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Retraite 1883
Ce soir 14 Août
Méditations sur ces paroles de Jérémie : (15-19)
« Si vous séparez ce qui est précieux de ce qui est vil, vous serez comme ma bouche ».
Il y a là tout le secret de la grande vertu d’humilité, qui consiste à séparer en nous, dans les
autres, et en tout, ce qui est précieux, c'est-à-dire les dons de la nature, de la grâce, les vertus,
etc. de ce qui est vil, c'est-à-dire des péchés, des défauts, etc.
En attribuant à Dieu seul ce qui est précieux, à nous même ce qui est vil et en tirant les
conséquences pratiques de cette distinction, nous offrons à Dieu l’or pur de l’humilité, qui est
vérité, c’est clair, et nous foulons aux pieds le vil plomb de notre amour propre. Alors nous
sommes comme la bouche de Dieu, nous parlons, nous agissons, nous pensons toujours selon
la vérité et la justice.
Que Jésus et Marie vous pénètrent de ces enseignements.
Etudiez en eux l’humilité.
Bouquet spirituel. O Jésus, doux et humble de cœur, rendez mon cœur semblable au
vôtre !
Lectures pendant la Retraite
Matin
Nouveau Testament
1er j. S. Mat. III Ch.
2è - S. Mat. V de 1 à 26
3è - S. Mat. Ch. VII
4è - S. Mat. VIII de 1 à 13
5è - S. Mat. XV – 1 à 28
6è - S. Mat. XVIII – 1 à 11
7è - S. Mat. XX – 17 à 28
8è - S. Mat. XXIII , 1 à 12
9è - S. Jean XIII, 1 à 15
Soir
Imitation
L.I Ch.2
L. II ch.2
L. II ch.11
L. III ch. 4
L. III ch. 7
L. III - 8
L. III - 9
L. III - 20
L. IV - 18
----Examen particulier sur l’humilité.
*
OUV. 188 - Orig.autogr.
14 août 1883
Retraite, 1ère oraison.
“Si vous séparez ce qui est précieux de ce qui est vil, vous serez comme ma bouche“.
J’ai vu si beau mon Dieu !! Si bien vu l’humilité !!! Dieu amour, créant sa créature pour se
revoir lui-même, en elle ; le péché qui n’est que l’âme se détournant de sa fin, Dieu, pour se
regarder elle-même en dehors de Dieu !! Tombée dans cet abîme incomparable‚ la créature ne
pouvait plus remonter, d’elle-même, à Dieu. Alors le Verbe a dit : “C’est moi qui franchirai la
distance. Elle ne peut plus venir à nous. J’irai à elle“. Et l’amour est revenu dans l’humanité
par l’Incarnation. L’Homme Dieu‚ plus que tout autre être‚ était, est anéanti‚ humilié en Dieu
1
? Après lui, qui a été, qui est, anéanti, humilié en Dieu comme l’Immaculée, qui l’a reçu et
porté en elle ? (J’ai contemplé aussi St Joseph).
A sa mort, Jésus nous a laissé son Sang. Bain d’amour qui nous lave du moi dans le Baptême,
la Pénitence. Il nous a laissé l’Eucharistie pour que nous nous détruisions en Dieu !
L’humilité, je la vois si belle !! Mais c’est l’amour rendu à l’âme. C’est l’amour-propre qui
meurt pour faire place à Dieu. Là, j’ai entendu une parole que je n’oublierai jamais : “Dieu
s’est anéanti jusqu’à toi. Anéantis-toi jusqu’à Dieu“. En même temps (mais c’est impossible
que j’explique cela) je voyais toute la distance que le Verbe a parcourue pour venir à
l’homme. Anéantir Dieu jusqu’à l’humanité ‚ quel abîme !!! Et je voyais aussi toute la
distance à parcourir pour que la créature remonte à Dieu. Anéantir l’amour-propre jusqu’à la
divinité, quelle cime !! Le Sang de la Rédemption, son feu divin, peut seul opérer cette
merveille. Comme il est facile de comprendre que le beau, c’est le moi qui s’absente,
s’anéantit. Le laid, c’est le moi qui règne, c’est l’Enfer déjà ! Je ne sais pas dire ce que je vois.
La justice, la vérité, c’est l’humilité et l’humilité, c’est l’amour, c’est nous-mêmes qui faisons
place à Dieu. J’ai pleuré mes péchés et, pourtant, il me semble que Jésus seul sait voir ma
douleur et ce que j’ai souffert. Est-ce orgueil ? mais il me semble que je ne puis plus perdre
mon Trésor ? qu’il trouve que j’ai été assez broyée et qu’il me consolera éternellement. Tout
perdre. Si ce trésor d’amour me reste, Père, est-ce perdre quelque chose ? L’amour s’est
donné encore bien plus à Marie ; mais tant à moi, aussi, il me semblait que je ne pouvais
m’empêcher d’être joyeuse ? “Cœur de Jésus doux et humble !’’ Si j’étais humble, je serais
plus calme sur la croix ? “Qu’il croisse et que je diminue.“ Le rien, l’humilité, n’a pas de
volonté et laisse l’amour détruire le moi.
J’ai eu mal aux mains et la vue du Crucifiement plusieurs fois. Ce qui est singulier, c’est que
Zange, qui ne savait rien, est juste venue me montrer à la chapelle une image de ce que je
voyais. Père, j’ai eu envie de mourir pour m’anéantir en Dieu. Mais ceci, encore, c’est ne pas
être humble ; le moi y est.
*
14 août 1883, soir
Retraite - Examen
L’humilité s’est montrée sous un jour nouveau : la destruction du moi ! Et je me vois partout
dans ma vie ? Je ne crois pas que de me juger soit dans ma voie ? Ni en bien, ni en mal ? Se
juger, c’est être. Mais m’anéantir en tout, ceci c’est ma voie. Partout où je me verrai,
m’anéantir, pour faire place à l’amour, voilà ma résolution. Alors je serai la bouche de Dieu ;
il y a longtemps que j’ai compris que ce sont nos passions ‚ le moi, qui nous empêche de voir
et de parler. J’ai eu une vue splendide de l’unité : que tout, toutes les vertus reviennent à
l’unité. Je le voyais si clair. J’étais très haut, je crois ; ce n’était pas à l’oraison.
Pendant mon adoration j’ai eu la contemplation de l’humble obéissance, pauvreté et chasteté
de Jésus à la crèche, à la croix et dans l’Hostie.
*
15 Août
1ère Méditation
----Sur ces paroles de N.S. « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur ».
( S. Mat. 11,29)
L’humilité est la vertu propre de Jésus : la bonté, la miséricorde, la justice, sont nature
en lui plutôt que vertu, mais l’humilité est comme son caractère particulier ; aussi en fait-il
l’apanage de l’humanité qu’il s’est unie.
2
St Bonaventure parlant de cette parole de Jésus dit que N.S. a résumé toute sa loi et
tout l’évangile dans cette leçon.
Considérez l’abaissement de l’Incarnation :
Le Verbe s’est fait chair.
--Bouquet et prière, comme hier :
O Jésus, doux et humble de cœur, rendez mon cœur semblable au vôtre.
--Toute la sainteté est là d’après Jésus lui-même.
*
OUV. 189 - Orig.autogr.
15 août 1883, matin
Examen
Le même.
Ne chercher que Dieu dans les créatures et tâcher qu’on ne cherche que Dieu en moi‚c’est
encore de l’humilité.
15 août 1883
Retraite - 2ème oraison
“Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. “
Oui‚ c’est du Verbe incarné que nous apprenons l’humilité. Dieu ne peut anéantir son être,
descendre. Il est l’amour parfait qui se voit et s’aime. La création, elle-même, donnait un effet
de plus à sa grandeur, mais le laissait dans cette éternelle grandeur. L’Incarnation ne change
pas l’être de Dieu, l’amour, mais elle donne à l’amour un effet nouveau. L’amour s’abaisse,
s’anéantit jusqu’à la chair. Le Verbe s’est fait chair. L’homme de chair Jésus s’anéantit, à son
tour, dans la divinité. Il n’est qu’amour.
“Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père“. Celui qui n’oppose aucune résistance à
l’amour est doux, car il est humble, c’est-à-dire que le moi n’existe pas en lui, mais seulement
l’amour !
Quel abîme, mon Père ! Vu à cette lumière, le cœur de l’homme est un océan d’orgueil,
d’amour-propre, où le moi fait, sans cesse, sa tempête. Si je me regarde sous cette lumière, je
vois bien que je n’ai pas d’humilité ? Que de vie personnelle, encore, dans ma vie ! Je veux
être ce rien de Jésus. Il a dit qu’il m’aimait parce que j’étais un rien. Hélas, je vois bien,
aujourd’hui, que je ne le suis pas encore. C’est parce que je ne suis pas un rien que je ne suis
pas douce et calme toujours.
L’Eucharistie, c’est le moi divin anéanti pour se faire moi. Pauvre, si pauvre moi, anéantis-toi
pour te faire hostie, amour !
Je veux être toujours prête à me laisser crucifier, humilier, anéantir, car, cela ne fût-il pas
nécessaire pour augmenter mon amour, c’est‚ en tous cas, un effet de plus à mon amour.
C’est trop beau tout cela pour le dire, Père ; une seule chose calmerait ce qu’une pareille
contemplation amène, c’est la mort.
Comment vivre sans s’anéantir comme on voit qu’il le faudrait ?
Comment vivre en voyant les créatures, comme d’autres Satan, s’anéantir si peu, ou point,
devant Dieu et devant l’amour sans borne du Verbe incarné pour tous ? Il a pris sur lui nos
péchés. Et dire que le trésor de ces belles vérités est ouvert à tous ! Qui boit à cette fontaine de
vie ? On boit le moi, l’or, qui est la mort. J’ai vu cet anéantissement de l’amour voulant aller à
l’extrême de la douce humilité. L’amour anéanti débute par la crèche, s’élève à la croix et se
couronne au tabernacle. Douceur ! Humilité !
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15 Août
2è méditation
--L’Assomption et l’humilité.
----C’est parce que Marie a le mieux appris et pratiqué la divine Leçon de Jésus doux et
humble, qu’elle est maintenant exaltée au-dessus de tous les anges et de tous les saints. C’est
elle qui nous le dit : Mon âme glorifie le Seigneur parce que le Seigneur a regardé l’humilité
de sa servante, et c’est pour cela que toutes les générations m’appelleront bienheureuses.
--Bouquet spirituel
Ecce ancilla Domini
--(Ordinairement le bouquet spirituel vous indiquera la résolution à prendre. Mais N.S. pourra
vous en inspirer d’autres ; alors vous me l’indiquerez.)
*
15 août 1883
Retraite - 2ème Méditation
“Le Seigneur a regardé l’humilité de sa servante”
Marie s’est, toujours, anéantie. Dès la Présentation elle s’humiliait ‚ se donnait pour faire
place à Dieu. Ecce Ancilla Domini. Elle le fit, encore, à l’Annonciation et au Calvaire, elle
n’avait que cela au cœur. Enfin dans son Assomption glorieuse elle s’anéantit en Dieu plus
que jamais, plus que jamais lui dit : “Voici votre servante“. Marie, anéantie dans son humilité,
a reçu l’amour. La Trinité s’est d’abord penchée, réfléchie dans son âme, par l’Immaculée
Conception. Ensuite elle a eu l’amour incarné en elle. Enfin elle a donné l’amour au monde, et
tout cela parce que son humilité persistait sous le regard de Dieu. Le moi disparaissait dans
l’amour. Les générations la nommeront bienheureuse. Elle triomphe, anéantie en Dieu.
Lorsque je médite l’Ecce Ancilla Domini, il me semble d’abord que je ne m’en lasserai jamais
; on dirait que je dors en Marie, dans elle.
Puis il se passe une chose singulière: il semble que je disparais en Marie, on dirait que c’est
elle qui est à genoux et non pas moi ; elle qui prie pour le monde et non pas moi. Je ne puis
pas expliquer cet effet. La première fois où ce voici de Marie m’a marquée, c’est juste le jour
de l’Assomption pour ma prise d’habit. J’ai vu que tout était là.
Il me semble que Dieu m’a fait tant de grâces dans cette année qui a passé ? La plus grande de
toutes, c’est qu’entre lui et moi je ne vois rien de volontaire ? L’an dernier l’amour s’était
penché sur moi. Maintenant j’espère que le Trésor évangélique repose en moi et, serais-je
seule à ne rien lui refuser (et vous aussi, Père ?), il me semble que le ciel se complairait ? Je
veux lui faire cette joie, Père, m’anéantir pour qu’il vive ? Ecce Ancilla Domini. Et qui sait,
peut-être je l’obtiendrai aussi pour les âmes ?
