L'Union pour la Méditerranée face à la crise économique et financière Intervention de Francisco Gómez-Martos1 (Aide-mémoire) Je partage largement ce qui a été dit par mes prédécesseurs Mais il est important de savoir que faire et comment faire pour que l'Union pour la Méditerranée(UpM)- aujourd'hui un peu "moribonde" – retrouve un nouvel élan vital. Il nous faut être à la fois pragmatique et idéaliste et bien en phase avec ce qui se passe dans les deux rives de la Méditerranée. Pragmatique, pour les aider efficacement à vivre dans des conditions dignes. Idéaliste, pour maintenir les valeurs qui sont les nôtres et qui pourraient être les leurs. Depuis Aristote jusqu'à Lipset il est bien connu que la démocratie ne se développe qu'avec une classe moyenne puissante. Celle-ci, dans les temps qui courent, marqués par la globalisation, aspire à un degré satisfaisant de bien-être économique et social. Malgré le fait que la crise financière n'a pas eu d'incidence directe (le système bancaire reste solvable), toutefois la récession des pays développés-notamment en Europe-a entrainé une baisse brutale de la demande externe en 2009(-30% de leurs exportations de marchandises) et de flux financiers internationaux (baisse de 31% des investissements directs étrangers IDE; de 20% des transferts des migrants) et de 5% de recettes de tourisme. Ces facteurs exogènes ont eu des répercussions significatives sur la consommation des familles et sur les équilibres budgétaires. La sortie de la crise ne s'annonce pas facile vu que les années à venir vont confronter les pays de la Méditerranée à trois difficultés majeures: Une croissance affaiblie, donc un chômage en hausse et des déficits budgétaires persistants, Des comptes extérieures toujours en déséquilibre(le solde négatif du commerce extérieur peut s'aggraver par le renchérissement prévu des matières premières importées(énergie, produits alimentaires) et; Moins d'entrées de capitaux. Dans ce contexte, l'incertitude qui découle de la transition démocratique vient se coupler aux difficultés pour sortir de la crise. Ceci dit, permettez-moi d'aller droit au but. Que peut-on faire au niveau européen pour soutenir les grandes transformations vers des sociétés démocratiques et vers la sortie de la crise des partenaires de la Méditerranée du Sud et de l'Est? Le Conseil européen de jeudi/vendredi dernier a proposé un "nouveau partenariat" avec la Méditerranée et a esquissé ses contours, mais son contenu reste à définir. À mon avis, je crois que l'UpM peut encore jouer un rôle moteur dans le cadre de ce "nouveau partenariat" à condition qu'on lui donne un nouveau souffle. À l'exemple de La Stratégie de croissance et d'emploi Europe 2020, on devrait imaginer une stratégie commune euro-méditerranéenne pour ce nouveau partenariat et pour cette décennie. Les points forts de cette stratégie sont, à mon avis, les suivants: Fonctionnaire du Parlement Européen. Les vues exprimées n’engagent que l’auteur et pas l’Institution pour laquelle il travaille. 1 1 1. En premier lieu, accroître par tous les moyens l'intensité des échanges commerciaux des partenaires méditerranéens avec l'UE. Pour réaliser le potentiel de commerce aujourd'hui inexploité on devrait agir sur trois leviers. Tout d'abord, améliorer l'accès au marché européen par l'adaptation des accords euroméditerranéens d'association, qui sont devenus partiellement obsolètes. Les études empiriques mettent en exergue que ces accords ont augmenté considérablement les importations des produits industriels des pays MED en provenance de l'UE tandis qu'ils n'ont pas eu un impact équivalent sur les exportations de ces pays vers l'UE. Ces résultats sont attribués à l'asymétrie de la libéralisation des échanges prévue par ces accords. En fait, depuis 1975 l'UE accordait déjà aux pays MED des préférences tarifaires qui assuraient le libre accès de leurs produits industriels au marché européen. Toutefois, au cours des 20 dernières années ces préférences se sont graduellement érodés par: L'élimination de l'Accord Multifibres à partir de 2005 La signature des accords européens d'association avec les PECO au début des années 90; L'irruption brutale de la Chine dans les marchés internationaux, notamment