LA PAROLE DES MAINS - I - Le temps des soins relationnels - II - Le toucher dans la trame des jours - III - Le massage-communication Écrire : Monique Zambon, rue du Grand Pré, 81200 Aussillon III - LE MASSAGE-COMMUNICATION par Monique Zambon Nous parlons du massage-message... Nous sommes tous, plus ou moins familiarisés avec la tension musculaire souvent localisée dans le muscle trapèze où nous portons littéralement le poids du monde mais aussi dans divers endroits du corps, selon la psychologie corporelle propre à chacun. o Rudolf Steiner signale que lors de l'expiration, dans les expressions de soupir et de soulagement, dans la parole, le chant, le massage, c'est la vie psychique à l'état de veille qui prend forme. Rudolf Steiner vise une meilleure relation au corps dans le cadre d'une intégration dans l'univers. La personne âgée craint plus d'être abandonnée que la mort elle-même. o Le soignant qui est mis en présence de sa propre mort à travers celle de l'autre, a besoin de s'aider de moyens relationnels : le massage est un de ces moyens. Il permet la mise en confiance et la personne âgée y est très réceptive. Il est bien entendu que nous ne parlons que du massage superficiel et non des massages spécialisés des masseurs kinésithérapeutes. Ce massage est à la portée de tous. Depuis toujours, les hommes ont appris ses vertus et l'utilisent pour mieux vivre ou soigner. Il a une dimension culturelle : on le pratique dans toutes les civilisations. Le massage est un modèle de communication interpersonnelle : le contact a lieu dans "l'espace intime" du Résident et du soignant qui se retrouvent à égalité, la sensation tactile se faisant aussi bien dans un sens que dans l'autre. Le massage nous "touche" bien au delà de la peau, des muscles, des organes profonds : il nous atteint dans la totalité de notre être, aide à la prise de conscience et à l'unification corporelle. o Le "toucher holistique" (holos en grec signifie "entier") est la prise en compte de l'être dans son intégralité. Il est le support qui aide l'humain à retraverser l'étape de vie inachevée dans laquelle il se trouve "ici et maintenant" . Tout choc émotionnel freine les stades de développement. o Dans chacun d'eux, le comportement de l'individu est différent ainsi que le geste corporel. Le besoin non satisfait, le manque permettant d'achever l'étape, est compensé soit dans l'imaginaire, dans l'évasion, dans la sublimation (l'affection, par la nourriture). Celui qui touche, qui prodigue les soins, apporte au soigné, une foule de sensations et d'émotions qui le marquent profondément. "Aider les gens à se sentir mieux" est la finalité du massage. o Je peux apporter le témoignage que le toucher est un anxiolytique remarquable : sous les mains chaudes et douces de Magali Nicolaï, (Magali Nicolaï est la thérapeute avec laquelle je me forme au massage sensitif.) s'allège le poids qui oppressait mon thorax, se dénoue le noeud qui serrait ma gorge. "S'abandonner" me fait prendre conscience de ma respiration telle qu'elle est, puis de l'amplifier et de souffler : souffler me permet de sortir de moi tout ce qui gène. On redécouvre à travers le toucher des communications avortées, des contacts esquivés, des sentiments refoulés... mais aussi un lien privilégié d'intervention thérapeutique. On pleure, on respire mieux, on s'apprivoise, on s'adapte, on guérit intérieurement... Le massage mérite que les soignants lui accordent un intérêt renouvelé comme mode de communication et d'intervention. o Pré-action La manière de réaliser le massage est basée sur des gestes simples, englobant, reliant, unifiant les différentes parties du corps. Il existe des conditions préalables à tout massage, à savoir : - chaque séance doit commencer par une première approche, le pré-contact, moment capital pendant lequel un contrat s'établit entre le soigné et le soignant qui observe son installation. Afin de mieux développer le contact, il est souhaitable de demander au massé de fermer les yeux. - le soignant doit être attentif à l'environnement qui doit suggérer le calme : une lumière douce, peu de bruit si ce n'est un accompagnement musical adapté. - afin que la personne âgée ne tressaute pas au premier contact, les mains doivent être chaudes, prêtes à créer et impulser le mouvement. A la fois souples et fermes, elles épousent les moindres contours du corps reconnaissant les zones sensibles où o Action o la pression sera à éviter (creux poplité, pli du coude) et les parties les plus charnues à masser plus en profondeur. - le soignant se comporte comme un récepteur vis à vis de la personne massée. Il perçoit les résistances et les tensions du soigné, qui joue à ce moment-là, le rôle d'émetteur : il doit toujours les sentir, souvent les respecter, parfois les vaincre. - la personne âgée peut accepter ou se défendre contre ce premier contact : toute résistance correspond à des perturbations du tonus musculaire ou du tonus nerveux. Si la relation est bonne, le rythme respiratoire devient lent, régulier et les émotions qui surgissent sont alors exprimées sous différentes formes. Ces sensations de la personne âgée doivent être contenues car il est important pour le soignant de ne pas se laisser déborder par la relation. Les mains souples, fortes du soignant ne peuvent pas être efficaces si elles sont assujetties à la tension de son dos, de sa nuque ou de ses épaules. Aussi, le soignant doit veiller à son équilibre. Le rôle de sa posture est important dans le "faire" du mouvement qui doit partir des pieds et lorsque cela n'est pas possible, des hanches : tout le corps participe au massage. Excellente occasion d'exercer et de mettre en application la maîtrise de son corps et de son schéma corporel ! Le massage, proprement dit, débute par un effleurage léger qui, frôlant la surface de la peau permet de "prendre la température du corps" et évoque le "bonjour". Un effleurage progressivement plus prononcé, le plein contact, lui succède. Il a une action excitante dans le sens centripète et apaisante dans le sens centrifuge. (Le sens centripète : à rebrousse poil, vers le coeur. Le sens centrifuge : le mouvement est dirigé vers les extrémités.) Le massage est plus bénéfique si la personne âgée reste détendue. Afin que le massage ne soit pas interrompu brusquement, il faut diminuer la pression du contact au moment opportun. L'arrêt du contact est précédé d'un contact immobile, suivi par l'éloignement progressif et lent des mains dans la couche énergétique. Sans changer la personne massée de position, nous lui laissons le temps nécessaire, après le massage, pour intégrer les sensations perçues. La personne massée n'est pas abandonnée, le soignant reste auprès d'elle, ne la quitte pas. Cette présence, en fin du temps d'intégration, la rassure, lui permet de prendre conscience de "l'ici et maintenant". Les manoeuvres élémentaires telles que l'effleurage, le drainage, la friction, la vibration, le pétrissage, le pince roulé et la pression procurent une multitude de sensations. o Chacune de ces techniques a des effets variables en fonction de : - la pression qui doit être toujours progressive tant au début du contact que lors du relâchement. La lubrification des mains facilite leur glissement ; - la vitesse. Les mouvements sont réalisés de manière lente, précise ; - les rythmes, pour varier les sensations, doivent être diversifiés. Soulignons les effets de la friction qui, appropriée à chaque partie du corps, à des effets différents du massage. Elle a pour fonction d'agir localement, à un niveau plus superficiel, d'augmenter la circulation de l'énergie. Un exemple connu : par temps froid, en se frottant vigoureusement les mains l'une contre l'autre, on se réchauffe le corps entier. De plus, la friction des mains et des pieds, par pressions des zones réflexes, stimule les méridiens et les organes correspondants. La friction de la peau du visage a également un effet tonifiant sur la peau : elle permet à celle-ci de conserver sa vitalité. La friction en regard de certains organes, comme le foie ou les reins, permet d'augmenter le flux de l'énergie. Pour l'estomac, frictionner en un mouvement circulaire en suivant la courbe des intestins, stimule également la digestion. Les frictions des principales articulations (épaules, coudes, poignets, genoux, chevilles, hanches) s'avèrent aussi bien préventives que curatives. L'essentiel est de chauffer et non de stimuler le muscle par des mouvements de va-et-vient et par des mouvements circulaires avec la paume de la main, autour de l'articulation. Généralement, les manoeuvres centrifuges ont un effet reposant. Pour amplifier leur action nous les associons à une expiration, dont le soupir est une bonne illustration. On note souvent qu'au cours du massage, s'opère l'harmonie des respirations, souvent à l'insu des deux personnes. Effets en retour Le fait d'être touché, a des effets bénéfiques immédiats, mais aussi prolongés. Le massage, par ses effets physiologiques, agit sur divers systèmes : - exécuté de façon centripète il facilite le retour veineux, la circulation et la résorption de la lymphe au niveau des oedémes et favorise la diurèse ; - il active la circulation capillaire et entraîne une vasodilatation ; - il stimule les terminaisons nerveuses du tissu conjonctif et a un effet sédatif - il améliore la récupération musculaire et lève les contractures ; - il assouplit la peau, ses cicatrices et les indurations fibreuses cutanées. Le massage harmonise la respiration, la digestion, le transit intestinal et a aussi un effet direct sur le schéma corporel, retrouvé chez les amputés. Après une amputation, le membre absent continue à existe psychiquement, alors qu'il n'existe plus physiquement. Il est nécessaire que le corps se définisse comme forme mobile par rapport à l'espace qui l'entoure. La façon de reconnaître ses différentes parties entre elles, constitue le schéma corporel. Grâce au massage, des stimulations cutanées agréables peuvent occuper une partie des zones perceptives et réduire l'accès des messages douloureux (effet de portillon). C'est la raison pour laquelle, multiplier les stimulations positives, permet de créer un véritable "bain" sensoriel. Le massage autorise la personne âgée à se relaxer pour ensuite mieux se dynamiser et ainsi reprendre pouvoir sur sa souffrance. La relaxation stimule le parasympathique par l'action de l'hypothalamus : elle abaisse le métabolisme de base, elle diminue le rythme cardiaque et respiratoire, elle aide à réduire la peur en agissant sur les tensions et le stress. Confiance, attention, don de soi font la qualité du massage : masser pour le plaisir, plaisir du toucher (en sachant que dans notre civilisation il peut entraîner une certaine méfiance car il n'est souvent utilisé que comme prémisse sexuelle). Le toucher, le massage apportent un certain plaisir associé aux qualités de la présence et sont aptes à susciter un climat de sécurité. En effet, chez la personne massée, le sentiment de sécurité se développe parce qu'elle reçoit de l'extérieur et de l'intérieur, une preuve affective de son existence pour autrui en tant qu'être désirable à toucher. En même temps, par ses réponses, elle donne au soignant une confirmation : c'est un échange. Le soigné perçoit et ressent une écoute de tout son être, prend conscience de lui-même et ainsi se sent concerné, impliqué dans son devenir. Le massage sensitif que C. Camilli enseigne est un massage relationnel, un échange dans lequel le corps a la parole : il y a une affaire d'écoute de soi, des désirs du corps. Il permet une prise de conscience de sa propre valeur, de vivre avec les autres et non plus auprès des autres. J'ai partagé ce sentiment au cours de mon apprentissage au massage sensitif. Le massage du pied, lors de la toilette Notre vécu s'inscrit dans les pieds : les émotions et la manière de les vivre provoquent des tensions musculaires modifiant notre posture. o Si le corps se penche en avant ou en arrière, l'appui des pieds sur le sol se modifie et des callosités se forment à certains endroits et d'autres s'affaiblissent. Les signes sont là, les pieds révèlent le potentiel génétique et ce que la personne en fait. Les pieds possèdent des centaines de terminaisons nerveuses qui seraient en relation avec toutes les parties du corps. D'où l'importance de la relaxation des pieds pour arriver à maîtriser le stress. Le massage du pied est une excellente entrée en matière pour démontrer l'efficacité des massages. La personne âgée qui ne pourrait se libérer pour le temps d'un massage, vous laissera sans doute, "jouer avec ses pieds". o Dernière touche de la toilette, le massage du pied donne des effets immédiats : sensations d'apaisement, de légèreté, de relâchement dans les jambes. Il peut être enrichi par un massage réflexologique dont les techniques utilisent les relations des organes avec leurs projections (dermatomes) sur les zones plantaires. C'est un moyen d'entrer en contact avec la personne âgée, de lui transmettre notre désir de la soulager, mais c'est aussi un moyen de l'aider à se détendre et donc un préliminaire au sommeil. o Après un massage de ses pieds, au moment du coucher, une grand-mère de quatre vingt dix ans nous a dit avec chaleur : « Cela vaut la visite d'un docteur, vous m'avez fait du bien ». Les récepteurs du pied informent continuellement le cerveau sur la position du corps, des muscles et des tendons. o C'est pourquoi, lors d'une maladie aiguë, nous levons les Résidents le plus tôt possible et quand cela n'est pas réalisable, le massage est utilisé en relais pour conserver le plus longtemps possible en état de veille la sensibilité plantaire : l'impression de l'appui et de la verticalité. Le soignant place le pied du massé dans ses mains et exerce une pression ferme et rassurante. Comme il se doit, il commence par un effleurage léger, en allant du pied jusqu'au haut de la cuisse sans omettre d'envelopper la hanche : c'est une manoeuvre d'appel. On appelle manoeuvre d'appel un drainage centripète d'une partie médiane, exécuté avant le drainage d'une partie plus éloignée du coeur. Puis, en soutenant le pied d'une main, il parcourt la voûte plantaire par des petits mouvements circulaires appuyés, avec le pouce de l'autre main, suivis de pressions glissées. Ensuite, en serrant le poing, et avec un mouvement tournant, il masse toute la plante, de bas en haut et inversement. Ces pressions aident au retour veineux. Le soignant prend ensuite les orteils à la base, l'un après l'autre, entre son pouce et ses doigts, et les tire jusqu'au sommet en associant des mouvements de rotation. Puis, avec son pouce, depuis les espaces interdigitaux, il presse doucement le long de chaque gouttière. Ensuite, il mobilise le pied en poussant les orteils et l'avant-pied vers le bas jusqu'au point de résistance ; puis il le pousse vers l'arrière d'une main et tire sur le talon avec l'autre main. Il ne faut pas oublier de frictionner le tendon d'Achille : avec deux doigts, un de chaque côté, le soignant effectue des pressions glissées sur les bords. La séance se termine par des mouvements de drainage très enveloppants, reliant le pied à la jambe. La perte d'une partie du corps ou d'une fonction, chez une personne, est suivie d'une période de chagrin et de deuil. Faire le deuil c'est exprimer les émotions liées à une perte : la personne parle en exprimant sa colère, pleure en exprimant sa tristesse. o Aussi, le massage bien structuré du pied d'un unijambiste permet à celui-ci de "sentir" son schéma corporel ou de le reconstituer : masser le pied, la jambe existants et à la fin du soin les relier, jusqu'au genou si l'amputation est à mijambe, jusqu'à la hanche si l'amputation est au genou, par des mouvements enveloppants. Le massage du pied sert à redonner l'assise, à avoir "les pieds sur terre", permet à la personne, même couchée, de s'ancrer au sol : c'est une technique à ne pas dédaigner car elle apporte d'agréables surprises. Le massage abdominal diminue le stress L'abdomen est une zone sensible et donc vulnérable. Son vécu est très diversifié, car il est à la fois un lieu d'échange, un lieu de création et un lieu de stockage. Le massage abdominal est très relaxant car il concerne le plexus solaire, mais il est plus considéré comme massage digestif : - Le massage circulaire de l'estomac et des côtes : face au soigné, le soignant positionne doucement ses mains au dessus de l'os iliaque, effectue un léger mouvement ascendant sur les côtés du torse, en travers de la cage