Je m’en irais bien par les chemins, petite mendiante, disant aux oiseaux et aux fleurs que je
veux être la servante du Seigneur.
Je le dirai là où il voudra ? Et comme il voudra ? Car c’est de tout mon être que je veux dire :
Ecce Ancilla Domini et l’être. J’ai appelé le triomphe de l’Eglise. Malgré moi, l’Ecce Ancilla
Domini me met toujours en face de cet appel. Elle appelait et portait le Messie.
J’appelle et, par moment, il me semble que je porte le Trésor évangélique, base du triomphe.
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15 août 1883, soir
Examen
Croiriez-vous que j’ai complètement oublié ce que je voulais vous dire de mon examen d’hier
soir. Je sais bien que je m’étais unie très fort à l’“Ecce ancilla Domini“, mais impossible de
me rappeler ce que je voulais vous dire : Je crois, pourtant, que c’était bon et beau,
*
16 Août
1ère méditation
--« Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur ».
----Apprenez-le ce matin à Bethléem !!!
Voyez comme l’humilité et la pauvreté sont deux sœurs jumelles, selon la pensée de
St Antoine de Padoue.
Demandez par N.P.S. François la grâce d’aimer et de pratiquer l’une et l’autre.
Bouquet spirituel
--Etre enfant avec Jésus enfant.
--Prière à la Ste Famille pour demander ces deux vertus pour vous et toutes vos filles.
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OUV. 190 - Orig.autogr.
16 août 1883, matin
Examen
M’anéantir, me laisser faire comme l’Enfant Jésus. Bien pure, bien petite. Je comprends que
dans cette année, j’ai fait un pas immense. L’amour l’a fait pour moi ? Mais comme je trouve
que j’ai été remuée par rien ? Père, je ne veux plus remuer, quand on me touche, parce que je
ne veux plus être ?
J’excepte mes peines d’âme (surtout quand je ne savais plus que c’était vous qui me
confessiez) ; là et sur toutes ces questions, j’ai passé par une torture où j’ai été courageuse, je
crois. Personne ne peut comprendre ce que c’était, ce que c’est encore même, bien que ce ne
soit plus qu’une goutte au regard d’un océan. Mais en dehors de ces peines, je vous ai bien
fatigué, et les autres aussi, de désolation pour peu de chose après tout ? Pardon à Dieu et à
vous. Je serai plus rien à l’avenir, j’espère.
Père, hier soir j’ai pensé à mes péchés et j’étais un peu triste, cherchant à me rendre compte
de leur gravité à l’aide des paroles qu’on m’a dites. Mais il me semble certain que je suis
incapable d’arriver à une solution, parce que bien sûr il y a en moi une porte fermée. Je suis là
comme une enfant qui ne sait pas. Aussi il me semble que je dois à l’avenir ne plus chercher à
rien comprendre de la gravité de mes péchés ; ils sont ce qu’ils sont et je ne dois pas chercher
à juger ce que Dieu a permis, j’espère, que je ne puisse complètement juger. J’espère que je
suis, encore, très Bambina et le mieux est que je reste ce qu’il m’a faite et que seul il peut bien
comprendre, je crois. Il m’a faite si peu comme une autre, ce me semble. Je ne chercherai
donc plus jamais à comprendre la gravité de mes péchés, si vous ne me dites pas de faire
autrement. J’aurais mieux dit, je pense, si je n’étais pas une scrupuleuse.
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J’ai toujours mal aux mains de temps en temps. Hier aux litanies, je me suis trouvée en esprit
priant devant ce tableau de St Jérôme et Ste Paule aux pieds desquels est le petit St Raphaël.
Après j’ai pensé que je devais méditer sur Bethléem et je les ai bien priés.
16 août 1883
Retraite - 1ère oraison
Cœur de Jésus doux et humble à Bethléem.
Où est-il plus doux et plus petit ? Quelle distance parcourue pour venir à moi ! Me mettre
dans la crèche, c’est plus que je ne mérite, mais lui ? Je me suis souvenue de l’an dernier‚ du
divin Bambino, avec son beau soleil au cœur, qui m’a promis qu’il luirait pour moi dans
l’Ordre. Il m’a encore confirmé sa promesse, me disant que l’humilité et la pauvreté de la
crèche étaient bien la lumière franciscaine et qu’elle serait mienne. J’ai vu dans un éclair,
cherchant la leçon pour s’anéantir, mon intelligence à la crèche, ma volonté à la croix et mon
cœur au tabernacle. Père, je voyais et je vois si limpide que l’humilité et la pauvreté sont deux
sœurs jumelles. Comment s’anéantir vraiment et posséder ?
J’ai revu un rayon de ce qu’eût été le monde dans l’amour (sans le péché). Mais il eût été
pauvre, c’est-à-dire dégagé des biens de convention et des jouissances de l’amour-propre.
Mon Dieu, que ne peut-on faire renaître les âmes à la crèche ? Je me suis trouvée si heureuse.
J’ai adoré le trésor évangélique et je ne sais pourquoi mon âme se penche sur elle-même pour
adorer l’amour enfant. Je lui ai dit : “O mon Agneau, que je vous aime“. Et il m’a répondu :
“Et moi aussi, mon agneau, je t’aime“. Est-ce avant qu’il m’avait dit : “Je ne te dirai plus rien,
puisque tu doutes“ (mais il n’avait pas l’air fâché du tout). J’ai répondu très vite : “Ce n’est
pas moi qui doute, c’est le Père“, et puis j’ai été forcée d’avouer que j’avais eu peur aussi. Un
peu après je lui ai dit, en regardant son humilité et sa pauvreté : “Je veux aller à toi“. Et lui a
répondu : “Et moi aussi, je veux aller à toi“. Il me semble qu’il a dit aussi en parlant du trésor
: “Tu le possèdes comme personne“‚ ce qui peut s’entendre, je pense, par : “Tu le possèdes
d’une façon différente“. J’ai vu que Marie avait gardé le trésor trente ans avant de le livrer à
tous. Donc je dois faire grandir mon Trésor évangélique chez moi pour mériter de le voir
donner à la terre. Père, j’ai eu tant de joie en pensant que pour ma fête, il y a quelques années,
je ne désirais qu’une chose : la permission pour l’Institut de mendier et je sentais que, si je
l’obtenais, je n’aurais plus peur pour l’avenir. Mgr David me donna un peu ce bouquet. Vous
voyez que mon Père St François me tenait toujours ? J’ai vu, aussi, Marie et Joseph s’anéantir,
si pauvres à Bethléem, si abandonnés. Ils étaient, pourtant, restés l’un à l’autre et ceci nous est
une belle leçon. Oui, parce qu’en Marie, Joseph ne trouvait que Dieu, elle était ses ailes pour
aller à Dieu. Oui, parce qu’en Joseph Marie ne voyait que l’autorité de Dieu. J’ai beaucoup
prié pour le Pape.
Je voudrais tenir la résolution de ne jamais me plaindre de rien.
*
16 Août
2è méditation
--« Apprenez de moi etc…
Apprenez-le en suivant Jésus en Egypte.
Là il apprend à toutes les âmes persécutées :
L’humilité dans la persécution.
C’est S. Joseph surtout qui sert ici les desseins de Jésus…
Vous pourrez voir, en vous rappelant ce que dit l’Evangile de la fuite en Egypte les rapports
étroits de l’humilité et de l’obéissance.
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Vraiment l’humilité est bien le fondement des vertus ; elle entre, pour ainsi dire, dans
la composition de toutes les vertus et les rend faciles. Et Jésus dans ce mystère est encore plus
humble et plus obéissant que Marie et Joseph ; il est vraiment enfant, dans le sens qu’il a
recommandé : « Si vous ne devenez comme de petits enfants, vous n’entrerez pas dans le
Royaume des cieux ». O humilité de l’Enfant Dieu !...donnez-moi de vous comprendre et de
vous imiter! - Ce sera votre bouquet et votre prière.
*
16 août 1883
Retraite - 2ème oraison
Père, c’est comme un cri joyeux de mon âme à chacune de ces oraisons. On dirait que je les
attends (bien que je n’y pense ni ne les regarde d’avance) et les contemplations qu’elles
amènent dépassent tellement mon attente et ma capacité que l’amour m’écrase ! Malgré moi
je voudrais mourir pour aller à ce que je vois ! Vrai, je crois que, si je suis fidèle, l’amour va
m’anéantir pendant cette retraite ? ?
Que vous dire donc de cette oraison ? Comme j’ai cru le ciel là. Je n’ai guère pu avoir qu’une
parole : “Prenez l’enfant et sa mère et faites-en tout ce que vous voudrez“. Et j’étais fondue en
Marie et en Jésus à la fois, car, unie à ma Mère, je sentais, en moi, le poids du trésor
évangélique. Je ne sais pas dire mieux ? J’ai d’abord dit‚ ou mieux j’ai écouté ce : “Prenez
l’enfant et sa mère“. Puis, je me suis abandonnée, anéantie devant Dieu, puis devant Jésus,
Marie, Joseph, St François, l’Ordre, mon Grand-Père, et vous qui me représentez, à la fois,
toutes ces autorités vénérées. Vous êtes bien un peu comme Joseph, vous voulez souvent me
conduire en Egypte ?
Mais, Père, il me semble que cette retraite me vaudra la grâce de me laisser faire à l’exemple
de l’Enfant divin et de sa Mère. Je serais restée sans fin à me faire prendre par le bon Dieu
pour me conduire où il voudra. Et je sentais tellement le trésor en moi que c’était trop pour la
terre.
Un moment j’ai invité votre âme à l’adorer avec moi, ce trésor, et c’était comme si le petit
Jésus eût été là, recevant notre adoration. Alors (mais je ne sais comment je l’ai vu, on dirait
qu’on me l’a dit, mais sans parole), j’ai donc su que la grâce qui nous était destinée, donnée,
nous l’avons obtenue parce que, l’un comme l’autre, nous avons été épris du vrai esprit de
l’Evangile, de l’idéal de cet esprit, et cet idéal, après tout, c’est Jésus. C’est bien moi qui ai
reçu le don pour la terre. Je me voyais vous l’apportant. Bien plus, je vous voyais le prendre et
moi avec. Non seulement comme Joseph prit Marie, encore enfant elle-même quand elle eut
le petit Jésus, mais vous me preniez, et lui avec, comme toute sanglante, ayant déjà été
broyée, avec lui, sur la croix. Vous me preniez, et lui aussi, comme le Prêtre prend l’hostie !
C’est impossible que j’explique cela. Et en même temps je voulais pratiquer, pour lui et pour
moi, une obéissance aussi semblable à celle de Marie et de Jésus Enfant que je le pourrais.
Je crois bien, Père, que l’humilité se mêle à toutes les vertus. C’est le moi qui fait place à
l’amour. Comment pratiquer une seule vertu sans cela ? Et avec cela comment ne seraientelles pas toutes faciles ? J’ai vu que les vérités ne sont pas changées et que nous devons exiger
des missionnaires de Marie l’esprit évangélique complet, à la St François. A ce prix, elles
accompliront leur mission.
16 août 1883, soir
Retraite - Examen
Dans la persécution rester calme. L’obéissance y verra lorsque je n’y verrai pas. Et, si j’étais
seule, Dieu y verrait pour moi encore.
Grand regret de m’être agitée ! Je venais de faire oraison sur la fuite en Egypte.
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17 Août, 3è jour
1ère méditation.
« Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur »
A Nazareth.
Nazareth, c’est l’humilité de Jésus dans son élément, la vie cachée.
L’humilité vit à l’aise dans la vie cachée, comme le poisson dans l’eau du fleuve.
Là Jésus s’humilie en obéissant à Marie et Joseph, il s’humilie en traitant
familièrement avec eux, comme il traitera plus tard familièrement avec ses saints.
Toutes les grâces gratuites accordées aux saints, visions, colloques, extases, etc. sont
de prodigieuses humiliations de Jésus s’abaissant avec amour vers sa créature.
Et comme à Nazareth, il environne tous ces dons surprenants de silence, d’obscurité ;
il choisit aussi de préférence les petits et les simples, pour leur révéler ses divins secrets.
