vietnamiens appellent « l’économie de marché suivant
l’orientation socialiste », qui valorise l’initiative et la propriété privée comme moteur du
développement du pays.
Le « savoir-faire vietnamien » consiste à garder une certaine stabilité sociale et
politique, malgré les mutations économiques et les crises financières au niveau
international, tout en conservant partiellement des valeurs traditionnelles, issues du
Confucianisme, mais en ne se privant pas d’adhérer à certaines valeurs démocratiques
occidentales, comme les droits fondamentaux de l’individu, l’égalité entre hommes et
femmes (cf. le Livre blanc sur les droits de l’homme en 2005), (Do Benoit, 2011).
4. La famille et le mariage, les évolutions contemporaines :
Les valeurs traditionnelles confucéennes au sein de la famille sont encore présentes au
Vietnam. Historiquement, jusqu’au XXème siècle, le mariage est une question essentielle, non
seulement pour les jeunes mariés en premier lieu, mais aussi pour la famille élargie dans le
système de parenté. Dans la conception confucianiste, le mariage vise à perpétuer le lignage
par la procréation, surtout celle des garçons. Mais, le mariage a également une fonction
économique dans laquelle l’épouse n’est pas seulement une mère, elle occupe aussi la place
de travailleur principal et gère tous les problèmes de la maison de son époux. C’est pour cette
raison que les familles mettaient un soin particulier au choix de la bru (bonne santé et capacité
de travail de la belle-fille). Ainsi, en vertu des conceptions confucéennes : « La fertilité,
l’obéissance au mari, la piété filiale envers les parents du mari, tout comme la capacité à
apporter une contribution économique à la famille de l’époux dans le futur, sont considérées
comme les qualités individuelles les plus importantes. » (Gubry, 1994, p.86).
Au Vietnam, le mariage était arrangé par les parents ou par les personnes âgées de la famille,
et les individus n’avaient quasiment pas le choix. Le sentiment amoureux était peu ou pas pris
en compte. Grosso modo, cette famille traditionnelle vietnamienne va se perpétuer jusqu’en
1945.
Après la révolution d’août 1945, le mariage va connaitre des évolutions importantes du fait
des changements socio-économiques et des choix politiques qui vont être faits. Le nouveau
pouvoir opte pour des relations conjugales progressistes pour garantir la liberté de choix et
l’égalité entre hommes et femmes dans le mariage (la Constitution de 1946 décrète la
suppression de l’inégalité entre hommes et femmes). Plus tard, des lois sur le mariage sont
promulguées en 1959 et 1986 qui garantissent les droits de la femme dans la famille.
Nous sommes passés du mariage arrangé par la famille au mariage librement consenti, dans
lequel les individus jouent un rôle plus actif dans la prise décision de leur propre vie et du
choix du conjoint. Mais, les études montrent que le distinguo entre mariage arrangé et
mariage librement consenti n’est pas absolu. On parle plutôt de « collaboration entre les
individus et leurs familles », entre les générations, comme élément central dans les décisions
nuptiales (Gubry, 1994, p.97).
5. La situation de la femme, l’émancipation :
La société vietnamienne sort d’une longue période dans laquelle les valeurs confucéennes
étaient omniprésentes et se traduisaient par des discriminations à l’égard des femmes. Des
progrès importants ont été accomplis après l’indépendance de 1945 en faveur de
l’émancipation des femmes. Autrefois, l’accès des femmes à l’éducation officielle était
interdit, la femme n’était pas citoyenne en droit (Gubry, 1994). Dans la société traditionnelle
vietnamienne, la condition féminine était soumise à un code confucéen qui reposait sur quatre
vertus (tu duc) et trois soumissions (tam tong).