thoracique, sous les seins. Puis, il redescend jusqu'au centre en massant et termine la manoeuvre à l'os de la hanche. Ce mouvement circulaire est repris plusieurs fois. - L'effleurage permet une décontraction des muscles abdominaux et du diaphragme : le soignant met ses mains au centre du ventre et appuie en profondeur progressivement ; l'exercice se poursuit par le pétrissage en vague : avec les talons des mains, l'une sur l'autre, le soignant repousse les tissus puis les creuse comme une vague pour que ses doigts les ramènent vers lui. Ces deux derniers mouvements, répétés trois fois, se font pendant l'expiration, à la fin de celle-ci ; lorsque le soigné peut bloquer son souffle, la pression est plus importante. La tension et la congestion du ventre peuvent provoquer flatulences ou constipation. Dans ce cas le massage abdominal est destiné à faciliter le transit intestinal : d'abord stimuler les mouvements péristaltiques de l'intestin, ensuite, diviser les masses stercorales stagnantes dans l'intestin, les rendre mobiles et les faire circuler. Ainsi mise en mouvement, la colonne stercorale stimulera elle-même, par voie réflexe, les mouvements péristaltiques en excitant la paroi de l'intestin. Le massage du côlon se pratique en plusieurs étapes : o Tout d'abord, les mains du soignant se posent sur l'abdomen et marquent une pause, puis se déplacent toutes les deux ainsi que les avant-bras dans le sens des aiguilles d'une montre. Une main décrit de larges cercles complets mais l'autre rompt le contact en croisant la première ; o Le massage du ventre effectue un drainage du côlon et s'exerce par un mouvement en profondeur les mains l'une sur l'autre. C'est le côlon descendant seul qui est drainé. Le mouvement n'est efficace que sur cette partie car dans le côlon ascendant, le contenu est trop liquide et dans le côlon transverse, l'épaisseur du grand droit et la proximité du plexus solaire empêchent des mouvements en profondeur. o Le côlon descendant est drainé pendant une expiration, tant du massé que du masseur. La pression est plus grande en fin de massage. Lors de l'inspiration, le ventre gonfle, les doigts du masseur qui sont à la hauteur de la vessie l'accompagnent et remontent jusqu'à n'avoir plus qu'un contact léger. La rotation dans le sens des aiguilles d'une montre peut alors reprendre : en pression douce, au dessus de la vessie, la pression s'accentuera doucement le long du côlon ascendant et du côlon transverse pour se continuer à nouveau en drainage sur le côlon descendant. Ensuite, c'est la phase de stimulation du côlon. Le soignant positionne une main sur l'autre et avec le bout des doigts, fait vibrer l'ensemble du gros intestin qui se transmet même au diaphragme. o Dans le temps suivant, c'est le massage ascendant des faces latérales du soigné. Une main se pose sur le côté opposé à celui où se situe le soignant et remonte le long de la face latérale en un mouvement lent. Les deux mains travaillent en alternance et se chevauchent dans la zone ombilicale. Ce mouvement part du bassin et soulève légèrement le soigné, en le berçant ; o Le massage se termine par un effleurage et des vibrations de l'abdomen, poitrine, épaule, bras, mains. C'est une phase de décontraction qui sera suivie d'un rééquilibrage par l'effleurage de la masse abdominale, en accord avec la respiration : poser délicatement une main sur le haut du ventre au niveau du plexus solaire et accorder notre respiration avec celle du soigné ; suivre sa respiration avec notre main, puis au bout de quelques instants, accompagner son expiration en accentuant un peu le mouvement de l'abdomen (l'autre main reste en contact avec l'épaule par exemple). Ces manoeuvres de massage permettent de soulager les tensions du ventre qui n'est pas seulement un lieu de contractures et de troubles, mais aussi un lieu d'émotions. o Les mains chaudes, placez une main juste au dessus du nombril et l'autre en dessous et gardez les horizontales. Laissez le poids naturel de vos mains et de vos bras reposer sur le corps. Laissez vos mains en place pendant une minute au moins ; ôtez-les doucement quand vous estimez le moment venu. Ce geste qui exige une grande concentration est très bénéfique pour le soigné car nos mains envoient de l'énergie vitale. Le bain, moment favorable au massage Le bain est un moment privilégié du massage car tout le corps peut être sollicité. o Laver le corps, dans un geste ample, enveloppant et doux, est un soin d'hygiène corporelle mais aussi un plaisir. La main du soignant, sur la peau de la personne âgée, polit les arrondis, glisse, trace des contacts naturels par des mouvements longs et apaisants. o o Avec une grande attention et beaucoup de douceur, le massage de la tête fournit un relâchement considérable à tout l'individu, agit directement sur la colonne vertébrale ; celui du dos atténue la tension musculaire, avive la circulation cutanée. N'oublions pas les soins des cheveux, très importants pour l'image corporelle. Le capiluve nous donne l'occasion de masser le cuir chevelu et la tête, une des parties les plus délicates à toucher. Le massage se fait par mobilisation de la peau sur la surface osseuse : le soignant effectue un effleurage en insérant les doigts légèrement écartés entre les cheveux ; des frictions depuis le front jusqu'à la nuque en passant par le sommet du crâne ; un "froissage" de la peau entre les pouces et les autres doigts de chaque main ; un étirage mèche par mèche suivi d'un effleurage général du cuir chevelu et s'il s'agit de terminer le massage, un étirage de l'ensemble de la chevelure. o Rien n'est plus favorable qu'un massage du cuir chevelu, en particulier des tempes, des oreilles et de la nuque, pour celui qui souffre d'une céphalée. À tout heure, le massage de la main La main est la véritable carte d'identité de l'homme et sa position extrême en fait le reflet de l'ensemble du corps. Dans la journée, existent de nombreux moments opportuns à saisir, pour caresser la main du soigné : nous la serrons pour saluer ; nous la tenons pour guider mais aussi pour soutenir moralement ; nous la palpons, la tapotons pour réconforter ou marquer l'aide que nous voulons apporter. Facilement accessible, la main, sensible à l'extrême et intime, se prête merveilleusement bien au massage. Le massage de la main est particulièrement relaxant, à la fois, parce que cette partie du corps, de par son activité incessante tout au long du jour, a l'habitude du contact mais aussi parce qu'elle présente des liaisons réflexes avec tout le reste du corps. La région du cerveau qui commande les mains est singulièrement étalée, ce qui dénote leur sensibilité et leur importance fonctionnelle. Le massage commence quand nous prenons la main : il convient de s'y arrêter, de masser chaque détail afin que chaque fibre musculaire soit stimulée, d'ouvrir la paume, d'écarter comme pour agrandir et allonger encore les lignes de vie. o Le massage débute par l'effleurage superficiel du membre supérieur en entier. Puis toute la main est sollicitée par des mouvements circulaires, en profondeur sur les parties charnues. Les doigts sont massés sur les côtés dans le sens centrifuge, sur le dessus et le dessous dans le sens centripète ; ils sont étirés délicatement et mobilisés raisonnablement : en extension, en flexion, en rotation. Attardons-nous un peu sur les points métarcarpiens stimulés par un ponçage rotatif profond avec le pouce, suivi d'une pression glissée ; sur la partie située entre le pouce et l'index, toujours douloureuse ; sur les éminences thénar et l'hypothénar pour les pétrir ; sans oublier le poignet qui, afin de l'assouplir, nécessite d'être massé, frictionné et mobilisé. o Faisons de chaque geste une petite aventure qui réchauffe la main, donne plus de souplesse aux articulations. Le massage se termine par le "remodelage" complet en un large mouvement d'effleurage, afin de reconstituer le schéma de l'ensemble du membre supérieur. Il est bon de rechercher les points douloureux pour lesquels la règle fondamentale est d'effectuer une pression d'un geste ferme comme un lent mouvement circulaire du pouce, lentement, jusqu'à disparition complète de la douleur. o Pour celle qui a travaillé beaucoup manuellement, le massage de la main (sans oublier le poignet) est très apprécié. o Pour celle qui est angoissée, anxieuse, souffrante, ce peut être l'occasion de se confier : peut être a-t-elle du mépris pour elle même ? Le massage des mains, bien plus que celui des pieds, peut-être un auto-massage pratiquable à tout moment. A l'occasion, utiliser un objet arrondi comme par exemple, une gomme ou une petite balle dure, à faire rouler sur les points douloureux est également une bonne pratique. Mais, rappelons nous que pour masser une autre personne, c'est toujours la main qui est le meilleur instrument. Masser le dos à plaisir Les tensions, les tracas quotidiens, viennent se fixer dans la nuque, le dos, qu'ils enraidissent. La main du soignant est facilement acceptée sur ces régions car le dos est la seule partie du corps à laquelle il est difficile d'accéder soi-même. Le massage va permettre de dénouer les contractures musculaires qui s'y sont formées, de détendre la région de la colonne vertébrale, axe de vie. Il permet une plus grande ouverture de la cage thoracique (phénomène agréablement vécu), avec très certainement un retentissement favorable sur les organes internes. Chaque mouvement est renouvelé au moins trois fois de la base de la tête jusqu'aux fesses : o - les pouces glissent simultanément dans les gouttières vertébrales en restant à la même hauteur ; les paumes et les doigts gardant le contact avec le dos servent à guider le mouvement ; o - de part et d'autre de la colonne, chaque main (pression équilibrée des index et des majeurs) parcourt un petit trajet de 10 à 20 cm ; l'action suivante de la main reprend le même trajet à sa partie médiane et le prolonge... et ainsi de suite ; o - en alternance, chaque pouce trace un petit trait-tiré (un segment de droite et non une virgule) dans la gouttière opposée et reprend chaque mouvement dans la succession, à la hauteur de la moitié du mouvement précédent ; o - l'index et le majeur d'une main sur laquelle l'autre main exerce une pression, glissent le long de la gouttière, soit d'un trait continu, soit en alternance de traits mais sans rompre le contact durant les retours qui s'effectuent simplement avec une plus faible pression. Lors de la transition entre l'aller du massage et le retour, nous prenons en considération l'os sacré, dont nos pouces, se rejoignant, dessinent plusieurs fois le contour ; o - dans le mouvement de retour, afin de resituer la colonne vertébrale, nos mains enveloppent bien les fesses, les hanches, les côtes (massage superficiel pour ne pas écraser la cage thoracique) et les épaules. À la surprise du soignant, un Résident, après un massage, des mobilisations douces et de légers étirements répète à l'envie : "Que je me régale" ; pour ce diabétique, un massage du dos lui a permis de faire des rapprochements avec des événements très antérieurs. "Je me crois en Indochine" disait-il avec une émotion subtile. Le massage du visage, un soin de beauté Le visage est la partie du corps la plus intime, après les zones érogènes. C'est lui qui donne la première impression, celle qui reste imprimée dans l'esprit des gens. Les muscles faciaux, trahissent toutes les nuances émotionnelles. Sous l'influence du stress, ils sont involontairement figés en une sorte de masque rigide, une "cuirasse". Cette cuirasse ne réagit à aucune crème ni poudre ; la seule échappatoire est la relaxation des muscles sous-cutanés du visage par le massage. Pour le Résident qui a perdu son identité, le massage du visage lui permet de se restructurer (d'être dans la dimension spirituelle). Pour celui qui a envie de quitter un scénario (boulimie), lui masser la figure est un support. Il peut au travers de nos doigts, de nos paumes, du contact que nous avons, sentir toute la délicatesse, tout le respect et tout l'intérêt que nous lui portons. Ne jamais proposer ce soin à un schizophrène. o Si la personne âgée le désire, au moment de la toilette, avec nos mains chaudes enduites d'un soupçon de crème, nous massons le visage, ce qui stimule, relâche les muscles, atténue les rides provoquées par la crispation et tonifie la peau. Un sentiment de plaisir est lisible sur le visage de la personne et le soin de beauté est dépassé en soin de santé. Le soignant commence le massage par une imposition de ses mains (contact léger, pression douce) soit à plat, l'une sur l'autre, sur le front, soit les deux pouces superposés au milieu du front doigts réunis sur les tempes (le 3 oeil boudhiste). Attendre quelques instants et alors, lentement, sans se hâter, masser : o - Le front : les talons du pouce joints à la hauteur du " troisième oeil", les mains (seuls les talons sont en contact avec le front) s'écartent lentement avec, au début une pression assez forte qui, à l'arrivée sur les tempes est juste suffisante pour mobiliser la peau par deux ou trois rotations. Reprendre ce mouvement trois fois. o o o o o o - Les joues : en partant de part et d'autre du nez, contact avec toute la main ; les talons des pouces s'écartent et remontent vers les tempes en diminuant progressivement la pression. - Les lèvres : contact avec les talons des pouces qui se séparent, contournent les pommettes et rejoignent les tempes (ponçage rotatif léger). - Le menton : le contact se fait avec les quatre doigts réunis de part et d'autre du menton, en remontant soit par les tempes, soit vers la nuque. Avec contact des index sur les points d'Arnold (émergence des deuxièmes nerfs cervicaux) et étirement du cou, en soulevant légèrement la tête. - Le nez : masser de part et d'autre de l'arête nasale alternativement avec les index ; la base du nez où se situe le point pyramido-nasal, par une pression progressive et mainte-nue quelques secondes (en auto-massage avec le pouce et l'index de la même main). Les techniques japonaises indiquent qu'il ne faut quitter le visage qu'après avoir stimulé le point de réanimation, juste audessous du nez, car il donne un bon "coup de fouet". - Les sourcils : les points sourcilier et orbitaire sont stimulés par un ponçage profond et le point zigomatique (les tempes) par un effleurage rotatif. Puis, en suivant l'arête osseuse (deux doigts en gouttière : pouce et index de chaque main ou index et majeur), masser par des traits tirés, en partant de la base du nez et en diminuant la pression à hauteur des tempes. - Les oreilles : les lobes sont massés par un léger pincement rotatif ; par un effleurage aller et retour la partie derrière les oreilles avec les auriculaires ; les index suivent les replis, dans toutes leurs sinuosités, en partant du lobe jusqu'à l'entrée du conduit auditif. Si la personne le supporte, les index obturent le conduit et y effectuent une légère rotation. La position assise qu'occupe fréquemment la personne âgée, engendre souvent des tensions du cou qui disparaîtront facilement par des mouvements tournants. Aussi, réaliser, sans forcer, dans cette zone, un massage et des mobilisations passives lentes (rotation, flexion, étirement par appui sur les points d'Arnold et glissement en remontant vers le sommet du crâne) sont la source d'un bien-être important. Toucher le visage, c'est toucher l'être au plus profond de lui. o Laissez-vous masser le visage et vous verrez comme c'est émouvant, comme les sensations sont étonnamment agréables. Ensuite, regardez-vous dans un miroir : les muscles peauciers sont détendus, vos traits sont reposés, votre teint vif. L'auto-massage ou DO-IN, pour "se faire la main" o o o Le DO-IN, d'origine japonaise est une pratique d'entretien et de remise en forme de la personne âgée. Il permet d'améliorer l'acuité sensitive et d'acquérir une meilleure connaissance de son propre corps dans l'espace. Le but que vise cette activité est de créer un climat de bien-être favorable, une prise de conscience de soi, une mise en condition qui permettent de développer les qualités d'attention et de concentration. À travers le mouvement, l'énergie vitale est stimulée et certaines tensions réduites. L'auto-massage prétend approcher le Résident autrement: dans une relation chaleureuse, être vigilant aux consignes énoncées d'une voix calme et agréable par le soignant. Certains Résidents nécessitent une aide de suppléance de la part du soignant pour effectuer quelques mouvements : par l'intermédiaire