Introduction générale au théâtre

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D’après Alluin, B. et al. XXe siècle, 1 : 1900-1950, Paris : Hatier, 1991.
Quelque temps victime du triomphe du roman, le théâtre, qu’Edmond de Goncourt qualifiait
hâtivement de moribond en 1879, connaît au tournant du XXe siècle une éclatante renaissance.
Des auteurs aux talents divers répondent aux attentes du public, d’autres choquent le goût de
celui-ci avec une liberté de ton qui installe le genre dans l’avant-garde des recherches littéraires.
On assiste a un foisonnement d’œuvres dont la quantité défie l’énumération et où la chronologie
bouscule la logique : en 1896, Ubu roi d’Alfred Jarry est monté, la même année que Le Dindon
de Feydeau. En 1897, le drame en vers d’Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac triomphe à
Paris, alors que Paul Claudel écrit la seconde version de La Ville. Sans rupture affichée avec les
courants amorcés dans la seconde moitié du XIXe siècle, le théâtre de la Belle Epoque voit se
télescoper les écritures et les esthétiques.
1. Théâtres et comédiens
En dehors des circuits commerciaux du théâtre dit « de boulevard », la scène parisienne voit se
concrétiser des expériences novatrices, dues à des hommes du métier qui ne reculent pas devant
le risque de lancer des auteurs inconnus.
André Antoine
Au premier rang d’entre eux, il faut citer André Antoine (1857-1943). Acteur et metteur en scène,
il invente la formule du « Théâtre-Libre ». De 1887 à 1894 il y réalise, devant un public restreint
d’abonnés, des spectacles que des innovations de mise en scène font qualifier de « naturalistes ».
Les comédiens jouent dans des décors réalistes, parfois le dos au public. Un vrai feu de bois brûle
dans la cheminée. On mange de la vraie soupe sur la scène et les pendules marquent l’heure
exacte.
Aurélien Lugné-Poe
Concurrent d’Antoine, Aurélien Lugné-Poe (1869-1940) crée en 1893 le théâtre de l’Oeuvre en
montant Pelléas et Mélisande du BeIge Maurice Maeterlinck. Il y jouera Ibsen, Strindberg, mais
aussi, en 1896, l’Ubu roi de Jarry, et, en 1912, L’Annonce faite à Marie de Paul Claudel.
Jacques Copeau
L’Echange du même Claudel sera monté en juin 1914 par Jacques Copeau (1879-1949), qui a
pris en 1913 la direction d’un autre théâtre d’avant-garde : le Vieux-Colombier.
Sarah Bernhardt
Autres artisans du prestige de la scène française, quelques comédiens jouissent alors d’une
renommée qui dépasse les frontières. C’est le cas de Sarah Bernhardt (1844-1923), la plus grande
« vedette » de l’époque. Elle marqua son passage à la Comédie-Française par ses interprétations
des drames de Hugo et de la Phèdre de Racine (Proust se souviendra d’elle pour son personnage
de la Berma dans A la recherche du temps perdu). Elle se fit ensuite acclamer dans des rôles
travestis : Lorenzaccio de Musset, qu’elle joue la première à la scène en 1896, Hamlet de
Shakespeare et, en 1900, L’Aiglon, second succès d’Edmond Rostand, l’auteur du célèbre Cyrano
de Bergerac (1897).
2. Pièces sérieuses
Le réalisme social mis à la mode par le naturalisme (Les Rougon-Macquart de Zola finissent de
paraître en 1893) trouve sa place sur les planches. Une série d’oeuvres décrit ainsi sans
complaisance les rouages de la société de la IIIe République. Dans Les Affaires sont les affaires,
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Octave Mirbeau (1840-1917) dénonce le pouvoir de l’argent dans la vie moderne, en créant un
type nouveau de financier opportuniste, Isidore Lechat. La toute-puissance de l’argent inspire
aussi Henry Bernstein (1876-1953) dans ses premiers drames : La Rafale (1905), Le Voleur
(1906), Samson (1907).
Emile Zola pensait que la dénonciation des tares sociales devait favoriser leur disparition. Cet
optimisme moralisant est repris par ce qu’on a pu appeler « le théâtre d’idées » : des drames
parfois sommaires illustrent alors un problème précis. François de Curel (1854-1929), lecteur
d’Ibsen, met ainsi aux prises patrons et ouvriers (Le Repas du lion, 1897) et expose les risques du
pouvoir scientifique et de l’expérimentation médicale (La Nouvelle Idole, 1899).
3. Pièces gaies
La postérité a souvent conservé de la Belle Epoque l’image d’une période heureuse. Il est vrai
que ses dramaturges ont su cultiver le rire, avec une série de pièces légères qui n’ont pas toutes
sombré dans l’oubli.
Au premier rang de ces amuseurs, il faut citer deux maîtres du vaudeville : Georges Feydeau et
Georges Courteline (1828-1929). Ce dernier fut défendu par Antoine, qui monta en 1891 sa
première pièce, Lidoire, au Théâtre-Libre, puis Le Gendarme est sans pitié (1899), Le
Commissaire est bon enfant et L’Article 330 (1900). La Paix chez soi, créée par Antoine en 1903,
entra dès 1906 au répertoire de la Comédie-Française, signe de la reconnaissance officielle des
qualités littéraires de Courteline.
