C’est l’histoire d’un centre de réadaptation comme il y en a beaucoup en France .C’est celui dans lequel nous travaillons mais qui peut-être ressemble au votre . Au travers de cette histoire, nous avons voulu réfléchir à l’histoire de la profession , ou plutôt à ce que des femmes , et quelques hommes, avant nous, jusqu’à nous et maintenant avec nous, ont fait de la mission qui leur était confiée, et vous allez voir , mission qui n’avait rien de glorieux, rien de spectaculaire, rien de reconnu vraiment. Nous allons essayer de vous montrer comment des « piqueuses, panseuses ou femmes des étages », marginales dans l’équipe de rééducation , sont peu à peu devenues des Infirmières, des aides soignantes, organisées en équipe de soins , jusqu’à la création encore toute fraîche, et pas encore dans toutes les têtes, d’ un Service de Soins Infirmiers. En 1965 ouvre le Centre de Réadaptation Fonctionnelle de Charleville Mézières, plus communément appelé Centre de Warcq, du nom de la rue dans laquelle il est construit. Le docteur Wagner, médecin-chef de l’époque précise dans le journal local que l’établissement assurera la rééducation et la réadaptation des accidentés du travail . La population accueillie se situe entre 15 et 65 ans. Le centre peut accueillir 110 personnes en hospitalisation complète ;des hospitalisés de jour et des externes. 1 LES ANNEES 65 – 70 A leur arrivée au centre , chaque pensionnaire (c’est le terme de l’époque) reçoit un trousseau ,identique pour chacun : un survêtement bleu, une paire de basquettes bleues et rouge, 3 cintres, un gobelet, 2 serviettes, 2 gants de toilette et la clé du placard attribué dans la chambre. Les pensionnaires sont hébergés dans des chambres, au 1er étage pour les hommes et au second pour les femmes . Toutes les chambres sont de 4 à 6 lits et 2 lavabos par chambre. L’esprit général peut être résumé par « le pensionnaire doit être le plus indépendant possible, il doit aller chercher ses soins de rééducation » Il reviendra aussi au pensionnaire de faire son lit chaque matin. Les soins d’hygiène sont assurés par les femmes de chambre qui , à cette époque sont aussi femmes à tout faire : entre 2 coups de balai, elles assurent donc les soins de nursing, la préparation et la distribution des médicaments, l’aide aux repas ,et les soins de rééducation sphinctérienne ( suppo et doigtiers évacuateurs ) Les infirmières , alors au nombre de 5 pour assurer la permanence 24h sur 24 ,travaillent sous la responsabilité directe du médecin ; l’infirmerie est située au rez de chaussée, à proximité du plateau technique et de même que les pensionnaires doivent se rendre sur celui-ci pour la kiné ou l’ergo, ils doivent venir , chacun à leur tour à l’infirmerie, pour leur soins : c’est donc toute la journée une file de patients en attente pour leur prise de sang, leur pansement, ou leur lavage de vessie ; le matériel de soins est surtout en verre ou en inox, nettoyé, décontaminé et stérilisé dans un bon vieux poupinel. A charleville, la maternité se situant en face du centre de rééducation, les infirmières peuvent aussi appliquer la technique du placenta frais pour le traitement des escarres :dès qu’un accouchement avait eu lieu, le chauffeur du centre allait récupérer le placenta , transportait celui-ci dans une poissonnière, afin qu’il puisse être appliqué par les infirmières sur les plaies d’escarre. 2 Coté traitement médicamenteux, soit les pensionnaires géraient les médicaments, soit ceux-ci étaient déposés sur le bureau de l’infirmerie en attendant le passage des personnes concernées avant les repas ; Coté hygiène générale, les poubelles ne disposent ni de couvercle ni de sac, l’entretien des locaux est réalisés avec les balais « o cédar » , alcool à brûler , éponge et poudre à récurer. Quant à la literie , seuls les draps sont changés entre deux pensionnaires , et donnent lieu à de multiples manipulation de comptage et recomptage. 