Le Yin et le yang chinois (Christophe Michel, Alcatel, Shanghai, PRC, le 3 Avril 2006) La skyline de Pudong vue de son Novotel. Jin Mao et Orient Pearl étayent un horizon qui concurrence Manhattan. La viande sèche dans les rues de Shanghai un jour d’hiver. La Chine est une succession de contradictions d’où émergent une force et une balance inébranlables. Les mégalopoles côtières brillent de mille feux alors que les campagnes enragent d’être oubliées. Un vendeur de patates douces de Shanghai se fait éclabousser par l’Audi d’un jeune cadre millionnaire– celui-ci lira Marx pendant les réunions du PCC. Parmi les dix villes les plus polluées au monde, 7 sont chinoises, mais le Protocole de Kyoto a été ratifié. Le gouvernement chinois veut faire de ce pays le contrepoids des Etats-Unis dans un nouveau monde bipolaire tout en maintenant une censure et un mépris des libertés élémentaires… Mais qu’importe. La Chine se construit, jour et nuit : alors que la France s’interroge sur le CPE, les grues et bétonnières ne s’arrêtent jamais dans l’Empire du Milieu. 1) La Chine en chiffres et en dates a. Le traumatisme des colonisations étrangères, les ravages de Mao, un peuple optimiste L’Empire du Milieu a longtemps considéré les puissances étrangères comme « barbares » et les a reléguées à quelques comptoirs marchands, où les affaires profitaient aux Chinois (thé, soieries, porcelaines). Pour y remédier, les Anglais introduisent dès 1770 l’opium de leur colonie indienne. C’est un véritable fléau qui se répand en Chine. Excédées, les forces de l’Empire vont détruire une cargaison de 20 000 caisses d’opium en 1839 à Canton, le prétexte attendu par les occidentaux pour passer aux armes. Les forces chinoises mal équipées ne font pas le poids dans la guerre de l’opium, et les français et anglais aboutissent à l’ouverture de nouveaux ports avec établissement de concessions. Ce sont les « traités inégaux ». On ressent encore aujourd’hui en faisant des affaires cette balance entre rancœur d’une part, mais nécessité d’absorber la technologie étrangère d’autre part. Se succèdent Sun Yat-Sen qui fonde la République en 1912, Chiang Kai-Shek, puis Mao qui finalement prend le dessus après une courte alliance avec le Guomindang contre les Japonais durant la Seconde Guerre Mondiale. Chiang Kai-Shek s’enfuit à Taiwan. Mao va organiser de nombreuses purges violentes et des réformes catastrophiques : les Cent Fleurs en 1957, le Grand Bond en Avant en 1958, la Révolution Culturelle (1966-1976) durant laquelle il édite son best-seller, le petit livre rouge. Deng Xiaoping en 1976 va redresser la barre, et initier le miracle économique chinois. Les Chinois ont, en l’espace de quelques décennies, vécu tant de revirements sociaux, politiques et économiques drastiques que l’on peut admirer aujourd’hui leur bonhomie, et leur confiance dans un futur plus heureux, qu’ils méritent sans aucun doute. Et qu’ils obtiendront. b. La 4ème économie mondiale, et le premier marché domestique au monde forge désormais ses standards et menace gravement les autres économies Le produit intérieur brut de la Chine a été de 2225 milliards de dollars en 2005, et talonnait donc le Royaume-Uni en décembre pour la quatrième place de puissance économique au monde. Depuis, avec une croissance moyenne sur 25 ans de 8 à 9%, la prochaine marche est désormais l’Allemagne. Un exemple frappant pour moi a été ce coup de crayon avec lequel j’ai rayé le nombre d’abonnés de China Mobile, premier fournisseur d’accès à la téléphonie mobile en Chine (au monde): le chiffre datait de décembre 2004, il indiquait 204 millions. Il est désormais au-dessus de 250 millions (Orange : 53M fin 2004). Avec un tel poids (marché domestique d’au moins 1300 millions d’habitants), la Chine forge ses standards désormais, à l’image de son réseau de 3ème génération qui est en passe d’être purement chinois (TD-SCDMA). La croissance de la Chine génère une série de risques graves pour