« Sage était celle qui répondait d’abord aux quatre exigences : công, dung, ngôn,
hanh. Công : une femme est avant tout une travailleuse habile, patiente et efficace ; en
vrai « soutien intérieur », elle assume toutes les tâches domestiques. Dung : beauté et
féminité, la femme incarne la paix, l’indulgence et la réconciliation. Ngôn : elle
maîtrise l’art de la parole qu’elle utilise autant avec justesse que justice. Hanh : enfin,
ayant un sens moral développé, une femme doit être soucieuse d’offrir aux autres des
actions positives. » (Do Benoit, 2011, p.77).
Toutefois, des études montrent que l’influence du Confucianisme n’a peut-être pas été aussi
forte au Vietnam que dans d’autres pays d’Asie orientale, avec l’existence de systèmes
juridiques différents (les droits des femmes y auraient été mieux protégés), (Gubry, 1994).
La guerre a également joué un rôle important, les femmes ont participé activement au combat
pour la libération du pays et ont remplacé les hommes dans les activités de production et de
vie quotidienne. Cette situation particulière a contribué à construire une identité de la femme
vietnamienne, combative et courageuse, conjuguant les valeurs confucéennes et la tradition de
lutte pour l’indépendance, alliant le sacrifice de sa personne et son engagement pour la justice
et la liberté (Gubry, 1994).
6. Les jeunes et les valeurs de la société vietnamienne :
De nos jours, l’idéal de la jeune génération au Vietnam est de pouvoir s’élever socialement.
Cette posture marque une rupture avec le passé et est à l’origine d’un écart de générations.
Car la réussite sociale se fonde désormais sur les qualités personnelles de l’individu, sur son
mérite personnel, ce qui amène les jeunes à s’affranchir de la famille et de leur communauté
d’appartenance, réduisant ainsi l’influence du Confucianisme sur les comportements. Ces
nouvelles valeurs sociales, liées aux mutations économiques du pays, modifient en profondeur
les relations au sein de la famille et les rapports entre les générations. Les jeunes vietnamiens
sont aujourd’hui davantage attirés par l’extérieur, par les valeurs occidentales, mais ils
conservent, malgré ces évolutions, le sens de la famille et le respect des anciens (Vietnam
attitude, 2011).
La deuxième partie de notre communication vise à présenter et à analyser, à travers une
recherche sur le terrain, l’influence du Confucianisme sur la vie moderne des adolescents
vietnamiens de la génération actuelle.
II. Deuxième partie : La place du Confucianisme dans la vie des jeunes vietnamiens
actuels - Quelques illustrations
Ces illustrations sont alimentées par des résultats d’une recherche en psychologie du
développement, qui porte sur la relation entre le mode d’identification des jeunes vietnamiens
et leur projet d’avenir ainsi que sur la façon dont cette relation est modulée par la pratique
assidue d’Internet de ces jeunes (Nguyen Ngoc Diep & Lescarret, 2011).
1. Le Confucianisme, influence-t-il la pratique d’Internet des jeunes ?
Les résultats de notre recherche nous indiquent que l’identité de genre des adolescents dans
notre échantillon joue en quelque sorte un rôle dans leurs centres d’intérêt ou dans leurs
activités fréquentées sur la Toile. Le genre de l’adolescent influence son style de pratique par
rapport à Internet. Alors que les centres d’intérêt en ligne des garçons concernent plutôt des
pratiques servant à faire des devoirs ou des tâches liées aux cours à l’école, les filles ont
tendance à être orientées vers la communication, l’échange social et les loisirs. Il est à
préciser que dans cette recherche, par nécessité de focalisation, nous avons distingué le jeu
vidéo des activités investiguées tout en gardant en mémoire qu’il est très fréquenté par les
garçons (Gross, 2004).
