L`EPS de 1940 à nos jours : la sportivisation et ses

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Ecrit 1
Texte série 4
L’EPS de 1940 à nos jours : la sportivisation et ses
conséquences
Auteur : Gilles Fernandez
I-
Continuité, un retour à la tradition éclectique et hygiénique
(1945-1959) :
1. Présentation.
Bornée par deux IO, cette période marque un retour à une EP traditionnelle et aux
valeurs de base des années 1920/1930.
Face à ce modèle hygiénique, le courant sportif va proposer une alternative que le
corps des enseignants (mieux formés, plus sensibilisés à ce sport, plus nombreux et plus
organisés) va largement exploiter dans les leçons d’EP.
2. L’EP scolaire :
2.1 Les instructions ministérielles de 1945 :
Le 1 octobre 1945, de nouvelles instructions sont proposées pour abroger celles de
1941 et proposer ce que beaucoup appellent un cadre éclectique « ouvert ».
Le texte formalise quatre principes méthodologiques à respecter :
- L’EPS concerne tous les âges, même si chaque âge à ses caractéristiques propres.
Il est nécessaire de s’attaquer à la faiblesse organique des enfants, à leur
épanouissement et à leur santé. L’idée d’unicité de l’être est rappelée.
- L’EPS doit tenir compte de la valeur physique, mais aussi technique et
psychologique de l’enfant et même des saisons, du climat ou du matériel
disponible. L’évaluation médicale de l’élève retrouve sa place centrale afin
d’assurer un développement normal. La constitution de quatre groupes d’élèves en
référence à leur valeur physique perdure et se trouve même renforcée avec la mise
en place des services d’hygiène scolaire et universitaire et des centres de
rééducation physique pour les enfants du groupe 4 (dispensés d’EP normal).
- A chaque méthode correspond une finalité appropriée. Une formation complète et
équilibrée passe par une articulation cohérente de l’éclectisme des moyens. Les
finalités n’apportent donc rien de nouveau : développement normal, attitude
correcte, habitude du geste naturel, affinement du geste, développement de l’esprit
d’équipe, amélioration de la discipline, de la virilité et de l’altruisme et préparation
à la vie sociale.
- L’EP est toujours organisée en deux temps : la leçon développe les qualités de
base et le plein air, des applications plus globales, dynamiques, jouées.
Si le texte laisse une liberté apparente d’adaptation aux enseignants, il reste, toutefois,
très précis et contraignant sur l’organisation de l’EP dans les établissements : en effet, tout est
prévu par ce texte :
- Le découpage de l’année.
- Une planification de la formation sur le cursus de l’élève.
- L’organisation de la séance avec un plan type.
- L’organisation des groupes et des élèves.
2.2 Les oppositions conceptuelles et corporatives :
Si de 1945 à 1959, l’EP scolaire semble peu évoluer. Andrieu (1992) montre que cette
période voit s’opposer deux grandes tendances :
- La tendance sportive de l’Institut National des Sports (INS), où dans des
conditions matérielles précaires, une équipe de cadres est constituée autour de M.
Baquet, directeur technique de l’INS. Une revue technique (1947) - revue qui
deviendra la revue EPS en 1950 – sera chargée de formaliser et de diffuser cette
méthode sportive par une étude précise des diverses spécialités sportives et des
techniques correspondantes.
- La tendance gymnastique construite de la ligue française d’EP avec notamment, P.
Seurin. A travers cette institution et leur revue « l’homme sain », il s’agit de faire
partager l’idéal de Tissié et de faire perdurer l’option médicale et hygiénique de
l’EP. L’ouvrage collectif, sous la direction de P. Seurin « vers une EP
méthodique », en 1949, résume parfaitement la conception développée. Référence
aux sciences biologiques.
2.3 Les IO de 1959 : un rappel à l’ordre inutile.
L’inspection générale semble, de par la constitution de ses membres, acquise au
courant gymnique, « pro-médical ». devant la vivacité du courant sportif, devant
l’introduction massive du sport dans les leçons d’EP par les enseignants, devant l’incohérence
ou, du moins, la diversité des EP sur le terrain, mais également devant le « danger » que
représente le projet politique de Herzog, cette IG, très tardivement, va rédiger un nouveau
texte pour recadrer l’action pédagogique et éducative des enseignants. Si le sport n’est pas
critiqué, c’est l’utilisation exclusive et démagogique (pour faire plaisir aux élèves, sans visée
de formation…) de cette pratique qui est dénoncée. Ainsi l’EP doit s’organiser en deux
temps :
- Une gymnastique construite de formation où des exercices simples, localisés puis
plus complexes et combinés viseront le développement des qualités de base et
l’amélioration corporelle et mentale.