le reste du monde, comme le développe Patrick Artus dans « Impact Economique de la Chine sur l’Equilibre Mondial ». La Chine gagne en effet des parts de marché au détriment d’autres pays, comme par exemple aux Etats-Unis où la part des importations en provenance de la Chine est passée de 5% en 1995 à 15% en 2005, celles du Japon et d’autres pays émergents d’Asie diminuant. Deuxièmement, des déficits commerciaux qui se creusent avec l’Empire du Milieu, et qui touchent toutes les grandes puissances économiques d’aujourd’hui (au premier rang desquelles les Etats-Unis, avec près de 200 milliards de dollars par an). Troisièmement, une accumulation de réserves de change, donc de liquidités, et des interventions de la Banque Populaire de Chine qui empêchent le Yuan de s’apprécier : la banque accumule des réserves de change qui sont recyclées en capitaux à court terme aux Etats-Unis -permettant ainsi au consommateur américain de poursuivre sa boulimie de produits chinois en s’endettant. Quatrièmement, une chute de marge dans toutes les industries (exemple du textile européen), due au coût très faible de la main d’œuvre en Chine. Cinquièmement, un hausse de matières premières et de la pollution (exemple de la récente pollution au benzène à Harbin à laquelle la censure n’a pas résisté). La Chine a un appétit insatiable, c’est un ogre : après les chocs pétroliers dans les années 70 liés à la croissance du Japon, que peut-on craindre des prétentions industrielles de la Chine ? Sixièmement et dernièrement, le risque technologique : celui-ci sera précisé dans le paragraphe suivant. c. Faire du business en Chine : gérer la corruption et la perte de l’avantage technologique On estime à pas moins de 16% du GDP les dessous de table et autres fraudes du secteur public (source : université Tsinghua), ce qui provoque l’aigreur des campagnes. Pour une entreprise extérieure, la corruption est un problème déontologique d’abord (les entreprises peuvent utiliser les services de cabinets de « consultants » pour faire office d’intermédiaires), mais surtout juridique. En effet, le Foreign Corrupt Practices Act entraîne des conséquences extraterritoriales graves d’une corruption commise en Chine : pour cette raison, Lucent renvoyait 4 managers de sa branche chinoise (dont le Président et le COO) en 2004. L’autre dilemme local pour une entreprise étrangère est le transfert de technologie : dans la guerre sans merci des entreprises étrangères pour ce marché énorme, le gouvernement demande d’associer au projet un partenaire chinois qui va absorber le savoir-faire du « gagnant » (comprenez : ce gagnant ne pourrait en fait que reculer un peu plus le jour de sa mort sur le terrain chinois, mais aussi… ailleurs !). Areva semble désormais perdant face à Westinghouse pour équiper la Chine de 4 réacteurs nucléaires de 3ème génération, car le groupe n’a pas désiré se plier à un transfert intégral de technologie. Enfin, un mépris très répandu des droits de propriété intellectuelle joue souvent des surprises aux compagnies étrangères : Danone par exemple s’est vu plagié jusqu’au packaging dont seul le sourire du logo s’est inversé. 2) Ma vision de la Chine et ma vie à Shanghai a. Tout est contrôlé dans un pays en quête d’identité Le mot d’ordre d’aujourd’hui est «Enrichissez-vous » (Deng Xiaoping, 1978). Les droits et libertés viendront ensuite. Peut-être. Au-delà de l’assimilation difficile de certaines provinces rebelles, la destruction des quartiers historiques (à Pékin, les « hutongs ») pour construire des tours toujours plus hautes, et ce changement brusque de valeurs ont initié une grave crise d’identité. Pour être certain que les chinois ne se posent pas trop de questions métaphysiques, l’organisme de propagande y joue donc un rôle prépondérant. Chaînes de TV, de radio, films, Internet, mails et communications téléphoniques, tout est sous son contrôle (on m’interdit de prononcer ou d’écrire certains mots sensibles au travail). 