Et ce mystère de Nazareth a duré 18 ans ! 18 ans de la vie du Verbe Incarné, passés
dans l’oubli !!!
Aimez, dit S. Bonaventure, aimez à être inconnu et à passer pour rien !!
*
OUV. 191 - Orig.autogr.
17 août 1883, matin
Examen
Père, au sujet de l’Institut, j’ai été à la chapelle pour mieux voir mon âme en face de Dieu et
là j’ai fait mon examen.
Je crois que, si j’étais fille d’Eve, je profiterais de l’occasion pour vous faire une belle tirade
sur mon désir de n’être rien. Mais je veux essayer d’être l’enfant de Nazareth qui, comme le
dit St Bernard, parle pour la vérité et non pour l’oreille de l’homme.
1° - Je crois que c’est très heureux que je ne sois pas appelée à choisir, parce que je pourrais
faire un très mauvais choix.
2° - Si je devais choisir, je vous laisserais décider, parce que pour ce qui me regarde vous
avez grâce et lumière, et moi pas.
3° - Je désire et demande de tout mon cœur que la plus grande gloire de Dieu et son plus
grand plaisir se fassent à mon sujet et pour tout ce qui me touche.
4° - Si la gloire de Dieu et son amour triomphaient également, que je fusse à la tête de
l’Institut ou que je n’y fusse pas, j’espère que je choisirais de ne pas y être, parce qu’il me
semble que l’amour doit choisir le plus bas, plutôt que le plus haut, et je sacrifierais l’amour
maternel à l’amour divin.
5° - Si j’étais libre et livrée à moi-même, je crois que, si je n’avais que les lumières que j’ai
maintenant, je serais obligée de reprendre ma charge :
a - Parce que je crois que Dieu veut un triomphe dans l’Eglise et que, durant ma vie, j’en
serai, malgré moi, un élément marqué par lui ; et que, dans cette charge, je pourrais plus pour
ma mission : aider au vrai pouvoir, donner le trésor évangélique.
b - Parce que l’Institut est un des moyens possibles pour aider ce triomphe et qu’en dehors de
moi, il ne me semble pas qu’il accomplira sa mission possible, du moins toute.
6° - Enfin, Père, si j’étais libre, je ne sortirais de la vie cachée qu’autant que cela serait
strictement nécessaire au triomphe de l’Eglise et je crois que le Saint Esprit me l’inspirerait et
en déciderait par l’obéissance ; et si j’étais mes Supérieurs, je prendrais des précautions (que
je vous dirai si vous le voulez) pour que je paraisse sur la terre aussi peu que possible.
Elles auraient dû être prises, il y a longtemps et bien des péchés auraient été évités.
8
17 août 1883
Retraite - 3ème jour - 1ère méditation
Nazareth.
Plus je vais, mon Père, et moins il m’est facile de vous rendre compte de mes oraisons. Je
crois pourtant qu’elles sont très bonnes. Mais c’est comme si Dieu m’était ouvert et que je
visse tout en lui. Il en résulte qu’on a vu bien plus qu’on ne peut dire et qu’on n’a rien dit, soi,
et pas fait grand chose, bien qu’on ait compris bien plus que si on avait remué davantage.
La vie cachée sous le regard de Dieu. Devrais-je aller dans une armée, ce serait encore là ma
voie marquée de Nazareth. J’ai vu que je l’étais tellement et les grâces que je reçois de Dieu
en portent le cachet. L’amour, Dieu, darde sur moi sans cesse, je crois, et lorsque mon âme est
fidèle, je comprends qu’elle jouit de Dieu d’une façon très simple, mais très positive (au ciel
aussi c’est simple). Je n’ai guère qu’à regarder pour voir, écouter pour entendre, bien que la
parole du Saint-Esprit n’ait pas de son. L’être de Dieu se réfléchit dans mon âme, sa vue je
l’ai, son amour me remplit ; c’est bien moins qu’au ciel, mais inouï pour la terre. Et cet état,
étant presque constant, cesse‚ comme celui de Marie, d’être extraordinaire et je crois qu’il
sera toujours le fond de ma voie. Alors Jésus m’a dit : “Celui qui place une ombre entre toi et
moi ne sait pas quelle injure il me fait ; il me ravit l’objet de mon plus tendre amour. Qui te
laisse sous mon ombre me donne au contraire tant de joie.“
Et là, Père, votre grande enfant a voulu examiner cette parole. “L’objet de mon plus tendre
amour“. J’ai bien vu que plus d’une âme peut mériter, à la fois, cela. Mais j’ai vu que, si
j’avais une explication avec des mots, c’est moi qui le ferais parler. J’ai compris que je ne
devais pas le faire. Père, je voyais si bien que par une grâce gratuite (qu’on avait pu enchaîner
mais non m’enlever), je savais aimer comme à Nazareth.
Être pure et si aimante ; il me semble que j’aurais pu, en petit, vivre de la vie de Marie et qu’il
n’est même pas dans ma nature de songer à vivre autrement. Il m’a semblé que le premier pas
du P.R[ousselin] et du P.T[riquet], les deux qui nous ont fait vraiment du mal, c’est leur
orgueil ; ils n’ont pas voulu ou pu reconnaître en moi un don de Dieu qui me faisait autre
qu’eux et mes compagnes. Ils m’ont amenée, surtout le P.R[ousselin] là où ils étaient, au lieu
de venir où je suis. Mais à l’heure qu’il est, mon âme colombe semble être enveloppée dans la
vie cachée à Nazareth. Jésus semblait dans cette oraison m’aimer de passion (si je puis dire
ainsi) dans ce tabernacle romain de Ste Hélène où il m’a enfermée comme une hostie. Il me
semble qu’il aime si peu que les yeux mondains me voient, même ces regards hardis qu’on
trouve dans les rues et qui ne font pourtant qu’entrevoir. Il m’a dit de ne pas regarder, moi.
Et puis encore il m’a dit d’être sérieuse, que Marie avait toujours la vue de ses douleurs et que
moi, sa petite fleur, qui sait si bien qu’il n’est pas aimé, je dois aussi être calme et recueillie
en son amour, anéantie dans cet amour. Alors, Père, il me semble qu’il ne me quittera pas du
tout. S’il s’humilie à ce point pour moi, que ferai-je pour lui, Père ? Il me semble que pour
personne, que je connais, il n’est bon comme pour moi, pour personne, il ne s’humilie autant.
J’ai vu clair que la mesure où il s’anéantit pour moi, en moi, devait régler celle où je
m’anéantis pour lui, en lui. Alors, Père, si je reste une orgueilleuse après cette retraite, je serai
trop ingrate, car même en Zange qui est bien plus sainte que moi, je vois très bien qu’il ne se
prodigue pas ainsi. Après moi, vous me semblez l’âme la plus gâtée que je connaisse. Soyez
donc bien fidèle.
*
17 Août
2è méditation
« Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur »
9
Après avoir pratiqué l’humilité dans les mystères de l’enfance et de la vie cachée,
Jésus joint maintenant l’enseignement à l’exemple dans sa vie publique.
Méditez sur le baptême de N.S. par S. Jean. Lisez d’abord lentement les versets 13 à
17 du 3è ch. de l’Evangile selon S. Mathieu.
Arrêtez-vous surtout à cette parole de Jésus luttant d’humilité avec son précurseur et
l’emportant sur lui : « Laisse-moi faire maintenant : c’est ainsi qu’il nous convient
d’accomplir toute justice ».
Toute justice, dit S. Bonaventure après S. Bernard, veut dire le même chose que
l’humilité, parce qu’elle résume et renferme toutes les autres vertus. L’âme vraiment juste et
sainte c’est l’âme vraiment humble.
Jésus débute ainsi dans sa mission publique par l’humilité, sur laquelle il va revenir
souvent.
Suppliez S. Jean Baptiste de vous obtenir un peu de cette humilité qui lui faisait dire
qu’il n’était pas digne de délier la chaussure de Jésus.
Suppliez Jésus de vous abîmer avec lui dans les eaux de l’humilité.
*
17 août 1883
Retraite - 3ème jour - 2ème méditation
Cœur de Jésus doux et humble au Baptême.
Dès le début de l’oraison, comme dans un éclair, j’ai vu une lumière si éclatante de beauté
qu’elle m’a comme foudroyée. C’était Jésus allant s’offrir, lui-même, à l’humiliation, à
l’anéantissement. L’Evangile dit : “Jésus vint ... vers Jean“.
“Il nous faut accomplir toute justice“. Vous me dites, Père, que “toute justice“, d’après St
Bonaventure et St Bernard, c’est la même chose que l’humilité. Père, je le crois bien, car je
l’ai vu. Le péché, c’était la créature se détournant de sa fin, de Dieu, de l’amour, pour se
regarder elle-même. Toute justice (pesez ce mot si profond, si vrai), c’était rétablir l’ordre,
détourner la créature d’elle-même, l’anéantir, pour regarder Dieu, le retrouver ; c’est
l’humilité ! Toute justice allait donc s’accomplir et l’être qui va s’anéantir est un être divin ; il
le fallait !
Père, je tremble presque en écrivant ce que j’ai vu. Jésus prenant sur lui l’amour-propre du
genre humain, Jésus allait s’anéantir pour nous au point de se faire baptiser, laver pour tous
ses frères.
Et remarquez, Père, j’ai vu cela aussi, et c’était le plus beau : A peine le Baptême est-il
institué “que les cieux lui furent ouverts“. Ouverts à Jésus ? Mais ils n’avaient jamais été
fermés à Jésus ? Mais ouverts à Jésus pour nous. En vous écrivant, je vois l’amour descendre
alors sur la terre, sous la forme d’une colombe ! Le Père parle, le Fils est là, le St Esprit
descend. Le péché originel ne sépare plus le genre humain du ciel. Nous sommes encore les
enfants de Dieu ; car notre frère Jésus ‘’est son Fils bien-aimé en qui il a mis toutes ses
complaisances“.
Mon Père, jamais je ne saurai vous dire ce que j’ai éprouvé en voyant l’humilité de Jésus
anéantir le péché, le moi, et les cieux ouverts au genre humain par cette humilité divine. Et,
comme une Bambina, j’ai dit à Jésus : “O mon Dieu, je ne sais d’où me vient ce flot de
lumière, mais il me rend si joyeuse malgré moi ?“ Et alors il m’a dit, mais c’était plutôt Dieu
que Jésus : “Ver de terre, si ce n’était moi qui t’éclaire, où irais-tu chercher ce que les savants
ne trouvent même pas ?“ Alors je me suis inclinée plus bas, comme involontairement. Mais il
n’avait pas l’air bien fâché. Plutôt comme une mère qui gronde son enfant d’avoir peur, pour
le rassurer en lui montrant qu’elle est là. Jamais je n’oublierai, je crois, ce ciel ouvert. Est-il
besoin de vous dire que devant tant de grandeur, d’amour, d’humilité, j’ai compris que Jean
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ne se trouvait pas même digne de délier le cordon de la chaussure du Sauveur ! Et moi, Père,
de quoi suis-je digne ? De l’Enfer ! Et je ne veux pas y aller pourtant ? Du moins que je me
laisse humilier, anéantir, autant que l’amour (qui voit plus clair que moi) le désirera.
Rome, 17 août 1883
Père,
Je voulais vous dire que ce matin j’ai été si bien prise par le bon Dieu, en me confessant, que
j’ai oublié tout ce que je voulais vous dire ; cela ne m’était jamais arrivé. J’ai été aux pieds de
Ste Hélène écrasée par l’amour du bon Dieu.
Songez, Père, qu’en faisant cet examen, j’ai encore pensé que Sts Anges est encore celle qui
ferait que l’Institut pâtirait le moins. Je sais que, selon le monde, ce n’est pas un choix, mais
j’ai si peur que les passions vivantes chez les autres n’enlèvent à cette œuvre de Marie le
cachet évangélique que Dieu lui voudrait ? Je le pense en conscience. Je vous le dis ; pour
moi, je crois que je veux ce que voudra Jésus et pense toujours que remettre le choix à
Gustave est le mieux. A la chapelle j’ai pensé que si vous veniez me dire : “Levez-vous, car
j’ai décidé que vous quitteriez vos filles“, j’espère que je le ferais, Père, de suite. Et en
pensant cela, je voyais Marie si douce, si soumise. Comme elle, j’emporterais mon trésor
évangélique, Jésus, et j’espère que je ne demanderais pas même le pourquoi.