- Une gymnastique fonctionnelle d’application permettant d’appliquer dans des
exercices plus motivants, plus dynamiques, plus joués et plus globaux, les
acquisitions initiales. Les méthodes naturelles et sportives permettront d’adapter
l’individu à l’objet ou à l’environnement.
Il s’agit bien d’un « éclectisme fermé » (Combeau-Mari, 1993) visant « la recherche
du rendement optimum et fonctionnel » (Seurin, 1949).
Ce texte, complètement inadapté au contexte de l’époque et aux évolutions de la
profession, n’aura aucun effet tant le décalage est important. La profession est, en cette fin des
années cinquante, largement acquise à la conception sportive ou du moins à la pratique
sportive.
3. Le sport et le système scolaire :
Le 11 mars 1946, sous le gouvernement provisoire de la république, le BSP « renaît ».
Le décret va surtout créer, pour les plus de 18 ans, un degré supérieur. Cette distinction
(brevet populaire, brevet supérieur) renforce la dimension sportive et compétitive de cette
épreuve. De plus, dès 1947, des challenges sont organisés avec la distribution de récompenses
(subventions, matériel…) pour les départements, les clubs sportifs et les établissements
scolaires ayant obtenu le plus fort pourcentage de BSP. De nombreux établissements scolaires
organisèrent une préparation à ce BSP dans l’optique d’obtenir du matériel (ballons,
maillots…) ; ce qui conduira, incontestablement, à sensibiliser fortement les élèves et
enseignants, aux pratiques sportives. Les séances de sport scolaire et la demi-journée de plein
air sont naturellement les lieux les plus appropriés pour mettre en place cette formation.
Dès la libération, l’OSSU reprend son titre, sa place à l’éducation nationale et surtout,
est reconnu d’utilité publique. Nous pouvons dégager six points qui marquent le
développement et l’orientation du sport scolaire :
- En 1945, la création des associations sportives devient obligatoire dans les
établissements du second degré et le jeudi après-midi doit être libéré par le chef
d’établissement. Cette disposition, fondamentale, est la base de l’extension du
sport à l’école.
- Par les IO de 1945, ce sport scolaire est officiellement placé dans le prolongement
de l’EP obligatoire et, surtout, de l’initiation sportive dispensé dans le plein air.
Une volonté de cohérence entre les différents temps et espaces scolaires d’EP est
recherchée.
- De nombreuses garanties pour protéger les enfants des excès du sport de
compétition sont prises (contrôle médico-sportif, catégories d’âge, formes de
compétition). On conserve ici, l’idée de développer un sport pur, vrai, spécifique et
autonome.
- Le décret du 25 mai 1950 intègre un forfait de trois heures dans l’emploi du temps
hebdomadaire des enseignants d’EPS pour animer les AS.
- On multiplie les conventions et les partenariats, pour les compétitions, entre les
différentes structures et institutions sportives. Une cohérence externe est ici
recherchée dans la formation sportive de la jeunesse.
- En 1948, l’OSSU est admise au conseil national des sports ; ce qui consacre sa
reconnaissance par les instances sportives nationales.
4. Le contexte explicatif :
C’est la situation de la jeunesse qui est inquiétante : « 80 % des jeunes sont des
déficients physiologiques, scoliotiques, insuffisants respiratoires et musculaires »
(Berthoumieu, IG, 1946).
Cet aspect social et sanitaire est renforcé par la puissance des sciences biologiques
qui dominent toujours les références scientifiques.
II-
Rupture : l’éducation sportive, un choix politique (19591965).
1. Présentation :
« Les années 1960 sont une véritable charnière dans l’histoire de l’EP en France »
(Andrieu, 1990).
2. La stratégie de M. Herzog dans un contexte politique nouveau :
L’avènement de la 5ème République, en 1958, et le retour du Général De Gaulle
placent le pays dans un contexte fort différent. De nouvelles valeurs sont alors prônées. L’idée
de prestige est véhiculée. La France doit briller à l’extérieur et dans tous les domaines
(culturel, scientifique, artistique, industriel, et naturellement sportif). Le sport devient « un
révélateur de la force d’un pays dans les relations internationales » (Thibault, 1971).
Le 5 octobre 1958 est créé un haut commissariat à la jeunesse et aux sports et De
Gaulle fait appel, pour conduire cette politique, à une figure emblématique du monde sportif,
Maurice Herzog. Herzog, fortement soutenu par le Général, disposera d’une liberté d’action
très importante et, pour la première fois, de moyens adéquats à son projet de révolution
sportive.