30 000 chinois (chiffre évidemment non vérifié) seraient continuellement en train de surfer sur l’Internet pour y mettre à jour la liste noire des sites qui ne s’inscrivent pas dans la ligne du Parti par exemple. Google, Cisco sont obligés d’effectuer un tri dans l’information qui peut suinter jusqu’à l’utilisateur final. Pékin exige de pouvoir différer de quelques secondes la diffusion des JOs. De façon surprenante, les US font de même pour certains shows TV, mais pour des raisons différentes (l’Amérique puritaine n’a pas supporté le sein dévoilé quelques secondes de Janet Jackson lors d’un show live). b. La schizophrénie du PCC Au service de la croissance du pays se trouve le PCC. Le PCC est une sorte de Corps des Mines avec 68 millions d’adhérents (mars 05). N’y rentre pas qui veut, on doit se faire remarquer par ses résultats scolaires à l’université (et, à la différence du corps, se faire recommander). Il est nécessaire d’en faire partie pour accéder à de hautes responsabilités dans l’administration chinoise et la camaraderie est active. Un membre du PCC doit assister à des réunions régulières durant lesquelles sont discutés des thèmes divers. Ses membres sont généralement tous préparés à répondre à des questions d’expatriés qui croient pouvoir semer la discorde facilement à l’évocation des mots Taiwan, Tibet ou démocratie. Le grand écart du PC ces dernières années a consisté à ne pas renier officiellement tout l’enseignement de Mao tout en mettant en place un cadre économique qui nie son apport de fait. Dans les locaux de la JV d’Alcatel à Shanghai se trouve une salle de réunion du Parti. Ces réunions du PCC peuvent être de longues séances de schizophrénie où par exemple telle employée, qui gère 600 millions d’euros de cash, va lire Marx. D’un autre côté, il est nécessaire d’appartenir au PCC pour progresser s’il l’on est chinois. Je connais par exemple une Chinoise qui s’est vue refuser en emploi chez X par un membre du PCC en France. c. L’indiscipline des Chinois Les Chinois ont eu, à mon sens, bon dos pour supporter l’histoire troublée de la Chine, même si l’on ressent encore dans les rues des comportements qui doivent être issus de privations terribles durant cette époque sombre. La famine, le froid, ont fait que le Chinois est en général assez incivil (expérience de Shanghai uniquement) : il bouscule, il ne tient pas la porte, il ne respecte pas les queues et il peut essayer de prendre le taxi dans lequel vous vous apprêtiez à entrer. Généralement, la première expérience de ce comportement se déroule à l’ambassade de Chine à Paris où l’on peut être agacé de se faire doubler sans aucune politesse. Paradoxalement, cet égocentrisme s’accompagne d’un fort aspect grégaire : un attroupement attire une foule toujours plus nombreuse de curieux. d. Les inégalités flagrantes en Chine Les 750M de paysans chinois sont assurément les grands oubliés du miracle chinois, car l’opposition s’est creusée depuis près de 30 ans entre ces provinces de l’Ouest où désormais (chiffres de 2004) le GDP par tête est de 7 400 RMB (1€ ~ 9.6RMB) et les riches contrées de l’Est où il atteint 19 400 RMB (Shanghai : 55 300RMB). Le gouvernement tente d’y remédier, décision qui n’est pas innocente car au-delà des considérations sociales, il faut transformer cette foule phénoménale de bras en consommateurs de masse d’ici quelques années. e. Shanghai la clinquante et la vie facile d’expatrié à Shanghai Shanghai est une ville qui en l’espace de 15 ans a changé du tout au tout. Elle a vu naître Pudong (« pu » pour Huangpu, le fleuve qui divise la ville, et « dong » pour Est) où se côtoient désormais un nombre incroyable de tours toutes plus hautes les unes que les autres, au premier rang desquelles, la Jin Mao, 3ème tour du monde par sa hauteur. Au pic de sa frénésie, c’est une proportion incroyable de 90% (chiffre non vérifié) des grues du parc mondial qui jour et nuit aidaient les ouvriers