de ce contact corporel, des échanges émergent et se modifient entre le Résident et le soignant. En toile de fond, une musique d'ambiance impulse le mouvement de la personne âgée. Effectuer sur soi l'étirement des doigts des mains afin de bien "ouvrir" les articulations aide l'énergie qui stagne aux extrémités du corps, à se libérer. Masser la main et plus particulièrement insister sur des points réflexes permet de stimuler l'activité de certains organes. Masser sa tête est une occasion pour la personne âgée de prendre conscience de l'image de son visage. Masser la tête, représentante de la personnalité, de la créativité et du caractère, procure une détente générale. o Présentée comme un jeu libre et amusant, cette activité prend toute sa valeur. En particulier, l'exercice appelé "la manoeuvre fraîcheur" qui consiste à faire les gestes habituels et spontanés de la toilette quotidienne : par ce biais, cette activité insuffle à la personne âgée l'envie de soigner ses téguments et vise donc à lui faire prendre conscience qu'elle est "capable de faire". Se toucher permet de retrouver l'harmonie entre les différentes zones du corps et l'esprit, à la recherche d'une image corporelle saine et énergétique. o Dans la même optique, la gymnastique chinoise Taï-chi-chuan paraît être une option originale pour l'équilibre, la décontraction statique et la rééducation respiratoire. (Dr Charles Cachin, Vivre âgé sans jamais devenir vieux ou la mûre saison) Le massage, prélude au sommeil Le visage est l'identité même du Résident. La caresse ou la bise donnée sur les joues l'atteint au plus profond, éveillant une sympathie émouvante. Offrir un massage juste à l'heure du coucher est une mesure de détente favorisant l'endormissement. Le soir, s'asseoir au bord du lit, en faisant en sorte que les corps se touchent ; discuter, serrer affectueusement la main, offrir un câlin, sont des signes "d'au revoir", des remèdes naturels qui combattent l'angoisse de la nuit. De ce fait, la prise de somnifères est réduite voire supprimée et un sommeil plus paisible constaté. La personne âgée doit vieillir dans la tendresse. En fin de journée, une hémiplégique, exprime vivement le désir de se coucher, et réclame un massage. Au cours de celui-ci nous nous arrêtons sur ses membres inférieurs et ses épaules (la paralysie est associée à des troubles de la sensibilité, aussi la zone affectée doit être animée par le massage). Dans une ambiance calme, elle se laisse "bercer" et, apaisée, ne s'aperçoit même pas que nos mains l'ont quittée. Le lendemain, souriante, elle nous annonce que la douleur irradiant dans son épaule, qui l'empêchait de bouger à sa guise son bras, s'est atténuée. Le simple fait de toucher, de masser, a effacé les interminables minutes de silence avant le sommeil. Le massage tente de décrypter les messages inscrits dans notre corps, pour un meilleur "bien être". Même très localisé, il vise à l'essentiel : mieux Vivre dans sa peau. Un art de vivre Pleine paume, pleine main, sensation pleine, ces gestes nuancés alliant douceur et pressions plus fermes, sont une émotion partagée, qui font toute la richesse du massage. À juste titre, le massage permet de percevoir ce qui peut changer en nous et donne de nombreuses facultés telles que : - accéder à une détente plus profonde ; - apprendre à vivre l'instant, "ici et maintenant" ; - améliorer l'image et le regard que l'on porte sur son corps ; - acquérir une meilleure confiance en soi ; - mieux connaître son corps et l'habiter avec plaisir ; - permettre une meilleure communication avec les autres et avec soi ; - acquérir une meilleure qualité de la sensation tactile ; - faire tomber certaines barrières physiques, énergétiques et psychologiques ; - sentir la consistance et les limites du corps ; - éveiller la créativité ; - apprendre à connaître et à reconnaître ses propres besoins. Tout ceci est possible et même nécessaire, dans le dessein d'élargir notre potentialité, en essayant surtout, de toujours garder comme finalité notre évolution spirituelle. o Il va de soi que le mot spirituel est utilisé ici sans la moindre connotation religieuse de type traditionnel. Les besoins spirituels sont des besoins spécifiques en lien avec l'étape de vie dans laquelle se situe la personne sur le plan existentiel. Ils sont liés aux autres besoins, ils les sous-tendent ; ils ne font pas partie d'une classe à part, ils englobent l'être entier. o La naissance, la vie, la mort sont des thèmes d'où émergent des hypothèses, des questions, des doutes, plus ou moins exprimés. La vie n'est qu'investigation dans laquelle on se veut être utile. Après la mort que devient-on ? A cette réponse, l'anxiété et l'angoisse nous tourmentent. Le besoin s'exprime dans une attente ou une demande de relation avec l'autre, d'authenticité, de véracité, de confiance. o Le massage est un art de vivre, sans discrimination d'âge, de sexe ou de catégorie sociale. L'occasion aussi de nous laisser aller à notre tempérament d'artiste, pourquoi pas ? En tout cas, il faut éviter la monotonie et laisser libre court à notre intention de faire plaisir. Lors de la communication tactile, il n'y a rien d'autre à faire que d'être avec l'autre, d'être à son écoute le plus subtilement possible, en relation dans la rencontre, ce qui implique une présence et beaucoup de patience. Seule la musique remplit l'espace car la voix, le geste, la parole d'une tierce personne perturbent l'échange et empêchent le soigné d'intégrer la relation dans les meilleures conditions d'écoute et de réceptivité. Le massage est un bon moyen pour créer des instants privilégiés où l'essentiel n'est pas d'apprendre mais de sentir, de communiquer en silence. Communiquer ne consiste pas seulement en un échange de mots mais en un partage d'émotions, de sentiments. Accepter de cheminer avec le soigné, est source d'enrichissement. o o Donner ou recevoir un massage, c'est à la fois différent et complémentaire. Chacun a besoin d'être touché et de toucher, du plus jeune âge à la vieillesse. Le massage vise à réhabiliter ce sens du toucher pour un développement des potentialités de la personne. Il aide la personne âgée à accepter son corps, ses douleurs, ses amputations, il renforce l'équilibre, améliore son état psychologique en apportant une détente bénéfique. Masser, c'est chercher à rétablir l'unité de la personne, qui doit-être une entité unifiée, mais qui est, trop souvent, dissociée : nous allons avec son corps et non contre lui, dans le respect de son rythme. La communication tactile aide à rassembler, à éviter le morcellement, à établir des liens, à donner du sens. L'écoute verbale et corporelle nous donnent la position privilégiée de nous situer, chez la personne âgée, entre l'esprit et le corps, entre l'histoire familiale et l'histoire personnelle, entre l'émotionnel et le corporel. Le corps réel et/ou imaginaire se souvient de la succession des traversées des lieux de vie, chargés d'émotions, de difficultés, de désirs. Il n'est pas possible de transmettre par écrit toutes les sensations ressenties et données par le massage : il faut le pratiquer, chacun ayant un doigté et une perception différente. Ouverture du coeur, sentiment de bien-être et de joie profonde, expansion de la conscience, voilà ce que peut-être le massage. Alors vivez l'élan des mains ! "L'affinement de certaines perceptions conduit à des capacités de connaissance non verbale qui sont certainement sous estimées dans notre vie actuelle. Le corps sait, lui." Encyclopédie psychocorporelle, chapitre À l'ombre de la médecine moderne, Les Thérapies manuelles. Permettre aux Résidents de "Vivre jusqu'au bout" y compris lorsque la mort apparaît comme la seule issue : cette motivation "du vouloir faire vivre", cette volonté à tout prix de rendre la vie plus douce nous paraît essentielle pour travailler auprès des vieillards en Soins de Longue Durée. Dans ce cadre, la communication tactile est un plus apporté à la gamme des soins. Elle ne nécessite pas de moyens importants mais deux qualités essentielles qui valorisent, ennoblissent, humanisent le geste soignant : délicatesse et tendresse. o Tout en sachant toujours maintenir notre place de soignant, il faut savoir de temps en temps, oser la tendresse. La tendresse, c'est quelque chose que nous sentons, que nous rencontrons, que nous vivons parfois. La tendresse est un sentiment d'affection qui s'accompagne de gestes doux, d'attentions délicates, d'amitié et de tolérance. Elle se propose et se vit en dehors de toute contrainte, elle ne s'inscrit pas dans une relation de pouvoir puisqu'elle est avant tout abandon et offrande. Gratuite, c'est un sourire qui surgit en nous. Elle ne se demande pas, elle s'autorise dans le sens où elle nous rend auteur, c'est à dire créateur. L'approche corporelle de la personne âgée a des conséquences, autant sur son sentiment de solitude et sa crainte de la mort que sur le besoin inavoué d'être touchée. o Dans la communication tactile, c'est l'être tout entier de la personne âgée qui est accueilli et non plus simplement son corps. Elle est reconnue en tant que Personne. o Le toucher est un dialogue qui implique deux personnes se rencontrant pour échanger des informations et des messages de façon non verbale. o Avoir du tact, ce n'est pas maintenir la personne dans une attitude infantile, c'est l'aborder comme sujet responsable, dialoguer au niveau du corps, de la peau, des tissus profonds. o Au delà de la sécurité et de la confiance que nous devons créer, au delà du désir de guérir, de soulager, le toucher doit-être signal et le massage doit être message pour garder toute sa valeur de communication. Le soignant se trouve confronté à la globalité du Résident : humain qui ressent son corps (domaine de la sensation corporelle), qui ressent l'émotion de l'instant (sentiment du coeur) et qui pense au sujet de maintenant (idées et concepts). Le toucher est le secours le plus authentique que nous pouvons apporter à la personne âgée comme au mourant. L'attachement "peau à peau" est la relation la plus ancienne qui fait que l'être humain est un être social et vivant. Incorporer le toucher dans notre pratique de soignants, permet non seulement d'enrichir notre capacité à faire, mais surtout de s'ouvrir à la vision d'un être humain bio-psycho-social-spirituel inséré dans un environnement qui agit sur lui et sur lequel lui-même agit. o o « Le toucher voit, les regards palpent » Octavio Paz. En guise de conclusion Lettre à mon corps, par Jacques SALOMÉ Bonjour mon corps, C'est à toi que je veux dire aujourd'hui, combien je te remercie de m'avoir accompagné depuis si longtemps sur les multiples chemins de ma vie. Je ne t'ai pas toujours accordé l'intérêt, l'affection ou simplement le respect que tu mérites. Souvent je t'ai même ignoré, maltraité, matraqué de regards indifférents, de silences pleins de doutes, de reproches violents. Tu es le compagnon dont j'ai le plus abusé, que j'ai le plus trahi. Et aujourd'hui, au mitan de ma vie, je te découvre un peu avec des cicatrices secrètes, avec ta lassitude, avec tes émerveillements et avec tes possibles. Je me surprends à t'aimer avec des envies de te câliner, de te choyer, de te donner du bon. J'ai envie de te faire des cadeaux uniques, de dessiner des fleurs sur ta peau par exemple, de t'offrir du Mozart, de te donner les rires du soleil, ou de t'introduire aux rêves des étoiles. Mon corps, aujourd'hui je veux te dire que je te suis fidèle. Non pas malgré moi, mais dans l'acceptation profonde de ton amour. Oui, j'ai découvert que tu m'aimais, mon corps, que tu prenais soin de moi, que tu étais vigilant et étonnamment présent dans tous les actes de ma vie. Combien de violences as-tu affrontées pour me laisser naître, pour me laisser être, grandir en toi ? Combien de maladies m'as-tu évitées ? Combien d'accidents as-tu traversés pour me sauver la vie ? Combien d'abandons as-tu acceptés pour me laisser entrer dans le plaisir ? Bien sûr il m'arrive parfois de te partager et même de te laisser aimer par les autres, par une que je connais et qui t'enlèverait bien si je la laissais faire... Mon corps, maintenant que je t'ai rencontré, je ne te lâcherai plus... Nous irons jusqu'au bout de notre vie commune et quoiqu'il arrive nous vieillirons ensemble. Jacques SALOMÉ Bibliographie : - Ackerman D., Le livre des sens , éd. Grasset, Paris, 1990. - Adam E., Etre infirmière , éd. Études Vivantes, Montréal, 1989. - Anthropologie et sociétés : les Cinq Sens , Québec, 1990. - Anzieu D., Le Moi Peau, éd. Dunod, Paris, 1986. - Berger L., Mailloux D., Poirier., Soins Gériatriques, Problèmes complexes et interventions autonomes , éd. De La Chenelière, Montréal, 1991. - Berger L., Mailloux D., Personnes âgées, une approche globale , éd. 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II - LE TOUCHER DANS LA TRAME DES JOURS par Monique Zambon À fleur de peau Le corps est le premier instrument dont dispose l'homme, instrument émetteur, instrument sonore, rythmique, support et incarnation de la voix, identité de celui qui émet. o Dès les premières mois de sa vie, l'enfant a besoin d'être stimulé par l'entourage pour que se développent ses aptitudes, et pour intégrer le monde environnant. Tout ce qui se fait lors de cette période a une importance considérable sur la personnalité de chacun : il s'agit d'une période d'apprentissage qui va laisser des traces mnésiques au niveau de la peau, des muscles, du système émotionnel. Il a été noté qu'au cours de cette étape, l'absence de sensations agréables, de plaisir physique est très souvent à l'origine de comportements pathologiques ultérieurs. Quelque soit l'âge de la personne, la régression qui accompagne toute maladie, réveille des comportements de la petite enfance qui sommeillent en chaque adulte. L'épanouissement de la sensibilité de la peau dépend en grande partie des stimulations qu'elle reçoit de l'environnement et qu'elle transmet au cerveau par l'intermédiaire des récepteurs du toucher. o La peau est, en effet, le siège de sensibilités très différenciées dont chacune possède des terminaisons nerveuses spécialisées, inégalement réparties à (ou sous) la surface de notre corps. Les corpuscules de Malpighi évaluent la sensibilité douloureuse ; les corpuscules de Ruffini (chaud) et de Krause (froid) la sensibilité thermique ; les corpuscules de Messner et de Merkel la sensibilité tactile superficielle ; les corpuscules de Golgi et de Pacini la sensibilité profonde. La sensibilité musculo-tendineuse complète les précédentes et nous renseigne sur la forme et la densité des objets (palpation), mais aussi sur nos attitudes et sur nos mimiques. « Rien en nous, n'est en contact avec autre chose que nous, si ce n'est notre peau» écrit Diane Ackerman. On comprend mieux pourquoi notre langage colle à la peau ! o D'où les expressions : défendre sa peau - sauver sa peau - tenir à sa peau être bien dans sa peau - lui faire la peau - avoir la peau dure - avoir une susceptibilité à fleur de peau - entrer dans la peau d'un personnage - avoir quelqu'un dans la peau - faire peau neuve - caresser dans le sens du poil être écorché vif... Certaines parties du corps telles que le visage, la nuque, les bras, les mains sont des zones où sont concentrés les récepteurs sensitifs tout comme dans les zones érogènes. La stimulation de la peau déclenche une activité cérébrale dont l'effet en retour (rétroaction) provoque un accroissement de sa sensibilité et de sa réceptivité. Les contacts agréables stimulent la libération de substances chimiques, les endomorphines, qui procurent du plaisir. o Le toucher active la bonne humeur, chasse la tristesse, relance la joie de vivre, restaure l'énergie psychique : c'est un "thymoanaleptique". Chez la personne âgée souffrant de cécité ou de surdité, l'évaluation tactile (qui porte sur trois aspects : le toucher léger, la sensation de douleur, la sensation de chaud et de froid) est importante. Le toucher, système d'alerte vital destiné à forcer l'attention, constitue souvent son seul moyen de communication. Tendons la peau... comme nous tendons l'oreille Il existe un véritable langage de la peau, depuis l'émotion qui fait rougir ou au contraire pâlir, jusqu'aux sueurs qui témoignent d'une peur, fondée ou non. Rien n'établit mieux notre pouvoir d'exister que les liens émotionnels : l'affection exprimée physiquement et surtout le fait d'être tenu dans les bras, caressé avec amour. o Nous apprenons à toucher, à sentir, à vivre à travers nos sensations. o Nous