dans le secteur de produits textiles et l'habillement. La Chine, avec sa politique de "montée en puissance pacifique et harmonieuse" a évincé les produits textiles de pays MED (Turquie, Egypte entre autres) du marché européen et de leur propres marchés nationaux (exemple: le modèle chinois est déjà implanté en Egypte). Les difficultés de l'UE pour ouvrir davantage ses marchés agricoles, en particulier pour les produits "sensibles (secteur des fruits et légumes). Il convient, néanmoins, de rappeler que 80% des produits agricoles MED entrant dans l'UE en franchise de droits de douanes ou à des taux préférentiels (contre seulement 1/3 des exportations européennes). En conséquence, l'importance du déficit commercial des pays MED vis-à-vis de l'UE ne devrait pas être sous-estimée. En 2010, le déficit (sans la Turquie) a atteint 20.400 milliards d'euros ce qui représente 14% du commerce bilatéral UE-MED. Cette adaptation des AEA est prévue par le biais des futurs Accords de libre échange approfondi et global(ALEA), qui visent à instaurer la libre circulation de marchandises(mesures tarifaires et non tarifaires) des services, de capitaux et de la présence temporaire des personnes physiques à des fins professionnelles). Toutefois, pour ne pas accentuer les déséquilibres actuels il va falloir prévoir une asymétrie efficace des engagements et une progressivité de leur mise en œuvre. 2. Deuxième levier, renforcer et diversifier la base industrielle des pays MED, ce qui permettrait une participation accrue de ces pays aux échanges de biens intermédiaires, qui aujourd'hui représentent environ 50% des importations et des exportations de l'UE et du commerce mondial. L'exemple de l'Allemagne avec les pays de Višegrad ou de la Finlande et la Suède avec les pays baltiques suggèrent qu'on pourrait intensifier drastiquement les échanges entre l'UE et les pays MED à travers les stratégies de diversification intraindustrielles entre les entreprises européennes et méditerranéennes. À cette fin la création d'un cadre unique pan-euro-méditerranéen de cumul d'origine est une excellente initiative, pourvu que le système soit simple et facilement applicable. En outre, il devrait favoriser également le développement du commerce entre les pays du Sud. 2 3. Troisième levier, une politique plus active pour attirer les IDE par des vraies réformes institutionnelles créant un environnement favorable et sûr aux investissements privés. Un cadre que garantit une sécurité juridique. L'UE doit conditionner son aide-"more for more"-à des réformes institutionnelles permettant d'ouvrir l'économie et la société "au partage des opportunités économiques", aujourd'hui monopolisés par les groupes proches au pouvoir. Une économie de marché efficace et l'État de droit demandent des institutions telles qu'une autorité de la concurrence, un organe de lutte anticorruption, une justice impartiale, la transparence des marchés publics, une fiscalité redistributive et une administration publique compétente et honnête. Or, ces institutions, même si elles existent formellement, elles ne fonctionnent pas!!! La "révolte des jeunes arabes" montre que pour qu'une société puisse bénéficier des opportunités offertes par les réformes économiques, il faut d'abord faire des réformes institutionnelles qui s'attaquent aux privilèges et qui libèrent le talent et la créativité des sociétés. 4. Favoriser le déplacement de la frontière technologique des pays MED par la participation des Universités et centres de recherche aux projets nationaux et communautaires dans les technologies génériques clés. Stimuler également les échanges dans le secteur des industries créatives ayant une application horizontale et qui permettent d'accroître la valeur ajouté, la gamme et la demande internationale des produits locaux. 5. Chercher une sorte de "complémentarité démographique" entre l'UE et les pays MED par un "partenariat de mobilité et codéveloppement"(immigration hautement qualifié à caractère circulaire). 6. Favoriser le rattrapage du sous-équipement en infrastructures de biens publics essentiels(capital d'utilité publique). L'UpM en tant que "l'Union des projets" devrait conjuguer les projets de codéveloppement durable et des "projets transfrontaliers exemplaires". 