Pour revenir à l’essentiel, nous pouvons dire que dans notre échantillon d’adolescents,
Internet prend une place assez importante ; chaque adolescent utilise Internet en fonction de
ses centres d'intérêts. Pour les garçons de notre population, Internet, en remplaçant les
encyclopédies et les bibliothèques, est plutôt une ouverture au monde de la connaissance et de
l’information. Google pour eux est le moteur de recherche impeccable, leur recours préféré
pour trouver des informations sur le Web, servant en particulière à alimenter des devoirs
scolaires. Quant aux filles il s’agit plutôt pour elles d’une nouvelle façon de se faire de
nouveaux amis, de participer à des forums et aux événements sociaux, de se faire plaisir en
écoutant de la musique ou en voyant les vidéo-clips…
Alors, comment expliquer cette différence dans la pratique d’Internet des garçons et des filles
de notre population de recherche ?
Effectivement, à part des argumentations relatives aux différences typiques filles-garçons
(Gross, 2004 ; Declercq, 2008), une autre explication peut se trouver dans la mentalité
vietnamienne qui, influencée par le Confucianisme, privilège le rôle de l’homme par rapport à
la femme dans la famille ainsi que dans la société. Pour être encore plus précis par rapport à
notre présentation de la place de la femme dans la première partie, à l’heure actuelle, malgré
la modernisation et tous les avantages qui s’ensuivent, la représentation de la femme dans la
société, dans la littérature, dans les arts, dans les médias, chez les hommes et chez les femmes
elles-mêmes (!) reste encore très marquée par la modestie, liée souvent avec la soumission, la
douceur, le sacrifice, l’abnégation... La société demande en général aux femmes d’accepter
d’être « perdante » par rapport aux hommes (Bosc, 2010a). Dans une société où la place de la
communauté et de la collectivité est déjà très honorée, où tout tourne indispensablement
autour de la famille, une femme a appris à toujours penser d’abord à son mari, à ses enfants, à
la réputation, la « face » de la famille. Très souvent, elle n’est pas considérée comme un
membre à part entière de sa famille d’origine qu’elle quittait en se mariant (Le Thanh Khoi,
2002).
Ce rapport homme-femme au Vietnam apparaît être toujours d’actualité, car il existe
aujourd’hui un fort déséquilibre entre les sexes chez les nouveau-nés, qui « met surtout en
évidence une réalité bien connue au Vietnam, celle de la préférence pour les parents d’avoir
un garçon par rapport à une fille » (Bosc, 2010a, 116). Dans la réalité actuelle, la femme a
encore une position à double face au Vietnam. D’une manière, elle peut être respectée,
intégrée, valorisée grâce aux souvenirs de son courage pendant la guerre, sa beauté et sa
grâce, ses soins du ménage. Mais de l’autre, elle peut aussi être victime de la violence sociale
et familiale, amenée à effectuer les métiers difficiles comme le ramassage des ordures ou la
construction des maisons.
Donc, alors que l’éducation des filles et la reconnaissance des femmes reposent sur les vertus
qui responsabilisent la femme au sein de la famille, à propos de la réussite sociale et
professionnelle, la société et la famille vietnamiennes ont tendance à attendre beaucoup plus
des garçons. Dès sa naissance, il est attendu du garçon qu’il devienne « pilier de la famille ».
Comme les parents vietnamiens considèrent que les garçons sont souvent plus turbulents que
les filles, ils pensent qu’il faut bien les accompagner, les suivre et même « contrôler » ce
qu’ils font. Les attentes ainsi que les préoccupations des parents à propos des garçons les
amènent à beaucoup investir les domaines scolaires et d’apprentissage. Ceci peut expliquer le
fait que les garçons dans notre population de recherche s’intéressent plutôt aux activités en
ligne liées aux cours à l’école. Plus la réussite à l’école et aux concours est considérée par les
parents importante et est suivie par eux, plus le garçon se lance dans les pratiques qui la
favorisent.