3 LES ANNEES 80 Le centre accueille alors des pathologies un peu différentes : hémiplégiques, para et tétraplégiques constituent la majorité des patients ; L’hébergement, appellation du service des étages, est réorganisé : 2 rôles sont définis : les femmes de ménage les aides soignantes que l’on commence à envoyer en formation les infirmières sont autorisés à se dispenser de l’uniforme réglementaire , en particulier du calot , les patients quittent le survêtement bleu obligatoire et retrouvent leur identité. Des travaux sont réaliser pour agrandir le service hébergement par la construction d’une nouvelle aile composée de chambres individuelles avec cabinet de toilette. L’une d’entre elle sera réservée à l’installation d’un lit fluidisé. Des rampes d’accès sont construites au extrémités du service afin d’ améliorer la sécurité dans l’établissement. Une infirmière se voit confier la responsabilité des étages et des aides soignantes, tandis qu’une surveillante générale chapeaute l’ensemble de l’équipe infirmières , aides soignantes et femmes de ménage ; La qualification progressive des aides soignantes et l’augmentation des infirmières dont le nombre passe à 7 permet de différencier les rôles de chacune L’infirmière assure l’ensemble des soins traditionnels, prélèvements sanguins, injections ,pansements, et préparation des médicaments (l’infirmerie a été équipée d’une armoire à pharmacie) Les aides soignantes assurent les soins de nursing, la distribution des médicaments et la rééducation fécale. 4 Les femmes de ménage inaugurent la technique du balayage humide et des chiffonnettes de couleur. C’est aussi le début de la mixité dans l’équipe de l’hébergement avec l’arrivée de brancardiers Coté écrits, de nombreux cahiers, cahier de pansements, cahier de rendez-vous, cahier de selles, etc, servent de support à l’organisation du travail qui se répartit donc en l’infirmière de tension, l’infirmière de pansements etc… chacun est chargé d’une ou plusieurs taches bien précises . les horaires de travail n’ont aucune superposition entre les équipes . A noter toutefois que les différenciations de taches et de qualifications n’ont d’existence que pour le personnel concerné ; pour tous les autres personnel du centre , les personnes travaillant dans les étages restent les « femmes des étages » 5 LES ANNEES 90 De 110 lits le centre passe à 90 et ouvre un secteur d’hospitalisation de jour à hauteur de 15 places A charleville, chef lieu retranchée des Ardennes, c’est la révolution au centre de réadaptation, ; C’est surtout la révolution dans les étages, et l’infirmerie du centre. Rénovation complète des étages avec la construction de 50 chambres individuelles et 20 chambres à deux lits . Equipement du service avec lits à hauteur variable électrique , lève personne, chariot douche, baignoire médicale, chariot de nursing etc Arrivée d’un cadre infirmier responsable des hébergements : sont travaillés en équipe et mis en place les prémices du dossier de soins infirmiers ( et donc suppressions des cahiers),les premiers protocoles, les transmissions par des horaires de travail avec chevauchement entre équipe , et la rotation des aides soignants entre les deux étages. Les réunions de service sont le lieu d’échanges et de travail en équipes C’est aussi la fin de la ségrégation sexuelle par étage pour les patients : on instaure la mixité au sein de chaque étage ; l’équipe soignante assure la prise en charge du patient dès son arrivée ; la notion d’accueil prend du sens En 1994, un nouveau projet d’établissement élargit les pathologies accueillies aux patients traumatisés crâniens et grands brûlés. De nouveaux moyens en personnel et en matériel sont attribués L’équipe infirmière passe de 8 à 14, dont 2 cadres, l’équipe aide-soignante passe de 14 à 30 agents. On cesse le travail en 3 x 8 ou en 2 x 12 , on crée une équipe jour, une équipe nuit, infirmières , aides soignantes et auxiliaires de soins se retrouvant sous la responsabilité d’un même cadre. Les infirmeries sont transférées dans les étages ,on