sur leurs échafaudages de bambou à bétonner le marais : 4 000 tours ont été construites en 8 ans à Shanghai. L’exposition universelle de 2010 prendra place ici. En fait, la disparité de niveau de vie se ressent au cœur même du centre commercial et financier de Chine : il suffit de se rendre dans le cœur historique de Shanghai pour y voir des mœurs d’un autre temps. Les vieux quartiers sont détruits un à un, leurs habitants relogés dans des immeubles au standard plus convenable… mais sur la 7ème ou 8ème ceinture. Beaucoup d’habitants conservent encore cette coutume de ne pas chauffer leur habitat en hiver, Shanghai étant (juste) au sud du Yang-Tze. La vie d’expatrié est relativement simple ici, vu le coût de la vie (cher néanmoins pour la Chine). On y prend vite de mauvaises habitudes, comme de se déplacer uniquement en taxi (pour faire ses courses, c’est une sensation unique), alors qu’il y a encore beaucoup d’adeptes de la petite reine ici. Pour les prix, il faut demander – comprendre, marchander. Marchander est un jeu local, il se pratique de la manière suivante ou approchante: si vous voulez acheter un article dont on vous annonce un prix de 10, proposez au moins 5. Quand le vendeur vous rétorque 9 en s’étouffant, ne vous démontez pas, vous avez deux options : faire mine de partir (efficace) ou bien lui dire que vous avez vu le même article dans un magasin environnant à 6. Vous pouvez au moins espérer 7 à la fin des négociations. Dans tous les cas, il est indispensable de connaître quelques mots de Chinois, et il est très gratifiant de pouvoir échanger avec les locaux en utilisant leur langue (on retrouve d’ailleurs la balance yin yang dans leur langage, comme par exemple dans « duo/shao/qian » : « beaucoup/peu/argent » pour demander le prix d’un article). f. Go West ! La hausse du niveau de vie oblige les entreprises à aller toujours plus à l’ouest A quelques dizaines de kilomètres à l’Ouest seulement de Shanghai, les salaires peuvent déjà être 3 fois inférieurs : Shanghai s’est embourgeoisée rapidement, à l’image de l’immobilier qui a doublé en l’espace de 3 ans. La compétitivité économique n’est déjà plus ici : yin et yang, la hausse du niveau de vie en sape l’attrait. 3) Alcatel a. Le groupe d’équipements télécoms français Alcatel vend des équipements télécoms à des clients comme Orange par exemple. Alcatel a vendu son activité (déficitaire) de téléphones mobiles à TCL (chinois). A l’époque de la bulle Internet, Alcatel était la première capitalisation du CAC. Aujourd’hui, Alcatel c’est 13 milliards d’euros de revenus en 2005 (dont approximativement 1,5 en Asie Pacifique). Alcatel est divisé en trois groupes : « FCG » (Fixed Communication Group) délivre les équipements pour les communications fixes, il représente 40% du revenu total et ses priorités sont le « Triple Play» (fourniture de TV, voix et Internet en même temps, comme chez Free en France), et l’IP (transformation des réseaux « circuits » où chaque communication occupe une ressource fixe par des réseaux IP où l’information est canalisée en petits paquets avec une adresse de destination au début, ce qui permet d’économiser les ressources du réceau). « MCG » est le groupe mobile, il représente 30% du revenu et je détaille une de ses missions plus bas. Enfin, « PCG » s’occupe des clients autres que les opérateurs de téléphonie, comme les entreprises, et les marchés verticaux (intégration de produits tiers). Il est un des axes de croissance aux yeux du management d’Alcatel. b. Alcatel et Lucent : deux frères réunifiés? Alexander Graham Bell inventa le téléphone en 1876. Il fonde une compagnie éponyme. En 1925, les activités internationales de Bell (alors ATT) sont vendues à ITT à cause de la législation anti-trust, ATT restant sur le marché domestique. En 1986, ITT vend ses activités européennes à CGE, qui deviendra Alcatel Alsthom puis Alcatel. De son côté, ATT éclata en plusieurs opérateurs américains (encore à cause