apprécions le plaisir physique, la douceur d'une caresse, la tendresse d'un contact, la chaleur d'être blotti contre quelqu'un. o Nous visons à créer des relations basées sur la confiance. Lorsque notre besoin de contact n'est pas satisfait, notre peau le fait savoir par diverses manifestations. o Le corps à corps nous est indispensable. En être privé, nous plonge dans la mélancolie : nous somatisons notre anxiété. Que de douleurs du cou, du dos, de spasmes de l'estomac, du côlon, que de migraines ne sont que l'expression d'un manque de contacts, de caresses. La peau représente également un lieu de mémoire. Elle est marquée par le temps, "se souvient" par des cicatrices physiques ou affectives. Elle change avec l'âge, se plisse au fil de nos satisfactions et de nos peines. Elle durcit quand elle refuse le toucher, s'anime pendant l'amour dont elle est l'écrin et prend une qualité de velours quand l'être est satisfait. La peau, par sa couleur, sa texture, son élasticité, son odeur, peut inviter au contact. Mais elle peut aussi faire écran à la relation à la suite des méfaits du vieillissement : son aspect (ridé, flasque, rugueux, velu), sa couleur (pâle ou blafarde, terreuse ou violacée), son odeur, ses tâches. Nos expériences de jeunesse induisent nos attirances : on ne glorifie que la peau de bébé. Authentique organe de communication, la peau qui a toujours faim de quelque chose, à tout âge, a un rôle relationnel important. Elle est un organe déterminant dans le développement du comportement humain. Elle est l'organe fondamental de notre économie psychique et joue un rôle dans la maintenance de notre équilibre. D'où l'importance de toucher ce tissu qui s'exprime, vit, lance des messages du corps de l'être humain qui l'habite. Jusqu'à notre mort, notre épiderme demeure une source intarissable de joies : le besoin d'être caressé ne s'émousse pas. o La caresse est un langage. Échange authentique, elle balaie la solitude et satisfait le besoin profond de communion auquel tout être aspire. Tant que dure la vie, en tout être, continue de briller cet élan qui le pousse vers les autres pour donner ou recevoir plaisir et affection. o Tenir quelqu'un dans ses bras, être tenu dans les bras de l'autre, constitue la méthode la plus directe pour obtenir aide et tendresse. Chacun peut et doit, quelque soit son âge, y avoir recours. La peau qui reçoit doit recueillir tous les messages des doigts ; la main qui donne doit écouter tout ce qui vient de la surface cutanée. o Une main douce, touche une personne et lui permet d'en être touchée : la chaleur au creux de nos mains est bien plus efficace que les mots. La main, offrande du toucher Dans tous les soins, l'outil privilégié de la communication tactile est, bien sûr, la main du soignant qui touche, guide, suggère, appelle et console. Toucher, c'est rencontrer l'autre avec ses mains, c'est approcher une zone corporelle avec prudence, l'apprivoiser. Nous allons apprécier sous nos mains l'effet du toucher : la mobilité, la confiance, le relâchement, l'abandon ou bien au contraire le raidissement, la crispation. L'écoute par les mains, le regard, le rythme respiratoire est une communication précieuse où le corps est le lieu privilégié de notre rencontre avec la personne âgée. « Main posée sur le corps, main qui interroge, qui demande, qui respecte, qui cherche, main qui reconnaît la douleur bien plus profonde que la peau, main qui perçoit, qui écoute, main qui ressent l'abandon, la confiance ou la défense, main qui réchauffe, qui rassure, qui parfois soulage, qui masse, qui détend, qui met en mouvement, qui autorise, qui accompagne plus loin la respiration, main-contact, main-dialogue, main-caresse.» ( Dr F. Rodary, Docteur s'il vous plaît, écoutez-moi !) La main est un tout chargé de nos craintes, de nos émotions, elle part à l'aventure pour sonder la distance qui sépare chacun de nous de ce qu'il n'est pas. Redonner la parole à la main, ouvre notre espace relationnel à l'autre. En effet, serrer la main, caresser l'épaule sont des gestes simples qui témoignent de notre sympathie, de notre compréhension et ont une grande importance car ils rassurent. Physiquement, c'est la main qui nous permet de modifier et de maîtriser notre environnement. La souplesse et la flexibilité de la main, dues à l'extrême complexité de sa structure anatomique permet un très grand nombre de mouvements. Psychologiquement, elle est capable d'intentions et d'analyses : prendre, donner, apprécier, évaluer, palper, caresser, frapper, protéger, montrer, échanger... etc. Sa sensibilité particulièrement riche et fine lui permet de remplir son rôle d'écoute avec une précision incomparable. (La surface du cortex cérébral, qui correspond à la sensibilité de la main, est aussi étendue que celle de la totalité des aires des autres parties du corps (bouche exceptée). o "Avoir la main heureuse"- "de bonnes mains" - "du tact" - "laisser son empreinte" - "avoir le tour de main" - manier "avec des gants de velours" - "toucher juste" - "toucher une réalité du doigt" sont l'apanage de tout être humain qui s'en donne les moyens. « La main, c'est l'homme même.» , écrivait Anaxagore, il y a vingt siècles. Les mains sont semblables mais toutes différentes (signant notre identité par les empreintes digitales) et nous renseignent sur l'état de santé et la condition de chacun de nous tout au long de la vie. Les mains authentifient les émotions dont elles sont les messagères : il faut entraîner les mains qui établissent le dialogue à sentir les vibrations de la musique du corps, à travers des gestes lents de la vie quotidienne. La personne âgée s'exprime, aussi, par sa main quand elle la tend, quand elle serre la main que nous lui donnons, quand elle la refuse. La main autobiographique Les mains des soignés et soignants sont à elles seules une biographie : o mains usées par des métiers pénibles ou les rudes besognes ménagères. o mains déformées par l'arthrose mais encore habiles aux actes de la vie quotidienne. o mains froides qu'éclaire un mince anneau témoin d'un passé chaleureux. o mains décharnées aux veines apparentes, agressant notre regard mais pouvant dire que la vie est encore là. o mains tendues pour quelle demande ou quelle offrande ? o les mains du soignant écrivent aussi leur propre histoire par la façon d'effleurer, de caresser, de palper, de sentir, d'apaiser, détendre, afin de redonner au vieillard sa place de personne. Avoir du tact pour oser la tendresse La rencontre avec la personne âgée, c'est d'abord la vision d'un corps qui nous fascine ou qui nous bloque. Ce corps, comme un miroir, provoque le réveil de notre propre vieillissement : peur, angoisse, plaisir, fuite, désir... o Notre façon d'être n'induit-elle pas, en grande partie l'attitude de la personne âgée à l'égard de son corps ? Considérer la personne âgée comme un objet dont nous avons peur, que nous tenons à distance, que nous soignons, fait qu'elle devient elle-même un corps-objet : elle se dégoûte, ne se reconnaît pas dans son corps, se plaint, déprime, voire s'autodétruit. Mais si son corps redevient pour nous un corps-langage personnalisé, digne d'être écouté dans sa vie présente et passée, alors la personne âgée est restituée dans une dynamique de vie. Ce corps tombe aussi malade pour crier le besoin que l'on s'occupe de lui : son besoin d'être aimé. Décoder sans cesse le langage du corps de la personne âgée nous fait comprendre son incoercible désir non seulement d'aimer, mais d'être cajolée, congratulée, touchée, entourée d'affection, de soin et ceci sans fin, sans limite. La personne âgée a tendance à parler de son corps comme d'un pantin étranger qu'elle ne commande plus (l'incontinence est sans doute un des causes majeures de cette dégradation). o La personne âgée démente se replie sur elle-même si nous ne lui parlons pas, ne la regardons pas, ne la touchons pas physiquement. Nous sommes en quelque sorte le trait d'union entre elle et le monde extérieur. Pour permettre à la personne âgée de ne pas être morcelée, lors du soin, il est important qu'un seul soignant communique tactilement avec elle, ce qui l'autorise à se sentir entière. o Une aide peut seulement être demandée pour le changement de position, le lever de la personne âgée : la manipulation doit se faire avec la plus grande douceur, sans tirailler, heurter ni bousculer la personne ; en respectant son rythme. Toucher est une nécessité capitale au même titre que se nourrir, respirer, boire, dormir. o Nous pratiquons la communication tactile lors des actes de la vie quotidienne tels que la toilette, l'habillage, l'aide à la marche, le bain, lors des changes, à l'heure du repas et en fin de journée lors du coucher. Nos actions sont des gestes qui transmettent des messages. Elles doivent chercher avant tout à ne pas susciter la douleur, en donnant confiance, en aidant la personne âgée à se détendre. o La détente amène à une prise de conscience du corps, du schéma corporel. Elle permet d'éprouver des sensations internes provoquées par des mots simples concernant les différentes parties du corps. La personne massée passe au stade de l'identité : sentir son corps. La détente peut être une préparation à la relaxation où la personne âgée accédera au stade de l'identification : se sentir dans son corps ; ce qui peut être obtenu par le massage. Du temps de la toilette, la main serpente Pendant la toilette, la main du soignant parcourt le corps de la personne âgée, lui rappelant tous les contacts heureux ou malheureux qu'elle a connus durant sa vie. Si la main passe trop brusquement sur certaines parties du corps, elle sera porteuse d'irritation, de tension et d'agression. La main doit être débarrassée des gants à usage unique, lorsque le soin ne l'exige pas. o Ceux-ci ne protègent pas le soignant de la vieillesse (non contagieuse !) mais enlèvent une part importante de la communication tactile : la perception de la chaleur et du grain de la peau. Transformer les minutes de soins en des moments de plaisir, de communication plus intime, signifie que la personne âgée est digne d'intérêt. o Le simple fait de lui toucher les épaules, d'accueillir sa main dans les nôtres, sont des gestes apaisants, sécurisants, témoignant notre souci qu'elle passe un bon jour. Suivre le schéma corporel o Lors d'un stage dans notre service, une infirmière exprime son inquiétude : son enfant pleure, hurle lorsqu'elle lui fait la toilette du visage. Nous lui proposons de commencer par la main, zone plus neutre que le visage et initiale lors de la relation sociale. Quelques mois plus tard, souriante, elle nous annonce que notre suggestion a été bénéfique: son enfant n'a plus peur, les rires se sont substitués aux pleurs. Ce témoignage nous a confortés dans notre façon de faire les soins. o En pratique, lors de la toilette, nous essayons de suivre le schéma corporel : pour aller d'une main à l'autre, nous allons remonter le bras, passer par les épaules et redescendre en suivant l'autre bras. Nous lavons ou essuyons globalement et non par morceaux. Nous dessinons et sculptons le corps du o o soigné (c'est à dire le tracé de l'image du corps vu de l'extérieur, notion sociale) pour essayer d'atteindre le schéma corporel qui est le corps vu de l'intérieur. Il nous semble logique de laver par exemple la main droite (première partie du corps susceptible d'être touchée dans toute rencontre et donc la plus réceptive au contact), le bras, l'épaule puis le visage, partie plus vulnérable de l'image de soi. Puis de continuer ensuite par l'autre épaule, le bras et enfin la main gauche. Il nous est aussi possible de dessiner le contour des fesses, (maintes fois lavées et pommadées), d'en suivre le pli, dans un large mouvement tournant, avant d'engager les doigts le plus loin possible sous les hanches du soigné, pour que le Résident puisse faire coïncider son image du corps (L'image corporelle se construit à partir de la conscience que l'homme a de son enveloppe, contour ébauché par les caresses, les gestes, les sensations éprouvées.) et son schéma corporel. En effet, cette fusion permet de mieux sentir son corps comme une unité et participe au sentiment de bien être, d'être bien dans sa peau. Les fesses sont en réalité une masse musculaire qui est mise à contribution et mérite sa part de détente. Des tensions peuvent d'ailleurs se loger dans la profondeur de cette masse et des manoeuvres telles que des frictions latérales, des vibrations, des frictions-pressions circulaires, des pétrissages ont leur importance. Une toilette bien faite, (schéma corporel respecté et relation impliquant uniquement le soigné et le soignant) vaut un massage. Bien que les cinq éléments du toucher (le contact, la pression, la chaleur, le froid et la douleur) soient altérés, certains d'entre eux sont bien préservés chez la personne âgée au niveau des bras, des jambes, du dos des mains. Toucher les bras de la personne âgée, masser son dos à mains nues (l'alcool, l'eau de Cologne rafraîchissent la peau mais la dessèchent), brosser ou peigner ses cheveux peuvent augmenter sa sensibilité tactile ; de même que la tourner pour changer de position. Faire revivre le corps à travers une politique de mouvement incessante, vise à éviter l'alitement et à stimuler la marche. L'activité est la source du pouvoir ou de la puissance d'agir, qui permet de commencer quelque chose, d'aller de l'avant et de progresser, de jouer et d'être en compétition, de travailler, de s'enthousiasmer, de se stimuler, de réagir et de changer, de se former soi-même à partir de choix personnels, enfin de s'affirmer. Vivre agréablement l'heure du bain Le Résident doit être encouragé à s'occuper de son esthétique, une manière de lui redonner le sens du respect de son corps et le souci de sa dignité. o Se regarder dans la glace, chercher le contact avec autrui ou parler de son apparence, sans perdre sa propre image, manifeste "son estime de soi". o Lorsque la personne ne peut plus se mouvoir à son gré, nous devons préserver son image corporelle. Il faut utiliser des exercices physiques qui tiennent compte des capacités de la personne âgée et de ses points douloureux. Des exercices passifs, des massages et une stimulation sensorielle aident la personne à garder prise sur son corps. Dans la baignoire, la personne âgée est immergée le plus possible. Le soignant, par des mouvements ondulatoires, de pression, de poussée, des exercices d'étirement et de relâchement, anime tout le corps. Le mouvement du corps se traduit par un va-et-vient dans le corps entier car l'eau contribue à donner un rythme. Ce massage, en eau chaude dénoue les muscles, les articulations, tonifie tout le corps et fait naître une agréable sensation. o Le bain constitue une stimulation cutanée et cérébrale. Le contact épidermique de l'eau renvoie aux plaisirs aquatiques vécus lors des bains de la petite enfance, bien enveloppé et chaud et peut-être même au bain amniotique intra-utérin. La douche stimule, le bain relâche : à chacun son plaisir. Ces soins corporels sont un moment privilégié d'écoute dans un environnement de détente, de décontraction, de bien être . De bon matin, se lever est le premier pas vers les autres o Selon Norris, immobilité et vie humaine sont incompatibles et de ce fait, l'immobilité constitue une menace à l'identité même de l'individu et à sa survie. (L. Burger , Soins gériatriques. Problèmes complexes et interventions autonomes) Se mobiliser, se lever, sont des activités premières. Si elles ne sont pas possible pour tous, le fauteuil est une solution meilleure que le lit car il permet à la personne âgée de ne pas être isolée, d'être reconnue dans un groupe, de communiquer. o Si nous voulons que le lever soit sécurisé, nous devons aider les personnes âgées, sans brusquerie, avec précaution. Soulever un membre demande pour le soignant de glisser sa main et éventuellement son bras sous le membre du soigné puis de soulever ce membre en invitant la personne à suivre le mouvement. De même, reposer un membre demande de placer la main sous ce membre, de la poser sur le support puis, avec douceur, de la retirer. o La plupart des Résidents ont besoin d'une aide de suppléance à la marche pour se rendre à la salle à manger. La marche maintient la flexibilité articulaire, conserve le tonus musculaire et l'intégrité du coeur et de l'appareil respiratoire. o Symboliquement, l'avant du corps est le présent et l'arrière le passé Pour certaines personnes, il est important de proposer une position d'appui en avant