Le ministre développera deux idées :
- Le développement de la pratique sportive de masse doit aboutir à la sélection
d’une élite forte. Le système de la « pyramide coubertinienne » est la référence.
- L’EP qu’il s’agit de moderniser, est à la base de ce projet. C’est par l’EP scolaire
que la sensibilisation et l’initiation sportives doivent s’effectuer. Un système de
détection des aptitudes sera mis en place.
Herzog annoncera rapidement sa ferme intention de « rendre l’EP moderne et
attrayante en l’orientant vers une initiation aux sports et aux activités de plein air ».
Sa stratégie peut être présentée en quatre étapes caractéristiques d’une attitude
particulière à chaque fois :
- Stratégie de séduction des acteurs de l’EP :
Par exemple, il va instituer une épreuve d’EP obligatoire aux baccalauréats en
1958. par ce biais, il montre aux syndicats et aux enseignants son souci de faire
reconnaître la discipline.
Selon Martin en 1996, « soucieux d’éviter un conflit, Herzog accepte, à titre
provisoire, la publication d’instructions qui en réalité, sont fort loin de recevoir son
adhésion ». Il laisse faire l’IG, sachant très bien le peu d’impact qu’auront ces IO
sur les pratiques, contrairement à sa réforme du bac.
- Stratégie matérielle :
Par exemple, il obtient du ministère des finances, une loi de programmation
quinquennale sur l’équipement sportif. La première loi (1961-1965) est votée,
d’autres suivront et vont permettre de doter la France de structures sportives de
qualité. Il augmente, de façon nette, le recrutement des enseignants d’EP. Enfin, il
met en place les « métiers du sport » avec le diplôme de conseiller sportif en 1960,
puis le BE à partir de 1963, etc.
- Stratégie de pouvoir :
Malgré de vives et nombreuses contestations de l’IG, Herzog profitera d’un
rapport de force favorable et fera passer son projet à coups de circulaires entre
-
1961 et 1962. le coup de force est décisif. Toutefois la profession prend conscience
de l’insuffisance d’une telle démarche et action politique. Il apparaît pour
beaucoup, nécessaire de mener une réflexion sur les fondements éducatifs de cette
pratique sportive afin de mieux ancrer l’EP dans les valeurs de l’école.
Stratégie d’infléchissement :
Face aux réticences et résistances professionnelles, Herzog doit nuancer son projet
initial : L’EP ne sera pas une éducation sportive mais une éducation physique et
sportive. Après avoir rendu officiellement l’EP sportive, il va mettre en place deux
commissions qui auront pour tâche de définir les bases éducatives du sport et de
son utilisation à l’école.
o La première commission aura pour tâche de mener une réflexion générale
et philosophique sur les valeurs du sport. C’est Borotra qui sera le président
de cette commission intitulée « doctrine du sport ». Une plaquette présente
en 1965, le sport comme un moyen exceptionnel d’éducation, un précieux
facteur d’épanouissement de la personne et un moyen de promotion
humaine. Les IO de 1967 vont largement s’en inspirer.
o La seconde commission, plus traditionnelle, aura pour tâche la rédaction de
nouvelles IO.
3. Vers une éducation sportive :
3.1 La circulaire du 1er juin 1961 :
Le choix de commencer la réforme par le plein air peut s’expliquer par le caractère
plus récréatif de cet espace éducatif scolaire. La circulaire créant la demi journée de sport
impose aux enseignants de préparer et d’organiser des compétitions sportives.
3.2 La circulaire du 21 août 1962 :
Intitulée « instructions pour l’organisation des activités de sport : initiation,
entraînement, compétition », cette circulaire réorganise totalement le cadre et le contenu de
l’EP scolaire. Pour la première fois, l’initiation sportive est introduite dans les deux heures
d’EPS hebdomadaires. Une cohérence d’ensemble apparaît en trois temps :
- La leçon : initiation technique.
- La demi-journée de sport : entraînement aux compétitions de masse (interclasses).
- Le sport scolaire : compétitions plus sélectives.
L’objectif n’est plus la santé mais il faut « donner aux élèves le maximum de
connaissances techniques et d’entraînement physique ».
3.3 Le sport scolaire :
L’ASSU sera créée dans une optique plus sportive, plus compétitive et plus
associative. L’idée de complémentarité apparaît de façon explicite entre l’EP et le secteur
associatif. Le sport scolaire devient le maillon indispensable entre le monde scolaire
(initiation pour tous) et les clubs civils. Il sera autant un outil de sensibilisation à la
compétition qu’un outil de sélection, d’orientation des meilleurs éléments.
4. Conclusion : une politique sportive.
Le glissement de l’EP vers une éducation sportive préparatrice aux activités
extrascolaires est une réalité.