Le Diable s’est jeté bien des fois sur moi. Voilà une chose étrange : je passe de luttes qui me
font froide (au sujet de vos ordres) à être ivre d’amour ‚ et puis mon imbécillité me reprend ;
je ne sais plus rien ‚ j’ai tout oublié. J’ai peur de l’Enfer, de perdre ce Jésus si beau que je
viens de voir. Un moment après, j’oublie mon imbécillité dans une lumière éblouissante. Vrai,
c’est comme cela. Il faut tout de même de la patience ?
Je ne sais pas du tout comment je ferai lorsque vous serez loin ; il me semble que, si vous
laissez comme cela, les scrupules me feront folle, seront plus que mes forces. Bénissez,
gardez.
La Colombe de Marie.
17 août1883, soir
Retraite - Examen
J’ai été occupée de mes scrupules. Du reste je n’avais rien à ajouter à ce que j’ai dit.
A votre Messe, j’ai eu la vue de l’Enfant divin plusieurs fois. Au moins trois, ce me semble.
*
18 Août
méditation
----« Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur ».
Les rapports de Jésus avec le centurion vous l’apprenant aujourd’hui.
Lisez les versets 5 à 13 du VIII Chap. de St Mathieu.
Quelle foi, quelle humilité dans ce soldat païen !
Admirez le triomphe de l’humilité sur le cœur de Jésus.
Remarquez aussi l’étroite liaison qui existe entre l’humilité et la foi.
Contemplez aussi l’humilité de Jésus qui n’avait pas voulu se rendre chez le fils d’un
prince pour le guérir et qui ne dédaigne pas de dire à un Centurion qu’il ira chez lui pour
guérir son serviteur. « Je viendrai et je le guérirai ».
Votre prière sera : « Seigneur, je ne suis pas digne que vous veniez à moi, mais dîtes
un mot et mon âme sera guérie ».
Demandez par l’intercession de votre patronne Ste Hélène pour vous et les vôtres
l’humilité jointe à l’esprit de foi. Voilà la base du caractère missionnaire. Ces deux vertus
1ère
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conduisent à l’amour de la croix et au triomphe. Par elles Ste Hélène obtint l’invention de la
Ste Croix et le triomphe de l’Eglise par la conversion de Constantin.
Priez pour le Cte de Chambord !
*
OUV. 192 - Orig.autogr.
18 août 1883
Examen du 18, matin
Je n’ai pas repris le sujet de ma charge et ne le ferai que si vous le dites. J’ai cherché à
m’anéantir au sujet de l’épine de ma fête St Philippe. Et il me semblait, mais si céleste, si
doux, que je pressais l’Enfant divin sur mon cœur et que, tant qu’il serait là, je me laisserais
faire sans révolte. Cet Enfant, cet amour évangélique qui se repose en moi, dans mes bras !
Avec lui n’ai-je pas tout ? Père, mes scrupules m’ont quittée alors. La pensée que l’obéissance
m’avait assurée que j’irais au ciel, si je ne péchais plus, me brisait de bonheur. Avant tout,
bien avant l’Institut, c’est de ce trésor reposant dans mon âme que vous êtes le gardien ; ne le
laissez pas mourir ? O Père, si vous saviez comme j’ai senti Jésus dans mes bras ! Il me
semble que c’est là ce que le Démon hait et là, aussi, qu’est la joie ‚ le doux secret du ciel ?
Même si vous mouriez, Père, c’est fini, j’ai foi que vous me le garderiez, même du ciel, et que
ce qui fera mon bonheur sera une part de votre couronne. J’ai vu comme dans un éclair cette
lutte de l’Enfer où même mon Ange a parfois été fille d’Eve (bien peu pourtant). Je ne sais
pas vous dire où j’ai été emportée. L’angélus a tinté et deux larmes sont venues remercier
Dieu. Je me sentais si à lui. Il était comme me soulevant l’âme. C’était à peine la terre. Je ne
puis pas dire ce que c’était paisible et doux.
18 août 1883
Retraite -1ère méditation
Cœur de Jésus doux et humble, conquis par la foi et l’humilité du centurion.
On comprend que la foi et l’humilité se tiennent. Si je crois en mon Dieu, “je veux accomplir
toute justice», c’est-à-dire me détourner de moi, pour adorer mon Créateur. “Accomplir toute
justice“, ce mot reste vibrant dans mon âme, et pour toujours je crois, Père, il me semble
qu’au fond je crois en Dieu ? Il me semble, même, que je veux n’être rien pour l’amour de lui.
Ce qui me manque, le plus, c’est la confiance. Non pas que je doute qu’il puisse, mais je
doute qu’il veuille. Je me suis ensevelie en lui montrant toute ma misère et lui disant : “M’en
voulez-vous, puisque je veux être tout ce que vous voulez ? Que puis-je de plus ? Je vous
demande la foi, la confiance, l’humilité.’’
Le Père a dit qu’il fallait les demander pour les avoir et je vous donne tout ce qui est de ma
volonté pour cela ; “Seigneur, je ne suis pas digne que la foi, l’humilité, la confiance entrent
dans ma maison, mais dites une parole et mon âme sera guérie“. Et j’étais si doucement
heureuse de ne sentir rien de ma volonté entre moi et mon amour que je ne pouvais même trop
regretter ma misère. J’ai fini par lui dire : “Je suis une enfant gâtée“. Et Jésus a repris : „Oui,
une enfant gâtée à laquelle je passe ses caprices“. Et, Père, c’est très vrai et il avait l’air de
m’aimer comme cela dans sa bonté. Comme une petite sauvage qui n’est domptée que par
l’amour et qui aime “sans connaître d’autre raison à son amour que son amour lui-même“,
comme dit St Bernard. Les tentations contre la foi sont-elles toujours de l’orgueil ? Douter de
l’existence de ce qu’on aime, c’est la plus rude peine de cette vie. J’y ai passé et parfois j’en
ai, encore, comme un frisson. Est-ce vraiment une tentation contre la foi ? Si on ne croyait pas,
aimerait-on ? Et une fois le premier principe admis, plus rien n’arrête ma foi ?
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J’ai prié pour ce cher triomphe que je vois si possible. J’ai dit à Jésus : “Ce que j’aime est
malade. Ma belle Rome est malade (et dans Rome vous savez que j’embrasse toutes les âmes
de mes frères) ; mon Institut est malade, mes filles le sont.
Et moi, je le suis plus encore, ô mon amour, puisque ma prière reste stérile et que je n’obtiens
pas les guérisons que je réclame. Commencez donc par guérir votre victime, votre Hélène ;
qu’elle obtienne, ensuite, le triomphe de la croix, du Trésor évangélique“. Et voilà, Père? Je
lui ai donné toute ma volonté, que faire de plus pour ma guérison ? Et je me suis ensevelie
dans ma misère, mon néant, et mon amour. C’est vrai que c’est être gâtée !
*
18 Août
2è méditation
---« Apprenez de moi, etc. »
Jésus et la Cananéenne ou les rapports entre l’humilité et la prière. ( Mat.XV.22)
Quelle puissance invincible que l’humilité suppliante !!
Rapprochez l’humilité du publicain de l’humble insistance de cette pauvre païenne et
l’enseignement sera complet.
L’humilité suppliante obtient la justification pour soi, - des grâces de choix pour les
autres.
Aimez à redire : « Mon Dieu, soyez-moi propice ; ayez pitié de moi, qui suis une
pécheresse ».
Il n’est pas nécessaire que vous jugiez la gravité de vos fautes, le publicain ne le fait
pas ; il suffit, comme lui, de pratiquer souvent l’amour repentant, que vous avez médité l’an
dernier.
Prenez comme bouquet spirituel ces paroles de la messe : « Agneau de Dieu qui
effacez les péchés du monde, ayez pitié de nous ».
Et proposez-vous d’être douce et humble comme l’Agneau Victime.
*
18 août 1883
Retraite - 4ème jour - 2ème méditation
“Cœur de Jésus doux et humble, touché par l’humilité suppliante de la Cananéenne“.
Je comprends que l’âme humble prie toujours sans s’arrêter, sans perdre la foi dans l’épreuve,
c’est une leçon dont j’ai bien besoin. Le Centurion trouvait qu’il n’était pas digne de recevoir
Jésus, le Publicain est humble comme lui. La Cananéenne supplie qu’on l’exauce, même
après avoir été rebutée. Voilà les leçons de l’humilité !
De la Cananéenne, je veux retenir le secret de la prière persévérante, qui est un des cachets de
l’humble prière. Je n’ai pas été si gâtée dans cette oraison ; peut-être je l’aurais été un peu si
le Salut du St Sacrement ne m’avait pas interrompue au bout de sept minutes. Jésus était plus
doux alors. J’étais arrivée toute effrayée, je ne sais comment, avec cette parole qui me
semblait un jugement si douloureux. Et il m’est venu cette parole : “Il faut être Bébé comme
tu es pour avoir si peur“.
Après le Salut je me suis mise comme un agneau sur la croix, essayant d’y souffrir doucement
et paisiblement. J’ai offert ma souffrance du moment, en particulier pour Henri V, le
recommandant à St Joseph. Pour votre nièce que j’ai confiée, elle, à la Ste Vierge et pour le
Père Custode de l’Aracoeli, le remettant, lui, à Jésus, puisque entre les trois malades, il était le
prêtre. J’ai dit et la prière de la pécheresse et Agneau de Dieu, etc. etc. ; (celle-là je l’aime
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tant). Mais le vilain côté de mon oraison, c’est que mes scrupules sont revenus à la charge. Le
passé se dressait. Malgré moi je cherchais à me rappeler si ceci était mal ? Si cela l’était aussi
? Si je l’avais dit ? Que sais-je ? J’ai bien souffert !! Je souffre encore. Pour prix de cette
passe cruelle, j’ai demandé à Dieu avant tout son bon plaisir, mais, si cela ne lui est pas
contraire, qu’en retour de cette heure je sois assistée par vous, à ma mort. S’il vous aime assez
pour vous vouloir plus vite que moi, qu’il me fasse la grâce de me laisser passer, par faveur, la
première. J’ai idée qu’à la mort, même si j’étais loin, mon Grand-Père vous laisserait venir, il
est si charitable. Mes scrupules sont toujours là et je souffre, mais il y a un fond de calme,
d’union à Dieu. Je tâche de prier comme la Cananéenne, c’est bien mon cas, et d’être un
agneau doux et humble. Ce matin, je l’avais si doux mon amour. Pourquoi est-il parti ?
Je relis ma carte et les scrupules se calment un peu, mais je viens de la relire et ils reviennent.
Père, ne partez pas en me laissant ainsi. Je ne pourrai pas ?
18 août 1883, soir
Retraite - Examen
Uniquement occupée de souffrir et de mes scrupules.
*
19 Août
1ère méditation
----Nécessité indispensable de l’humilité.
« Si vous ne vous convertissez et ne devenez comme de petits enfants, vous n’entrerez
pas dans le royaume des cieux » ( S. Math. XVIII de 1 à 4.)
Rapprochez ces paroles de ces autres :
« Si vous ne faites pénitence vous périrez tous ». ( S. Luc 13, 3.)
Jésus raisonne de l’humilité comme de la pénitence.
Sans la pénitence pas de salut !
Sans l’humilité pas de paradis !
En même temps Jésus nous donne dans ce passage le modèle de l’humilité :
Sicut parvulus : être comme un petit enfant.
Oh ! demandez bien d’être comme une Bambina, par la simplicité transparente de
votre âme, par l’amour de la vérité poussé jusqu’à la candeur naïve, par l’oubli de vousmême dans le repos sur le sein de Dieu, par la générosité du cœur qui aime le prochain et ne
sait pas avoir de rancune.
O bienheureuse enfant ! Mon Dieu donnez-moi un cœur d’enfant !!!
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OUV. 193 - Orig.autogr.
