Cours d` « Explication de textes philosophiques des temps modernes

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Cours d’ « Explication de textes philosophiques des temps modernes »
Pr. R-M Legros
Retranscription du 28.10.05
1 ère heure
Alors, l’attitude humaniste représentée essentiellement par Erasme –Erasme qui est né
la même année que Machiavel, 1469, il sont strictement contemporains- et ce qui caractérise
la position humaniste en quelques mots : c’est que c’est une manière d’élever l’homme, en
montrant qu’il est par lui-même capable d’accéder à une vie spirituelle ; il est lui-même
capable d’accéder par ses propres facultés, parce que les facultés humaines sont naturellement
bonnes. Et par conséquent, on peut montrer que on peut trouver chez les Anciens, une morale
autonome et indépendante du christianisme, mais qui rejoint les principes du christianisme.
Puisque les Anciens ont pu par leurs propres facultés, arriver aux mêmes principes que ceux
qui nous ont été révélés par les Écritures.
Donc, les Ecritures ont apporté une révélation, pour ceux qui n’étaient pas arrivés par
eux-mêmes aux grands principes, mais qui auraient pu arriver par eux-mêmes à ces principes,
mais simplement avec plus de temps. La Réforme a permis au fond, a facilité un travail, que
les hommes auraient pu accomplir par eux-mêmes. C’est un grand thème, on le verra, qui
sera repris au XVIII e siècle, sous l’appellation de religion naturelle ou religion rationnelle.
Donc, Erasme par exemple, pense lui-même, montre, que le christianisme d’une
certaine manière rejoint le platonisme : c’est ce qu’il montre dans l’ « Eloge de la folie », qui
paraît en 1511. Il s’agit bien, en effet, d’une manière de penser la scission entre l’au-delà et
l’ici-bas, dans cette reprise du platonisme, en disant que, en effet, il y a bien un au-delà qui
dépasse nos sens. Il est vrai, comme le disait Platon, que l’âme humaine est enchaînée au
corps et que le corps est un obstacle dans la découverte de la vérité, mais il est vrai aussi que
les sages de l’Antiquité (comme Platon) ou les pieux, c’est-à-dire les Chrétiens, peuvent sortir
de la Caverne, peuvent, je cite « déplorer la folie de ceux qui prennent des ombres pour des
réalités ». Il y a cette folie-là, prendre des ombres pour des réalités, il faut le déplorer « et les
sages comme les pieux, se portent tout entiers, à la contemplation des choses invisibles ».
Donc, une reprise du platonisme, dans ce que le platonisme a comme caractéristique
d’être dualiste –ciel intelligible et ici-bas matières trompeuses. Et donc, ce dualisme permet
de penser, enfin, c’est notre condition humaine, dans laquelle nous vivons dans un monde
dans lequel le divin est cependant absent, mais concevable par la pure pensée grâce à la
faculté.
Et donc là, le point de vue humaniste : retour aux Anciens pour montrer, mais pour
montrer que les Anciens sont modernes. Mais il faut préciser ici que, les trois attitudes que
j’ai mentionnées : humanisme, catholicisme, réforme ; ne se présentent pas directement
comme trois positions distinctes. Au début du XVI e siècle, Erasme peut soutenir les idées
qu’il soutient, alors que, comme on va le voir, elles annoncent la Réforme, qu’elles sont
cependant également humanistes et qu’elles sont louées par l’Eglise. C’est là, on va dire, le
mystère d’Erasme. Parce que Erasme, connaît jusque dans les années vingt, une gloire
immense, une célébrité très grande dans toute l’Europe. Le roi de France lui écrit des lettres
personnelles pour le faire venir à Paris, l’Empereur d’Allemagne le nomme conseiller privé,
2
le pape lui offre un chapeau de cardinal… Tout le monde le flatte, tous les grands le veulent !
Il refuse toutes les offres pour garder son indépendance. Il refuse toutes les offres, mais il est
glorifié par tout le monde. En plus, c’est le premier auteur à succès (en exemplaires)1
d’imprimerie. Et, il écrit en latin, mais il est immédiatement traduit en allemand, en
hollandais, en français. Donc, il connaît un très grand succès, et puis dès le début des années
trente, il est attaqué par tous. Il est déjà attaqué par Luther très violemment. Et puis par
l’Eglise catholique, qui le considère comme un hérétique. Dès le début des années trente, tous
ses disciples sont poursuivis, doivent vivre dans la clandestinité, alors que début des années
vingt tous ses disciples (sont parmi)2 l’élite de l’Europe.
Qu’est-ce qui s’est passé (entre les deux)3 ?
Et bien, Luther, qui a fait trembler l’Eglise, qui a fait peur. Et on a alors découvert que
les idées mêmes d’Erasme étaient dangereuses, puisque, que prônait Erasme en matière
religieuse ?
Il prônait ce qu’il appelait le « retour à la philosophie du Christ » . Philosophie du
Christ, qui est accessible à tous : au bourgeois comme au bûcheron, dit-il, au forgeron comme
au moine. Accessible à tous, et par conséquent, la connaissance de la doctrine, ne doit pas
être réservée à une minorité, à quelques moines et théologiens. Chaque homme peut se laisser
guider par l’inspiration chrétienne, tout homme est capable d’entendre le message intellectuel
du christianisme et par conséquent, une critique de la vie monacale, presque aussi virulente
que celle de Luther, avec sa formule « vie monacale n’est pas piété ».
Mais toutes ces idées-là passaient jusque dans les années vingt, sans difficulté.
L’Église y réfléchissait, trouvait ça intéressant. Et puis quand Luther a repris ces idées, alors
subitement on s’était rendu compte qu’Erasme était dangereux. Phénomène assez étonnant.