En d’autres termes, nous pouvons dire que ce résultat de recherche trouve son appui dans les
résultats rapportés par Trinh Thi Linh (2010) et Van Thi Kim Cuc (2001) dans leurs
recherches sur les enfants et les adolescents vietnamiens qui confirment que pour les garçons,
les parents s’occupent plutôt des dimensions d’apprentissage et de réussite scolaire tandis que
pour les filles, les préoccupations des parents s’orientent vers les plans du caractère, des
qualités morales et des conduites sociales.
2. Quel effet actuel du Confucianisme sur la construction identitaire des jeunes ?
Un des résultats obtenus nous montre que les adolescents ont à la fois des modes
d’identification défensifs et constructifs. Alors que les modes défensifs permettent à
l’adolescent d’échapper à l’angoisse issue des conflits identitaires, les modes constructifs
favorisent en même temps l’unité du moi et l’appropriation d’autrui (Tap, 1988). Ce résultat
nous amène à chercher une explication dans le fondement culturel et contextuel de la
personnalité.
En effet, au Vietnam, d’après Van Thi Kim Cuc (2001), lorsque la scolarité de l’enfant, qui
s’avère très importante dans les représentations des parents, est abordée, les parents pensent
aussitôt à sa réussite scolaire car ce succès représente non seulement la réussite de l’enfant
lui-même mais également celle des parents, même du clan familial. D’ailleurs, la réussite
scolaire est souvent considérée comme une assurance pour la vie de l’enfant et aussi de ses
parents et de la parenté.
Ces représentations sont sans doute associées au contexte de la société vietnamienne des
années avant, durant et juste après la Réforme (1986). A l’époque et pour les urbains, seuls les
jeunes ayant de bons résultats scolaires pouvaient trouver un travail convenable ; quant à la
population rurale, il fallait réussir à l’école pour « échapper » à la vie agricole toujours dure et
difficile. Tout cela a amené presque tous les parents vietnamiens à avoir une attente intensive
et spécifique vis-à-vis de la vie scolaire des enfants, ce qui peut exercer des pressions sur le
jeune, lui faire peur et du coup l’inhiber.
Les adolescents de notre échantillon semblent avoir peur et être inhibés par les pressions
exercées par les attentes sociales et familiales, ce qui les conduit à se servir de l’identification
à l’agresseur. Or, ce qui correspond à une autre dimension de cette forme d’identification,
c’est que ces jeunes, y compris les filles, ne deviennent pas soumis, obéissants ou dénués
d’initiatives. A l’inverse ils et elles se débrouillent pour chercher une solution, trouver un
mode de réaction et s’approprier des moyens d’autonomie.
Cette réalité trouvée jusqu’ici dans notre recherche peut aussi être liée au contexte vietnamien
actuel qui se trouve dans une phase vraiment intensive de la rencontre entre le moderne et le
traditionnel. L’influence de l’ouverture vers l’international, l’arrivée des idéologies inédites,
des points de vue de l’extérieur, la présence et la domination des nouvelles technologies
d’information et de communication, d’Internet... font changer non seulement la structure
sociale et familiale mais aussi, et notamment, la mentalité des Vietnamiens. Par exemple,
durant le processus d’industrialisation et de modernisation, de nombreuses nouvelles
professions, nécessitant à la fois des compétences intellectuelles et des compétences sociales,
pratiques et manuelles, ont été créées ; les exigences spécifiques de ces nouveaux métiers ont
déclenché de nouvelles aspirations chez les parents. De plus, alors que pour les parents
vietnamiens dits « traditionnels », l’enfant idéal apparaît souvent comme étant sage, obéissant
et filial, les parents de l’heure actuelle préfèrent que l’enfant soit autonome et ils l’éduquent
dans cette perspective, ils insistent donc non seulement sur le plan scolaire, mais aussi sur le
plan des relations sociales, du savoir-faire et des compétences transversales. Quant aux
adolescents, dans un tel contexte, il se peut qu’ils aient appris à « jouer » entre l’identification
à l’agresseur et celle de maîtrise, juste pour se trouver un compromis entre la culture
traditionnelle et la modernité.