19 août 1883, matin
J’espère que je l’ai fait, mais j’avais très mal à la tête, le Démon me tenait encore et je ne sais
plus rien. J’avais vu hier que, quoi qu’il arrive, j’étais bien plus une âme pour la
contemplation et que là, je donnais, j’espère, tant de joie à Dieu. Au Salut, ce soir j’ai vu à
droite, d’abord le capuce de St François et puis il m’a semblé que j’étais toute couverte des
vêtements de l’Ordre. Après j’ai pensé que nous en étions toutes en France à cette heure. Et en
vous écrivant, je songe qu’il y a juste un an, le jour de l’Assomption que vous m’avez
répondu : “Aujourd’hui, sous les auspices de Marie triomphante, je lis votre ouverture que
vous appelez étrange ; que direz-vous lorsque vous saurez que j’ai eu la même pensée ?“
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Elle a fini son œuvre, Marie triomphante, un an après. Dites qu’il n’y a pas des harmonies
célestes ? Nous ne pensions pas qu’elle bénirait ainsi l’anniversaire de notre première
ouverture par tout l’Institut d’Europe franciscain et les premiers grands vœux faits à notre
Séraphique Père ? L’habit dont je me suis vue revêtue était pour me rappeler ce souvenir qui
me vient seulement en écrivant, et un gage d’adoption.
Je suis en pénitence. Vous ne me nommez plus colombe du Christ. Je le vois là ce nom !
19 août 1883
Retraite - 5ème jour - 1ère Méditation
Nécessité de l’humilité.
Je ne sais pas comment cela se fait, mais j’ai été dans le ciel et presque dans l’enfer à la fois.
Aussi, malgré la croix sur laquelle je suis étendue, comment la nécessité d’être humble
comme un enfant ne m’aurait-elle pas soulevée ? Jésus m’a parlé, j’espère. “N’éveillez pas ma
bien-aimée‚ car elle dort“. Il me disait si doux d’être non seulement comme une enfant, mais
comme une enfant endormie à tout ce qui n’est pas lui. Il ne cache rien l’enfant qui dort ?
Quoi de plus simple que lui ? On le porte, on le tourne. Il me semble que Jésus attend avec un
désir incroyable le moment que je serai cela. Mais aussi l’Enfer fait tout pour l’empêcher.
Jésus m’a encore dit que vous deviez m’amener à cela. Il me l’a montré, cet état, mieux que je
ne sais l’exprimer, me faisant voir que cette enfant petite et endormie, il la placera, lui-même,
au milieu des Docteurs (c’est-à-dire qu’il la remplira de sa lumière qui est l’amour). Je me
suis offerte à toute la pénitence qu’il voudra. Quant à la rancune, Père, vrai, il me semble que
je n’en ai pas. Je n’ai pas grand mérite, j’ai si peu d’attrait naturel pour les créatures qu’entre
mes ennemis et les autres je ne sais guère faire de différence. Mon cœur n’en fait que pour
ceux qui ont de moi autre chose que la charité générale, et ceux-là ne sont pas nombreux. A
l’oraison, j’ai donc été gâtée par Jésus, malgré la croix. Son désir de m’avoir petite, endormie
sur son Cœur, m’a poursuivie.
A la Messe (qui suivait l’oraison), plus encore peut-être. J’ai vu ma belle Trinité et Dieu
semblait me caresser, disant : “Plus tu m’as et plus tu trouves que je te manque, parce que tu
me connais mieux ; mais on ne peut me voir à découvert, c’est la mort“. J’ai répondu : “Faismoi mourir alors“. Il semble qu’il souriait et me trouvait toujours la même enfant. Il m’a fait
alors regarder en moi-même. Je ne sais comment, j’ai vu mon être, principe de mon être, la
connaissance de mon être et l’amour qui naît de l’être et de la connaissance. Alors Dieu,
déchirant comme un voile, m’a dit : “Ceci tu viens de le voir dans un être fini, mais regarde
dans l’Infini“. Alors je voyais (mais je ne sais pas le dire) la distinction des personnes dans la
Ste Trinité. Me ramenant alors à moi-même, il m’a dit : “Vois ton être, connais-le, et alors tu
seras dans l’amour, en moi, tu seras humble, l’enfant qui dort, la petite bien-aimée que rien
n’éveille“ (c’était l’extinction de l'amour-propre) et par moment je croyais voir des anges
autour de moi, à la fin.
*
19 Août
2è méditation
----« Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur » : je vous l’enseignerai ce soir dans
le « Lavement des pieds ».
Quelle leçon dans ce mystère qui ouvre, pour ainsi dire, la porte de la vie eucharistique et de
la vie souffrante de Jésus !
Lisez le Ch.XIII de S. Jean, versets 1 à 17.
Jésus aux pieds de St Pierre qui va le renier !
Jésus aux pieds de Judas, le déicide !!
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Et puis nous disant à tous : « Je vous ai donné l’exemple, pour que vous fassiez à votre
tour comme j’ai fait moi-même ».
Notre divin Maître s’est ainsi humilié et nous qui nous disons ses serviteurs, nous
craindrions l’humiliation !
O mon Dieu, quel aveuglement, quelle contradiction !!
Eclairez-moi, Seigneur, mais ce n’est pas assez, fortifiez ma volonté pour qu’elle
pratique ce qu’elle aura vu.
Arrêtez-vous sur le v.17. Ce n’est pas assez de comprendre l’humilité il faut aussi la
pratiquer : alors vous serez bienheureuse. C’est la promesse de Jésus.
Avez-vous cherché à faire ces jours-ci quelques actes d’humilité extérieurs, à
l’imitation de Jésus ?
*
19 août 1883
Retraite - 5ème jour- 2ème méditation
Cœur de Jésus doux et humble au lavement des pieds.
Père, quelle étrange et douce méditation j’ai faite. Le Démon était là encore, mais sans vraie
force. J’ai vu la douleur de Jésus aux pieds de Judas ! Victime‚ avec lui, je me suis brisée pour
les âmes qui ne profitent pas de la Passion du bien-aimé et qui rendent inutile aussi le pauvre
sacrifice que je serais si prête à faire et que je fais pour leur salut. Quant à Pierre, à travers sa
trahison, Jésus voyait son martyre ! Que ne ferait-on pas pour donner à une âme la grâce, le
courage de réparer ? Mais là vient l’extraordinaire, car rien ne m’y menait. Sts Anges m’avait
donné à lire une lettre de St Bernard à Irmengarde (le livre venait d’arriver). Là, j’avais vu le
cœur humain comme je l’aime. Mais là, en oraison (saurai-je le dire ?), j’ai vu, je crois, plus
que St Bernard !
Marie et Joseph, ces cœurs qui aimaient autant, plus, mais qui, je crois, renfermaient à
l’intérieur toute leur puissance d’aimer et qui n’abaissaient rien de leur trésor sous les sens,
même celui de la parole. Et il me semblait qu’étant fidèles, nos cœurs pouvaient aller si près
d’eux ?
Alors j’ai vu que la fleur de la Passion a germé à Nazareth. Là elle est devenue grande et
belle. Au lavement des pieds, elle ne naît pas, elle se montre, comme elle se montrera à la
croix. La fleur de la Passion est la fleur de l’humilité. Son nom veut dire vrai amour. C’est le
moi mort (jusqu’à la croix) pour faire place à Dieu. Je la voyais en Jésus, Marie, Joseph.
Joseph aurait voulu, lui aussi, aller au Calvaire. Il semble que l’amour du Fils et de la Mère ne
l’a pas permis, tant ils l’aimaient. Mais Marie et Jésus n’ont pu se refuser le Calvaire l’un à
l’autre ; la fleur d’amour qui les y a anéantis avait crû à la maison des fleurs, à Nazareth !
Père, je vous voyais non seulement garder mon âme, comme Joseph a gardé Marie, mais
encore, parce que vous êtes prêtre, la garder à la croix et l’immoler comme une hostie. Dans
ce lieu-là, Joseph, ce sera mon Grand-Père, je crois qu’il souffrira moins que nous. Pourrais-je
ne pas vous dire que je désire m’humilier avec Jésus ? O mon Père, que je serais ingrate si je
ne le faisais pas ! Si je suis la vraie fleur de Nazareth, (Jésus à la croix a mis ce nom sur sa
tête), cela se fera de soi-même. Un moment, à la fin, j’ai vu un ange à droite. Il était plus à ma
hauteur que celui que j’avais vu, il y a quelque temps à l’Aracoeli. Il allait dans le même sens
et marchait vite, comme quelqu’un qui dit : “Rien n’arrête ma course maintenant“. Que ceci
soit une vérité et que je sois, vraiment, l’agneau de la Résurrection, hostie comme lui et douce
comme mon modèle.
19 août 1883, soirRetraite - Examen
16
J’avais préparé mon oraison. A la pensée de la trahison de Judas, je me suis humiliée, en
voyant ce que je serais devenue si Jésus ne m’avait pas, j’espère, toujours laissé par
miséricorde l’amour de sa beauté. Si toutefois il n’est pas contre la foi d’espérer que j’ai pu
garder cet amour en péchant comme je l’ai fait.
J’ai vu mon âme d’une nature tellement plus délicate que beaucoup d’autres, ce me semble,
que ce qui est une plume peut-être pour beaucoup est une montagne pour moi. Je me suis dit
qu’il vous fallait tant de patience pour me supporter. Et la voix a dit : “Ma belle sensitive”.
Belle, vous comprenez dans quel sens : celui de la bonté de Dieu pour mon âme. A ce compte
les âmes sont toutes de belles sensitives ? Pourtant j’ai repris : “Le Père dit que vous n’aimez
pas les compliments“. Mais j’ai vu que Dieu me tient si simple, si vraie, que je me crois
exposée à voir et à entendre beaucoup de choses que d’autres ne verraient pas et
n’entendraient pas, ou bien elles n’oseraient peut-être l’avouer à l’obéissance.
*
20 Août
1ère méditation
----« Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur » je vous l’enseignerai dans
« la trahison de Judas ».
L’humilité dans les contradictions, voilà ce que Jésus nous enseigne.
Amice, mon ami, voilà comment il traite le plus vil des ingrats, et il se laisse embrasser par
ce traître ! O douceur, o humilité de mon Jésus !
Mais quel orgueil dans le traître déicide ! Le respect humain, l’amour-propre, la
crainte des jugements de la tourbe qu’il guide, des prêtres auxquels il a vendu son Maître, le
rendent insensible à l’amitié de Jésus, à la tendresse de ses reproches. Un seul regard
convertira l’humble St Pierre. Le baiser de Jésus et son héroïque tendresse ne feront
qu’endurcir l’orgueilleux Judas !!
En se rappelant tout ce qu’ avait fait Jésus pour Judas, St François de Borgia s’abîmait
dans l’humilité…
Rappelez-vous votre vocation de victime pour l’Eglise et offrez-vous à Jésus pour tous
ceux qui l’offensent et le trahissent encore. Mais, comme Jésus, n’ayez d’aigreur contre
personne. Tenez-vous au contraire dans le sentiment de votre néant. Un apôtre, un ami de
Jésus, fait la plus horrible des chutes, jusque dans les bras de son divin Maître ! qui ne
tremblerait pas pour soi-même ?
Gésù mio, misericordia !!!
*
OUV. 194 - Orig.autogr.
20 août 1883, matin
Retraite - Examen
J’ai prié pour que mes scrupules me laissent obéissante. J’ai tâché d’être humble et d’attendre
de Dieu le succès. A cause de cela aussi, j’ai dit, à trois, le Veni Creator, j’ai fait prier les
autres ! A l’Angélus, à genoux, j’ai eu une vue de St Joseph et de l’Enfant Jésus. Jésus avait
une robe blanche, ce me semble, et il me semble aussi qu’il était devenu plus petit pendant
que je le regardais. C’est une leçon pour que je devienne petite en le regardant ; il était du côté
du cœur.
17
20 août 1883
Retraite - 6ème jour - 1ère méditation
Cœur de Jésus doux et humble dans la trahison de Judas.
C’est une des douleurs de Jésus et de Marie que je comprends le mieux et à laquelle j’ai, je
pense, le plus de dévotion. La voix m’a dit (parce que je souffrais tant dans mon âme) : „J’ai
lié mon Agneau à la croix“, ou bien “et je l’ai mis sur la croix“ (peut-être les deux). C’est
vrai, Père, que je suis comme liée. Vous ne savez pas ce que j’endure. Celui qui m’a liée, à ce
point, sait seul le martyre de ce crucifiement.
J’ai eu une si belle lumière sur le mot : mon ami (J’en ai une en ce moment sur le baiser
divin). Quelle humilité, quelle douceur, quelle charité, avec le traître, le coupable, le pécheur !
Mon Père, voilà une de ces lumières qui m’obligent, sous peine d’ingratitude, à étouffer,
enfin, la nature dans tous mes rapports avec la créature, sous peine d’être une ingrate. Je me
suis offerte en victime ; mais hélas ! moi aussi, j’ai trahi, et plus d’une fois, Jésus !