4. Pièces poétiques
Comme le naturalisme, le symbolisme connaît, durant cette période, quelques tentatives de
transcription théâtrale. L’écrivain belge Maurice Maeterlinck (1862-1949) fit ainsi jouer en 1893
Pelléas et Mélisande, un drame qui prit valeur de manifeste. En opposition avec toute prétention
réaliste, il met en scène des personnages aux contours estompés sur lesquels plane une fatalité
mélancolique dans un décor flou de forêt et de château obscurs.
La pièce trouvera sa pleine réalisation avec l’opéra que Claude Debussy en tira en 1902. Même
métamorphose avec Ariane et Barbe-Bleue (1901), qui devient en 1907 un opéra de Paul Dukas.
On peut voir dans ce mouvement vers 1’opéra le résultat d’une évolution logique. Le symbolisme
insiste sur la musique et le mystère, ainsi que sur les correspondances entre les sensations ; en
passant de la poésie au théâtre, il devait rencontrer l’opéra, qui unit les mots aux notes. Poètes et
dramaturges connaissaient aussi Richard Wagner : ses œuvres, du Tannhäuser qui enchanta
Baudelaire lors de sa création parisienne en 1861, jusqu’a Parsifal (1882), incarnaient l’œuvre
d’art totale dont rêvaient Mallarmé et ses disciples.
Les mots se suffisent pourtant à eux-mêmes dans l’œuvre d’un autre admirateur de Wagner, Paul
Claudel, dont le public ne découvrira la déconcertante grandeur sur la scène qu’en 1912 avec
L’Annonce faite à Marie. Dès 1890, il avait cependant publié Tête d’or et, en 1901, dans le
recueil de L’Arbre, des textes aussi importants que La Ville, L’Échange et La Jeune Fille
Violaine : un autre théâtre était ici donne à lire qui, une fois mis en scène, allait bouleverser le
répertoire du XXe siècle.
5. Le « boulevard »
Depuis le XIXe siècle, le terme de « théâtre de boulevard » s’impose comme synonyme de
théâtre populaire et de divertissement. Les hasards de la géographie parisienne sont à l’origine de
cette appellation: on connaît, ne serait-ce que par le film de Marcel Carné Les Enfants du paradis,
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le surnom de « boulevard du crime » donné à l’ancien boulevard du Temple. Mimes, comédies et
mélodrames sanglants y attiraient un public nombreux dès l’époque de la Révolution et de
l’Empire.
Le baron Haussmann fit raser cet endroit en 1862 pour ouvrir la place de la République et
percer les « grands boulevards ». C’est là que s’installèrent, à partir du Second Empire, de
nouvelles salles vouées au divertissement d’un public plus bourgeois. Ces salles essaimeront
d’ailleurs dans tout Paris, rendant illusoire la référence à un endroit précis de la capitale.
Reste, en dénominateur commun, un genre aux contours confus, qui se définit avant tout par son
goût de la facilité. Se produisent au « boulevard » des comédiens célèbres dans des œuvres dont
la qualité du texte compte moins que l’effet à produire sur le public. Celui-ci, sous la IIIe
République, aime à retrouver, sur le mode plaisant, ses préoccupations familières. L’intrigue
tourne ainsi de plus en plus autour de l’adultère. Le décor présente à satiété le même salon cossu.
Soubrettes et valets de chambre offrent un contrepoint piquant aux démêlés conjugaux des
bourgeois fortunés qui les emploient.
C’est dans ce cadre que s’inscrivent des œuvres qui dépassent par la qualité de leur agencement
et leur force comique cette production dramatique ordinaire.
6. Le vaudeville
II faut évoquer ici le genre du vaudeville. Lié dans ses origines à la chanson populaire, il désigna,
à la fin du XVII siècle et au siècle suivant, une comédie mêlée de couplets chantés. Au XIXe
siècle, il fut d’abord illustré par Eugène Scribe (1791-1861). Sous Napoléon III, Eugène Labiche
(1815-1888) fait triompher cette forme théâtrale qui va connaître au tournant du XXe siècle une
nouvelle métamorphose.
Débarrassé de ses couplets chantés (pour le chant, l’opérette, depuis Offenbach, a pris la
relève), ce vaudeville nouveau se définit avant tout par l’ingéniosité de l’intrigue, le refus
délibère de la profondeur psychologique et un cynisme joyeux. L’obsession des frasques
extraconjugales entraîne dans des situations aussi invraisemblables qu’irrésistibles les
personnages de Georges Feydeau. Georges Courteline, quant à lui, atteint à une satire des mœurs
du temps qui dépasse la simple fantaisie. II déclarait d’ailleurs avoir inventé le «vaudeville
littéraire» lorsqu’il écrivait pour le public du Théâtre-Libre d’Antoine, plus exigeant que les
spectateurs du boulevard, une pièce comme Boubouroche (1893).
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