d'elles pour qu'elles regardent devant. Nos bras et nos mains, leurs cannes sensibles où elles peuvent s'appuyer en confiance, leur permettent de marcher. Pour d'autres, la peur de la chute les inquiète et leur donner le bras est une aide estimée : craintifs, les vieux agrippent notre main, notre bras étant pris en étau sous leur aisselle. o La recherche d'un appui humain pour se déplacer, la façon de nous prendre la main et de la maintenir sont des signes qui révèlent combien est grand leur besoin de toucher et d'être touché. Un déambulateur est stable, mais il est froid. o Par ailleurs, l'habillage correct implique de multitudes mobilisations actives et/ou passives. Le soin du vêtement et de la coiffure permettent d'obtenir une récupération narcissique dont le rôle peut-être déterminant. La façon dont la personne âgée s'habille ou est habillée peut influer sur son comportement. Les vêtements personnels remplissent une foule de fonctions : esthétique, protectrice psychologique et physique, de séduction, d'affirmation de soi, d'identification à un groupe et d'affirmation de rôle. (J. Newman, Soins infirmiers inter culturels, édition Lamarre, 1991). L'homme est un tout, la vie est mouvement Chaque jour, dans le courant de la matinée, la personne âgée est invitée à participer à une séance de gymnastique adaptée. o Celle-ci est importante pour le maintien de l'amplitude des mouvements et du schéma corporel : retrouver, dans son propre miroir, l'image de son corps et permettre une reprise de conscience de son identité. La voix douce et le geste lent du soignant encouragent le Résident à faire des mouvements qui conduisent à toucher son voisin, "l'autre", avec l'implication de réactions surprenantes et agréables. La difficulté de se mouvoir est un handicap ressenti de façon différente selon que la personne âgée aime bouger ou non. Il faut alors aider à faire. Le toucher réhabilitant la stimulation sensorielle, nous avons dans la journée de nombreuses occasions pour demander à la personne âgée de différencier les tissus, les métaux, les aliments par des jeux ou des activités spécifiques structurées. Le toucher est une relation possible, même avec la personne qui ne peut s'exprimer verbalement. Le regard illumine ce qui vient de l'intérieur, cette amorce entraîne le sourire, anime le visage, et parfois le corps entier : beaucoup de situations bloquées et inexpliquées se dénouent alors. Que de découvertes et d'émerveillement dès que l'on se laisse rencontrer par l'autre ! À l'heure du repas, la posture en écho Le Résident détérioré, sans projet, ne compte plus pour personne et personne n'a besoin de lui. Défini ainsi, les contacts relationnels diminuent ; aussi dans la solitude et l'ennui, le Résident se rattache à la vie par le dernier espoir de survie : l'alimentation, besoin nutritionnel de base... est un plaisir qui redonne goût à la vie. Le repas est un moment thérapeutique où le soignant montre au Résident qu'il existe en tant que personne. Il n'existe pas d'exercices pour développer le goût du contact tactile à ce moment là, c'est à chacun d'oser mettre son coeur au bout des doigts. Nos attitudes et nos gestes font partie intégrante de la communication lors du repas. S'asseoir près de la personne âgée de façon que les regards soient au même niveau, marque la volonté de communiquer et efface le rôle dominant et menaçant du soignant. o La position debout, alors que la personne âgée est assise dans son lit ou sur son fauteuil, peut nous conférer une certaine allure de supériorité. o Il est pourtant si facile de nous incliner vers elle afin de nous mettre à sa portée et de véritablement pénétrer son champ de communication : cette attention, si importante pour l'enfant devient essentielle pour la personne âgée. Du fait de cette proximité, divers canaux de communication non verbaux tels que l'expression du visage, les gestes, l'odeur du soignant occupent une place importante dans l'interaction verbale. La proximité physique constitue le registre d'échange le plus confortable, auprès de la personne âgée qui cherche le contact corporel. Le contact tactile neutralise l'extériorité du regard et ouvre la voie au jaillissement des échanges verbaux et non verbaux. Favoriser le contact avec la réalité, c'est permettre à la personne âgée de toucher les objets (assiettes, couverts, pain, fruits, etc..), de lui laisser les manipuler autant qu'elle le veut pour qu'elle prenne conscience de leur forme (bords coupants), leur texture (granuleuses, lisses) et de leur température. Combiner ou associer les sens de façon différente, à savoir le toucher avec la parole et le goût, avec la vue, l'odorat, c'est utiliser l'importance du feed-back à l'environnement pour réaliser une thérapie non médicamenteuse. o De cette "écoute active" naît entre le soigné et le soignant un échange qui permet une activation cérébrale. o Si manger assure le besoin le plus élémentaire, le comportement alimentaire est, lui, langage, mode de communication : la posture en écho (manière dont, inconsciemment, les amis réagissent à l'unisson) et le lien corporel y aident précieusement. L'attitude de posture en écho (tête inclinée de côté, posture ancestrale appartenant à notre patrimoine génétique) facilite l'échange car elle transmet l'image d'une écoute attentive à la personne âgée. Le message silencieux transmis par cette posture est de témoigner à l'autre des signes de reconnaissance, lui montrer qu'il ne nous est pas indifférent. Cette posture se rattache vraisemblablement au mouvement du petit enfant qui veut poser sa tête contre le corps pour y trouver la tendresse d'un appui réconfortant. Le lien corporel a recours aux gestes de la main : nous ajoutons à la parole un appui physique par de petites tapes sur la main, le bras ou l'épaule. Ces gestes jouent le rôle essentiel de trait d'union dans la communication : la main est toujours touchée en premier, elle invite à la rencontre et reflète la cordialité, lors de la poignée de main. Ces deux attitudes apportent une nuance chaleureuse à la communication. Elles permettent à la personne âgée, par le toucher accompagné d'une parole complaisante, de réagir : son corps résonne et l'envie de manger augmente. o Touchez la personne âgée en caressant sa main, elle y sera sensible car resurgiront des réminiscences. o Tenir la main a quelque chose d'apaisant : cela authentifie les émotions, la joie, la peine et l'anxiété qui influencent l'appétit de vivre. La famille et son chagrin De nombreux sentiments : isolement, culpabilité, inquiétude, gène, habitent la famille qui ne peut accepter la déchéance de son parent. o Éprouvée, cette famille est en désarroi, en peine et cherche le chemin d'une véritable communication avec l'équipe soignante. Cette voie passe aussi par le toucher : savoir prendre un bras, une main, offrir une épaule seront peut-être les seules réponses à donner, celles qui seront les plus propices à l'apaisement. Le fait de reconnaître le chagrin par le toucher et l'attention, crée un climat de confiance où le Résident et ses proches peuvent s'extérioriser. Support à notre simple présence, la communication tactile, bien que silencieuse, est une aide précieuse pour la famille désorganisée et ébranlée. Cela lui permet de se sentir soutenue à travers la souffrance. L'accompagnement du mourant, l'heure suprême Vivre debout et heureux, telle est la devise de notre service. Mais comment l'interpréter ? Accompagner veut dire qu'il y a toujours à faire pour aider un malade à vivre jusqu'au bout. o L'affinité du soignant et du soigné l'un pour l'autre, est une des bases essentielles de l'accompagnement. La qualité de l'accompagnement que l'on peut apporter passe par des échanges humains, un passé, une mémoire qui nous rapprochent du mourant. Il s'agit en effet de prendre en compte le fait qu'un mourant reste un vivant, capable de besoins et de désirs, avec une âme qui peut atteindre, jusqu'au moment de la mort proprement dite, à une intimité, à une beauté profonde. Pour le mourant ou l'inconscient, le toucher, est un support pour garder contact avec la réalité. o Le début de l'accompagnement commence par "donner la main", signe de tendresse où nous mettons, tout le calme, toute la profondeur de présence dont nous sommes capables. Tenir la main du mourant soulage sa solitude, caresser son front ou ses cheveux engendre un apaisement. C'est établir un contact où un courant peut s'instaurer, courant qui n'a plus un rapport avec la sensibilité physique mais plutôt avec la sensibilité morale et psychologique. Le mourant, lui, ne peut pas toujours exprimer ses désirs, il faut donc pouvoir les déceler, même s'il n'y a pas d'expression verbale. Aussi, pour arriver à répondre à des désirs subjectifs, il faut que le soignant éprouve réellement l'envie de rechercher tout au fond de lui-même ce qu'il désirerait s'il était mourant. Pour le soignant, il s'agit d'une autre façon d'être : il ne s'agit pas de fuir mais de s'asseoir; il ne s'agit plus de faire à tout prix, mais d'être. Être là simplement, permettant au mourant de rester jusqu'au bout un être capable d'un désir qu'il faut pouvoir entendre et satisfaire. Par ce contact amical, la personne âgée au bout de sa vie, pourra découvrir une possibilité de se retrouver elle même, de se sentir toujours aimée donc vivante. o Vivre et Mourir "comme à la maison" : c'est se sentir entouré ; ne pas se sentir seul, ne pas avoir peur : il faut donc parler au mourant, lui signaler sa présence, lui prendre la main ; ne pas être abandonné : c'est assurer le nursing, c'est veiller à satisfaire des besoins, des désirs ; être sécurisé, avoir confiance : c'est quelque chose fondé sur le contact humain où lorsque le dialogue n'est plus possible, la parole se change en silence et la caresse sur le visage ou la main établit une communication ; être restitué une dernière fois à son identité propre, à son vécu relationnel : c'est tenir compte des affinités particulières qui se sont établies entre le mourant et certains soignants afin qu'il bénéficie des visites des personnes qu'il apprécie le plus. o À partir du moment où il y a un contact, quelque chose se passe pour faire sentir à la personne âgée qu'une présence est là, que celle-ci est proche et cherche à lui être bienfaisante. Grâce au climat qui s'établit, nous pouvons l'aider à être en paix intérieure. Nous sommes avec elle, maillon de l'humanité. Jour après jour, vivre ensemble La personne âgée isolée, dépendante, qui craint la mort ou qui a perdu le respect de soi, a le plus grand besoin du toucher, seul sens à ne pas décliner, toujours intact. o La communication tactile est totalement intemporelle. Le fait d'être touché sans prétexte, gratuitement, a une grande valeur pour le soigné et est une aide précieuse pour le soignant dans l'accomplissement de sa tâche. o Le toucher et la communication non verbale s'avèrent être les facteurs les plus efficaces pour faciliter l'entrevue avec le Résident. La stimulation cutanée véhicule le soutien affectif et l'encouragement. La sensation tactile apporte une confirmation, diminue le sentiment de solitude, partage de la chaleur et rehausse l'image de soi. o Garder son calme, apprendre à poser une main sur le front, le bras ou l'épaule, caresser une joue : des actions qui remettent en cause l'efficacité de la fonction soin et amènent un nouveau regard sur la façon de soigner qui doit apporter confort, réconfort, apaisement et soutien. Dans la communication tactile, l'aisance et l'honnêteté du soignant impliquent le pouvoir d'innover, d'oser d'autres gestes empreints de prévenance, de pudeur, de délicatesse. o Parfois, la présence silencieuse, le contact établi de main à main, de regard à regard, représente la seule communication. A chaque soignant d'en découvrir le sens, l'intensité, la richesse. Les silences, les contacts sensitifs et les regards ne se décrivent guère ! Ils sont à vivre, à ressentir par celui qui le veut ou le peut. Le toucher a une dimension conviviale : par la confiance qu'il instaure, il est communication et échange .... dans la tendresse. I - LE TEMPS DES SOINS RELATIONNELS L'initiation au massage sensitif et des stages de formation à la communication tactile ont confirmé nos observations quotidiennes d'aide soignante, quant à la place importante du toucher dans la communication. Le but des stages est la reconnaissance intérieure : ils éveillent en nous la façon dont on se situe par rapport aux trois constituants du contact (sentir, entendre, voir), et rendent ainsi possible l'utilisation du toucher en tant que moyen de communication. Par la suite, la lecture d'ouvrages variés sur le toucher a raciné ces premières approches. Et la participation à des formations (Ramain) et séminaires (Jacques Salomé, Lise Bourbeau, Colette Portelance), nous a permis de mieux définir les soins relationnels : soigner aussi par la tendresse. Notre expérience en Service de Soins de Longue Durée est le support de cet exposé. Monique Zambon À votre santé ! La notion d'approche globale de la personne est loin d'être nouvelle car les prémisses en sont contenues dans le concept oriental du Yin et du Yang : on soigne une "personne" qui est malade et pas seulement "l'organe" malade. Il faut replacer le corps dans un concept global et réintroduire ainsi les notions de corps subtils (émotionnel, mental et spirituel). Ce corps se nourrit et une mauvaise pensée, une agressivité même retenue peuvent dès lors devenir toxiques comme un aliment trafiqué. L'émotion, la pensée, le spirituel font aussi partie de ses besoins vitaux et influent directement la santé. « Tout est vibration dans l'univers » dit Einstein. L'homme se nourrit de vibrations sous des formes différentes et multiples ; une émotion, c'est une vibration ; une pensée aussi, mauvaise ou bonne. Notre santé va donc dépendre de la qualité des vibrations ainsi accumulées et intégrées. D'après Margeret Newman (citée par Ghislaine Ichés dans son mémoire IDE - IFSI Toulouse, "Touchez la personne âgée elle en sera touchée".), la vision holistique de la santé se résume en six points : o - tout d'abord la santé comprend des états longtemps décrits en termes de pathologie (ex : un diabétique qui a acquis la connaissance de sa maladie et qui arrive à la gérer sera considéré en santé). o - la plupart des états pathologiques peuvent être considérés comme des manifestations de la manière d'être au monde d'un individu (influence du stress, du deuil, de l'absence de communication). - la manière d'être au monde de l'individu qui se manifeste finalement en tant que pathologie, existait avant le changement fonctionnel ou structurel appelé maladie. - la disparition de la maladie ne détermine pas nécessairement un changement dans la manière d'être au monde de la personne, la maladie est un message qui "prévient" de la nocivité de son comportement. - il se peut "qu'être malade" représente pour la personne la seule manière d'être au monde et de faire le point. o - finalement, la santé est le cheminement vers une augmentation de l'état de conscience, de la lucidité et de l'harmonie avec soi, avec les autres, avec la société dans laquelle la personne vit. La santé est un état dynamique dans lequel une personne s'adapte à son environnement et maintient ainsi un état de bien-être optimal dans toutes les dimensions de son être. C'est ce que dit aussi René Dubos dans L'homme et l'adaptation au milieu.. o « Le genre de santé que les gens désirent le plus n'est pas nécessairement un état dans lequel ils jouissent de la vigueur physique et d'un sentiment de bienêtre, même pas celui qui leur assure une longue existence. C'est plutôt la condition la plus favorable pour atteindre les buts que se propose chaque individu... être en bonne santé c'est être capable de faire ce que l'on envie de faire. » Guérir, un nouvel équilibre de soi Guérir c'est "redevenir complet", retrouver l'ordre et l'harmonie à l'intérieur, entre soi-même et l'environnement. Françoise Rodary, médecin, dans Docteur, s'il vous plaît, écoutez-moi! , tente de donner sa définition de la guérison : o Guérir, ce serait, après ou face à une période de perturbations, de blessures, de blocages, ou d'agressions, d'où qu'elles viennent, en prenant appui sur ses propres ressources renaître à un nouvel équilibre de soi, sortir de la situation douloureuse pour entrer dans une nouvelle phase de vie, dans une démarche en tendresse et lucidité, de reliance, de réconciliation : - avec soi-même, dans tous les aspects de soi, même