de la loi anti-trust), et en 1996 sa branche systèmes et technologie se renomma Lucent. Deux de ces opérateurs (« Baby bells ») ont d’ailleurs fusionné il y a quelques jours (South Bell et ATT). Quant à Alcatel et Lucent, leur fusion en discussion serait les retrouvailles du passé industriel prestigieux de l’inventeur du téléphone, après tant de péripéties. c. Alcatel en Chine : une JV aux deux visages du nom d’ASB Alcatel a investi dans une JV chinoise du nom d’Alcatel Shanghai Bell (ASB) : parmi les arguments mis dans la balance étaient l’établissement d’un centre de R&D, et le transfert de technologie total pour les produits qui y seraient fabriqués. ASB a fait un chiffre d’affaires d’approximativement 1 milliard d’euros en 2005, et attend impatiemment l’attribution des licences 3G en Chine. Son statut est particulièrement intéressant, puisque Alcatel a exactement une action de plus que son partenaire chinois, ce qui lui accorde en théorie le contrôle, mais cette JV passe pour une entreprise chinoise aux yeux du gouvernement et bénéficie des avantages correspondants, comme des plans de financement à taux zéro vis-àvis de ses clients « étrangers ». Cet avantage peut faire la différence lors des négociations. Une JV chinoise a souvent deux visages, et deux lignes de reporting dont une secrète. Chaque poste important est doublé d’un poste de député occupé par la contrepartie. Pour un expatrié en Chine, il est particulièrement dur de comprendre les discussions et arrangements Slide de « Chinawhys » entre parties chinoises. A cause de cette barrière de la langue, plusieurs entreprises ont été les victimes de machinations qui leur étaient complètement opaques, et organisées par leurs propres employés, comme le vol de savoir-faire vers une entreprise concurrente dont le directeur est un parent du directeur R&D, ou des commissions de tous genres pour le service achats où règne la collusion avec d’autres entreprises chinoises ou familiales. 4) Ce que je fais à Alcatel a. Mission de Marketing et Business Development pour la Mobile TV J’effectue deux missions indépendantes à Alcatel. La première est faire du business development sur le dossier « Mobile TV ». La télévision mobile est un produit particulièrement intéressant, c’est la fusion de deux produits phares du vingtième siècle, la TV et le téléphone mobile. Vous pouvez déjà voir du streaming vidéo sur vos portables en France à travers le portail d’Orange par exemple, cependant ce procédé utilise les ressources du réseau mobile de l’opérateur. Lorsqu’on sait que les connexions mensuelles 3G ont effectué un saut depuis zéro jusqu’à 4 millions de sessions par mois sur l’année 2005, cela veut dire qu’il faut trouver un autre moyen de transmettre des canaux de télévision pour ne pas saturer les applications vocales qui sont primordiales. Ainsi, le produit d’Alcatel transmet un signal depuis un satellite sur un (ou plusieurs) pays. Il est complété par des répéteurs terrestres en ville pour pénétrer les murs, car – fait intéressant – les premières études ont montré que le pic d’activité pour cette application est à minuit. En Chine, le service en charge du contenu (et de la propagande) est intéressé par ce produit et est démarché par un ami d’Alcatel Space. L’enjeu est important, il se chiffre en centaines de millions d’euros, et le temps presse, car les jeux olympiques de Beijing attirent les projets. Ailleurs en Asie, les jeux sont parfois déjà faits comme en Corée ou au Japon ; ou les revenus sont un peu trop faibles encore pour justifier d’un tel investissement dédié (Philippines, Indonésie). Parfois néanmoins, le marché est développable (Malaisie, Thaïlande par exemple). Cette mission est l’occasion pour moi d’apprendre beaucoup, et à plusieurs niveaux : réseaux télécoms : acronymes (de 2.75G à TDM-OFDM) et concepts (turbo codes, efficacités spectrales); relation humaines avec o le QG où le décalage horaire de 7h impose souvent de