Tous les disciples d’Erasme, notamment en Espagne, sont poursuivis par l’Inquisition. Alors,
il suffisait d’avoir reçu une lettre d’Erasme pour comparaître devant l’Inquisition, alors
évidemment, le pauvre érasmien qui était poursuivi, pouvait dire : « mais, écoutez, j’ai reçu
une lettre d’Erasme, mais le roi de France en a reçu, l’Empereur en a reçu, le pape en a reçu…
pourquoi est-ce que vous me poursuivez ? ». Donc, la nouveauté c’était qu’on se rendait
compte qu’il était extrêmement dangereux… d’où la formule de ce moine catholique :
« Erasme a pendu les œufs, Luther les a fait éclore, que D. nous accorde d’écraser les œufs et
de tuer les poussins ».
Donc, voilà pour le contexte dans lequel se développe l’érasmisme. En ce qui
concerne maintenant la Réforme, qui est elle très proche de Luther sur bien des points. Sauf
sur un point, qui est le péché originel : l’homme par lui-même, ne peut pas découvrir la vérité.
Alors, quels sont au fond les grands principes ?
C’est également une réaction à l’égard du retrait du divin. Puisque le divin se retire du
monde, il faut bien constater que les Chrétiens sont seuls, seuls avec les Ecritures. Et par
Les mots retranscris (en italique et entre parenthèses), n’étaient très claires sur mon
enregistrement. J’ai pris la liberté de les remplacer par d’autres mots, dont le sens me
semblait le plus fidèle ou le plus cohérent par rapport au contexte de l’énoncé.
2
Idem.
3
Idem.
1
3
conséquent, il faut considérer les Ecritures comme la source unique de la religion. Il y a là,
toute une prise de distance à l’égard du monde médiéval, à savoir, toutes les autorités
médiévales qui étaient considérées comme des incarnations ici-bas de Dieu. Toute autorité,
qui était « sensée émaner de Dieu », selon la formule de Saint Paul, toutes ces autorités, ne
sont pas plus divines que le commun du mortel. C’est une grande transformation dans les
rapports interhumains. L’autorité n’apparaît plus comme divine. En sorte que, d’ailleurs au
niveau de la philosophie politique, cela va conduire aux « théories du contrat ». Puisque
l’autorité n’a plus comme fondement le divin, puisqu’elle n’émane du divin, il faut bien
concevoir qu’elle émane de l’homme. Donc trouver une formule, pour justifier le pouvoir qui
soit autre que la source divine. Parce que la source divine, déjà, on y croit plus. Ils sont
toujours religieux, mais ils ne croient plus que Dieu s’investit dans quelques-uns pour guider
le peuple. C’était la grande théorie de Saint Augustin : tout pourvoir venant de Dieu, le Dieu
a instauré le pouvoir, pour guider les ignorants et par conséquent tout pouvoir doit être
considéré comme légitime.
Donc, nous sommes seuls avec les Ecritures, l’écriture est la source unique de la
religion, la source unique de la doctrine (catholique4). Donc, il faut expurger l’Evangile de
toute addition. Mais c’est déjà remarquer ce qu’avait fait Erasme quand il a traduit la Bible
Parce que Erasme avait proposé une traduction de la Bible avec déjà cet esprit. Et donc, il
faut supprimer toute hiérarchie entre prêtre et baptisé –tous les baptisés sont prêtres, c’est le
« sacerdoce universel ». Tous les baptisés sont prêtres. Si l’écriture sainte est la seule source,
on ne peut dès lors reconnaître que deux sacrements : le baptême et l’eucharistie. Il faut pas
s’étonner si au XVII e siècle, en pleine époque de la contre-réforme -ça veut dire la contreoffensive catholique- tous les grands peintres catholiques, Poussin par exemple, ont fait des
grandes représentations de toutes les formes de sacrements. C’était bien pour répondre aux
Protestants ? Non, il y a pas deux formes de sacrements, il y tous les sacrements prévus par
l’Eglise catholique.
Alors, l’autre grand thème qui n’est pas chez Erasme, c’est la « corruption de la nature
humaine » : l’homme est voué à la misère, au péché, en raison de sa nature corporelle et ne
peut se sauver par des actes, des œuvres, des actions, ni par le culte ni par le rite. Il ne peut
rien comprendre par lui-même aux vérités divines et célestes. Et par conséquent, les
commandements de Dieu doivent être observés, non parce qu’il nous paraissent justes, mais
parce qu’ils sont les commandements de Dieu. Là, il y un grand conflit avec l’humanisme. Et
il y a une sorte de double nature de Dieu : le Dieu qui a choisi de se révéler dans le verbe et
puis, ce que les réformistes appellent à la suite de Isaïe, le « deus abs conditus5 », c’est-à-dire
le Dieu dont la volonté est absolument impossible à comprendre. Il y a bien à côté du Dieu
qui se révèle dans le verbe, le Dieu « abs conditus », impossible à comprendre. Non pas
seulement qu’il soit au-dessus de la raison humaine, il est même contraire à ce que peut
concevoir la raison humaine.
Donc, il y a là quelque chose qui renoue avec l’augustinisme : l’accentuation du péché
originel et la déchéance de la nature humaine. Donc, l’homme ne peut pas espérer être sauvé
par lui-même, par ses propres efforts. Comment peut-il être sauvé ? Seule la foi justifie.
Donc, seule la foi peut laver l’homme de la souillure du péché. Donc Luther reprend la
formule de Paul : « l’homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi ». L’homme doit
reconnaître l’indignité de ses œuvres, la foi elle-même étant un don de Dieu. C’est la grâce
4
5
Idem.
Je ne suis pas sûr quant à l’exactitude de l’orthographe de l’expression latine.
4
qui éveille la foi. Donc …6 opposition radicale entre Erasme et Luther. Érasme avait
d’ailleurs fait paraître en 1524, un petit opuscule sur le libre-arbitre, et Luther répond
immédiatement, très violemment, par un autre petit opuscule le « Serf arbitre »,1525. Luther
ne condamnant pas l’usage de la raison, régénéré par la foi d’une raison qui sert la foi, mais la
foi est première. Par elle-même la raison ne peut rien. La raison peut, parce qu’elle est
animée par la foi.