les plus noirs même dans la dégradation de la vieillesse ou de la maladie, - avec les autres, tous les autres, même ceux qui provoquent en moi les émotions les plus douloureuses, - avec la vie, qui naît, qui croît, qui s'épanouit, qui vieillit et qui meurt,qui s'origine du fond des âges, et s'ouvre à l'infini. o Guérir : c'est sortir de la non-vie, c'est remettre en circulation toutes les énergies et les capacités restantes, c'est renaître avec tous mes possibles, si ténus soient-ils, et cela est aussi vrai en fin de vie, ou dans la phase terminale d'une grave maladie. o Guérir est le but de l'acte de soigner : entrer en relation, être face à l'autre, se centrer sur lui à partir de ce qu'il amène, tout en étant conscient de nos propres ressentis en interactions avec lui. Se centrer sur la personne, c'est s'intéresser à son vécu, à la façon dont cette personne vit son problème ou difficulté Le soin relationnel, ancrage du malade Pour Jacques Salomé, fondateur de l'Association Française de Psychologie Humaniste, le concept de Soins Relationnels est fondé sur le principe que toute maladie ou somatisation, quelque soit l'élément déclencheur, est aussi un langage symbolique avec lequel une personne tente de dire - ou de ne pas dire - l'indicible. o Le Soin Relationnel, c'est l'ensemble des attitudes, des comportements spécifiques et volontaristes, des actes, des paroles tant réalistes que symboliques qui sont proposés par un soignant, un accompagnant, à une personne en difficulté de santé. Cela pour lui permettre de s'entendre elle-même, d'être écoutée et entendue, de se relier à son histoire, de rendre la relation soignant-soigné plus aidante. Avec pour effets de mieux se relier au traitement, d'entendre le sens de sa maladie, d'en saisir quelques jeux : que disons nous avec des maux qui ne peut-être dit avec des mots ? o Dans le processus de guérison, les soignants ne sont que des accompagnateurs, des révélateurs, des libérateurs d'entraves qui permettent l'éclatement d'une vie. o Soigner, c'est ... libérer, faire renaître et vivre l'espérance. refuser une relation infantilisante dans laquelle demander c'est exiger, donner c'est imposer, recevoir c'est prendre et refuser c'est rejeter. instaurer une relation créative dans laquelle demander c'est proposer, donner c'est offrir, recevoir c'est accueillir, refuser c'est affirmer et où la tendresse est possible. L'état de santé ou de maladie de la personne a un sens, une origine cela quelle qu'en soit la cause - et doit être considéré en fonction de ses valeurs, de sa personnalité, de son mode de vie ; ne confondons pas le sens et la cause. La personne âgée est d'abord une personnalité avec, avant tout, le besoin d'être, de se positionner comme sujet et non comme objet. Besoin de demander, de dire, besoin de parole, besoin des autres. o Ce besoin de communication et d'attachement se développe d'autant plus que la personne âgée est confrontée à des changements organiques, psychiques, culturels ou sociaux. C'est en ce sens que la maladie est une crise, une exaspération du désir, un besoin d'espoir, de communication et de compréhension. Dans le domaine de la communication, soigner comme éduquer, devient un partage de pouvoir, partage d'un pouvoir libérateur, fondé sur la relation dite besoin d'attachement. o Pour maintenir la personne âgée en bonne santé, afin qu'elle conserve ou améliore son niveau de fonctionnement, son autonomie, il est important que la relation offerte par le soignant lui montre qu'elle existe encore. En effet, nous sommes des êtres de relation, aux liens multiples, fragiles et sensibles, qui sont autant capteurs qu'émetteurs, sur lesquels toute violence introduit, induit une résonnance sur le corps. Faut-il rappeler que le corps est le meilleur compagnon de notre existence avec lequel nous passons l'essentiel de notre vie ! Si on soigne la personne âgée mais si on oublie de soigner le lien avec lequel elle se relie à des personnes significatives, la relation est souvent blessée. En plus de prodiguer les meilleurs soins, il faut apprendre à penser, à soigner la relation, les liens blessés, maltraités, car il y a danger d'irruption de la maladie dans le corps de la personne âgée. La relation soignant/soigné passe donc avant tout par une dimension affective, le Résident en Soins de Longue Durée est lui aussi un être d'émotion avant que de raison . Si des paroles peuvent être touchantes, les gestes de la main peuvent être éloquents. "Bien accueillir l'autre" doit être un souci majeur pour l'équipe soignante. o Dans ce cadre, "Parler avec les mains" permet de répondre à cette attente, de mettre à la lumière ce qui n'a jamais pu être dit : les blessures les plus profondes sont celles que l'on n'a pu médiatiser par la parole, par la mise en mots. Surtout le fait de ne pouvoir être entendu par les personnes les plus chères (papa, maman, partenaire) dont nous souhaitons simplement l'écoute. Les non-dits donnent lieu à des malentendus qui, non exprimés en mots, prennent le risque d'être criés en maux. Notre corps parle à notre place, lorsque les mots ne savent pas... o L'action et le désir refoulés tendent à créer des blocages d'énergie qui résultent pour la plupart d'émotions enfouies, non exprimées. Ils engendrent avec le temps une sorte de cuirasse : les muscles adoptent certaines postures de protection qui, à force d'être répétées, obligent le corps à prendre l'attitude correspondante à l'émotion responsable du processus concerné. Pouvoir "sortir" ce qui se joue à l'intérieur de nous est réparateur ; et ce peut être le début d'un rétablissement de l'état de santé. Les attitudes face à la personne âgée Une attitude est une manière relativement cohérente et durable de penser, de percevoir ou de réagir, devant un but, une idée, une personne ou une situation. Elle est composée d'éléments cognitifs, émotionnels et débouche sur des comportements qu'il n'est pas toujours facile d'expliquer si on ne se réfère pas à la culture de la personne. Au moment où notre culture rejette "les Vieux", nous relevons o que la vieillesse n'est que rarement synonyme de dégradation physique ou mentale importante ; o qu'un vieillard non actif économiquement n'est pas forcément inutile aux autres ; o qu'un vieillard au mental détérioré, mérite peut-être un autre regard que celui qui est trop souvent porté sur lui à l'heure actuelle. En institution, l'accueil est le moment capital de toute relation. Aussi faut-il définir les moyens à mettre en oeuvre pour accueillir la vie qui habite la personne âgée afin qu'une relation naisse. L'acceptation est la tolérance manifestée envers les autres : elle consolide la relation entre le soignant et le soigné. o Accepter la personne âgée, c'est s'abstenir de porter un jugement de valeur sur son état (mimiques et gestes de désapprobation) ; c'est écouter pour comprendre le message qu'elle veut transmettre ; c'est lui prouver que nous accueillons son vécu, son senti, avec respect, sympathie et compréhension. Au verbal le message, au non-verbal... le massage du message o Tout comme il est difficile, sinon impossible, de modifier notre apparence générale, notre taille ou la couleur de notre peau, notre corps véhicule nos sentiments et nos réactions en présence des autres. La personne âgée est à l'affût des expressions que peuvent révéler le regard du soignant, sa voix et son attitude : - avant toute chose, la qualité du regard va créer le contact : en échange et parfois en partage. Selon les circonstances, un regard soutenu traduit l'agressivité, l'amour, l'attirance ou l'intérêt ; un regard fuyant est souvent indice de culpabilité ou crainte ; un regard fixe et des muscles faciaux immobiles indiquent la froideur. Il est convenu de fixer des yeux une personne qui nous parle : cela indique l'intérêt qu'on lui porte et l'encourage à poursuivre ; en détournant les yeux, nous indiquons plutôt l'ennui ou le désir de prendre nous-mêmes la parole. - ensuite, le ton de la voix (reflétant les émotions) du soignant va accompagner les mots : les mots peuvent exprimer un message mais le ton transmettre le contraire. Si la voix n'est pas sincère, la personne âgée mettra en doute la crédibilité du message. - enfin, rien n'est plus réconfortant que le sourire du soignant : le sourire est contagieux, c'est une porte ouverte pour communiquer. o Par son attitude corporelle et ses mouvements, toute personne transmet ce qu'elle ne peut - ou ne veut pas - dire par des mots. o Le comportement gestuel du soignant peut répéter, clarifier, contredire, modifier, renforcer ou réguler le flux de la communication. Du fait que la personne âgée a le sentiment de perdre son identité sociale lorsqu'elle entre en institution, si celui qui prodigue les soins s'exprime par des manifestations très rudimentaires telles que des grimaces, du recul, des vociférations ou une indifférence, cela ne fait que confirmer au soigné sa perte d'identité. Une telle attitude, dominatrice, ne témoigne pas de respect ni d'affection envers la personne âgée. Des attitudes positives du soignant - qui paraissent évidentes tellement elles sont simples - ont des répercussions favorables sur le soigné : - manifester notre arrivée en frappant à la porte de la chambre, saluer la personne âgée, lui dire "Bonjour !" suivi de son nom de famille, c'est lui reconnaître un statut social qui lui prouve son identité; - établir un contact visuel, capter son regard nécessite de se placer à sa hauteur ; se nommer, se pencher vers elle, lui montre qu'on lui porte attention (au contraire, se pencher vers l'arrière dans une position relâchée est le signe d'une certaine apathie) ; - lui serrer la main, justifié dans une première prise de contact, demande un moment d'arrêt, engage souvent la conversation (ou accentue le message verbal), confirme très concrètement et très chaleureusement notre présence. Nous vivons dans un jardin des sens L'homme est sensible à son environnement et son cerveau a besoin d'une stimulation constante, apportées par les sens, pour optimiser son activité mentale. Les conséquences de la perte d'efficacité des organes sensoriels - inéluctable lors du processus normal de vieillissement - se reflètent dans tous les aspects du comportement de la personne âgée et l'affectent dans sa globalité. o L'altération des perceptions sensorielles compromet l'estime de soi : l'image corporelle est modifiée, la personne âgée perd confiance en elle et néglige sa santé. Si elle ne perçoit plus les signaux de danger, ceci menace sa sécurité. Enfin, conséquence néfaste majeure, survient l'altération de la communication verbale : la personne âgée n'arrive plus à émettre ou à recevoir des messages. La perception fait appel aux cinq sens - que l'on peut regrouper en sens de proximité (odorat, goût, toucher) ou de distance (ouïe, vue) - qui permettent à l'individu de garder contact avec son milieu. o Lorsque l'individu est privé de l'un de ses sens de distance, il est plus dépendant des sens de proximité et plus principalement du toucher .(Une personne aveugle développe une meilleure sensibilité tactile qu'une personne qui a une bonne vue.) Le toucher confirme la réalité perçue grâce aux autres sens. Il est l'une des sensations les plus personnelles et est essentiel au processus de communication humain o o La personne âgée privée de stimulation tactile, développe de l'anxiété et modifie son comportement ce qui peut se traduire par des perturbations affectives : agressivité et même désorientation temporo-spatiale. Le manque de stimulus peut la conduire à se replier sur elle-même et à s'isoler.Des signes comme l'agitation, le refus de collaborer, l'aspect du visage, expriment une insécurité, une peur ou un besoin d'affection. La personne démente qui reste douée d'affectivité, perd peu à peu ses points de repère et son monde lui devient chaque jour plus étrange. Le fait de lui tenir doucement la main diminue son excitation. Crier pour jauger... la profondeur de sa solitude La personne âgée atteinte de troubles cognitifs, quand elle s'exprime par des cris, des phrases répétitives, adresse un message... Au niveau psychosocial et environnemental, Steffl (cité par Diane Saulnier dans son mémoire Réaction au toucher affectif de l'infirmière des personnes âgées qui émettent des cris répétitifs, Université de Montréal.) estime que les cris sont reliés à des sentiments de peur, d'insécurité, à une crainte d'isolement, de désorientation ou d'incapacité à communiquer sa douleur. Ebersole et Hess interprètent les cris comme une tentative de la personne âgée de mesurer les distances interpersonnelles et la profondeur de son isolement. o Cela correspondrait à un besoin d'exprimer son existence et de libérer certaines émotions refoulées. La privation sensorielle et affective seraient donc des facteurs possibles expliquant la persévérance des cris. Certaines personnes âgées qui crient peuvent également exprimer leur peine, leur fatigue, leur tension émotionnelle, leur désarroi. o Leur incapacité à arrêter ces cris peut correspondre au sentiment de perdre tout contrôle d'elles-mêmes. De plus, si elles manifestent de la crainte devant les autres Résidents, elles tremblent : elles ont peur de se faire frapper. Pour d'autres, le bruit peut devenir surstimulant et source d'irritation (comme l'est un inconfort de température). Un éclairage doux suscite peu de réactions. Par contre, les couleurs vives telles que le rouge ou l'orange peuvent provoquer de l'agitation à laquelle les cris sont reliés. Aussi convient-il d'offrir un milieu sécurisant, confortable et apaisant. La réalité quotidienne nous montre que, face à ces cris, le personnel soignant réagit différemment : certains isolent la personne âgée ou exercent des pressions auprès du médecin pour obtenir la prescription d'un sédatif ou d'un neuroleptique, d'autres ont plutôt recours à des approches plus douces telles d'offrir un bonbon ou un gâteau. o Considérer la personne qui crie comme un être profondément malheureux de son sort sur lequel il n'a aucun pouvoir et offrir une approche affective s'avère souvent efficace pour sécuriser. L'aggressivité, message à décoder Les handicaps qui retentissent sur l'autonomie de la personne, sur son image, sont souvent vécus comme une atteinte à la dignité. o Dans une situation de dépendance face à autrui, la personne âgée lutte intérieurement avec les émotions d'agacement, d'humiliation, de crainte devant la solitude et face aux difficultés de comprendre, de communiquer. o Devant le négativisme d'autrui, les interprétations erronées du comportement et les demandes d'aide incomprises, la personne âgée ressent des sentiments que nous pouvons sentir si nous avons une attitude empathique (Empathie : se mettre dans la peau de l'autre). o La personne âgée stressée ou manifestant des réactions spontanées et vives, transmet des messages non-verbaux par des mouvements corporels auxquels porter attention facilite la compréhension de son comportement. L'on apprend à s'exprimer par le corps avant de savoir parler. C'est pourquoi, durant l'expérience du stress, l'on peut retourner à un mode de communication d'un niveau de développement antérieur. Par ailleurs, toucher jusqu'à frapper peut aussi communiquer une frustration, de la colère, de l'agressivité. La colère, signe de non reconnaissance, est un comportement écran pour ne pas entendre ce qui est touché en nous. La prise en compte de la réalité provoque la colère de la personne âgée qui l'exprime vis à vis du soignant sous diverses formes. Cette agressivité est une façon de traduire son angoisse, voire sa fureur : nous devons l'accepter sans chercher à culpabiliser. Sans nous estimer personnellement visés, nous devons comprendre que le Résident a besoin de cette sorte de défoulement. La colère est une émotion très importante car elle nous relie à notre système de besoins : besoin de se sentir reconnu, de se sentir exister. Le soignant ne doit pas pas se laisser stimuler par des comportements écrans. Par contre, montrer son mécontentement devant l'autre et jamais sur l'autre est une attitude écologique qui nourrit la relation. o Il importe de souligner que la connaissance du vécu de la personne âgée démente a une grande importance et est nécessaire à la compréhension de certains de ses comportements. o Certaines attitudes de base sont nécessaires pour établir un contact significatif : manifester de l'intérêt, être calme, confiant, apporte sécurité et assurance à la personne âgée. La flexibilité est aussi de