Andrieu (1992) montre, dans ce contexte, une certaine confusion entre les deux
secteurs d’autant que l’enseignant est souvent l’entraîneur d’une association et que les
installations municipales seront les mêmes pour les deux. Des objectifs proches, des
intervenants souvent identiques, des lieux de pratique partagés, tous les ingrédients d’une
confusion, d’un amalgame sont présents.
Une réaction va apparaître. Les enseignants, dans leur souci d’assimilation au monde
scolaire et au statut d’enseignant, refusent de plus en plus d’endosser le costume, jugé trop
étroit, d’animateur ou d’entraîneur.
Il faut donc dépasser l’assimilation EP/sport en étudiant la portée éducative de cette
pratique et la spécificité de son enseignement à l’école et en EP.
III- Continuité : pour un sport éducatif (1965-1971).
1. Présentation :
Si tout le monde, dans la profession, est d’accord pour que l’EP ne se confonde pas
avec le sport, deux grandes tendances (de façon schématique) vont alimenter le débat sur le
sens à donner à la discipline. D’un côté, la référence aux sports est indiscutable (courant
sportif), mais cette activité se doit d’être traitée pour la rendre assimilable par les élèves et
conforme au cadre et aux normes scolaires. D’un autre côté, ce n’est pas l’objet de l’EP qui
est important mais bien le sujet, c’est à dire l’enfant qu(il s’agit de former et de développer à
travers des activités physiques, sportives ou non. Une image scolaire et éducative doit être
donnée à la discipline afin de montrer ce qu’elle apporte au développement de la personne.
Les professeurs d’EP se prennent en charge et s’organisent sur le plan national et
multiplient leurs aventures en allant, eux-mêmes, puiser les éléments scientifiques dont ils ont
besoin dans les recherches les plus actuelles.
Référence nouvelle et quasi exclusive aux sciences humaines pour alimenter et
justifier le rôle de l’EP autant que ses effets.
2. Les réflexions professionnelles sur l’objet sportif de l’EP :
2.1 Présentation : un cadre idéologique.
L’EP devra poursuivre, selon Mérand (1967), trois grandes orientations et finalités :
- L’EPS doit se définir face à la société de consommation. Pour cela, elle doit
former des hommes autonomes afin de consommer de façon éclairée et consciente.
- L’EPS doit se définir en relation avec une société de changement en formant un
homme adaptable, c’est à dire polyvalent, dynamique, apte au reclassement.
- L’EPS doit se concevoir dans une société de prestige et conduire le sujet vers
l’excellence.
Cette conception idéologique sera la base des réflexions sur le sport et sur son
utilisation à des fins d’éducation.
2.2 Des expérimentations dans les établissements scolaires français :
Des équipes d’enseignants vont chercher à rationaliser cet enseignement sportif en
concevant des modèle d’organisation pédagogique expérimentés qu’il s’agira, ensuite, de
diffuser.
- Le lycée de Corbeil-Essonnes ; trois principes vont servir de base à cette
innovation pédagogique :
 Comme le souhaitait Herzog (1963), la compétition est considérée comme un
moyen éducatif irremplaçable.
 Le travail est organisé sous forme de cycles de trois semaines où alternent des
séances d’entraînement et des séances de matches. C’est l’observation du
match qui permet de définir les contenus du futur entraînement (d’ailleurs,
actuellement, la situation de référence se conçoit dans la même logique).
 Enfin, si l’élève aura un rôle de gestionnaire, il sera regroupé en équipes ou en
clubs, stables mais hétérogènes. L’activité sportive est considérée comme une
activité de groupe aux vertus socialisantes.
-
La République des sports à Calais sous l’impulsion de J. De Rette ; en plus des
trois principes précédents, partagés ici, deux aspects importants :
 La volonté est de réorganiser la formation sportive des enfants dans son
ensemble par une « politique omnisports de masse » (Andrieu, 1990). Une
« carte du sport libre » sera créée pour permettre une relation entre les activités
sportives scolaires (EPS, ASSU) et les secteurs associatifs de la ville. Les
passerelles, les complémentarités sont facilitées.
 La mise en place d’une organisation rationnelle de la formation aux APS dans
le cursus de l’élève. Dans un premier temps, les sports sont regroupés en trois
familles (individuels, collectifs, plein air). Puis une formation sportive
progressive, complète et équilibrée est recherchée :
 6ème/5ème : succession de stages de trois à quatre semaines pour découvrir
un maximum de sports.
 4ème/3ème/2nde : succession de saison de trois mois pour se perfectionner
dans deux APS de chaque famille.
 1ère/Terminale : succession de saisons de quatre mois pour se spécialiser
dans une APS de chaque famille.