Donc voilà le contexte. Donc, dans ce contexte-là, il y a une prise de conscience de
l’Eglise catholique, devant le danger que représente la Réforme. Et, on en vient alors, dans
l’Eglise catholique, à réaffirmer les principes anciens, contre Erasme tout aussi bien que
contre Luther. Principes anciens, à savoir que précisément, que l’enseignement chrétien tel
que le conçoit Erasme, peut certes être très intéressant, pour les gens, pour l’élite, pour les
gens, pour les théologiens. Mais le peuple, lui, va être dépassé par le sens même de
l’enseignement chrétien, et par conséquent pour les pauvres et les ignorants, qui ne peuvent
pas comprendre le message intellectuel du christianisme. Il faut non seulement des guides,
que sont les prêtres et la hiérarchie religieuse. Mais il faut aussi les « dévotions machinales » :
les pèlerinages, les reliques, les cérémonies. Et les images, qui étaient si critiquées par les
platoniciens de la Renaissance -les images de l’au-delà, puisque c’était le dualisme
platonicien : ce qui est image est ombre et illusion, seule la pensée peut…7 voir l’invisible.
Ces images tant critiquées par les platoniciens et par Erasme, sont la Bible du peuple. C’est la
seule manière d’instruire le peuple. Les reliques et les Indulgences, sont une nécessité
spirituelle pour le peuple. Mais aussi une nécessité, une rentrée financière, qui permet à
l’Eglise d’aider le peuple pour l’instruire et lui faire comprendre par l’intermédiaire d’images,
le sens de l’enseignement religieux.
Donc, là, les trois grandes tendances alors s’affirment très nettement, et c’est dans ce
contexte qu’il faut, on peut, lire Montaigne, qui vivait complètement désorienté par ces trois
tendances. Et qu’il va comme un va le voir, développer, alors bien sûr un scepticisme. Mais
cependant, un scepticisme, alors, au service de la foi, mais dans quel sens ? En quel sens
Montaigne est-il chrétien ? L’est-il -on sait qu’il est sceptique, qu’il ne fait pas du tout
confiance au pouvoir de la raison, contrairement à Erasme- mais son christianisme est-il un
christianisme humaniste, catholique ou réformiste ?
Alors, je rappelle que Montaigne est né en 1533. Il a été éduqué par un précepteur
allemand qui ne parlait pas français, de sorte que son précepteur a fait tout son enseignement
en latin, pour qu’il puisse le comprendre. Il suit des cours à Bordeaux. Il est au Parlement de
Bordeaux entre 1557 et 1570. Et puis en 1571, il se retire pour écrire. Son premier livre des
« Essais », les « Essais » ont eu plusieurs éditions, chaque fois des éditions augmentées.
Alors, première édition 1572 et puis 1574. Le second livre est écrit entre 1578 et 1580. La
première édition en deux volumes est de 1580 à Bordeaux. Bon, Montaigne connaît aussi un
très grand succès. Le roi Henri III reçoit un exemplaire. Deuxième édition, 1582. Puis, le
troisième livre, écrit entre 1585 et 1588. Et l’édition avec les trois livres, en 1588. Alors,
bien entendu, comme vous le savez les « Essais », donnent lieu à un genre nouveau : le genre
« essai ». Ce qu’on va appeler « essai ». Le terme a fait fortune. Pourquoi « essai » ?
Justement, en raison même du scepticisme de Montaigne, qui écrivait très joliment : « si je
pouvais prendre pied, je ne m’essayerai pas, je conclurai ». Donc, les Essais c’est justement
6
7
Mots inaudibles.
Idem.
5
ce qu’on écrit quand on est dans l’incapacité de conclure. Alors, je prends donc cet extrait
des « Essais » du chapitre XII dans le livre II, l’ « Apologie de Raimond Sebond ».
De quoi s’agit-il avec cette « Apologie » ?
Il s’agit d’une apologie d’un théologien, Raimondi de Sabondae, catalan du XIV e
siècle, mort en 1432 à Toulouse. Et donc qui a écrit une « Teologia naturalis », parue en
1487, une « Théologie naturelle ». Et Montaigne nous le dit :
« Pierre Bunel8 » peu importe qui c’est « ayant arrêté quelques jour à Montaigne en la
compagnie de mon père (…) lui fit présent au déloger » c’est-à-dire en partant « d’un
livre qui s’intitule » théologie naturelle, livre de Raimond Sebond. « Or quelques jours
avant sa mort, mon père ayant de fortune » ça veut dire par hasard « rencontré ce livre
sous un tas d’autres papiers abandonnés, me commanda de le lui mettre en François9. »
Et c’est ainsi donc que Montaigne a traduit en français, ce livre qui était écrit en catalan,
dans une sorte d’espagnol-catalan-français. Et Montaigne traduit cela, et Montaigne
ajoute « Pierre Bunel, fit l’éloge de l’ouvrage qu’il offrait à mon père et il fit l’éloge en
ces termes10 », « et le lui recommanda, comme livre » c’est page 42-43 dans cette petite
édition, c’est donc au début de l’Apologie que Montaigne rapporte les circonstances
dans lesquelles il a écrit cette Apologie, et donc il lui dit : il « le lui recommanda,
comme livre très utile et propre à la saison » c’est-à-dire à l’époque « en laquelle il le
lui donna » propre à la saison et à l’époque, c’est-à-dire, Montaigne le précise
immédiatement
« ce fut lorsque les nouveautés de Luther commençaient d’entrer en crédit, et ébranler
en beaucoup de lieux notre ancienne créance » notre ancienne foi « En quoi il avait un
très bon avis ; prévoyant bien par discours de raison, que ce commencement de
maladie » c’est-à-dire Luther « déclinerait aisément en un exécrable athéisme : Car le
vulgaire n’ayant pas la faculté de juger les choses par elles-mêmes, » les choses telles
qu’elle sont en-soi « se laissant emporter à la fortune » c’est-à-dire au gré des
circonstances « et aux apparences, après qu’on lui a mis en main la hardiesse de
mépriser et contrôler les opinions qu’il avait eues en extrême révérence, comme sont
celles où il va de son salut, et qu’on a mis quelques articles de sa religion en doute et à
la balance, il jette tantôt après aisément en pareille incertitude toutes les autres pièces
de sa créance, qui n’avaient pas chez lui plus d’autorité ni de fondement, que celles
qu’on lui a ébranlées : et secoue comme un joug tyrannique toutes les impressions qu’il
avait reçues par l’autorité des lois, ou la
révérence de l’ancien usage,
(…) entreprenant dès lors en avant, » c’est-à-dire désormais « de ne recevoir rien, à
quoi il n’ait interposé son décret, et prêté particulier consentement11. »
Donc, je ne sais pas si vous avez bien suivi l’argument, qui consiste à dire : Luther
c’est extrêmement dangereux. Luther c’est extrêmement dangereux, parce que si vous dites
Humaniste toulousain. Il avait d’abord été séduit par les idées nouvelles, avant de revenir à
une orthodoxie plus sûre. Il mourut en 1546. (Note extraite de mon édition)
9
pp. 691-693. Je travaille avec l’édition suivante : Montaigne, « Les Essais » ; Ed. « Le Livre
de Poche », « La Pochothèque », coll. « Classiques Modernes » ; Paris, 2001.