Je ne suis pas digne d’être victime, excepté par un miracle d’amour. S’il est doux lors de la
trahison de Judas, combien il est doux dans les trahisons de l’Eucharistie (et je le vois, en ce
moment, aussi dans les trahisons du Sacrement de Pénitence). Le miracle de l’humilité, de la
douceur, de l’amour se rencontre avec le miracle de l’orgueil, de la révolte et de la haine.
Qu’il me prenne donc comme un agneau et qu’il m’anéantisse pour expier mes trahisons et
toutes les trahisons.
Je suis torturée. Aussi vous m’avez fait demander de mériter la croix ? Mes scrupules m’ont
gênée et absorbée une partie de l’oraison et, cependant, il me semble qu’ils m’ensevelissent
en Dieu ; c’est un effet étrange. J’ai vu à ma gauche, près de ma figure, un des pieds divins, je
pense. Mais je ne l’ai pas baisé. Vous savez que je ne vois jamais rien des yeux du corps.
2è méditation
----« Apprenez de moi combien je fus doux et humble de cœur dans le Prétoire, au milieu des
insultes de la soldatesque ».
Lisez lentement les 4 versets 2,3,4 et 5 du 19è Ch. selon S. Jean.
Le Roi des Rois est tourné en dérision, pour diadème on lui tresse une couronne d’épines,
pour manteau royal on lui jette sur les épaules un vil lambeau de pourpre, pour sceptre on le
force à tenir un roseau, à cette affreuse parodie, la soldatesque ajoute des outrages sacrilèges.
Le juge lui-même avoue l’innocence de Jésus ! et Jésus est l’innocence même dévore
sans se plaindre toutes ces humiliations…
Il consent même à les rendre publiques ; après avoir souffert les outrages de toute une
cohorte, dit St Marc, ( une cohorte avait 600 soldats) il parait devant la multitude ameutée
contre lui, dans l’accoutrement ignominieux dont on l’a affublé et l entend le juge inique
prononcer cette parole qui a tant de sens : « Voilà l’homme ».
O mon Dieu, notre orgueil devait être bien grand puisqu’il mérite une telle expiation !
O Jésus, quand donc serai-je doux et humble !!! Apprenez-le moi ; je veux désormais
le devenir. Faites que je supporte comme Vous les humiliations.
*
20 août 1883
Retraite - 6ème jour - 2ème méditation
Cœur de Jésus doux et humble dans sa royauté dérisoire.
Salut, Croix Sainte, mon unique espérance !
18
C’est une des lumières de mon oraison, traversée par les scrupules. Mon Père, si j’ai une
espérance, c’est dans les souffrances de ma pauvre petite Passion. J’ai vu l’outrage du péché,
la créature se détournant de sa fin, l’amour, Dieu, pour se regarder elle-même. J’ai contemplé
le Verbe incarné nous montrant l’horreur de l’enfer, du péché, par la profondeur de ses
anéantissements. “Voilà l’homme“. La créature a fait du moi son roi. Combien elle s’est
détournée de sa fin, puisque la réparation doit être la royauté divine anéantie à ce point !!!
Voilà l’homme qui porte le poids de l’humanité, des chaînes de l’amour-propre !! Voilà aussi
l’homme qui porte le poids de l’amour divin et qui s’anéantit pour la résurrection de l’amour
dans l’humanité.
La royauté expiatrice de cet homme divin n’est pas finie ; il va mourir et la dérision,
l’abaissement royal durera plus que sa vie. Sur sa tête, après son dernier soupir, on lira: Roi
des Juifs. (Père, je le vois, en écrivant, roi de ceux qui le crucifient). Mon Dieu, qu’il y a
d’amour et d’anéantissement dans la souffrance de Jésus Un moment il m’a appelée ‘’sa bienaimée“. Je veux tout ce qu’il veut pour moi. Sia fatta la volontà di Dio. C’est encore la
meilleure parole de l’Ancilla Domini, la plus humble, la plus douce, celle de la Bambina qui
ne sait rien et qui veut être la petite bien-aimée que rien n’éveille.
20 août 1883, soir
Retraite - Examen
Après l’office, j’ai fait ma pénitence. J’ai été frappée à l’âme :
“Daignez, en changeant le nom d’Eve, nous établir dans la paix“.
Que j’ai vu cela beau ! Sans ce changement, pas de paix complète. Il m’a semblé qu’elle
m’avait changé le nom d’Eve pour me ceindre d’une couronne de lis. A l’examen, j’ai pensé à
: “Voilà l’homme !“‚ à ce qu’a souffert Jésus pour m’acheter cette couronne ? Que d’amour !
Que d’anéantissement !
*
21 Août
1ère méditation
----« Apprenez jusqu’où alla mon humilité dans ma flagellation ».
L’Evangile note un prélude à le flagellation de Jésus, que vous ne devez pas négliger.
Pilate met Jésus en parallèle avec un voleur, un homicide, un aventurier, Barabbas ; et les
juifs préfèrent ce misérable à Jésus.
O Dieu du ciel, vous consentez à être traité plus ignominieusement qu’un voleur et
qu’un séditieux vulgaire, et vous vous taisez !!
Et vous acceptez même le supplice des voleurs et des malfaiteurs, la flagellation !
Vous avez vu à Ste Praxède la colonne de marbre à laquelle Jésus fut attaché pour ce
supplice . Figurez-vous cet Agneau divin, courbé sur cette colonne, nu, au milieu de cette
soldatesque païenne, qui ne connait pas le sentiment de la pitié et recevant les coups
ignominieux et sanglants ? Pour le citoyen romain, la honte de ce supplice était limitée ; on
ne devait pas atteindre 40 coups. Pour Jésus, les coups sont sans nombre ; il veut être traité
comme le plus vil des esclaves !!!!
Un homme de Dieu, qui était aussi un grand homme d’état, en souvenir de la
flagellation de Jésus prenait la discipline pour s’exciter à l’humilité.
Comme bouquet spirituel retenez cette parole des psaumes : « Moi aussi je suis prête,
ô mon Dieu, à me laisser flageller » Ps. 37.
*
19
OUV. 195 - Orig.autogr.
21 août 1883, matin
Retraite
J’ai cherché quelles résolutions Jésus voulait de moi (puisque vous partiez). Le Démon se
jette encore sur moi ; vrai, Père, on dirait une bête, et si méchante, si cruelle, et on dirait aussi
que je la sens presque palpable. Mais il est très, très affaibli. Je ne serais pas étonnée que je
sois guérie ? Ni que la bien-aimée commence à dormir, comme je crois que Jésus le désire
tant. Pouvez-vous lui faire un plus grand plaisir que d’endormir sa Bambina ? Vrai, j’en
doute. Le sommeil est, encore, bien agité. Mais, enfin, je crois qu’il a commencé dans cette
retraite. Tenez, je pourrais ajouter à mes résolutions : “N’éveillez pas la bien-aimée, car elle
doit dormir“. Dites s’il faut le faire ? J’ai pris celles que j’ai cru voir et il m’a semblé que ma
Mère Ste Claire devait entrer dans ma voie. Aussi l’ai-je mise comme une des compagnes du
Jésus qui vivra en moi. (Je lui en veux encore pourtant à Ste Claire). Vous savez, Père, que je
veux prendre, encore, toutes les résolutions que vous voudrez ?
Ma retraite a passé comme un rêve. Ah ! que c’est court ! Jamais une retraite ne m’a semblé si
courte, pas même celle de l’an dernier, je crois. Je n’ai pas voulu insister ce matin, mais,
même vous absent, j’aurais tant voulu rester jusqu’à la saint Louis. J’ai cru plus parfait de dire
Fiat.
21 août 1883
Retraite - 1ère méditation
Ce qui m’a le plus frappée, c’est la pensée qu’il aime et est la victime de ceux qu’il aime.
Rien n’attache comme de s’immoler, et qui s’est immolé comme l’Agneau divin ? Il souffre,
il est flagellé par ceux qu’il aime !! Ils lui préfèrent un voleur et ils ne lui donnent pas même
leur pitié !!! Il est traité comme un esclave ! Quelle lumière ! N’est-il pas l’esclave de l’amour
? L’Esclave que l’amour anéantit ? La voix a dit : “Ne faut-il pas que tu sois mon épouse ?“
(Je ne suis pas sûre que c’est le mot à mot).
Mon Père, que de trésors Jésus m’a donnés ! Non seulement je porte le nom de victime et
celui de sa Passion, mais je vois à une lumière d’amour sa Passion dans ma vie. Et je profite si
mal d’un tel trésor. Vous qui aimez Dieu, mon Père, que vous devez me trouver pauvre,
misérable, folle. Il est vrai que vous ne savez pas ce que j’endure. Priez pour moi ? Mon Dieu,
que l’amour m’anéantisse enfin et me fasse agneau comme mon amour. J’ai été absorbée par
mes scrupules, surtout pendant la Messe ; elle n’a duré qu’une seconde pour moi et je n’ai
rien vu. Je ne suis pas sûre que tout au fond de ce crucifiement, il n’y a pas lumière et repos
en Dieu.
Père, j’ai vu que le fond de ma souffrance pour le Pape, l’Eglise, les âmes, c’est qu’étant leur
victime, ils me brisent plus en me méconnaissant et en me faisant souffrir‚ moi qui les aime
tant. C’est cela qui me rend si sensible. Mais j’ai vu aussi que mon martyre ne doit jamais
arrêter mon immolation, mon anéantissement. Je dois être l’épouse de l’Agneau, qui est
associée à son nom, à sa vie.
2è méditation
----« Apprenez de moi combien je fus doux et humble de cœur en subissant l’ignominie de la
Croix ».
Le Verbe s’était anéanti, selon l’expression de St. Paul, en s’incarnant. Jésus, Dieu et
homme, trouve le moyen de s’humilier encore, de descendre encore plus bas. Il s’humilie en
obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la Croix…
Rapports de l’humilité et de l’obéissance…
20
Le mystère de la Croix c’est le comble des humiliations de Jésus…
Et ce mystère dure sa vie entière : Toute la vie de Jésus est une Croix dit l’auteur de
l’Imitation.
Et Jésus sait bien que ce mystère sera réputé un scandale pour les juifs, traité de folie
par les gentils.
Néanmoins, il vit et meurt à l’ombre de cette Croix ignominieuse…
Mais voilà que cette folie devient sagesse, cette ignominie devient gloire et puissance,
la sagesse de Dieu, la puissance de Dieu, la gloire de Jésus. Le monde est sauvé et se sauvera
toujours par le mystère de la Croix…
O mon Dieu, je ne veux plus d’autre gloire que l’ignominie de votre Croix !!!
*
21 août 1883
Retraite - 2ème méditation
Cœur de Jésus doux et humble dans les ignominies de la Croix.
Je l’ai vue si belle cette sagesse, cette puissance de Dieu ; cette gloire de Jésus dans les
ignominies de la Croix. O mon Père, qu’il me semble que le voir limpide comme je le vois,
est une grande grâce ! Cette grâce de la vue du péché qui est entre Dieu et nous l’enfer du
moi, de l’amour-propre ; cette vue me reste sensible et si lumineuse que je ne sais point le dire
comme je la vois.
Je vois l’incapacité de l’humanité, qui ne pouvait plus avoir un seul rayon d’amour ! L’Enfer
qui se dresse, entre Dieu et l’humanité, est impossible à percer du côté de la terre ! Le Verbe,
la Sagesse fera la voie. Il vient et par sa voie ouverte, l’amour communique, de nouveau, à la
terre, s’y réfléchit. En dehors de sa voie, l’enfer se dresse encore entre Dieu et l’humanité.
Le Verbe s’anéantit et sa sagesse, sa puissance réclament, d’elles-mêmes, qu’il aille aussi loin
que possible dans cet anéantissement de l’amour-propre, cause des malheurs de la terre. Je
vois la Croix se dresser d’elle-même toujours, toujours, jusqu’à ce qu’elle donne la mort.
Jésus laisse (ou mieux il reste) la voie de la terre au ciel, l’amour y darde ses rayons ! Mais là
seulement. Cette voie, c’est l’anéantissement. Ceux qui se tiennent loin dans la voie
réfléchissent bien peu la flamme divine et, au contraire, plus nous sommes près de
l’anéantissement de Jésus, plus nous sommes prés de la jouissance béatifique. Je le vois si
beau !!! En dehors de la voie, c’est l’Enfer !
