Premières réflexions sur les conditions d`une acceptabilité sociale

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Groupe de travail « Wilderness et nature férale » du comité français pour l’UICN
Premières réflexions sur les conditions
d’une acceptabilité sociale plus grande
de la réalité et des représentations
relatives à la wilderness et à la nature férale
Christian Barthod
5 septembre 2014
Rappel préalable : il n’existe pas, au sein du groupe de travail, de consensus sur la
terminologie. La note de problématique adoptée à l’automne 2013 appelait l’attention sur les
difficultés afférentes, notamment concernant l’importation de mots cultuellement très
connotés, ou l’usage par le Parlement européen (dans sa résolution du 3 février 2009) de
traductions pouvant prêter à débat. Néanmoins il semble exister un certain accord sur les
réalités sous-jacentes en Europe, et l’enjeu de s’y intéresser, et c’est ce pourquoi la présente
note aborde l’enjeu de l’acceptabilité sociale, sans prétendre régler les problèmes de
terminologie qui divisent le groupe de travail.
En terme d’action, pour mieux « faire accepter » la réalité d’ores et déjà présente dans certains
territoires, mais aussi les représentations afférentes, trois catégories me semblent devoir être
privilégiées, sans marquer à ce stade de priorités : 1) les propriétaires fonciers, 2) les porteurs
de légitimité démocratique, 3) l’opinion publique en tant que s’exprimant sur le sujet.
L’analyse qui suit se situe donc de manière privilégiée dans un contexte où l’on constate déjà
une non exploitation, soit dans une propriété privée qui occupe une surface « appréciable »,
soit au sein d’une unité spatiale plus large où la non exploitation semble une logique forte de
moyen (et long ?) terme.
Les propriétaires fonciers
Le propriétaire foncier d’un tel terrain cherche généralement de manière prioritaire à :
- « entretenir » un enracinement soit dans la région d’origine de la famille, soit dans une
région « choisie ». Dans le contexte culturel français, cet enracinement se réfère
souvent à la fois à un « territoire », à un type d’usage du sol et/ou à des pratiques, en
remettant rarement en cause de manière radicale les choix qui expliquent l’état de cet
« héritage » ;
- ne pas payer la TFNB ou au moins à disposer, par d’autres terrains, des moyens de
payer la TFNB en globalisant ses revenus fonciers ;
- transmettre à ses héritiers des terrains qui a minima n’ont pas perdu de valeur, faute
d’en avoir gagné ;
- ne pas faire de choix susceptibles de mettre en difficulté ses héritiers ;
- sauf forte conviction personnelle, se situer dans une dynamique « moyenne
supérieure », reconnue comme « normale » pour le type de milieu considéré, mais
ayant si possible un « petit plus » (quelque chose qui se remarque, qui est la signature
de la propriété) ;
- éviter de se mettre à dos ceux qui font localement l’opinion (maire, chasseurs, …).
Pour les propriétaires conservant une propriété familiale ancestrale, on constate aussi souvent
une aspiration à ce que leur propriété « continue à jouer un certain rôle » dans la vie locale, et
participe ainsi aux équilibres économiques et sociaux locaux. Par ailleurs pour un propriétaire,
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il est probable que la valorisation de la "propreté" a une dimension éthique : dans des sociétés
de face à face, où l'on est constamment sous le regard des autres, une propriété "bien tenue"
signifie à la fois que l'on ne rechigne pas à la tache et que l'on se préoccupe de son patrimoine,
qualités fort prisées dans une civilisation qui valorise le travail et la propriété.
Conséquences :
- le potentiel d’évolution vers d’espaces susceptibles d’être qualifiés « à haute
naturalité » ou de « nature férale » est peu perçu, la référence d’usage étant souvent un
usage ancien, « au mieux » une forêt ancienne exploitée ;
- les dynamiques induites par le changement d’usage (abandon d’une forêt exploitée,
enfrichement…) sont encore de façon dominante perçues négativement, subies.