la partie, les comportements des personnes souffrant de détériorations cognitives étant variables et souvent imprévisibles. o La compréhension des phénomènes impliqués dans les déficits cognitifs conduit également à avoir une tolérance accrue aux comportements "dérangeants". Savoir que ces comportements sont non-intentionnels, non dirigés vers le soignant, qu'ils émergent d'une perception déformée des situations, des êtres et des choses, amène à développer de la patience et une acceptation respectueuse de la personne âgée (F. Ducharme, Principes généraux d'interventions auprès des personnes âgées atteintes de déficits cognitifs irréversibles.) Finalement, le succès de l'ensemble des interventions auprès de la personne âgée nécessite une condition préalable : la dimension humaine du soignant qui oeuvre dans le domaine de la gérontologie. o Le contact tactile signifie cette dimension. Les Résidents, du fait de leur déficience, sentent tout, il est impossible de tricher avec eux. Le contact physique adresse un message très puissant.Les gens savent immédiatement, lorsque vous les touchez, si vous vous souciez d'eux ou si vous tentez seulement de trouver une nouvelle façon de les manipuler. Serrer la main ou toucher la personne âgée d'une manière qui lui fasse savoir que nous soutenons sa réussite dans le "faire" sont des actes de félicitations. Ce sont aussi des actions qui permettent de lui faire comprendre que nous sommes du même côté qu'elle, même après un ton de voix élevé signalant notre mécontentement. Redécouvrir avec tact le langage du toucher Il faut redécouvrir ce sens essentiel un peu oublié en thérapeutique. o Si le toucher est peut être le plus important de nos cinq sens, il n'est pas celui que l'on privilégie : entendre, voir, sentir, goûter sont pour beaucoup l'expression première de la sensibilité. Le toucher n'est guère valorisé : ne diton pas jeux de mains, jeux de vilains ? Le toucher est un langage : le premier, que l'on utilise pour communiquer avec l'enfant, lui exprimer nos sentiments et lui montrer qu'il est apprécié. Un nourrisson malade, même très bien assisté médicalement, peut mourir faute d'avoir été cajolé, pris dans les bras, caressé. En effet, naissance est synonyme de séparation, de solitude : le corps n'est plus soutenu en permanence. Les mains de la mère sont essentielles pour accueillir et sécuriser le nourrisson en état de vulnérabilité et de dépendance extrême face à l'environnement. Le bébé dépend entièrement de son sens du toucher : des lèvres et du contact corporel en général, des extrémités de ses doigts et de toute la main ensuite. C'est par le toucher que tout commence, très simplement, pour l'enfant. Il lui permet de découvrir le monde à pleines mains, de plein pied, de tout le corps.(On dit sans cesse à l'enfant "Ne touche pas !" alors que ce geste lui permet de partir à la découverte du monde, de l'autre et de toucher la réalité du doigt dans le présent afin de devenir autonome. ) La nature spécifique du toucher (relation de deux corps) laisse entrevoir toute la richesse (à travers les perceptions) et la complexité (à travers l'action) de ce sens qui met en jeu les fonctions vitales de l'individu : émotionnelles, perceptives, psychiques. o Source permanente de connaissance et d'expérience, lieu vital avec le monde connu et inconnu, le toucher - au même titre que les autres sens - est un moyen de sentir, de découvrir, d'apprendre, tout au long de l'existence. En découpant image par image le scénario du toucher, on voit que : o - toucher est une perception immédiate, une sensation pure et primitive éprouvée par l'individu sur la nature de la matière (mou/dur, sec/mouillé, chaud/froid, lisse/rugueux..). Ce ressenti archaïque appartient plus à l'enfant qu'à l'adulte, ce dernier intégrant le contact sur les plans plus émotionnels et mentaux de sa personnalité. o - toucher est un réservoir de données et d'informations qui, ajoutées aux autres expériences sensorielles, renseigne et précise l'origine de cette matière (eau, main, chaise..). o - toucher est un échange d'informations et de données entre le sujet et l'objet. o - toucher s'accompagne d'appréciations, d'évaluations qui s'expriment par : une émotion (agréable / désagréable) ou un sentiment (ça me rend triste, joyeux.), ou un fantasme (ça peut me faire mal.) ou une représentation (ça me rappelle..). Toucher pour communiquer est acte de sensualité, nourriture affective aussi indispensable et agissante que toute autre nourriture. Acte de désir et de plaisir : " L'homme est une création du désir et non du besoin ", Gaston Bachelard, la Psychanalyse du feu. o Nous ne pouvons pas ne pas agir et réagir au toucher, parce qu'il nous implique dans la communication avec l'autre. Que nous acceptions ou refusions ce ressenti (la meilleure façon encore de l'ignorer serait de ne pas toucher), nous l'enregistrons dans toute sa multiplicité, consciemment ou à notre insu. Le toucher, défini comme acte de sentir quelque chose de la main, est une simple modalité physique (une sensation) mais est ressenti surtout comme une émotion. Le toucher énoncé comme charge et décharge affective intense mobilise un vaste champ d'excitations sensorielles qui réagissent les unes sur les autres, donnent la "température" de l'être, créent et modifient l'échange. Le toucher est acte de transformation du monde, sans lequel l'humanité n'existerait pas : la sensation tactile est un puissant moyen de communiquer qui est utilisé pour réduire les distances et relier les gens. o La personne âgée, esseulée souvent, dépressive et anxieuse, profite plus que quiconque de l'effet anti solitude du contact. Alors qu'il est l'instrument principal de toute approche de l'autre, le contact cutané apparaît comme le sens le plus périmé. Et pourtant, tout humain a un besoin vital de toucher et d'être touché. C'est l'organe des sens le plus durable et le plus profond : il apparaît précocement avant les autres et c'est le dernier à se détériorer dans le grand âge. Le toucher peut offrir une stimulation sensorielle, réduire l'anxiété, orienter la personne âgée vers la réalité, soulager la souffrance physique, affective et relève le moral tout au long de la vie. o Qui d'entre nous, n'a pas éprouvé le besoin d'être rassuré, réconforté ? Le besoin de toucher et d'intimité est en général si fort que la satisfaction de ce besoin prime le plus souvent sur les craintes que son usage inadapté pourraient susciter (J. Newman, Soins infirmiers interculturels). Ce besoin précieux s'intensifie en présence des pertes et des déficits sensoriels qui surviennent avec la vieillesse. Aussi esquiver un geste chaleureux et apaisant, oser prendre une main ou masser un visage, est-ce déplacé lorsqu'un soignant s'adresse à une personne âgée ? Le toucher est la manifestation d'un sujet qui veut accueillir l'autre dans la transparence, dans le respect, la reconnaissance et la tendresse. Nous parlons d'un toucher qui ne prend rien, qui n'exige rien, qui va ouvrir la confiance : le toucher doit être différencié de désir érotique seul. Toucher, aussi, par la chaleur humaine Comprendre que témoigner du respect au Résident et aux besoins qu'il communique est fondamental dans une relation thérapeutique. Une attitude de respect, de souplesse et d'intérêt permet de franchir les obstacles artificiels que les cultures et les rôles imposent. Le respect de soi et le respect de l'autre sont des alliés de la tendresse : le respect de soi c'est être capable de reconnaître ce qui se passe en nous ; le respect de l'autre c'est être capable de reconnaître ce qui se passe chez l'autre. o Respecter la personne âgée dans toute son individualité, c'est l'accepter dans sa totalité, telle qu'elle est, avec ses limites et ses capacités, sans poser de condition à notre assistance, à notre disponibilité, à notre écoute. L'expression émotive constitue un filon qu'il faut exploiter à tout instant. Il faut être capable de se mettre dans la peau de celle qui a perdu ses facultés mentales, de voir les problèmes avec celle qui n'a plus de mémoire. o Respecter l'ainé, c'est aussi respecter son rythme, qui montre que nous savons que le processus du vieillissement amène un certain ralentissement dans le temps de la réaction : nous sommes disposés à lui accorder plus de temps selon ses besoins spécifiques et son état. Aussi, une voix trop forte, un débit de paroles précipité, des gestes machinaux, rapides, mettent la personne âgée sur la défensive : son "âme" se sent heurtée, blessée par de manifestations insuffisamment contrôlées. o La personne âgée mérite tout le respect susceptible d'assurer son mieuxêtre. Elle veut être considérée comme un individu unique, un "je" qui veut être reconnu dans sa singularité, et qui, de par son essence spirituelle, ne peut vivre qu'avec la chaleur. La chaleur humaine est une qualité ou un état qui développe les sentiments d'amitié, de bien-être ou de plaisir.Elle se communique verbalement, ou non verbalement : une tape sur l'épaule, un grand sourire... La communication dans laquelle la chaleur transmise est ressentie, témoigne à la personne âgée que nous nous préoccupons d'elle. Les déclarations qui font preuve de respect répondent à un besoin humain fondamental (celui de se sentir nécessaire à quelqu'un) et renforcent l'acceptation de soi. Cette communication est un aspect dynamique de la relation thérapeutique soignantsoigné. Si la personne âgée est d'une autre culture et a des difficultés à comprendre ce qui lui est dit, la chaleur humaine est capitale pour permettre une relation positive. o L'affection et le respect sont présents dans toute relation interpersonnelle. L'affection s'apparente à la tendresse, à l'intimité et à la chaleur humaine, tandis que le respect est un sentiment plus froid, plus intellectuel et moins émotif, plus près de l'estime ou de l'honneur. o L'humour est une composante puissante des communications car il peut créer un lien de plaisir partagé entre les gens. Étant un mécanisme de défense constructif et sain, il facilite l'expression des sentiments agressifs d'une manière relativement acceptable et permet la gestion des situations stressantes. Un humour thérapeutique ne ridiculise jamais et n'est que rarement cynique. Quand il est utilisé à bon escient, l'humour peut non seulement améliorer la communication mais il peut aussi affecter le système immunitaire en renforçant les capacités du corps à se défendre comme le cancer ou contre des maladies des tissus conjonctifs comme l'arthrite ou le lupus . La capacité de rire de soi-même avec les autres, soulage l'anxiété présente dans une situation interculturelle. La chaleur humaine et l'humour : de telles communications reçues positivement encouragent, intensifient les motivations, le moral et la collaboration du Résident. Communiquer dans (et par) tous les sens La communication est constituée d'un ensemble de codes que nous utilisons pour nous faire connaître, prendre connaissance de l'autre et marquer le contact. o A un âge avancé de la vie, ne plus exister dans le regard de l'autre, ne plus se reconnaître en lui, c'est ne plus avoir besoin d'être. Aussi notre mission est de reconnaître la personne âgée, de lui montrer qu'elle existe, qu'elle est importante pour nous afin d'acquérir sa confiance. Avant d'essayer de transmettre un message verbal - ou non verbal, ou les deux - une règle de base est à respecter : il faut attirer, obtenir l'attention de la personne âgée. Tout d'abord, le contact s'établit par le regard, sens par lequel la personne âgée communique en premier, les déficits cognitifs cérébraux perturbant une communication verbale facile. Le regard est valorisé comme un symbole de confiance en soi, d'ouverture, d'intérêt pour autrui, d'attention et d'honnêteté ; le manque de contact oculaire est considéré comme un signe de timidité, de soumission, d'humilité, de culpabilité, de gêne, d'impolitesse ou de malhonnêteté. Aussi la position que prend le soignant a de l'importance : le contact visuel est intense et soutenu (le soignant portant des lunettes qui souhaite souligner un point de la conversation, enlève ses lunettes pour intensifier son regard), la rencontre se fait face à face pour que la personne âgée puisse lire sur les lèvres ce qui n'est pas entendu (le maquillage rend les lèvres bien plus visibles, plus faciles à lire ; les moustaches doivent être courtes pour ne pas masquer les lèvres). Le soignant doit éviter d'approcher le Résident par l'arrière ou les côtés, ceci pouvant provoquer une réaction catastrophique qui est en quelque sorte issue d'une difficulté de perception, d'un décodage déficient des messages verbaux et non-verbaux. Pendant le soin, les gestes ne sont pas accessoires : ils portent en eux-mêmes un enjeu thérapeutique essentiel. Tenir la main de la personne est un bon baromètre pour apprécier son anxiété et a, en outre, un effet sédatif. Parfois même, ce bref contact, cette étreinte, a un effet anti fatigue remarquable qui suffit pour revigorer quelqu'un. Serrer sa main doucement dans nos mains permet d'évaluer sa confiance, sa crainte ou ses besoins de dépendance. Cela peut permettre de contrôler d'une certaine façon une personne âgée agitée ou encore de percevoir simplement par les mouvements de sa main, sa réaction à nos questions et attitudes. Prendre la main d'une personne triste, témoigne d'une certaine compréhension, lui procure une perception de partage de souffrance, laquelle n'est que la réactivation de blessures anciennes. o Cependant, le langage des gestes est complexe. Divers mouvements agencés entre eux révèlent d'autres états d'âme et indiquent souvent ce que vit le soignant de l'intérieur. Certaines habitudes comportementales s'installent parfois et nous oublions peu à peu ce qu'elles peuvent signifier pour la personne âgée. Par exemple, un geste de la main transmet une signification beaucoup plus forte s'il s'accompagne d'un regard volontaire et une poignée de main perd son caractère amical si elle s'accompagne d'un visage fermé, froid et indifférent. La gestuelle constitue donc un mode expressif de communication dont le décodage dans une vue d'ensemble permet d'en saisir les diverses nuances. Communication et bulles d'espace Parler du geste et du toucher, rencontre non verbale, nécessite d'aborder la notion des distances chez l'être humain. L'antropologue E. T. Hall a montré comment l'homme utilise l'espace en tant que produit personnel et culturel nécessaire à son équilibre. Hall a défini quatre zones qui sont des sortes de bulles d'espace autorisées à notre corps et qui sont autant de territoires de valeur différente : o en distance publique, plus de 7 m, le corps s'offre à la vue de façon globale mais lointaine et la communication se limite à des discours. o en distance sociale, entre 3,60 m et 1,20 m, la communication peut s'établir : il suffit de maintenir le regard et d'élever la voix. Implication en pratique de soins : le fait de parler d'une voix forte, au chevet de la personne âgée, instaure de la part du soignant une distance sociale fictive. Une telle stratégie évite d'être touché émotionnellement mais malheureusement au détriment d'une relation bénéfique. o en distance personnelle (de 1,2O à 0,45 m) on peut se saisir physiquement d'autrui. La vision du visage devient précise. Cette distance se prête à des contacts proches, permettant des discussions sans élever la voix. o en distance intime (de 0,45 m jusqu'au contact physique), la vision est très focalisée sur les détails du corps d'autrui, la voix peut être baissée car le murmure suffit pour s'entendre. Cette distance varie de "très proche" (de 7 à 15 cm) pour un secret, une communication intime, à "proche" (de 20 à 30 cm) pour une information confidentielle, à "près" de quelqu'un (de 30 à 45 cm) pour parler à voix douce. L'engagement corporel et le contact physique dominent la conscience de chacun. Dans une telle proximité, le toucher vient compléter fortement la communication verbale. C'est la distance du geste des soins. Nous avons donc tous notre bulle d'intimité, un certain espace autour de notre enveloppe cutanée où nous n'acceptons pas n'importe qui. o Il est essentiel de bien évaluer la distance psychologique où nous situe la personne âgée : faire intrusion soudainement dans son territoire et l'approcher par surprise laisse prévoir un échec. Ainsi, l'intégrité corporelle est compromise au moment où le soigné appelle et redoute à la fois le secours souhaité. Le soigné l'exprime par la position de