10
Cette phrase ne figure pas dans mon édition.
11
op. cit., p. 692.
8
6
au peuple -ce que on vous a toujours, dans ce que vous a enseigné, dans ce que vous a
enseigné, comme étant certain et vrai, comme étant la vraie foi- il y a des choses qu’il faut
rejeter. Ben, le peuple va être complètement désarçonné, parce qu’il va demander : et qui me
dit que pour d’autres choses il faut pas aussi les rejeter ? Ne faut-il pas aussi, hein, jeter en
pareille incertitude, toutes les autres pièces de ma créance ? Un peu comme dans des familles
catholiques, n’est-ce-pas, qui ont peur de la Saint-Nicolas. Parce que quand on dit à l’enfant,
la Saint-Nicolas : c’est pas vrai… et le Christ alors ? Si on m’a menti, si on m’a raconté tout
cela, c’était tout qui est faux. Donc, Luther peut conduire à un « exécrable athéisme ». C’està-dire, c’est-à-dire, que les gens vont entreprendre, de ne recevoir rien à quoi il n’y a
interposé leur décret et prêté consentement. « Ne rien recevoir sans donner mon
consentement », la formule est étonnante, puisque c’est la méthode de Descartes. Donc,
Montaigne le dit : Luther c’est effrayant puisque Luther ça conduit à Descartes. Alors là, si
on commence devant chaque opinion, à se poser la question : est-ce que j’y donne mon
consentement ? Alors on est parti vers l’« exécrable athéisme ».
Alors l’argument était très impressionnant, parce que on le retrouve chez Tocqueville,
qui sans doute le tire de Montaigne. Mais chez Tocqueville c’est après-coup. Tocqueville
montre que Luther conduit en effet à Descartes, ajoutant « et c’est tant mieux ! ». Mais, en
reprenant la même argumentation, exactement que celle de Montaigne, donc je vous lis le
passage : « la méthode » alors il explique ce que c’est la méthode de Descartes qui consiste
justement à « ne prendre une opinion que comme un renseignement, l’examiner, considérer
les maximes des opinions, les préjugés, tout cela, l’accepter mais l’examiner par soi-même, et
donc n’en appeler qu’à l’effort individuel de sa raison. »
Alors, cette méthode, si nous prenons. Méthode cartésienne, qui d’ailleurs conduit
ajoute-t-il, d’une manière qui habituellement (nous fait penser12) à Heidegger, qui annonce le
principe de raison. Parce qu’on va vite considérer, si la raison s’occupe du monde, qu’elle a
comme tâche d’expliquer, et donc prendre raison de chaque chose. Cette méthode cartésienne
« qui conduit à un principe d’explicabilité de toute chose » qui conduit aussi « à avoir » dit
Tocqueville « un dégoût presque invincible pour le surnaturel et qui donne peu de foi pour
l’extraordinaire » hein, bien entendu. Et bien, cette méthode, comment est-elle apparue en
Europe ? Et bien, « considérons », dit-il « l’enchaînement de temps. Au XVI e siècle, les
réformateurs soumettent à la raison individuelle, quelques-uns des dogmes de l’ancienne
foi ». C’est bien, ce que fait Luther et ce que lui reproche de faire Montaigne. « Mais ils
continuent à lui soumettre la discussion de tous les autres ». Donc, Luther ne remet pas tout
en question, simplement quelques dogmes de la bonne foi. « Au XVII e siècle, Bacon dans
…13 naturelle et Descartes dans la philosophie proprement dite, abolissent les formules
reçues, détruisent l’empire des traditions, qui renversent l’autorité du maître. Les
philosophes du XVII e siècle, généralisant enfin le même principe, entreprennent de soumettre
à l’examen individuel de chaque homme, l’objet de toutes ses croyances ».
Alors, vous voyez le progrès, n’est-ce pas. Au XVI e siècle apparaît la méthode de
Descartes, mais on l’applique qu’à quelques dogmes. Au XVII e siècle, on conteste la
méthode, mais on élargit son champ d’application. On l’applique non seulement en matière
religieuse, mais matière philosophique. Puis, au XVIII e siècle on l’élargit encore, la
méthode. Disons, cartésienne, qui est apparue avec Luther. On l’élargit encore pour l’étendre
à toute matière. Qui ne voit que Luther, Descartes et Voltaire, trois noms qui symbolisent le
12
13
Idem note 1.
Mot inaudible.
7
progrès de la méthode. Progrès de la méthode, non seulement parmi les philosophes, mais
dans les mœurs. On se remet même en question en philosophie, au XVII e siècle. C’est pas
seulement une affaire de quelques-uns, c’est une méthode qui va aussi pénétrer dans les
mœurs, en particulier au XVIII e siècle. Au XVIII e siècle elle entre dans les mœurs. « Qui
ne voit que Luther, Descartes et Voltaire, se sont servi de la même méthode, et qu’ils ne
diffèrent que dans le plus ou moindre usage, qu’ils ont prétendu qu’on en fit. » Alors la même
méthode, mais qui diffère dans le plus ou moindre grand usage, qu’ils ont prétendu qu’on en
fit.