3. La transmission des valeurs traditionnelles dans la vie moderne des adolescents :
Quels sont leurs propres projets de vie ?
Dans notre population de recherche, les filles et les garçons se distinguent assez clairement en
ce qui concerne les attitudes vis-à-vis leur projet de vie ainsi que ses contenus.
Par rapport aux trois domaines du projet de vie des adolescents, nous pouvons d’abord
constater que les projets de vie présentent les dimensions familiales, professionnelles, sociales
et personnelles chez tous les adolescents, quel que soit leur genre. Mais pour aller plus loin,
les garçons ont des scores moyens plus élevés que les filles dans les deux domaines
« accomplissement personnel et professionnel » et « réalisation et développement de soi ». En
d’autres termes, sont plus privilégiés dans la vie des garçons que dans la vie des filles, les
projets permettant d’étendre les réseaux relationnels sociaux, d’atteindre des buts
professionnels et de se réaliser soi-même.
Améliorer la vie et les compétences personnelles constituent deux premiers motifs de la
construction du projet de vie des adolescents. Dans ce champ, il est intéressant de souligner
que la plupart des adolescents ne veulent pas établir leur projet du futur pour simplement faire
plaisir à leurs parents. Pourtant, parmi ceux qui le veulent, ce sont les filles les plus
nombreuses. Ainsi, les filles semblent plus sensibles aux facteurs liés à la famille, à des
proches et à la santé. Il est aussi à noter à ce point que pour les jeunes dans notre échantillon,
les médias et les amis n’occupent pas des places importantes dans leur motivation de créer le
projet de vie.
De plus, parmi les facteurs d’inquiétude de pour le futur, les facteurs concernant la vie
personnelle et professionnelle semblent déclencher plus de soucis chez les garçons que chez
les filles. Autrement dit, dans le futur, les garçons sembleront plus influencés par l’échec
scolaire et professionnel, par les concurrences dans le travail, par les difficultés rencontrées
dans la vie et dans les relations interpersonnelles.
A propos des entraves pour la réalisation du projet, pendant que les bouleversements dans la
vie personnelle sont le premier obstacle pour les filles aussi bien que pour les garçons, il nous
semble que nos adolescents ne prêtent pas d’attention particulière aux changements dans la
vie sociopolitique du pays.
Afin d’expliquer tout cela, il est nécessaire de revenir, encore une fois, aux ancrages
culturels de la société et de la famille vietnamiennes, où malgré la modernisation, l’éducation
familiale fonctionne encore selon des normes sociales référées au Confucianisme. Cette base
culturelle amène un garçon, dès son enfance, à s’orienter vers une vie plutôt « extérieure » et
sociale. Les tâches importantes exercent aussi sur lui des pressions à propos de la réussite
scolaire et ultérieurement professionnelle. A l’âge enfant ou adolescent, sa réussite scolaire
est exigée par ses parents parce qu’il ne s’agit pas uniquement de la fierté familiale mais aussi
d’un garant pour la vie financièrement aisée dans le futur. A l’âge adulte, la réussite dans le
travail se traduit pour lui par le fait qu’il peut gagner beaucoup d’argent. Ly Nguyen Thao
Linh (2005) a constaté que les jeunes ingénieurs vietnamiens ont un grand souci pour la
question financière, ils ont donc pour objectif principal de gagner plus d’argent dans les trois
prochaines années car être riche c’est une caractéristique importante de la réussite. Ces
exigences à la fois de l’intérieur et de l’extérieur font que depuis très tôt dans sa vie, même
avant l’adolescence, l’homme cherche à établir et réaliser ses projets professionnels et
sociaux. Les pressions sociales de la réussite ne lui apportent pas seulement des inquiétudes
mais aussi une énergie et une motivation pour mener à bien son projet, jusqu’à la réalisation
de soi.