son corps, la fermeture de ses bras, la tension de son dos, de ses épaules, qui sont des signes spontanés, réflexes traduisant l'indésirable présence de l'autre. Il faut que ce langage soit "entendu" par le soignant, car ce sont les signaux qui lui disent : "n'approche pas trop près, j'ai peur!" o Le soigné peut nous accepter ou nous refuser dans "sa bulle" : le soignant "refusé" devra savoir "passer la main" à un autre, mieux accepté. Mais parfois nous sommes les forgerons de nos propres chaînes, de nos propres interdits : l'intrusion à contre coeur, dans l'intimité de l'autre est perçue par lui et fait obstacle à la communication tactile. Cultures et toucher Mode instinctif et culturel des contacts, le toucher diffère suivant les époques et les ethnies, tisse la trame des relations humaines, perpétue aussi certains schémas aliénant de la communication. Le toucher - ou l'absence du toucher - a une signification symbolique et culturelle qui est un comportement appris. o On observe un codage différent selon les sociétés. Certains Indiens Américains interprètent une poignée de main vigoureuse comme un acte agressif et sont choqués par une poignée ferme et prolongée. Les Vietnamiens peuvent craindre de heurter l'épaule de quelqu'un puisqu'ils croient que l'âme peut quitter le corps à la suite d'un contact physique et qu'une maladie peut en résulter. C'est la tête de l'être humain qui est pour eux le siège de la vie, elle est donc très personnelle. Whitcher et Fisher rapportent dans une étude hospitalière que les femmes montrent des réactions étonnamment positives au fait d'être touchées, se manifestant par un abaissement de leur pression sanguine et de leur niveau d'anxiété préopératoire. N'Guyen et Coll et Hollender (Cité par Diane Saulnier dans S'accommoder des pertes sensorielles : le toucher, Université de Montréal.) expliquent que chez la femme, le toucher effectué par un individu de sexe opposé est considéré comme l'expression d'amitié, de chaleur, d'amour, de réconfort et de protection. La population féminine montre une plus grande réceptivité que le sexe masculin au contact tactile en provenance des personnes étrangères. Les hommes, eux, craignent l'envahissement de leur territoire, si aucune justification du toucher ne leur est offerte au préalable . Sans tenir compte du sexe, il a été démontré que ceux qui sont le plus mal à l'aise avec le toucher, sont ceux qui sont le moins à l'aise avec les autres moyens de communication et ont le moins confiance en eux ( J. Newman, Soins infirmiers interculturels). D'autres études ont montré que ceux qui touchent le plus, sont les moins soupçonneux et craignent le moins les motivations et les intentions des autres. Ce sont eux aussi qui ont le moins d'anxiété et de tension dans leur vie quotidienne. Les messages relationnels négatifs et les tabous ennemis du contact gestuel entrent en jeu pour freiner le contact, de même que le regard et/ou le jugement d'un tiers. Nous avons reçus lors de notre enfance des interdits culturels et ils se sont inscrits dans notre histoire. Ils font partie de notre imaginaire corporel et constituent des barrières, des paramètres, des interdits qui nous empêcheront d'entrer en contact ou de partager la tendresse. La signification que l'on accorde au toucher dépend du vécu de chacun, de son éducation. Les facteurs tels que l'âge, le sexe, la situation ( Dans certaines situations, le toucher peut être déconcertant car il est signe de pouvoir : il est habituellement considéré comme peu convenable qu'un inférieur touche un supérieur.) et le besoin de se sentir proche de quelqu'un, influencent directement les réactions de l'individu. L'ensemble crée des difficultés à oser : oser aller vers l'autre, oser recevoir. Le message que communique le toucher dépend à la fois de l'attitude des personnes en présence et de ce que veut dire "toucher" pour chacune d'elles. Le soignant utilise le toucher de manière délibérée, avec empathie, centré sur la personne âgée et attentif à ses réactions de façon à éviter d'être perçu comme indiscret. o Le toucher peut prendre la forme d'une poignée de main, d'une caresse, d'un massage ou tout simplement d'un bras offert en guise de support.Le toucher nous "connecte" à la personne âgée en démontrant notre disponibilité et rassure en témoignant intérêt, encouragement, confiance, douceur et sécurité. o À la différence de la vue et de l'ouïe, la communication tactile induit nécessairement une réciprocité, ce qui lui confère une place particulière : elle est plus appréciée par la personne âgée quand le soignant se laisse toucher à son tour. Être touché est très valorisé, recherché et toucher signifie partager tendresse, intimité, enthousiasme et bonheur. Toucher par une agression physique ou intrusion envahit l'espace, l'intimité personnelle et place autrui en position d'infériorité (relation négative). Le toucher affectif Expression de Diane Saulnier, Directrice des soins infirmiers du CH Côte des Neiges à Montréal, ouvrage cité. Toucher n'est jamais un acte neutre, sans portée. o Simple en apparence, il peut construire et détruire l'individu : dégoût, peur, plaisir, désir sont autant de réactions qui déterminent la qualité de la communication. Le toucher doit être thérapeutique, c'est à dire qu'il ne doit pas infantiliser la personne âgée, ni être interprété comme de la condescendance : on ne "tapote" pas, par exemple, la tête de la personne âgée assise dans un fauteuil roulant. Le toucher affectif a des effets, entre autres, sur le sentiment de bien-être, sur l'estime de soi, sur l'expression verbale des sentiments, sur le niveau d'anxiété, sur le niveau d'attention et d'orientation spatiale. Par ces effets thérapeutiques qu'il est difficile d'évaluer avec précision, ce toucher aide grandement à accomplir nos actes de soins et, bien utilisé, il les rend plus humains. o Il répond au besoin d'affectivité de la personne démente et favorise la conscience de l'environnement extérieur. o Il consiste à établir un contact tactile avec la personne âgée qui crie, qui est agitée ou agressive, durant une courte période. o Ce contact offre une présence, un support à la personne, permet d'observer les messages non-verbaux et d'écouter les paroles compréhensibles. Le toucher affectif demande du discernement, du respect et de l'authenticité. Le soignant doit l'utiliser de façon judicieuse dans un déroulement par étapes : o - s'approcher de la personne, la nommer puis se nommer. o - une main du soignant est constamment en contact avec la personne durant la rencontre. o - la séance débute en prenant fermement une des mains de la personne âgée. o o o o o - l'autre main du soignant, par la suite se place doucement sur le dessus de la main qui est prise, puis sur l'avant-bras et l'épaule. - le soignant caresse délicatement le visage de la personne puis redépose sa main sur l'épaule, l'avant-bras et la main prise au début de la séance. - selon les réactions de la personne âgée, le soignant exerce plus ou moins de pression sur les parties du corps touchées. - la communication verbale est limitée à la répétition à intervalles réguliers du nom de la personne et de la phrase : "Je demeure avec vous" ou "Je suis avec vous". - avant de terminer la séance du toucher affectif, le soignant serre amicalement la main de la personne âgée, en la renommant suivi de "au revoir". Si la relation s'avère très significative, il est important de la maintenir, puis de la réduire très progressivement. (La perte subite d'une relation significative provoque des réactions affectives trop importantes.) Un toucher approprié comme poser la main sur le front, tenir la main ou simplement le contact sur ou autour d'une partie endolorie du corps, quand cela est possible (absence d'une inflammation, de traumatisme) aide à réduire l'anxiété et la douleur, à la rendre plus facile à supporter et offre approbation et renforcement. o Après un coup, on frotte machinalement la zone contuse : réflexe pour "effacer" la douleur. Les mouvements de la main ont un effet calmant. Accepter l'idée que chacun est différent et unique, implique la responsabilité dans la relation.Cette relation, comment la construire et la vivre ? Entrer en reliance par l'intelligence "du coeur" Si nous voulons signifier quelque chose à la personne âgée ou lui porter aide, nous devons agir avec affection : écouter sans déformer, proposer sans imposer, vouloir aider et non dominer, inviter à la vie tout en respectant le libre arbitre de la personne. Lorsqu'un individu veut communiquer, c'est qu'il est demandeur d'une écoute pour pouvoir exprimer sa douleur, sa souffrance : ceci est le pain quotidien de notre activité de soignant. o Écouter signifie simplement se centrer sur la personne, sur ses émotions, sur ses messages, tenter de les entendre et accuser réception de notre écoute. L'important n'est pas de savoir mais d'entendre. Lorsque nous ne savons pas, nous passons au "senti", cette intelligence du "coeur" ou empathie. o Par sa façon d'être, de faire, la personne âgée émet des messages. L'écouter est la démarche lui permettant d'exprimer sa maladie, son histoire : la sienne, la seule qui prend sens et signification pour elle. Elle relie son histoire aux autres événements de son passé, se relie à ellemême, elle entre en reliance , selon l'expression de Jacques Salomé. Après cette écoute, simplement, nous confirmons aussi fidèlement que possible, ce que nous avons entendu, vu, perçu, pour permettre à la personne âgée d'en exprimer un peu plus. Nous l'accompagnons dans sa propre écoute, nous l'invitons sur ce chemin pour lui permettre d'accéder au sens de sa maladie, d'entendre son corps-langage, de retrouver les mots ou les pleurs qui crieront sa blessure. o Entendre et confirmer les émotions que nous percevons chez la personne âgée, c'est communiquer, mettre en commun soit des différences soit des ressemblances, entrer directement en relation à partir de deux besoins fondamentaux : - besoin de se sentir entendue dans ce qu'elle dit, à un moment précis, sans rejet, sans que l'autre l'enferme ou l'identifie tout entière dans ce qu'elle exprime. - besoin d'être reconnue dans son unicité, avec la part de mystères et de possibles qui l'habitent et dans ce qu'elle éprouve. o Inviter plutôt que questionner est un mode possible d'entrer en relation. L'écoute se fait aussi par les mains, par le regard, par le rythme respiratoire et cela est loin d'être rare dans nos soins où le corps du Résident est le lieu privilégié de notre rencontre où le toucher prend une place primordiale. Symboliser, c'est suggérer, c'est respecter, c'est faire confiance aux ressources de la personne pour entendre ce qui se joue en elle. La relation étant ce qui relie deux personnes, tout ce qui va physiquement de l'une à l'autre peut la symboliser : une écharpe par exemple. Il s'agit de mêmes points de repères essentiels : je ne suis responsable que de mon bout de la relation, me différencier de l'autre, sortir d'un "nous" pour entrer dans un"je" relié à un autre "je". Lors d'un séminaire avec Jacques Salomé, j'ai découvert que l'écoute se travaille : elle demande rigueur et méthode, elle nécessite plus que du savoir-faire : " être" face à l'autre, centré sur lui et dans le même temps, à l'écoute de ses propres perceptions. Quelque soit le sens de la relation, il ne faut pas confondre sujet et objet : le sujet est la personne qui s'exprime, l'objet, c'est ce dont elle parle. La mise en mots grâce à l'écoute a une valeur thérapeutique, elle permet à la personne de s'entendre et cela est libérateur : elle invite à achever un deuil, lâcher un ressentiment, à se libérer d'une oppression, à oser dire une parole prisonnière. Chez une personne blessée et souffrante, toutes les réminiscences de sa vie peuvent oser se manifester car tout peut être dit, tout peut être entendu sans danger et sans limite. Soigner avec tendresse dans un climat chaleureux, respectueux, rieur, dénué de tout jugement, complètement tolérant, offre une sécurité dans la confiance et permet à la vie de "danser". La tendresse, se nourrit aussi de silences Développer notre capacité à "recevoir" est un autre allié de la tendresse. o C'est d'abord accepter de recevoir les marques d'intérêt, d'attention, d'amour. Il faut oser inventer des formes nouvelles de relation, désapprendre les habitudes : nous oublions souvent que nous sommes générateurs de tendresse. La tendresse est un sentiment fondamental de sympathie, d'altruisme, un témoignage d'affection. La tendresse ne se parle pas beaucoup, elle s'exprime avec les multiples langages du corps. Le langage non-verbal très révélateur, en dit autant sinon plus, que le langage parlé qu'il renforce ou contredit. Jusqu'aux rires ou aux larmes, les mimes savent nous émouvoir sans jamais prononcer un seul mot. Ils nous parlent avec leur corps, qui exprime des émotions si profondes qu'aucune phrase ne peut les traduire. Elle s'exprime aussi dans le contact tactile, dans un geste qui "écoute" le senti des réactions de l'autre et ouvre les chemins de la rencontre des émotions : par exemple, placer nos mains, une dans le dos, l'autre symétriquement sur la région ombilicale de la personne âgée, en amplifiant notre respiration, l'accompagne dans l'écoute de l'émotion qu'elle vit. Le silence est parfois un véhicule décuplant la communication tactile. o Dans l'harmonie des gestes improvisés et accordés, la tendresse se partage si on y est attentif. Le silence n'est pas synonyme de vide, d'absence, bien au contraire : il est riche en mouvements internes. Il faut donc l'accueillir, lui faire place en l'écoutant par une vraie présence. Si le soignant manifeste de l'impatience, il brise les efforts que fait le soigné. Le silence indique que toute réponse est acceptée et peut alors apaiser une situation tendue. Savoir se taire est la reconnaissance du besoin d'intimité de la personne âgée. Oser répondre à son silence par le nôtre, sans en avoir peur, est une communication plus sensitive ou intuitive pendant laquelle il peut se passer beaucoup de choses, au delà des mots mêmes. Le silence est ouverture à la manifestation du respect pour ce que l'autre vit, ouverture à l'expression d'un partage de ce vécu, à une espèce de complicité qui s'établit entre deux êtres. Le regard, le silence, le soupir, la modulation de voix, le geste sont les éléments du langage non-verbal, langage en définitive de l'évocation, de l'écho, de la résonnance, de l'harmonique, langage de la chose ressentie tout autant que de la chose dite. C'est pourquoi affiner la compréhension de l'autre nécessite aussi d'avoir une activité d'analyse perceptive tournée vers soi. Joël Savatosfski écrit : « À la fois contact avec l'autre et moyen de connaissance de soi, le toucher est un véritable révélateur de notre personnalité parce qu'il touche à l'intime, il nous rend en même temps vulnérable et puissant.» Pour toucher juste, il faut aimer la vie, l'organisme vivant qu'est l'être humain : un univers passionnant. Savoir où l'on est, ce que l'on fait, être en équilibre sont les conditions nécessaires à toute action juste. L'équilibre doit donner la pleine conscience de tout l'espace et non pas d'une seule direction : c'est être disponible dans toutes les directions. Les messages reçus par la peau sont d'une grande importance et dans la plupart des cas, porteurs d'un contenu sécurisant et agréable. En effet, ils aident la personne âgée à se structurer harmonieusement en tant que sujet et à rechercher d'autres formes de relation avec l'autre. Souffrant d'isolement social, la personne âgée que personne n'approche, ne touche plus depuis longtemps, est sensible au toucher qui lui prouve qu'elle n'est pas rebutante malgré sa vieille peau : elle en sait gré par un sourire, une attitude calme, un comportement moins récalcitrant, une réaction d'éveil, un chant, l'expression de plaisir, la collaboration, la reprise des activités, mille remerciements du corps et des yeux. Le contact tactile entre deux personnes signifie la rencontre d'êtres vivants mais, les Résidents, selon leur origine ethnique, leur culture, et leurs expériences personnelles ne réagissent pas tous de la même façon, à la proximité physique. Cependant, quand toucher et être touché se traduisent par vitalité, lorsque les personnes âgées, avec leurs caprices et sautes d'humeur ne sont plus étiquetées en "râleurs", "infernaux" ou "hurleurs", quand l'affection est visible et donnée, nous sommes sûrs que proximité veut dire liberté.