Alors, Tocqueville, évidemment, lui, apporte son explication, qui est fondée sur l’idée
d’une égalisation des convictions. « D’où vient que les réformateurs se sont si étroitement
renfermés dans le cercle des idées religieuses ? Pourquoi Descartes, ne voulant se servir de
sa méthode qu’en certaine matière, bien qu’il l’eût mis état de s’appliquer à toutes ; a-t-il
déclaré qu’il ne fallait juger par soi-même, que les choses de philosophie et non de
politique. » Pourquoi Descartes dit-il « je dois remettre tout en question », mais qu’il n’a
jamais remis en question, les choses en matière de philosophie politique ? « Comment est-il
arrivé qu’au XVIII e siècle, on ait tiré tout à coup de cette même méthode des applications
générales, que Descartes et ses prédécesseurs, n’avaient point aperçues, ou s’étaient refusés
à découvrir ? D’où vient enfin qu’à cette époque, la méthode dont nous parlons est
soudainement sortie des écoles, pour pénétrer dans la société, et devenir la règle commune de
l’intelligence ?14 » Alors là, il poursuit son analyse.
Ce que je voulais souligner, c’est que Tocqueville reprend exactement aussi l’argument
de Montaigne, mais en jugeant l’affaire différemment, n’est-ce-pas. Montaigne regrette que
la méthode de Luther puisse être prise et craint qu’elle ne se généralise, comme ça s’est
produit, comme nous le dit Tocqueville, alors que, évidemment, Tocqueville se réjouit de ce
progrès. Mais que Luther engendre Descartes, c’est bien ce que nous dit Montaigne. Alors
évidemment, Montaigne bénéficie, lui, d’avoir eu un regard extrêmement perçant, puisque il
nous annonce que Descartes va venir, un siècle avant Descartes. Il est là comme une sorte de
confirmation de son analyse : si vous avez Luther, vous avez Descartes. Alors, il est fort
possible que Tocqueville l’ait repris de Montaigne, puisque il lisait Montaigne tous les jours.
Il y avait trois auteurs qu’il lisait tous les jours : Montaigne, Pascal et Rousseau. Donc, c’est
sans doute ce qui l’a inspiré. Alors, évidemment, ce que –maintenant il faut poursuivre la
lecture- parce on peut se demander, si Luther dit exactement ce qu’il pense ici. On peut se
demander ce qu’il pense lorsqu’il dit « si vous avez Luther, vous aurez l’exécrable
athéisme », parce que ce qu’il craint, c’est que on se mette à raisonner. C’est qu’on se mette à
raisonner, parce que, bien entendu, dès lors que l’on raisonne en matière religieuse, on reste à
l’écart de la foi. Pendant qu’on raisonne, on ne croit pas ; pendant qu’on croit, on ne raisonne
pas.
Donc, Montaigne cependant, de quoi va-t-il faire l’éloge dans cette « Apologie » ?
Précisément d’une « théologie naturelle ». C’est-à-dire rationnelle. Alors, on peut se
demander, si cette première page, dans laquelle il nous dit : « ben, c’est un livre qu’on a offert
à mon père, c’est un livre qui vient bien à point, parce qu’il s’agit de se défendre contre ce
grand danger qu’est le protestantisme et qui conduit à l’exécrable athéisme ». C’est une
manière, sans doute, probablement –mais, ça va se confirmer- c’est une manière sans doute de
se mettre à l’abri. Parce que dans cette époque de seconde moitié du XVI e siècle, prendre en
14
Je pense que les citations de Tocqueville proviennent de « De la démocratie en Amérique ».
Il me semble avoir vu le livre posé sur le bureau du professeur.
8
pays catholique, la défense, faire l’apologie d’une « théologie naturelle », ça aurait pu paraître
très proche d’Erasme et proche de Luther. À savoir, « ma croyance » selon Luther, « je ne la
tiens pas des théologiens, je ne la tiens pas des moines, je ne la tiens pas des doctrinaires. Je la
découvre par la lecture des Ecritures. Seuls, mes facultés sont faibles, il me faut les Ecritures,
mais je peux découvrir par les Ecritures et ainsi, je me passe tout à fait de l’enseignement de
l’Eglise elle-même. » Ou bien Erasme, de la même manière, théologie naturelle.
Donc, ici on est dans un contexte, avec Montaigne, où les Guerres de Religion ravagent
toute l’Europe, et il y le sentiment qu’en renonçant à la tradition, on est conduit à la guerre.
Çà, Montaigne le répète constamment dans les « Essais », les conflits qui ensanglantent le
siècle, semblent confirmer l’idée que le principe d’autorité doit être au fondement de la paix
civile. Et la Réforme est dangereuse, précisément parce que elle récuse l’argument d’autorité.
Et donc, sape les fondements de la vie en société. Et donc, Montaigne est si convaincu
cependant, que l’athéisme est une attitude exécrable, que il en vient à douter que l’on puisse
être athée sincèrement. Page 51-52, en bas de la page :
« Platon, et ces exemples, veulent conclure, que nous sommes ramenés à la créance de
Dieu, ou par amour, ou par force. L’Athéisme étant une proposition, comme dénaturée
et monstrueuse, difficile aussi, et malaisée d’établir en l’esprit humain, pour insolent et
déréglé qu’il puisse être : il s’en est vu assez, par vanité et par fierté de concevoir des
opinions non vulgaires, et réformatrices du monde, en affecter la profession par
contenance : qui, s’ils sont assez fous, ne sont pas assez forts, pour l’avoir plantée en
leur conscience. Pourtant, ils ne laisseront de joindre leurs mains vers le ciel, si vous
leur attachez un bon coup d’épée en la poitrine : et quand la crainte ou la maladie aura
abattu et appesanti cette licencieuse ferveur d’humeur volage, ils ne laisseront pas de
se revenir, et se laisser tout discrètement manier aux créances et exemples publics.