7. Moderniser les marchés boursiers et financiers des pays MED par, entre autres: l'ouverture du capitale de la bourse aux banquiers et assureurs. la création d'un marché à terme. la création de marchés obligatoires. L'attractivité insuffisante des marchés boursiers et financiers dans les pays de la région constitue un frein pour les IDE et pour la croissance. 8. Développer la "complémentarité énergétique" entre l'UE et les pays MED(Le Sud de la Méditerranée revêt une importance stratégique pour la sécurité des approvisionnements de l'UE en gaz et en pétrole) par: l'adoption d'une approche concertée afin de garantir la sécurité énergétique et l'intégration progressive des marchés électriques sur la base de "réseaux intelligents"(smart grids), qui se traduirait à moyen terme par la mise en place d'une "communauté de l'énergie" entre l'UE et le Sud de la Méditerranée. la production et gestion des sources d'énergie renouvelables, en particulier les énergies solaires et éolienne. Le Plan solaire méditerranéen(PSM), un des projets phare de l'UpM, joue un rôle moteur dans ce domaine. 3 rééquilibrer le traitement accordé par l'UE aux opérateurs énergétiques de la MED par rapport aux opérateurs (fournisseurs d'Europe de l'Est, du Caucase et de l'Asie Centrale). 9. Mettre en œuvre un "Fonds européen pour la transition démocratique", soumis à conditionnalité, et visant à: Améliorer les conditions de vie; Réduire la pauvreté; Renforcer la cohésion sociale; Promouvoir une classe moyenne et Améliorer l'équilibre des territoires des pays concernés. (Assurer sa visibilité et favoriser le dialogue et la confiance). 10. Renforcer, au niveau international, l'espace régional euro-méditerranéen comme -ce que certains analystes appellent- "communauté de destin face à la globalisation". La globalisation, ses conséquences géopolitiques et la concurrence brutales des BRIC et d'autres économies émergentes interpellent aussi le "nouveau partenariat" euro-méditerranéen qu'il s'agit des négociations commerciales au sein de l'OMC ou du changement climatique. (L'absence d'une stratégie commune entre l'UE et les pays MED afin de contrecarrer les prévisibles conséquences négatives de l'élimination totale des quotas dans le secteur textile en 2005, a été très nuisible pour l'économie, l'emploi et les exportations dans la région méditerranéenne). 11. Les ressources financières, tant provenant du budget de l'UE que des prêts de la BEI et/ou d'une éventuelle "Banque régionale", devraient atteindre la "masse financière critique" adéquate pour contribuer aux objectifs du "nouveau partenariat". Le Conseil européen de la semaine dernière s'incline pour le renforcement (d'un milliard d'Euros) du plafond applicable aux opérations de la BEI en faveur des pays MED et d'étudier la possibilité d'étendre les activités de la BERD aux pays du voisinage Sud. À mon avis, la Méditerranée a besoin d'un signal fort. En 1990, l'Occident avait ratifié son engagement avec la transformation démocratique à l'Est par la création de la BERD. L'idée d'une Banque euro-méditerranéenne d'investissements, étroitement lié à la BEI, a toujours été soutenu par le Parlement Européen. Le rapport de la commission présidée par M. Milhaud a établi le bien fondé et la valeur ajoutée d'une telle proposition. En tout cas, un engagement financier adapté aux besoin de codéveloppement en Méditerranée pour la prochaine décennie est plus que jamais indispensable. Soutenir les grandes transformations des pays MED vers des sociétés démocratiques exige la générosité(financière, commerciale et autres) et la persévérance de notre côté. La voie vers le succès sera coûteuse et parsemée de difficultés, ce qui ne sera pas populaire dans le contexte actuel de récession économique, mais ça en vaut la peine!!...car une transition démocratique qui ne s'accompagne pas d'une amélioration du niveau de vie est une transition vouée à l'échec. 4 La démocratisation des pays méditerranéens est un point d'arrivée souhaitable, mais pas sûr. L'Occident, et l'UE en particulier, par action ou par omission, jouera un rôle déterminant pour que la balance s'incline d'un côté ou de l'autre. -oOo- 5