De la découverte à la spécialisation dans un souci de polyvalence, telle est la
logique de choix des APS, très proche de la nôtre actuellement.
Selon Delaubert (1974), ces « expérimentations » vont jouer « un rôle considérable
dans l’évolution de l’EP en France » autant par les organisations innovantes qu’elles
proposent que par le dynamisme qu’elles créent et le succès qu’elles rencontrent.
2.4 Une conception socioculturelle :
Pour P. Arnaud (1989), le passage EP/EPS est représentatif « d’un bouleversement des
références culturelles d’une profession soucieuse d’éduquer l’enfant et l’adolescent tout en
répondant à ses aspirations et à ses motivations ». L’entrée du sport à l’école s’effectue
également « sous couvert de motivation des élèves » (Andrieu, 1992).
Toutefois, un problème lié à l’évolution des pratiques culturelles dans la société va
apparaître rapidement. Les années soixante marquent, selon Clément (1988), une évolution
assez nette du rapport au corps qui se traduit, pour Camy (1988) par une nouvelle culture
somatique, faite d’hédonisme, de référents bio-informationnels, de narcissisme, de refus de
l’ascétisme. La diversification des pratiques et donc des référents entraîne des cultures
sportives diversifiées (Pociello, 1996 ; Loret, 1995) et pose, à la discipline, le crucial
problème du choix, de la sélection de cette référence. En 1960, il est clair que le choix se
construit sur la base des pratiques sportives traditionnelles où le trio
athlétisme/natation/gymnastique qui règne aux examens, associé aux sports collectifs, domine
et dominera encore longtemps.
3. Les réflexions théoriques sur le sujet et sa conduite :
3.1 Le Boulch et la psychocinétique :
La théorie de Le Boulch peut être présentée et résumée en quelques points :
- La psychocinétique refuse l’éclectisme et vise une conception unitaire de
l’éducation corporelle. Trois principes généraux pour parvenir à cette unité
éducative :
 Nécessité de construire une EP scientifique qui doit se détacher de l’EP
sportive et hygiénique. Il faut construire une terminologie propre et un cadre
structuré.
 L’EP doit se rattacher à une conception générale de l’éducation.
 L’EP doit s’inspirer de la pédagogie non directive des méthodes actives.
- Les références scientifiques sont novatrices pour l’époque puisque Le Boulch
utilise deux notions principales pour construire sa psychocinétique :
 La prise de conscience.
 La structuration du schéma corporel.
Le Boulch construira un système pédagogique assez précis dont nous retiendrons
certains points afin de situer ses perspectives didactiques :
- L’étude de la valeur motrice lui permet de distinguer les facteurs mécaniques
d’exécution et les facteurs psychomoteurs.
- Les conduites peuvent être ramenées à trois aspects : perceptif, intégratif et
effecteur.
- Il propose une pédagogie d’éveil facilitée par l’introduction de situationsproblèmes et la multiplication des situations afin que l’individu puisse apprendre
par essais-erreurs.
- Le rôle de l’enseignant est centrale. Il devient le médiateur dans la relation
sujet/situation
3.2 Parlebas et la psycho-socio-motricité :
Trois niveaux de réflexion peuvent être dégagés afin de mieux cerner sa conception.
-
-
Le constat : quand il écrit « l’EP en miettes », il illustre l’absence de contenu, et
définit une EP en proie à un éclatement grandissant.
Critique du dualisme : l’homme est une totalité, elle-même inséparable de son
milieu physique et social.
Conception idéologique : Parlebas s’appuie sur les travaux de Le Boulch, mais les
dépasse en considérant l’individu comme un être social et sa motricité comme
empreinte de cette nouvelle dimension. Cette éducation sera celle des conduites
motrices, véritable objet de l’EP.
-
Les perspectives scientifiques : il s’agit de constituer une « science de l’action
motrice » en retenant principalement l’analyse structurale comme méthode
d’investigation.
4. Une vision plus systémique : Justin Teissié.
Cette conception, fortement influencée par les sciences humaines, proposera une
méthode sportive centrée sur les conduites de l’enfant et, plus particulièrement, sur « la
maîtrise corporelle » du sujet. Ce n’est donc pas la production culturelle du sport qui est
primordiale. Sa spécificité apparaît à travers quatre formes d’expression de la maîtrise
corporelle :
- Maîtrise du corps propre.
- Maîtrise des engins.
- Maîtrise des déplacements.
- Maîtrise des oppositions.
Cette idée de choisir l’APS au regard de son effet visé sur la conduite et la maîtrise
corporelle fera son chemin et influencera autant les IO de 1967 que la définition des situations
éducatives du programme d’EP de 1996.