- les connaissances et les perceptions peuvent néanmoins changer au cours du temps,
parfois relativement rapidement (ex. de la perception du bois mort par exemple) ; un
important travail de valorisation et de pédagogie est toutefois nécessaire à cette fin,
mais les propriétaires forestiers ne sont pas à l’écart du mouvement des idées au sein
de la société ; il y participent, qu’ils soient en avance, suivistes, ou parfois résistants
face aux tendances de fond qui travaillent la société.
Les porteurs de légitimité démocratique
Les porteurs de légitimité démocratiques (élus ou représentants de l’Etat, ..) ont reçu un
mandat qui porte inextricablement sur un territoire, une population, une famille d’équilibres
économiques, sociaux (et écologiques), une manière de relier l’avenir au présent et au passé.
Un élu confronté à des espaces de type « wilderness ou nature férale » cherche généralement
à ce que ces espaces aient une certaine affectation dans la vie économique et sociale locale,
soit en tant que « potentiel » (de récolte de bois, de lieu de loisirs, ..), soit à tout le moins en
tant que « marqueur de l’identité locale ». Dans le premier cas, le risque est de servir de lieu
d’accueil pour des projets (notamment via la desserte qui est considéré comme un facteur
rendant « opérationnel » ce qui est encore potentiel). Dans le second cas, il est nécessaire que
le territoire se voit reconnaître une certaine valeur, soit localement (territoire pour la chasse, le
ramassage des champignons, lieu de mémoire locale, …), soit par des personnes extérieures
capables de faire partager ce qu’elles admirent.
Le maire n’est pas le seul élu « légitime » pour développer ces approches, et il existe souvent
un réseau complexe, à la fois solidaire et en compétition, entre élus et autres porteurs de
légitimité démocratique : cf. l’intercommunalité de service, le canton, les structures de
planification territoriales, le département, le discours des représentants de l’Etat. Un élu isolé
doit avoir une très forte personnalité pour développer « à côté » ou « contre » les autres
porteurs de légitimité démocratique un regard différent sur de tels espaces.
Les porteurs de légitimité démocratique développent des valeurs propres et des schémas de
représentation de ce qu’est l’avenir d’un territoire, avec la prégnance de trois références
culturelles qui définissent en creux ce qu’est un porteur efficace de légitimité démocratique:
- l’augmentation de population, avec l’arrivée de jeunes, à tout le moins la non
régression démographique ;
- un bien-être des populations assimilé à une palette facilement accessible de services
publics et privés inspiré par le modèle culturel dominant ;
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-
faire quelque chose est mieux que de ne rien faire.
A ce titre ils ne sont pas nécessairement en phase avec l’opinion publique, quand les valeurs
portées par l’opinion publique, ou des segments qui savent se faire entendre, heurtent les trois
références sus-mentionnées. En matière d’environnement, les quelques études disponibles
montrent les différences de perception entre élus et opinion publique.
Conséquences :
- les références culturelles des porteurs de légitimité démocratiques sont des éléments
forts à ne pas occulter. Le souhait de favoriser « l’augmentation de la population » et
le besoin vécu de « faire quelque chose » peuvent conduire à s’opposer à des
approches et/ou à des discours valorisant la « wilderness » ou la « nature férale » sur
des surfaces qui ne seraient pas perçues comme purement anecdotiques ou sans enjeu
localement. Le souci du « bien-être » des populations est une motivation plus
ambivalente : il peut-être certes être vécu comme s’opposant toute reconnaissance de
la valeur de la nature férale, si on le conçoit sous forme d’aménagement (routes,
habitations, antennes relais…) ; mais il peut aussi être considéré, sous certaines
conditions, comme compatible avec une valorisation positive du cadre de vie naturel.
- la valorisation d’une identité locale renforcée peut se prêter à des projets intégrant une
certaine reconnaissance de la «wilderness» et/ou de la nature férale ;
- il est incontournable de devoir travailler sur les différences de perceptions des porteurs
de légitimité démocratiques avec l’opinion publique et avec les propriétaires fonciers :
comment les faire se rapprocher ?