Autre chose est, un dogme sérieusement digéré, autre chose ces impressions
superficielles : lesquelles nées de la débauche d’un esprit démanché, vont nageant
témérairement et incertainement en la fantaisie. Hommes bien misérables et écervelés,
qui tâchent d’être pires qu’ils ne peuvent !15 »
Alors, les athées, non seulement ce qu’ils font c’est exécrable, non seulement c’est
dénaturé, mais surtout ils sont pas athées. Ils sont pas athées parce que, c’est tellement
dénaturé, que c’est impossible qu’ils le soient. Il suffit que la maladie soit là, que la peur soit
là, pour qu’ils retrouvent toute leur foi. Donc, effectivement, sur le danger que représente
l’athéisme, Montaigne est extrêmement clair, hein…
Alors, la question est alors de savoir : puisque Montaigne est sceptique -en même
temps ! - …16, grand scepticisme, un scepticisme radical, par…17 la raison. Comment
concilier ce scepticisme, avec la critique de l’athéisme, avec la foi ?
Sur le scepticisme de Montaigne, on va poursuivre…18 :
« Le ciel et les étoiles ont branlé trois mille ans, tout le monde l’avait ainsi cru, jusques
à ce que Cleanthes le Samien, ou (selon Theophraste) Nicetas Syracusien s’avisa de
15
op. cit., p. 701.
Inaudible. Interférences GSM.
17
Idem.
18
Inaudible.
16
9
maintenir que c’était la terre qui se mouvait, par le cercle oblique du Zodiaque
tournant à l’entour de son essieu. Et de notre temps Copernicus a si bien fondé cette
doctrine, qu’il s’en sert très réglément à toutes les conséquences Astrologiennes. Que
prendrons-nous de là, sinon qu’il ne nous doit chaloir (importer) lequel ce soit des
deux ? Et qui sait qu’une tierce opinion d’ici à mille ans, ne renverse les deux
précédentes ?19 »
Donc, on est au niveau scientifique, oui. Dans cette édition-ci c’est pages 230-231.
« Avant que les principes qu’Aristote a introduits, fussent en crédit, d’autres principes
contenaient la raison humaine, comme ceux-ci nous contentent à cette heure. Quelles
lettres ont ceux-ci, » de quel droit, ceux-ci « quel privilège particulier, que le cours de
notre invention s’arrête à eux, et qu’à eux appartient pour tout le temps à venir, la
possession de notre créance ? ils ne sont non plus exempts du boute-hors » c’est-à-dire
être boutés hors « (…) Quand on me presse d’un nouvel argument, c’est à moi à estimer
que ce, à quoi je ne puis satisfaire, un autre y satisfera (…) »
Autrement dit, chaque grand savant, …20, même au niveau scientifique, c’est ça que je
veux souligner, c’est que son scepticisme porte sur la science elle-même. Sur la science ...21
personnel.
Question : Concernant, le « retour à la foi » et la peur, c’est un peu le « pari de Pascal », en
quelque sorte ?
R. Legros : La peur ?
Question : Le retour de la foi dans la peur, par rapport aux athéistes, ça dénonce un peu le
« pari de Pascal » ?
R. Legros : Non, parce que chez Pascal, c’est… ici, c’est la peur. C’est pas la calcul. C’est
irraisonné. Chez Pascal, il y a un sens du raisonnement beaucoup plus froid. Et, d’ailleurs,
Pascal… il y a le statut du « pari ». Le « pari », du point de vue de Pascal n’est pas un (bon22)
argument. C’est un argument à usage ! des athées. Mais, le croyant ne doit pas faire ce pari.
C’est assez différent. Mais, effectivement, il y a une grande proximité (entre23) Pascal et
Montaigne. Parce que Pascal a été …24 Montaigne …25 pour montrer que dans tout ce que
remettait en question Montaigne, Montaigne avait raison. Et donc, nous avons besoin du
secours de la foi, si nous voulons comprendre quelque chose à notre monde. …26
Il27 écrit évidemment ceci :
19
op. cit., pp. 883-884
Incompréhensible.
21
Idem.
22
Idem note 1.
23
Idem note 1.
24
Inaudible.
25
Inaudible.
26
Dernière phrase inaudible.
27
J’enchaîne, malgré les quelques secondes manquantes de l’enregistrement.
20
10
« Or ce sont choses, qui se choquent souvent : et m’a l’on dit qu’en la Géométrie (qui
pense avoir gagné le haut point de certitude parmi les sciences) il se trouve des
démonstrations inévitables, subvertissant la vérité de l’expérience : Comme Jacques
Peletier28 me disait chez moi, qu’il avait trouvé deux lignes s’acheminant l’une vers
l’autre pour se joindre, qu’il vérifiait toutefois ne pouvoir jamais jusques à l’infinité,
arriver à se toucher ».
Donc c’est la question de l’invention de l’asymptote. À l’époque de Montaigne, la
découverte des asymptotes. Ben, c’est uniquement de la géométrie, mais « moi, je n’y crois
pas ».
« Et les Pyrrhoniens ne se servent de leurs arguments et de leur raison, que pour ruiner
l’apparence de l’expérience : et est merveille, jusques où la souplesse de notre raison,
les a suivis à ce dessein de combattre l’évidence des effets : Car ils vérifient que nous
ne nous mouvons pas, que nous ne parlons pas, qu’il n’y a point de pesant ou de chaud,
avec une pareille force d’argumentations, que nous vérifions les choses plus
vraisemblables. »
Alors, les pyrrhoniens nous ont appris cela : si on veut justifier et démontrer, on peut
tout démontrer, on peut démontrer qu’il n’y a « point de pesant ou de chaud » etc...
« Ptolemeus, qui a été un grand personnage, avait établi les bornes de notre monde :
tous les philosophes anciens ont pensé en tenir la mesure, sauf quelques Îles écartées,
qui pouvaient échapper à leur connaissance : c’eût été pyrrhoniser, il y a mille ans, que
de mettre en doute la science de la Cosmographie, et les opinions qui en étaient reçues
d’un chacun : c’était hérésie des Antipodes : voilà de notre siècle une grandeur infinie
de terre ferme, non pas une île, ou une contrée particulière, mais une partie égale à peu
près en grandeur, à celle que nous connaissons, qui vient d’être découverte. »
Découverte de l’Amérique. « Les Geographes de ce temps, ne faillent pas d’assurer,
que désormais tout est trouvé et que tout est vu ;29 ».