5. Une synthèse institutionnelle : le sprt au service du
développement de l’enfant :
Les IO de 1967 viennent nuancer l’orientation purement et exclusivement sportive de
la période précédente, en tentant d’éclaircir, sur le plan théorique, d’une part les rapports entre
les sports et l’EP et, sur le plan pratique, d’autre part, l’utilisation rationnelle, efficace et
éducative de ces pratiques sportives. « Contrairement à idée reçue, les IO de 1967
apparaissent, à bien des égards, comme un texte de rupture avec le passé immédiat » (Martin,
1997).
Ces IO sont dialectiques dans le sens où elles officialisent le courant sportif mais
également par le fait qu’elles instituent la nécessaire différenciation avec le contenu.
Selon Delaubert (1967), ces IO permettent :
- De définir une vue unitaire des objectifs et des moyens.
- De développer une conception dynamique de l’EP des enfants sains.
- De réserver une large place aux sports, pédagogiquement organisés.
- D’unifier les programmes des AP éducatives.
- D’organiser rationnellement l’enseignement.
6. Le contexte explicatif :
6.1 Une totale mutation théorique :
L’activité humaine est pensée dans sa globalité (l’unité de l’être redonne au corps un
statut important) et dans son interaction avec l’environnement tant physique qu’humain.
6.2 Le sport, fait social de masse :
Nous retiendrons quatre éléments qui vont, bouleverser le rapport au corps et, plus
spécifiquement, la place du sport dans la société :
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Une augmentation sans précédent du pouvoir d’achat inaugure pour la France une
ère de prospérité, celle de l’abondance ou, plus largement, de la société de
consommation.
Une évolution profonde des mentalités s’opère. Le sport se place dans cette
perspective progressiste, d’innovation et de renouvellement de la pensée
technique. De plus, l’hédonisme et un rapport au corps différent aboutissent à de
nouveaux styles de vie où le sport, en tant que loisir et pratique culturelle, tient une
place importante.
Une évolution plus sociologique est marquée avec l’augmentation importante des
classes moyennes (secteur tertiaire), plus urbanisées, féminisées, jeunes et avides
de consommation. Cette évolution se double du rôle nouveau de la femme qui
s’émancipe. La libération des mœurs autant que la libération technologique
permettent à la femme d’avoir accès aux pratiques culturelles et donc aux sports
avec plus de facilité. Dans la même logique, un autre groupe social se constitue, à
cette époque, comme force autonome : les jeunes et notamment les adolescents,
avec la volonté de liberté, de confiance, de responsabilité et d’autonomie.
L’accès à cette société de consommation (Baudrillard) se double d’un accès à la
société des loisirs (Dumazedier, 1972) et la culture de masse. Dumazedier situe
parfaitement cette évolution en relation avec l’augmentation du temps libre, la
transformation des modes de travail (bureaucratisation) et l’évolution des styles de
vie.
Ces aspects sociaux, économiques, sociologiques et culturels font que le sport, tout en
se démocratisant, devient un fait culturel reconnu. L’école ne peut donc plus le laisser à ses
portes.
6.3 Réformes du système scolaire : de nouvelles motivations.
Les réformes Berthoin (1959), Fouchet (1963) puis Haby (1975) marquent
l’unification et la démocratisation du système. Cette évolution structurelle se double et cela
posera des problèmes, d’une massification sans précédent, notamment en collège. Les
effectifs explosent. Le public s’est modifié ; sa motivation également. La gymnastique,
construite pour une jeunesse souffreteuse et docile n’a plus raison d’être. Le dynamisme, la
modernité, la performance caractérisent cette mentalité et la demande des élèves.
Le dialogue, la dynamique de groupe, la non-directivité deviennent des modèles
éducatifs dominants et tendent à remplacer les valeurs traditionnelles de respect, de travail et
d’effort. Le sport, le jeu, la vie en groupe, s’inscrivent dans cet esprit.
6.4 Les enseignants : acteurs de leur changement.
Le désir d’autonomie, mais également de formation, est à l’origine du dynamisme du
corps enseignant.
Le fait marquant, outre l’augmentation importante du recrutement déjà signalé, est le
début de l’intégration universitaire et donc de l’autonomie de formation. On peut distinguer
trois étapes :
- 1960 : instauration des classes préparatoires à la première partie du professorat et à
l’entrée à l’ENSEP.
- 1968 : une loi sur l’enseignement supérieur est votée pour réformer le système des
études. Les classes préparatoires vont disparaître mais surtout les IREPS sont
transformés en UER EPS ; ce qui permettra de se défaire de la tutelle médicale.
