Une islamisation à visage découvert en Turquie Par DELPHINE

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Une islamisation à visage découvert en Turquie
Par DELPHINE NERBOLLIER
Le Soir – 2/1/2013
armenews.com – 4/1/2013
La décision a été prise il y a quelques jours : les lycéens turcs devront
désormais répondre à cinq questions sur l'islam, lors de l'examen d'entrée
à l'université. Certes, ce ne sont que cinq questions sur une centaine,
mais le symbole est fort dans ce pays où la population est certes à
majorité musulmane mais où la laïcité a été un élément central de la
République fondée en 1923 par Mustafa Kemal, dit Atatürk.
Cette réforme, critiquée par les milieux laïcs, n'a rien de surprenant car
ces derniers mois, le parti au pouvoir (AKP, Parti de la justice et du
développement, issu de la mouvance islamiste), joue à visage découvert sur
ce sujet très sensible. En février, le premier ministre Recep Tayyip
Erdogan avait déclaré vouloir éduquer une jeunesse religieuse et il a
multiplié depuis les réformes, notamment dans l'enseignement.
Depuis la rentrée 2012, les cours de Coran et un cours sur la vie du
Prophète Mahomet ont ainsi fait leur apparition dans les collèges et
lycées. Censés facultatifs, dans certains établissements ils sont de fait
obligatoires. Autre mesure : le foulard islamique est désormais autorisé
durant les cours de religion tandis que mini-jupes, collants, maquillage et
cheveux teints sont interdits dans les établissements scolaires publics. Et
l'interdiction de porter le foulard islamique imposée durant des années aux
étudiantes sur les campus universitaires a été levée.
Quant aux écoles de prédicateurs religieux (imam hatip), honnies par
l'intelligentsia laïque au pouvoir avant 2002, elles ont vu leur nombre
exploser et leur accès autorisé aux enfants dès l'ge de 9 ans. Les élèves
diplômés de ces établissements professionnels ont désormais autant de
chances d'entrer à l'université que ceux de lycées classiques, car les
barrières imposées dans les années 1990 à leur encontre ont été levées. Ils
peuvent même accéder aux écoles militaires, ex-fer de la lance de la
laïcité à la turque.
L'impulsion de mesures religieuses ne s'arrête pas à l'enseignement : elle
entre dans la fonction publique où la pratique de la religion est devenue
un must pour monter en grade. Dans la ville d'Adana, l'horaire de la prière
du vendredi a même été fixé à midi afin de permettre aux fonctionnaires d'y
participer. Par ailleurs, la mise en place de lieux de culte est devenue
obligatoire dans les nouveaux lotissements résidentiels et les centres
commerciaux.
La télévision non plus n'est pas épargnée. Le Conseil suprême de la télévision
et de la radio turque (RTÜK) a par exemple imposé aux protagonistes de la
mini série « Un gars, une fille » de se marier et infligé une amende de
22.600 euros à la série américaine Simpson pour s'être moqué de Dieu. Le
premier ministre turc a aussi pris à partie la série à succès « Le siècle
magnifique » dédié au sultan Soliman, lui reprochant de se focaliser sur la
vie de palais au détriment des scènes de conquête et de vie religieuse.
Depuis, la sultane Roxelane porte le voile à l'écran...
A cela s'ajoute la place centrale et un budget conséquent accordés à la
Direction des affaires religieuses (Diyanet) chargée de superviser la
pratique de l'islam sunnite.
Car dans cette affaire, c'est bien l'islam sunnite qui est privilégié par
Ankara, tandis que les demandes de la minorité alévie (15 millions de
personnes) ont été rejetées (notamment la reconnaissance officielle de ses
lieux de culte appelés cemevi). Même statu quo au sujet des demandes des
minorités non musulmanes, le séminaire grec orthodoxe de Halki étant
toujours fermé.
Pour Recep Tayyip Erdogan, les réformes concernant l'islam sunnite rendent
justice aux segments religieux de la société turque qui durant des
décennies ont été soumis à un régime laïc radical. En 10 années de pouvoir,
il a ainsi réussi à « dékémaliser » la société turque. Qui, si l'on en
croit les diverses enquêtes d'opinion, semble dans sa majorité s'en
satisfaire.
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