Çà, c’est sur le scepticisme, tout à fait radical de Montaigne. Maintenant, se pose la
question : quelle est son argumentation en matière de foi ?
FIN DE LA PREMIÈRE HEURE DE COURS DU PR. LEGROS DU 28.10.05
28
Jacques Peletier du Mans, célèbre mathématicien, médecin et poète, venu à Bordeaux vers
1572 prendre la direction du collège de Guyenne. Il séjourna à Montaigne. (Note extraite de
mon édition)
29
op. cit. p. 886.
11
2 ème heure (retranscription du cours de R-M Legros du 28.10.05)
Donc, j’en viens à l’argumentation développée au début de l’ « Apologie ». À
l’argumentation de Montaigne, qui nous dit page 43 dans cette édition de FlammarionGarnier :
« Je trouvai belles les imaginations de cet auteur, la contexture de son ouvrage bien
suivie ; et son dessein plein de piété. Parce que beaucoup de gens s’amusent à le lire,
et notamment les dames, à qui nous devons plus de service, (…) »
donc voilà, j’ai écrit cette apologie « pour décharger leur livre de deux principales
objections30 ».
On lui fait deux objections et je voudrais répondre à ces deux objections. La première
objection, ou
« première répréhension qu’on fait de son ouvrage, c’est que » je cite « les Chrétiens
se font tort de vouloir appuyer leur créance par des raisons humaines » car, la croyance
des Chrétiens « ne se conçoit que par foi, et par une inspiration particulière de la grâce
divine31. »
Autrement dit, Sebond prétend -il prétend développer une « théologie naturelle », et
par conséquent suggère que les Chrétiens ont raison. Il prétend que les Chrétiens, ont raison
quand il veulent appuyer leur créance par des « raisons naturelles ». Donc, il prétend qu’on a
raison de s’appuyer sur la raison. Les Chrétiens qui prétendent qu’on puisse s’appuyer sur la
raison –ces chrétiens-là, ils ont raison. Et l’objection, consiste à dire à Raimond Sebond,
l’objection consiste à dire : non, les Chrétiens ont tort, s’ils veulent appuyer leur créance sur
la raison. Ils ont tort, parce que la croyance ne se conçoit que par foi. C’est donc la première
objection. Donc une objection qui vient de la critique de la théologie naturelle. Mais comme
on va le voir, c’est étrange que Montaigne dise, que il veut « décharger » la théologie de
Sebond « de cette objection ». Parce que Montaigne lui-même estime, que on ne pas arriver à
la croyance par des arguments de raison. Donc, d’une certaine manière Montaigne est
d’accord avec ceux qui font l’objection, mais il nous dit : « je vais répondre à l’objection ».
Alors, bien entendu, il n’est pas tout à fait d’accord avec ceux qui font l’objection,
sinon ce serait une simple contradiction. Il n’est pas tout à fait d’accord, mais justement, la
différence est un peu noyée dans le texte. Elle est très subtile, parce que ceux qui font
l’objection, d’après Montaigne, ils font l’objection en disant : la foi ne se conçoit que par une
inspiration particulière de la grâce divine. Ou, la croyance ne se conçoit que par foi. Alors,
comme on va le voir, ce que je prétends, moi Montaigne, c’est que en effet, la raison ne nous
conduit pas à la foi (contrairement à ce que dit Erasme). Mais l’on peut –c’est pour cela que
je fais une « Apologie de Raimond de Sebonde »- on peut si l’on veut, par la raison, confirmer
la foi. Et çà, donc comme vous le voyez, dans ce qu’il va dire, je vous l’annonce, puisqu’on
va voir ce qu’il va développer, mais c’est exactement la position de Luther. C’est ça qui est
étrange, c’est que il fait une « Apologie de Raimond Sebond », dans laquelle il dit : eh bien,
Raimond Sebond a raison de faire une « théologie naturelle », mais, en fait, ce qu’il faut
comprendre, c’est que le rôle de la raison (dans cette théologie naturelle) doit être seconde par
30
31
op. cit. p. 693.
op. cit. p. 694.
12
rapport à la foi. La raison ne vient qu’expliciter ou prolonger les vérités de croyance, et l’on
ne peut donc pas appuyer sa créance, sur des raisons humaines. Et donc, sur l’idée « on ne
peut pas appuyer sa croyance sur des raisons humaines », Montaigne est d’accord avec
l’objection.
Alors, avant de développer, venons à la seconde objection. La seconde objection, elle
sera présentée une dizaine de pages plus loin, page 55 dans cette édition. Qui consiste à dire
simplement : les arguments de Sebond « sont faibles et ineptes à vérifier ce qu’il veut32 ».
…33 de son argumentation. Alors, nature de ces objections, la première objection nous dit
Montaigne, « témoigne de quelques ailes de piété ». Elle est animée, autrement dit, par la
piété. En revanche, la seconde objection, elle vient des « Athéistes », on dira aujourd’hui des
« athées ». Mais « Athéistes », c’est plus fort. Ce sont ceux qui prétendent par la raison
arriver à un système athée. Et qui disent : toute l’argumentation de Raimond Sebond, en
faveur d’une théologie naturelle, se veut rationnelle ; mais, la véritable raison conduit à
l’athéisme. Et donc, pour Montaigne, la première objection est en grande partie fondée : on
ne peut pas s’élever vers la vraie foi, par des moyens purement humains. Et donc, toute la
difficulté pour Montaigne, est de comprendre la nature de l’intervention divine, et de voir
comment la raison peut s’ajouter à la foi.
Par contre, la seconde objection vient de contradicteurs qui sont bien plus dangereux,
plus malfaisants. Qui sont prisonniers de leur orgueil, les « Athéistes ». Et donc, la réponse à
la seconde objection, consistera fondamentalement, à faire sentir l’inanité ou la vanité et la
misère de l’homme. Là, on a tous les thèmes qui vont annoncer Pascal. Critiquer l’athéisme,
en montrant qu’ils sont pleins d’orgueil et en soulignant la misère de la condition humaine.