-
1970 : création de la nouvelle ENSEPS et modification de ses missions
IV- Rupture : une crise d’identité (1971-1981).
1. Présentation :
Trois aspects de l’évolution vont alimenter la crise que l’EPS va connaître :
- Malgré l’effort des enseignants et des conceptions pour doter le sport de valeurs
éducatives, de finalités scolaires, de spécificités, dans sa forme et sa perception,
l’EPS se confond avec le sport.
- L’EPS est gérée par le ministère de la jeunesse et des sports. Dans un contexte de
restriction budgétaire, la discipline deviendra le parent pauvre de la politique
sportive. Elle ne sera pas, naturellement, soutenue par l’éducation nationale.
- Le sport continue son expansion et sa diversification sociale. La spectacularisation
et la professionnalisation remettent en cause l’idée que l’EP peut avoir un rôle
dans la formation de l’élite sportive ou dans la détection des jeunes talents. Des
structures sportives spécifiques vont tenir ce rôle.
Dans ce nouveau contexte, Dumazedier, en 1974, dira : « EP n’est pas installée à
l’école, elle y campe ».
2. Remise en cause conceptuelle :
Critique d’ordre politique : la pensée gauchiste entreprend une critique radicale du
sport et, notamment, du sport compétitif. J.M. Brohm sera le chef de file de ce courant.
Un second courant, moins politisé et agressif, apparaît dans la lignée des réflexions sur
une éducation ou une rééducation psychosomatique et va développer une problématique du
corps. Le Groupe de recherche en Expression Corporelle (GREC) sera le lieu de cette
réflexion. Pour ce courant, le sport et surtout les techniques sportives, limitent la créativité,
brident le mouvement et la liberté d’action. L’expression corporelle, la danse et, dans un autre
cadre, la relaxation, l’eutonie en seront les pratiques privilégiées. Les IO de 1967 ne seront
pas insensible à ce courant même s’il faudra attendre les IO de 1985/1986 pour voir les
APEX regroupées dans une famille à part entière.
3. La crise du système scolaire :
La démocratisation et l’unification associées à la demande de scolarisation posent,
dans un premier temps, le problème de l’accueil des élèves. Dans notre discipline, se pose
concrètement le respect de l’horaire obligatoire (2h + 3h de sport).
Le nombre insuffisant des enseignants d’EPS et la faiblesse du recrutement ne peuvent
pas améliorer le fonctionnement. La situation est donc critique et les mesures prises, le sont
dans ce contexte.
4. Une crise économique :
La société d’abondance des années soixante est ébranlée par les deux chocs pétroliers
qui placent le France dans une situation plus difficile, caractérisée, pour nous, par :
- Des restrictions budgétaires et un souci de rentabilité, d’efficacité. L’utilité de l’EP
est alors remise en question.
-
Remise en cause du modèle élitiste et sélectif. Cet aspect pose le problème de
l’utilisation du sport compétitif à l’école.
Malgré cette crise, le loisir sportif continue sa progression et s’impose
véritablement comme une nouvelle culture corporelle, moins compétitive, moins
associative et plus ludique, sauvage, individuelle, à travers de nouvelles pratiques.
5. Conclusion : l’EPS, mise à mal.
Ces critiques et ce nouveau contexte de crise vont conduire à une remise en cause de
la place et du statut de la discipline. Cinq textes parmi les plus importants, illustrent cette
menace institutionnelle :
- Circulaire du 9 septembre 1971 relative à la nouvelle répartition horaire de l’EPS.
De cinq heures hebdomadaires, on passe à trois heures en collège et deux en lycée.
La demi-journée de sport disparaît, l’ASSU étant là pour compléter l’EPS de base.
Dans cette circulaire, on précise qu’il est possible de créer des structures
« permettant aux jeunes une fréquentation de loisir sportif » où collaborent des
enseignants d’EPS (en heures supplémentaires), des personnels extrascolaires, des
éducateurs sportifs ou des vacataires.
- Circulaire du 24 juillet 1972 proposant « une nouvelle organisation de
l’enseignement sportif ». ce texte opère un glissement vers le sport optionnel.
Création des CAS, structures de coordination, d’étude et de concertation sur
l’enseignement sportif, qui devront créer des écoles de sport, complétant,
prolongeant l’action de l’EPS. Il s’agit d’une éviction progressive de l’EPS du
monde scolaire par la mise en place de structures extrascolaire.
- La loi Mazeaud du 29 octobre 1975 relative au développement de l’EP et du sport.
Cette loi réaffirme la volonté politique de jeunesse et sports de compenser le
déficit d’EPS dans un autre cadre que celui de l’école et par d’autres agents que les
enseignants d’EPS.
