Péril en la demeure Le meilleur du cinéma d’Ozon convoqué dans ce thriller littéraire à l’atmosphère délicieusement trouble. L’argument :Un garçon de 16 ans s’immisce dans la maison d’un élève de sa classe, et en fait le récit dans ses rédactions à son professeur de français. Ce dernier, face à cet élève doué et différent, reprend goût à l’enseignement, mais cette intrusion va déclencher une série d’événements incontrôlables. Notre avis :Ozon est définitivement de retour. Après des années d’errance (Ricky, Angel, Le refuge), l’auteur jadis culte de Huit femmes confirme son retour au plus haut de la liste des cinéastes qu’on aime suivre après le truculent Potiche. Dans la maison, c’est un thriller littéraire qui évoque avec discipline les relations maître-élève, celles entre un prof lettré mais aigri, d’un lycée de province, et un "apprenant" (rhétorique pédagogique à la mode) brillant, qui met sa qualité de verbe au service du cynisme et de fantasmes d’ado en quête d’éducation sentimentale. L’adaptation de la pièce espagnole Le Garçon du dernier rangde Juan Mayorga prend ici des allures à la fois comique et anxiogène alors que le nouvel élève, mystérieux dans sa démarche, rend à son enseignant de français des copies romancées de sa rencontre avec la France moyenne. Des rédactions sous forme de chapitre à suivre, où il relate avec délectation et à la première personne, son immersion dans un foyer sans problème, où la ménagère sent bon "l’odeur de la femme de la classe moyenne", où le père est un beauf aux idées fixes (la Chine et le basket) qui entretient avec son fils, appelé Raphael, comme lui, les deux Raphs, donc, des rapports de proximité insolites à l’âge où les enfants échappent aux parents... Trublion dans la maison du bonheur, l’apprenti érudit Marc manifeste cynisme et ironie, manipulant, comme dans le Théorème de Pasolini, les membres de la famille, et par la même occasion son prof complice, qui, un moment donné, comme le spectateur, ne parvient plus à faire la part des choses entre le fantasme d’un jeune paumé, le machiavélisme à peine dissimulé, la rêverie éveillée, l’exercice littéraire ou la réalité provoquée par un esprit déséquilibré, voir psychopathe. Avec une réalisation d’une fluidité remarquable, emportée par les superbes envolées musicales de Philippe Rombi, le compositeur attitré d’Ozon, Dans la maison épate à tous les niveaux ; le cinéaste renvoie à l’opacité psychologique de Swimming Pool, avec plus de force et de densité, en ouvrant la trame à différentes pistes plus sombres les unes que les autres, et en puisant la légitimité du suspense dans un propos social prégnant. Classe et glamour sont au rendez-vous au sein d’un environnement qui ne l’est pas forcément, accompagnés d’un humour féroce sans équivoque et d’un second degré toujours pertinent, y compris dans les mésaventures du personnage (secondaire) de l’épouse du prof, jouée par Kristin Scott Thomas. A l’aise avec les mots et nageant dans des eaux de joutes verbales et de (dé)construction de textes où il excelle, Fabrice Luchini est plus que jamais signifiant, face à une solide révélation, un jeune homme de 21 ans, Ernst Humhauer, au visage insondable, qui joue au lycéen avec une habilité jubilatoire. Le film qui gagne en angoisse sur la durée et qui promet une fin marquante ne faillit pas dans le dernier quart d’heure, s’accomplissant avec une dernière scène magnifique ; elle résume à elle seule tout l’art de conteur-voyeur de François Ozon, ce grand maître du cinéma, qui, après Sous le sable, 5X2 et Le temps qui reste, parvient encore à nous surprendre avec ce qui va devenir un éminent jalon dans son impressionnante filmographie. D’ailleurs Dans la maison n’est-il pas reparti de Toronto avec le prestigieux prix Fipresci ? Bref, fonçez ! Frédéric Mignard © A Voir – A lire 2012