L’opinion publique s’exprimant
L’opinion publique ne cesse d’évoluer, mais au sein de familles culturelles propres (cf. les 3
regards sur la forêt des études CREDOC en région Ile de France : sauvage, aménagée, saine,
sans oublier l’absence de regard structuré d’environ 20-25% de la population). Il existe une
sensibilité européenne globale (cf. l’étude européenne de 2009 sur la perception de la forêt),
mais aussi des sensibilités différentes Europe du Nord/Europe du Sud, mais aussi Europe du
Sud-Ouest, … Il est nécessaire de prêter attention au fait qu’il serait illusoire de considérer
l’opinion publique comme un tout, identique en tous points du territoire national, et plus
encore de ne pas prendre en considération qu’elle peut s’exprimer différemment selon le
degré de proximité de l’espace en « discussion sur son avenir ».
Dans un certain nombre de régions, des études sociologiques montrent que les habitants, et les
paysans au premier chef, déplorent les stigmates de la déprise actuelle, mais qu’ils ne voient
plus guère les traces des abandons passés, ou font mine de les oublier. Ils se sont accommodés
de ces anciennes friches (aujourd'hui des bois et des forêts) qui avaient peut-être jadis offensé
le regard de leurs parents. Néanmoins, globalement, si le sauvage est déprécié, le domestique
est incontestablement valorisé.
Certaines études nous sensibilisent au fait que gestionnaires et militants vivent dans un monde
qu’ils organisent par l’opposition entre nature et artifice, alors que les « gens du lieu »
structurent leur propre monde en distinguant le sauvage du domestique. Cette différence est à
la source de nombreux malentendus, dans la mesure où la nature des uns est le sauvage des
autres, alors que le domestique de ces derniers est conçu par les premiers comme résultant
d’une artificialisation. Mais dans un contexte de déprise agricole (et forestière ?), les
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frontières du sauvage et du domestique deviennent de plus en plus poreuses et de plus en plus
floues. Cependant, pour les ruraux, la valorisation de la nature, comme l’intérêt porté aux
grands ongulés ou aux grands prédateurs, semblent majoritairement perçus comme la
valorisation d’un sauvage qui ne se tient plus à sa place ; la dévalorisation du domestique et
son assimilation à un pur artifice est tout aussi incompréhensible.
Conséquences :
- cet état de l’opinion, à diverse échelles, est une question à approfondir, pour en
extraire plus spécifiquement ce qui est le plus signifiant pour une reconnaissance de la
valeur des espaces à haute naturalité et des espaces de nature férale ;
- cela pourrait, le cas échéant, conduire l’UICN à s’associer à (une ?) des initiatives
cherchant à dresser un état zéro sur la question (à l’instar de ce qui s’est fait en
Ecosse) ;
- que pourrait apporter des démarches participatives pour la définition des zones de
«wilderness» (telles que développées en Ecosse) ?
Conclusion sous forme de pistes de réflexion pour le groupe de travail
Pour tenter d’avancer dans la direction d’une plus grande acceptabilité sociale de la réalité et
des représentations relatives à la «wilderness» et à la nature férale, il semble nécessaire de
travailler simultanément sur les trois étages où se décident l’avenir de la «wilderness» et à la
nature férale.
Nous avons besoin que cette réflexion ne porte pas seulement sur l’objet « wilderness » et/ou
« nature férale », mais qu’elle associe philosophes, sociologues, géographes et historiens des
territoires, en interactions avec les experts de ces concepts d’écologie (qui ne sont pas
« neutres »), pour intégrer les sensibilités et références culturelles des acteurs qui peuvent par
leurs choix (explicites ou non) déterminer l’avenir de ces territoires.
La note de problématique déjà adoptée, et sa manière de définir l’intérêt porté à la fois à la
«wilderness» et à la nature férale, illustrent le fait que les réalités auxquelles nous nous
intéressons ne cherche nullement à nier l’action de l’homme, ni dans la constitution de ces
réalités, ni dans ce qui détermine leur avenir et leur originalité. Le développement d’une
acceptabilité sociale n’exige donc pas préalablement une adhésion philosophique à une idée
de nature n’existant qu’en dehors de l’homme, pas plus que la contestation radicale des
politiques de protection de la nature développées depuis plus ou moins un siècle.
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