correspondre par mail interposés (ce qui à la longue soulève des tensions), et auprès duquel on peut ressentir que l’attention se porte sur le projet européen : le projet chinois fait craindre à certains de s’éparpiller avec un budget limité, o l’équipe du projet chinois qui est très jeune (aucun n’a plus de 40 ans) et dynamique, o le client : mon expérience avec un client thaïlandais m’a appris qu’il fallait d’abord écouter ses souhaits avant de présenter une solution toute faite, qu’il fallait être parfaitement prêt pour répondre aux questions techniques, et qu’il fallait savoir présenter les désavantages du produit sous un jour attrayant ou les cacher (ce que je ne suis pas arrivé à faire, cela doit tenir à ma nature…); je rencontre les différents acteurs impliqués ensemble pour la première fois dans cette nouvelle chaîne de valeur : hormis les opérateurs mobiles, on y trouve désormais aussi les opérateurs de satellite ou broadcasters, les fournisseurs de contenu, et les fabricants de téléphones ; j’apprends aussi à connaître les particularités de la société chinoise (revenus moyens ; interdits : le contenu pour adulte qui a officieusement le plus de succès en France ne pourra être dupliqué ici). b. Mission en Finance : contrôle interne, puis contrôle de gestion en usine L’autre partie concerne la finance et le service juridique. J’ai le premier mois bénéficié d’un aperçu des différents types de contrats qui accompagnent les négociations avec un client, ainsi que la panoplie de risques qu’il ne faut pas sous-estimer lorsqu’on les rédige. Je me suis ensuite concentré sur les conséquences des directives SOX sur la structure des règles internes à ASB. SOX est l’abrégé du Sarbanes Oxley Act, une série de préconisations qui ont été élaborées suite aux faillites retentissantes d’Enron et de Worldcom. Elles s’appliquent à tous les départements de l’entreprise. Il m’a fallu d’abord me remettre en mémoire les règles comptables de base, puis adapter les règles groupe au contexte d’ASB. La rédaction de procédures SOX est difficile en ce sens qu’il faut passer de directives qualitatives à des règles quantitatives et compréhensibles. La mise en place des règles SOX est une contrainte importante sur l’entreprise, et l’afflux d’information vers la hiérarchie qui en découle peut faire craindre que celle qui est pertinente sera noyée. Depuis quelques jours seulement, je travaille enfin en contrôle de gestion industrielle dans l’usine d’ASB à Shanghai, la plus importante du groupe. C’est une usine fascinante. En l’espace de quelques années, sa production (de « racks » par exemple) a quasiment été multipliée par 5, tout en augmentant la complexité de gamme par plus de 3. L’usine a sourcé localement ses approvisionnements, ce qui en fait désormais l’usine low-cost où viennent s’approvisionner non seulement ASB (qui peut ainsi benchmarker ses soustraitants pour le même produit), mais aussi les autres unités géographiques du groupe. Pour faire face à cette augmentation de production, le premier projet pour lequel j’ai créé un business plan simplifié était celui de louer un entrepôt de vingt mille mètres carrés à proximité. Le départ est prévu pour dans quelques jours, et je vais ensuite m’intéresser à la réorganisation des flux (World class, bien sûr !). Conclusion : la Chine, un pays complexe, attachant, et crucial pour toute entreprise Le contexte chinois aujourd’hui est captivant, tant du point de vue culturel et politique qu’économique. Par rapport aux marchés mûrs d’Europe occidentale, on ressent en Chine cette ferveur de construction, cette puissance de la masse, cet appel à l’imagination. Le dépaysement est certes marquant, mais la vie de Shanghai est agréable et facile, permettant l’immersion dans un monde complètement différent sans trop de bouleversements. C’est ce qui me fait dire que je ne m’interdirai pas d’y retourner un jour après avoir d’abord travaillé pour l’administration française.