Quant aux filles dans notre échantillon, les résultats descriptifs révèlent aussi ce fondement
culturel qui oriente leurs choix et leurs préoccupations. Tant au niveau du style d’engagement
dans le projet qu’au niveau des inquiétudes pour l’avenir, se trouve une place importante de la
famille et des parents. Ce résultat de notre recherche rejoint celui qu’ont trouvé en Europe
Bolognini, Plancherel et Halfon (2000) sur l’effet du sexe sur les stratégies de coping. D’après
ces auteurs, face à une situation stressante, les filles utilisent plus souvent l’expression des
sentiments négatifs, l’engagement, les relations proches (amis, adultes importantes…) ; et les
préadolescentes utilisent souvent des stratégies orientées vers la famille.
Conclusion
Si pour chaque société, la culture au sens large, incluant les réseaux de significations liés à
l’âge et au sexe, est toujours considérée comme le facteur essentiel dans la constitution de la
personnalité du sujet, celui-ci ne se contente pas d’être passivement modelé par ces
influences. La perspective psycho-dynamique en psychologie souligne au contraire comment
les influences profondes et archaïques de la culture ou d’une société sont intégrées par le
sujet, comment celui-ci y donne sens, se positionne et les articule avec les influences
nouvelles en provenance de cultures différentes. Si bien que les résultats ci-dessus de notre
recherche confirment en quelque sorte la complexité des expériences que les adolescents
vietnamiens vivent dans une telle situation socioculturelle, ils soulignent leur dynamique et
leur capacité d’intégration psychique, et révèlent leurs potentialités d’intégration sociale.
Les différences filles-garçons repérées dans notre recherche ne veulent pas dire que les filles
vietnamiennes ne cherchent pas une autre place dans une telle hiérarchie sociale et familiale,
ou qu’elles ne réussissent pas à l’école, au travail, dans la vie socioprofessionnelle. En
l’occurrence, une femme ou une fille dans une telle société entre le traditionnel et le moderne
se trouve souvent dans un dilemme où elle est « déchirée » entre l’aspiration au progrès social
et le poids des valeurs morales confucianistes qui continuent à effectuer une influence sur son
esprit. Il se peut qu’en utilisant Internet, elle se serve de l’échange avec autrui, de l’accès aux
informations et aux loisirs pour chercher sa liberté, pour confirmer son identité et pour
atteindre son perfectionnement.
Ainsi, concernant les projets de vie, nous tenons à souligner que pour les filles des résultats
originaux émergent : en effet, des éléments nouveaux se présentent et, quoique tissés dans le
traditionnel, ne sont pas traditionnellement typiques pour elles. Le fait que les filles soient
apparemment plus optimistes que les garçons par rapport à leurs perspectives de l’avenir nous
fait supposer qu’elles n’acceptent plus d’être passives. Elles s’investissent même davantage
que les garçons dans la planification du projet. L’explication peut toujours se trouver dans le
contexte vietnamien actuel, où le passage du traditionnel au moderne combine des valeurs
traditionnelles et des valeurs nouvelles. Ceci est, en effet, d’un côté, un risque pour quelques
sujets, mais de l’autre, une opportunité pour les autres qui veulent changer et dynamiser leur
existence.
Références bibliographiques
Vietnam attitude, Le petit guide des usages & coutumes, hors-série Guides Bleus,
Hachette, 2011.
Hiên Do Benoit, Le Vietnam : idées reçues, Le Cavalier Bleu, 2011.
Patrick Gubry, sous la direction de, Population et développement au Viêt-nam, KarthalaCeped, 2000.
Mai Ly Quang, Vietnam, Du passé vers l’avenir, Editions The Gioi, 2009.
Gross E. F., Adolescent Internet use: What we expect, what teens report. Applied
Developmental Psychology 25 (2004), 633-649.
Nguyen Ngoc Diep & Lescarret O., Culture virtuelle et culture traditionnelle au Vietnam :
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