Père, il est donc certain que plus Jésus crucifie une âme et plus il la glorifie, puisque, par-là, il
la met en rapport plus direct avec la divinité. Il anéantit la terre et il augmente la vision de
Dieu !
J’ai vu (pas très clair, ce me semble, et comme dans la médaille miraculeuse à peu près, mais
pas ou très peu la tête) Marie Immaculée !
Qui est près de la croix comme elle ? A nos yeux de chair, voir souffrir ainsi Jésus serait
presque souffrir plus que Jésus. Cela n’est pas pourtant, mais, après Jésus, le lis sans tache est
la plus belle fleur de la Passion et Marie est, pour moi, comme une voie dans la voie ! Dieu
m’est montré comme l’abîme d’amour (et je ne sais pas dire le reste avec la parole) ; cet
abîme passe par Jésus pour me venir et c’est comme si ma misère passait par Marie pour
communiquer à cet océan d’amour. Cela ne dit pas du tout. Ce sont des feux qui se traversent
l’un l’autre, impossible de dire !! J’ai remercié Dieu de m’avoir donné un Père qui veut
m’anéantir autant que Dieu le veut.
Au Salut, j’ai eu la vue de N.S. en croix ; du côté droit. Il était tourné du côté de l’autel et moi
aussi. A l’Angélus j’avais eu cette vue, en face, un moment très court. J’ai vu que mon grand
moyen d’humilité serait la soumission à Dieu d’abord, ensuite à l’obéissance qui ne fait qu’un
avec lui ! L’obéissance voit et moi je ne vois pas. Que la sainte volonté de Dieu soit la croix
où l’amour m’anéantisse.
21
Au Salut, je crois, Jésus m’a dit : “Maintenant l’obéissance a parlé, c’est à moi qu’il faut
abandonner ton salut“.
J’ai vu qu’il fallait me livrer‚ m’abandonner pour ces scrupules. Ce n’est pas facile à cause de
la bête qui enrage. Père, priez que je le fasse ?
Demain un an que je commençais ma retraite.
Voyez comme Jésus est bon pour sa Bambina. J’aurai eu le Salut tous les jours ! L’an dernier,
je n’avais pas de tabernacle ; il vint le 8.
21 août 1883
Retraite- Examen soir
Père, j’ai appuyé sur l’anéantissement dans l’obéissance au sujet de mes scrupules.
M’abandonner plus à Jésus, m’anéantir dans la confiance. Je l’ai fait un peu depuis hier et je
suis bien mieux, je crois. Père, je n’ai pas dit dans l’oraison (je l’ai oublié) que ceux qui ne
voient pas l’amour dans la voie que Jésus a livrée à la terre (cette voie, c’est comme un rayon
qui perce l’Enfer)‚ tous ceux-là, je les vois en Enfer, ou dans l’Enfer sans fin, ou dans l’Enfer
temporel. Les uns sont fous dans cet Enfer temporel et croient ne pas y être. Hélas ! ne sontils pas les plus malheureux ? S’ils songeaient qu’ils y sont, ils penseraient à en sortir.
J’ai eu aussi un mouvement si singulier quand l’amour me nommait “Petite” ou un peu après
(il m’a nommée ainsi parce que, comme une Bambina, je lui ai dit : “Je ne voudrais pas
d'Enfer”). Ce mouvement sauvage que j’ai eu est indéfinissable. J’aurais voulu voir Jésus,
vous, tous ceux que j’aime au ciel, heureux et triomphants, et moi je m’envolais dans un petit
coin caché, délirant d’un bonheur (impossible de dire les sensations sauvages de ce bonheur) ;
c’était comme un rêve d’enfant.
*
22 Août
méditation
---« Apprenez de moi que je suis toujours doux et humble de cœur dans ma vie eucharistique ».
1. Il est doux et humble dans le sacrifice eucharistique.
Le sacrifice du Calvaire, avec son cortège d’ignominies, ne suffisait pas à Jésus. Il a trouvé le
moyen de le rendre perpétuel, pour renouveler ainsi jusqu’à la fin du monde , et à chaque
heure, le sacrifice de la Croix, rappeler sans cesse à son Père les humiliations , les ignominies
de sa 1ère immolation. O humilité perpétuelle ! perpétuez-vous en moi !!
2.
Jésus est doux et humble dans la vie eucharistique, dans le sacrement qui demeure
après le sacrifice. Quel monde d’humiliation abrite un tabernacle ! Jésus les avaient comptées
toutes ; pourtant son amour de l’humilité et l’humilité de son amour ont passé outre. Il a voulu
cette vie eucharistique…
D’après certains théologiens, la dernière Hostie de la terre à la fin du monde, sera portée
au ciel, pour que les humiliations de la vie eucharistique soient encore adorées dans la
gloire.
« Oh ! vraiment vous êtes un Dieu caché !!! »
1ère
*
OUV.196 - Orig.autogr.
22 août 1883
Retraite -1ère méditation
22
Jésus doux et humble de cœur dans l’Eucharistie. Ô Père, que depuis l’an dernier j’ai pris,
j’espère, la passion de l’Eucharistie. C’est dans ma retraite de 1882 que l’Hostie sainte et pure
m’est devenue une si grande lumière et l’objet d’un si vif amour. Aussi quelle douce joie dans
cette oraison ! J’ai vu, encore, cette splendide beauté de Dieu -Trinité, caché à la terre par un
obstacle que je vois Enfer. Le Verbe perce l’obstacle, il s’anéantit dans la chair humaine par
l’Incarnation, puis il anéantit l’humanité dans la croix. Dès lors que l’humanité est anéantie,
elle revoit son Dieu ! L’amour se mire, de nouveau, en elle !! L’Eucharistie est tout cela à
perpétuité ! C’est le Verbe anéanti dans la chair humaine - C’est l’humanité anéantie dans la
croix - C’est l’amour qui vient du ciel à la terre - C’est l’amour qui va de la terre au ciel - O
mon Père, mon Père, tout est là. Comment est-ce que je ne meurs pas en face de ce trésor que
je vois si beau et qui me donne si soif de la vision béatifique ? J’ai livré Léna à Jésus pour que
le Sacrifice de la croix la fasse toujours plus hostie - Là, encore, les voiles se sont déchirés. Ce
mystère de la gloire dans l’anéantissement de l’humanité, je l’ai vu !! (Je ne puis pas le dire,
mais je le vois et je prie Dieu de vous le montrer). Le plus grand bonheur‚ le plus grand.
triomphe de Jésus, c’est d’être hostie. Plus on est hostie avec lui et plus on partage son
bonheur et son triomphe. Enfin, plus on a part au Sacrifice de la croix et plus on a part au
mystère de l’Hostie.
Donc, Père, quoi qu’il en coûte, il faut que j’aie après cette retraite l’humilité de l’amour et
l’amour de l’humilité. Il faut que je me livre au Sacrifice de la croix pour m’identifier au
mystère de l’Hostie. Être hostie sainte et pure avec Jésus Hostie (vous vous souvenez de mon
chapitre d’Imitation de l’an dernier) ? L’amour m’a dit que j’étais si petite, si petite (enfant) :
“Que veux-tu, puisque tu es si petite ?“ Je n’ai rien osé demander. Alors, du côté droit de
l’autel, j’ai eu la vue d’un ange avec un calice. J’avais un peu peur. Est-ce pour cela qu’il ne
me l’a pas donné ? Je n’ai pas osé le demander, car je n’aime rien de volontaire en moi dans
ces choses.
J’ai prié pour le Pape, vous m’avez dit qu’il verrait clair ? Je ne veux pas douter de cette
parole de l’obéissance. Mais il m’a semblé qu’il pouvait voir clair dans des espaces différents.
Il peut voir clair dans une chambrette spirituelle. Moi, l’horizon qui pourrait s’éclairer pour
lui, je le vois immense. Puisse le Daniel qui est dans la fosse au lion être vraiment un Daniel
et se laisser dévorer (non par le lion) mais par l’amour, afin qu’il obtienne que le lion voie
s’éclairer cet horizon magnifique.
22 août 1883, matin.
Retraite - Examen
Ce n’est pas pendant l’examen, mais à l’oraison, je crois, je me suis demandé si, vraiment, je
ferais le choix que Dieu fit faire, par une autre, ce que je vois.
Père, si cela lui plaisait plus, et même autant (pourvu que cela ne m’enlève pas Dieu), je lui ai
dit : oui, oui ; mais je n’ai pas vu qu’il acceptait. Je crois, Père, que dans un petit coin j’aurai,
peut-être, un premier moment pénible, mais avec ma nature cela passera vite (je ne souffre
que dans la lutte) et je serai plus heureuse. J’ai une organisation si peu ennuyée. En aucun
temps de ma vie (excepté quand mon âme est troublée) je n’ai été malheureuse, même dans la
souffrance. Et je crois que, même cette année, j’ai été bien plus sur la croix par mes peines
d’âme que par le reste.
Mon examen a pris alors cette tournure :
Ô mon âme‚ que veux-tu dans la vie ? Et en vérité j’ai pu répondre :
Je ne la voudrais plus, elle m’est lourde comme l’exil, j’ai soif de la patrie !
Et pourtant, je n’irai pas encore et plus rien ne me consolera de vivre, je crois.
Priez pour moi, Père, et que Dieu vous montre la tristesse de ma pauvre âme. Les scrupules
me tracassent encore (mais je suis obéissante, j’espère). Je me sens si, si seule. Il y a
longtemps que je ne l’avais pas tant senti.
23
22 Août
2ème méditation.
----« Apprenez de moi que je reste doux et humble de cœur dans ma vie glorieuse ellemême ».
O merveille ! après sa résurrection Jésus conserve sa douceur et son humilité !!
Les apôtres sont toujours frères…
Madeleine, la pécheresse, aura l’une de ses 1ères apparitions.
Emmaüs et le lac de Tibériade sont encore des révélations touchantes de son humilité.
Du reste il se manifeste seulement pour prouver la vérité de sa résurrection, mais
comme pendant sa vie, il évite le bruit et l’éclat…
Voyez-le, il monte au ciel, il est assis pour l’éternité à la droite de son Père, mais il
éternise pour ainsi dire l’humilité avec lui. Voyez, il aime à être adoré dans le ciel avec
cette même chair dans laquelle il s‘est anéanti ; il garde avec amour ses stigmates,
éclatants témoins des humiliations endurées. Avec le même amour que les élus aiment
Dieu, ils aiment aussi l’humanité sainte, ses ignominieuses souffrances, ses plaies
adorables.
Jésus au ciel offre à son Père un hymne éternel d’humilité et de charité…
Les Saints prennent part à ce divin concert et sont d’autant plus humbles qu’ils sont
plus hauts dans la gloire.
Oh le psalmiste avait raison de chanter :
« Votre justice, o mon Dieu, est une justice éternelle. Votre loi est vérité ».
*
22 août 1883
Retraite - 2ème méditation
Cœur de Jésus humble dans le triomphe et la gloire.
Jésus est humble dans le triomphe. Pour la créature c’est, souvent, plus difficile que sur la
croix. Mais pour Jésus c’est tout un. Il est toujours aussi anéanti dans l’amour. Il m’a semblé
qu’il me disait que, quoi qu’il arrive dans l’avenir, même s’il me rendait ma charge (à laquelle
je pense de moins en moins‚ je vous l’assure), je devais me manifester aussi peu que possible,
juste assez pour que sa gloire n’en souffre pas. Quoi qu’il arrive, je crois qu’il aimera toujours
à me laisser, le plus possible, à Nazareth ou au tabernacle, c’est tout un. Je n’en dois sortir que
pour la croix, et le service de Notre Père qui est aux cieux. Jésus, près de Madeleine et
cherché par elle a été toujours pour moi si rempli d’oraison : “Ils m’ont pris mon Bien-aimé et
je ne sais où ils l’ont mis“.
Sur la terre le Bien-aimé est toujours plus ou moins pris. On ne le touche pas (toujours du
moins). Père, quand est-ce qu’il viendra dire Marie à mon âme et l’emporter au ciel?
Je suis toujours en possession de cette vue admirable de l’anéantissement ressuscitant
l’amour. “Sa justice est une justice éternelle“. Tout doit s’anéantir en Dieu, c’est justice.
La justice, c’est la loi.
La loi, c’est la vérité.
La vérité, c’est l’amour.
L’amour c’est Dieu lui-même et Dieu, c’est le ciel. Il n’y a qu’une corde.