- Les circulaires de 1977 tentent de parachever la mise en place des structures
optionnelles de formation avec les SAS, organisme de coordination et
d’officialisation des différents projets formulés par les établissements.
- En 1978, le ministre Soissons présente un projet de relance de l’EPS.
 Redéploiement des postes.
 Réduction du forfait d’AS à deux heures.
 Obligation d’assurer au moins deux heures supplémentaires.
 Tentative de 0 postes au CAPEPS.
Loi de 1975 :
- L’ASSU est divisée en UNSS et FNSU.
- Création du DEUG STAPS, ce qui renforce l’intégration universitaire.
- L’INS et l’ENSEPS fusionnent pour devenir l’INSEP
V-
Continuité : définition d’une discipline d’enseignement
(1981…).
1. Présentation :
C’est l’acte institutionnel et politique de 1981 (réintégration à l’EN) qui permet à la
discipline de sortir de cette crise. Son nouveau statut et une certaine revalorisation de sa
fonction impliquent la réorientation de la discipline et sa redéfinition par rapport au sport civil
et aux autres disciplines.
Le rattachement ministériel, les orientations définies pour la discipline et les
différentes mesures qui seront prises, dotent l’EPS d’une identité scolaire et d’un enjeu
éducatif nouveau.
2. Les éléments de cette discipline d’enseignement :
Réforme des épreuves d’EPS aux différents examens scolaires. L’instauration du CCF,
la minimisation de la performance au profit d’autres dimensions évaluatives, l’ouverture plus
ou moins contrôlée à toutes les APS comme supports d’examen, le passage au 1er groupe
d’épreuves (coefficient 1, puis 2), la mise en place d’une option EPS, traduisent parfaitement
la volonté de l’EPS de se détacher du modèle sportif pour définir un cadre plus éducatif et
plus centré sur l’élève, ses progrès, son activité, sa totalité, ses apprentissages.
Redéfinition des finalités et des objectifs de l’EPS en opérationnalisant les missions du
système scolaire ainsi que ses finalités (santé, sécurité). En 1984 (loi Avice), l’EPS contribue
à la rénovation du système éducatif, à la lutte contre l’échec et les inégalités, en 1996, et
participe ainsi au développement de la personne, à son intégration et à sa citoyenneté.
Rénovation de son cadre pédagogique en accordant aux élèves une place centrale
(pédagogie de la réussite, différenciée), en préconisant une démarche pédagogique et
didactique plus active et en imposant avec un projet pédagogique, un travail concerté adapté à
la réalité du « local ».
Réflexion de fond sur les contenus d’enseignement et la rédaction de nouveaux
programmes.
Réorientation du sport scolaire vers une voie plus scolaire. La loi de 1984 attribue au
sport scolaire un rôle dans les missions de l’école. La charte du sport scolaire (1993), rédigée
par l’UNSS, situe bien le double ancrage de cette pratique et rappelle ses deux finalités :
éducative (approfondissement culturel, éducation à la santé, donner le goût de la pratique) et
sociale (citoyenneté, socialisation, intégration, responsabilisation).
Mise en conformité totale du système de formation :
- Reconnaissance universitaire : création de la maîtrise STAPS en 1982, du 3ème
cycle (DEA, doctorat), création en 1983 de la 76ème section STAPS au CNU, mise
en place des UFR en 1987 et alignement du cursus, mise en place du groupe EPS à
l’INREP.
- Uniformisation et alignement des recrutements du personnel enseignant :
suppression des professeurs adjoints en 1984, ajustement du CAPEPS, création de
-
l’agrégation externe en 1983 et intégration « normale » de la préparation au
CAPEPS dans les IUFM.
Développement de la formation professionnelle continue et mise en place des
formations promotionnelles pour les concours internes (CAPEPS et agrégation
interne en 1990 et 1989).
3. Les éléments du contexte :
Les années quatre-vingt sont celles d’un renouvellement théorique important avec la
référence aux sciences cognitives et également aux sciences de l’éducation.
La définition des missions du système scolaire par la formulation d’une politique
éducative en constante évolution pousse l’EPS à prendre en compte ces orientations et surtout
à montrer de quelle manière son objet et ses spécificités, elle peut participer.
L’évolution de la jeunesse scolarisée dans son rapport aux savoirs, à l’autorité, à
l’institution, plonge l’école dans un profond malaise que la violence, le rejet, le désintérêt,
illustrent quotidiennement.
L’évolution du sport dans la société rend nécessaire un repositionnement de l’EPS
face au sport de haut niveau (différenciation et coupure), et aux pratiques physiques de loisir
(problème de définition de la culture physique et sportive de référence).
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