construit le dossier de soins, on met en place la sectorisation : chaque infirmière avec quelques aides-soignantes assurent la responsabilité de l’ensemble 6 des soins d’un groupe de patients . c’est la fin de la queue-leu-leu devant l’infirmerie du rez de chaussée. Les soignantes changent d’étage régulièrement , par roulement Un secteur dit « lourd » de 8 lits est réservés aux patients nécessitant une surveillance et des soins plus importants. Les patients jusqu’alors essentiellement vus par les médecins dans leur bureau sont vus en chambre au cours de la visite. Coté matériel, le service s’équipe de matériel à usage unique, et de technique de désinfection appropriée aux différentes situations, on réfléchit aux circuits du linge, au circuit d’élimination des déchets. On équipe aussi les bureaux des cadres de postes informatiques. Enfin les activités dites d’animation sont confiées aux personnels du service : le « prendre soin » des patients va bien au delà des soins techniques traditionnels Depuis 5 ans et pour poursuivre le travail entrepris, les équipements sont améliorés et renouvelés progressivement, le dossier de soins est régulièrement réajusté, la planification murale des soins a été mise en place, ainsi qu’un tableau de gestion des matériels et équipements spécifiques, nous avons appris à utiliser les SIIPS pour évaluer la charge en soins , la mise en place du PMSI nous amène à discuter de la dépendance de chaque patients chaque semaine , des membres de l’équipe travaillent sur les référentiels de l’accréditation dans la continuité des premiers protocoles écrits il y a 10 ans. Enfin, et depuis peu, les étages et l’infirmerie, sont devenus officiellement le Service de Soins Infirmiers du Centre de Réadaptation de Charleville Mézières …on entend de moins en moins 7 parler des femmes des étages, on nous identifie comme infirmières et aides soignantes… nous sommes invitées à participer aux synthèses des patients au même titre que les autres thérapeutes. Nous y avons notre place, nous pouvons y exprimer notre connaissance des patients et notre compétence professionnelle. Cette compétence professonnelle est aussi sollicitée dans des instances institutionnelles : CHSCT , CME , CLIN , commission d’alimentation… etc 8 Il n’empêche ! Ce n’est pas simple d’être, et d’être reconnu comme acteur et actrice à part entière de la réadaptation ; nous sommes confrontés à plusieurs difficultés : la configuration géographique du service , à l’écart du plateau dit de rééducation, totalement séparé des autres thérapeutes ; ceci dit, lorsque l’infirmerie se situait au RDC, les IDE étaient appelées par les kinés ou ergos essentiellement pour mettre un patient sur les WC , ça ressemble à « dame-pipi » les liaisons difficiles avec les autres thérapeutes, par manque de temps, de moyens, ou de volonté : nous réfléchissons et travaillons à des temps et lieux de rencontres réguliers entre équipes l’absence d’un dossier unique ou d’un dossier partagé : seuls les ergo et quelques kinés acceptent d’écrire dans le dossier de soins du patient l’impression par nos collègues d’une prise de pouvoir du service : les médecins y viennent plusieurs fois par jour, y font une visite en chambre, les familles s’adressent souvent et beaucoup aux infirmières et aides-soignantes et sûrement aussi la difficulté d’exprimer notre connaissance des patients , connaissance pourtant oh combien importante dans le processus de réadaptation. Mais nous avons su devenir professionnelles , passer de femmes des étage à équipe soignante, de l’hébergement au Service de Soins Infirmiers, cela a été long, cela a pris du temps…cela a été possible parce que tout ce qui a été fait était d’abord et avant tout centré sur le patient et l’amélioration de la qualité des soins ; cela a été long… mais le temps est souvent un allié en réadaptation … nous avons su le faire …nous saurons encore inventer un autre demain …et continuer à nous inscrire en partenaires de soins de réadaptation 9