L’humilité, allez, au fond c’est l’amour de Dieu.
Plus une créature s’anéantit en Dieu, plus elle disparaît elle-même, et plus sa capacité de
contenir Dieu augmente. Jésus, le plus anéanti, est le plus glorifié en Dieu et tous les saints
sont d’autant plus haut qu’ils sont plus anéantis et d’autant plus anéantis qu’ils sont plus haut.
Qui est plus en Dieu que l’Homme-Dieu ? Et qui est plus anéanti, même au ciel que le Dieu-
24
Homme ? Mon Dieu, Père, quand irais-je là où nous serons complètement anéantis, au ciel ?
J’ai soif, soif du ciel ; la terre m’écrase ce soir. Quel exil, mon Dieu, et comment peut-on
l’aimer ?
J’ai eu une vue qui n’entrait pas dans l’oraison. C’est Marie humiliée par Joseph quand elle
portait le trésor. Je crois que c’est cette parole : “Vous me prenez beaucoup de temps ; il faut
être juste“ qui m’a valu cette lumière consolatrice. Mais l’ensemble, aussi, je pense. J’ai
contemplé, si doux et si triste (comme personne de la terre ne peut le savoir si Dieu ne le
montre) le Cœur Immaculé et j’ai tant voulu faire mon cœur comme le sien. Aussi, Père, ne
prenez pas cela pour un reproche (je vous le dis parce que j’ai promis de tout vous dire).
Autrefois, je sais que ma fierté ne pouvait supporter d’être un ennui, un surcroît pour
personne. Mais, maintenant, je suis toujours l’enfant sauvage, mais l’enfant sauvage brisée
par la volonté de son Dieu et qui veut être esclave de son amour. Ne craignez donc pas de
m’avoir fait souffrir. Je sais que vous voulez Dieu, c’est assez !
Si je voyais qu’en me faisant sentir le froid de la terre, vous nuisez, gravement, aux intérêts de
Dieu, je vous le dirais. (Une idée qui me vient : voulez-vous que je vous laisse pour après ma
mort, ou même pour l’an prochain, le nom de toutes les épines qui m’auront déchirée en Dieu
sans que personne le sache ? Vous serez étonné). Tant qu’il n’y a que le froid de la terre qui
fait frissonner mon âme (plus que ma nature, j’espère), il faut laisser Dieu faire, car, j’en suis
comme sûre, l’Ancilla Domini a frissonné avant moi.
Les larmes sont tombées une à une aujourd’hui, tout doucement. Je sentais si bien la terre
terre, et le ciel ciel. Et dire qu’il fait rester sur celle qui se montre si laide, si laide et j’y suis
Marie, triste devant Joseph doutant d’elle et du trésor qu’elle porte. Le Pape, mon Grand-Père,
vous, parfois mes filles, doutez de moi et du Jésus qui habite en moi. Je sens que l’union [à]
ce mystère va m’aider.
22 août 1883, soir
Retraite - dernier examen
En ce moment, me laisser anéantir à Nazareth avec Marie ayant en elle son Jésus ! Joseph,
même Joseph, les méconnaît tous deux. Cependant Joseph ne quitte pas Nazareth, mais il y
souffre, et y fait souffrir. Tel est l’anéantissement permis par le ciel. Autour de Nazareth,
Marie et son trésor sont, encore, bien plus méconnus. Être fidèle, douce et anéantie comme
ma Mère.
Père, ne pensez pas que ce que nous avons dit hier de la charge soit pour rien dans l’état où
Dieu me tient. Je vois, toujours, l’Institut comme un moyen, possible, du triomphe, mais je ne
vois jamais le trésor en lui. Il est plus dans l’Ordre que dans l’Institut, bien qu’il ne soit pas
dans l’Ordre, mais il ne quittera jamais l’Ordre. Le trésor dort en moi. Je le vois comme cela
et vous savez quelle impression m’a donnée le petit tableau où ils sont tous deux si seuls, la
Mère et l’Enfant. Ce qui me fait bien plus, c’est quand une ombre plane sur ma voie à
Nazareth. (Peut-être parce que c’est par-là que le Démon a enchaîné les desseins de Dieu).
Cette fois, c’est un doute profond de l’intérêt de mon Grand-Père et du vôtre qui m’isole avec
Marie et Jésus méconnus à Nazareth.
Je crois, (je vous le dis comme une vraie Bambina cette fois) que je porte un trésor pour tous.
Il est plus à vous deux qu’à tout autre, mais je crois que vous ne connaissez ni la pauvre Léna,
ni son trésor. Ne me plaignez pas trop, car, dans mon angoisse, il y a un recueillement et une
très grande douceur, bien qu’une extrême amertume. Vous croirez que vous ne me
méconnaissez pas, eh bien ! vous verrez au ciel que c’est très vrai, mais vous ne le voyez pas
peut-être.
*
25
Dernière méditation
----GLOIRES ET RECOMPENSES
de l’Humilité
----La gloire éternelle sera proportionnée à notre humilité : celui qui s’humilie sera exalté.
« La gloire recevra l’humble de cœur » ( Prov. 29, 23)
Les élus aiment à chanter : Oh qu’il est bon, Seigneur, que vous nous ayez humiliés !!
( ps. 118)
Avec la Reine de l’humilité ils ajoutent :
« Le Seigneur a renversé les puissants de leur trône, et il a exalté les humbles ».
----O Jésus, donnez-moi l’humilité et je serai assez riche.
Amen !
Fiat !
----L’humilité, dit St Augustin, c’est l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi-même. L’orgueil
c’est l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu.
Prenez N.P.S. François comme patron de l’humilité et gardien de vos résolutions !
*
OUV.197 - Orig.autogr.
[23] août 1883, matin
Retraite - dernière méditation
La gloire, c’est l’amour ; la récompense, c’est l’amour, c’est l’anéantissement de nous-même
en Dieu. Si c’était autre chose, il me semble que je n’aurais jamais pu m’en soucier. Dieu m’a
montré quelque chose de si beau pour bouquet de retraite que je ne pourrai jamais l’oublier.
C’est que je puis augmenter, non son pouvoir d’aimer, mais son amour jouissant. Plus je
m’anéantis, plus je l’aime, mais aussi : plus il m’aimera.
L’amour, c’est l’être de Dieu ! Contemplez-vous, mon Père, la terrible et douce puissance
laissée à l’homme ? Il peut augmenter ou diminuer l’exercice de l’amour en Dieu. Pas quant
au fait, car, même Satan, a laissé Dieu immuable, c’est la créature qui se sépare de Dieu et
non Dieu qui se sépare de la créature. Père, je vois cela beau, beau, trop beau pour que la
parole humaine puisse le définir. Mais ce que je sais bien, c’est qu’à jamais la pensée de
donner davantage à Dieu la joie de la jouissance de m’aimer sur la terre et dans l’éternité,
m’aidera à être fidèle (et cette joie nous la donnons à tous les habitants du ciel, notre fidélité
ajoute à la jouissance de leur amour). Quelle vue écrasante et soulevante. Ô mon Dieu !!
Qu’elle vous aide aussi cette pensée, ô mon Père ; bien plus, vous êtes prêtre, en touchant une
âme songez, non seulement à la gloire et à la joie qui reviendra à Dieu si elle l’aime plus, mais
songez à la joie et à la gloire que vous donnez à Dieu en donnant un plus grand exercice, une
plus grande jouissance à l’amour qui est Dieu même.
“Celui-là est mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis toutes mes complaisances“. Parole éternelle,
on sent Dieu jouir. En petit, nous pouvons faire jouir l'amour-Dieu comme Jésus !!
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J’ai vu que mon vrai sacrifice de la croix s’est fait aux Clarisses. Depuis j’ai toujours été une
hostie immolée. Hostie folle, infidèle, aveugle par instant, mais l’amour de mon Dieu m’a
gardé mon caractère d’hostie. Dans cette voie d’hostie, mon sacrifice de la croix sera souvent
renouvelé, en union avec celui de Jésus, il est comme sanglant.
Et comme personne ne sait l’étendue de mon amour pour l’Eglise et les âmes, personne, de la
terre, ne peut sonder ce crucifiement. Du reste c’est plus vrai encore pour Jésus. C’est
l’étendue de l’amour qui a été l’amertume de la croix.
En plus du sacrifice de la croix, j’aurai les immolations du tabernacle, qui perpétuent les
immolations de la vie de Jésus, et j’ai vu que je saurai toujours (ou presque toujours) à quel
mystère de la vie terrestre et de la vie eucharistique de Jésus, je suis identifiée par sa volonté
amoureuse et massacrante. N’est-ce pas la plus grande grâce de la retraite que celle-là ? Pour
le présent, j’ai été ramenée à Marie à Nazareth. Joseph doute d’elle et du trésor qu’elle porte.
Bien des âmes doutent aussi du tabernacle et de son trésor, l’Eucharistie !!! En moi, je sens
Jésus humilié, enchaîné, méconnu ; et le trésor y est pourtant, ce me semble, et là, à Nazareth,
enveloppée de ma Mère, je n’ai qu’à m’anéantir. Je n’en bouge pas tant que le ciel m’y
tiendra, à moins que vous ne me disiez le contraire ? Si vous laissez faire l’amour, je suis
comme sûre que, quand cet anéantissement cessera, un autre lui succèdera. L’étrange, c’est
que là, Jésus est anéanti en moi, autant et plus que moi, et (comme ce devait être pour Marie)
ce trésor intérieur vers lequel je me penche reste ma force et ma croix.
J’ai confié mes résolutions à notre Père St François. Lui ne me fait pas peur. C’est à ses pieds,
à l’Aracoeli qu’est venue la première étincelle de cette grâce nouvelle. Il aime les petits, les
abandonnés, les délaissés ; à ce titre, l’Institut a tous les droits à son amour. Il aime l’âme
évangélique, la simplicité, l’anéantissement. Son pauvre Agneau, qu’il est allé chercher chez
les Béliers, est attiré, est entré dans les pâturages de son Séraphique Père. Il veut y rester. Que
Dieu fasse à la terre la grâce d’y amener beaucoup d’autres âmes ! Amen
Mes scrupules sont presque partis.
23 août 1883
Résolutions de retraite
“Qu’il croisse et que je diminue“.
Ce n’est plus moi qui dois vivre, c’est Jésus, doux et humble, qui doit vivre en moi. Il aura, en
moi, pour société, Marie, Joseph, mon Père St François et ma Mère Ste Claire.
Ecce Ancilla Domini.
Je remercierai, tous les jours, N.S. de toutes les épreuves et humiliations qu’il a daigné
m’envoyer, surtout dans le cours de l’année écoulée, et je le prierai de les faire servir à ma
sanctification, aux intérêts de l’Eglise, de l’Ordre, de l’Institut et aux âmes du Révérendissime
Père Général et du P.Raphael. Si l’obéissance me dit qu’il y a la même gloire, pour Dieu, à
rester dans l’oubli, je préfèrerai mon état actuel à celui de la supériorité, sans toutefois cesser
de me dévouer pour l’Institut.
Réforme
1° Je ne me plaindrai de rien, ni de personne.
2° Garder, si soigneusement, la présence de Dieu que ce ne soit que par une volonté raisonnée
que je fasse une place aux affaires.
3° Dans la persécution, l’épreuve, rester calme et soumise. L’obéissance verra pour moi et, si
elle me manque, Jésus veillera encore.
4° Être sérieuse à l’extérieur, tout en restant Bambina pour Dieu et l’obéissance.
5° Ne pas parler de mon Père et lui dire comme une enfant si je le fais ; me souvenir du trésor
de Nazareth : on ne le livrait pas.
6° Être humble dans les conseils et tenir compte des avis,
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7° Jésus dit ami à Judas et il le baise. Me posséder, toujours, dans l’humilité et la douceur.
8° Je souffrirai plus parce que j’aime le Pape‚ les âmes‚ comme leur victime, mais je ne
sortirai jamais de l’immolation et de l’anéantissement à cause de la souffrance ou de
l’humiliation.
9° Je m’en tiendrai exactement à tout ce que me dira le Père au sujet de ma correspondance
avec lui.
10° Je lirai chaque mois les Constitutions pour voir si on les observe.
11° Pour mes scrupules et, pour tout, je me livrerai à Dieu et me souviendrai “qu’il ne faut
pas éveiller la bien-aimée, car elle doit dormir“.
Que l’amour m’anéantisse
et
que je m’anéantisse dans I’amour
Amen.
*
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