Donc, réponse à la première objection : si nous pouvions arriver, première argument
développé ici page 44, si nous pouvions arriver à la vérité divine par des moyens purement
humains, les génies de l’Antiquité, ils seraient arrivés avant vous. C’est là une critique directe
d’Erasme.
Donc, je vous lis le passage :
« Toutefois je juge ainsi, qu’à une chose si divine et si hautaine, » c’est-à-dire si
éminente « et surpassant de si loin l’humaine intelligence, comme est cette vérité, de
laquelle il a plu à la bonté de Dieu nous éclairer, il est bien besoin qu’il nous prête
encore son secours, d’une faveur extraordinaire et privilégiée, pour la pouvoir
concevoir et loger en nous : et ne crois pas que les moyens purement humains en soient
aucunement capables. Et s’ils l’étaient, tant d’âmes rares et excellentes, et si
abondamment garnies de forces naturelles ès siècles anciens, n’eussent pas failli par
leur discours, » par leurs réflexions « d’arriver à cette connaissance. C’est la foi seule
qui embrasse vivement et certainement les hauts mystères de notre Religion34. »
Donc voilà, effectivement l’argument, qui va être un argument constamment
développé dans la théologie au XVII e et XVIII siècles, repris encore par les idéalistes
allemands, par Kant et Hegel. L’argument de savoir, si comme nous le prétendons, nous
philosophes, Platon et Aristote sont des génies, quant au raisonnement, à l’argumentation, à la
32
op. cit. p. 704.
Mot incompréhensible.
34
op. cit. p. 694.
33
13
philosophie. Et s’ils n’ont pu arriver aux vérités de la révélation, c’est que leurs
(argumentations35) sont irrationnels. Ou bien faut-il dire qu’ils n’ont pu y arriver, et que par
conséquent, …36 de révélation. Donc, l’idée de « théologie naturelle », du point de vue de
Montaigne, est intrinsèquement contradictoire. Parce que c’est « c’est la foi seule qui
embrasse vivement et certainement les hauts mystères de notre Religion » c’est-à-dire, la foi
seule et non pas la raison. La foi seule et non pas les œuvres. Donc, il rejoint exactement, la
position, d’une certaine manière, de Luther.
Alors, Montaigne est donc partiellement d’accord avec l’objection : les moyens
purement humains ne permettent pas d’arriver à la science divine. Cependant, cependant, il
prétend qu’on ne peut reprocher à Sebond d’avoir eu recours à la raison. Voilà comment tout
en acceptant l’objection, il répond à ceux qui font l’objection : on ne peut pas reprocher
Sebond d’avoir recours à la raison, même s’il est vrai que la raison ne conduit pas à la
théologie. On est sur le fil du rasoir, comme vous voyez. Parce que, il faut en même temps
justifier le recours à la raison, et en même temps critiquer l’idée de « théologie naturelle » ; si
cette « théologie naturelle » prétend arriver à la foi par la raison. Nous pouvons en effet,
utiliser la raison, pour la mettre au service de la foi, et sans jamais faire de la foi, une foi qui
dépende de la raison.
Alors, c’est ce que Montaigne exprime pages 44-45 en ces termes :
« Mais ce n’est pas à dire, que ce ne soit une très belle et très louable entreprise,
d’accommoder encore au service de notre foi, les outils naturels et humains, que Dieu
nous a donnés. (…) » il est très digne pour un « Chrétien, que de viser par ses études
et pensements à embellir, étendre et amplifier la vérité de sa créance. »
(Raisonnement37) simple, à savoir : puisque Dieu nous accordé certaines facultés, on
peut être tout à fait digne de s’en servir, non pas pour accéder à la foi, mais pour embellir voilà le terme- « embellir, étendre et amplifier la vérité » de la foi. Alors, pour justifier cette
réponse, il argumente :
« notre religion admet que nous ne servions pas Dieu par un culte, des rites,
cérémonies, que nous lui rendions ». Non, non l’inverse : « notre religion admet que
nous servions Dieu par des cultes, par des rites et des cérémonies et que donc nous lui
rendions, un hommage corporel. Or, si le corps peut ainsi seconder la foi, pourquoi la
raison ne le pourrait-elle pas ?38 »
Subtil, surtout à la fois dans un contexte platonicien et humaniste, qui est de dire, qui,
euh, si, l’argument à fortiori : si nous acceptons un culte qui vient du corps –comme c’est le
cas de tout culte- et donc que le corps puisse s’incliner devant Dieu, à fortiori, la raison. Il
35
Idem note 1.
Inaudible. Je crois, mais sans certitude aucune, que c’est : « il n’y a pas ».
37
Idem note 1.
38
Je n’ai pas retranscrit ces deux dernières phrases en caractères italiques, car je ne les ai pas
trouvées dans mon édition. Il se peut, que le Pr. Legros cite une variante de la phrase
suivante : « Nous ne nous contentons point de servir Dieu d’esprit et d’âme : nous lui devons
encore, et rendons une révérence corporelle : nous appliquons nos membres mêmes, et nos
mouvements et les choses externes à l’honorer. Il faut faire de même, et accompagner notre
foi de toute la raison qui est en nous (…) ». op. cit. p. 694.
36
14
faut donc reconnaître que la raison peut accompagner la foi, même si les moyens naturels ne
suffisent pas. Donc, on arrive à cette relation assez subtile, qu’il faut reconnaître que la foi
vient en nous, autrement que par des moyens purement humains, mais se justifie par des
moyens humains. Alors, la foi vient en nous autrement que par des moyens purement
humains, pourquoi ? L’argument, Montaigne argumente en ces termes : si, elle vient en nous,
par des arguments et autres moyens humains –la démonstration par l’absurde- alors elle perd
de sa dignité et sa splendeur. Je cite :
« Si elle entre chez nous par une infusion extraordinaire : si elle y entre non
seulement par discours » raisonnement « mais encore par moyens humains, elle n’y
est pas en sa dignité ni en sa splendeur39. »
Raison pour laquelle, les moyens humains ne peuvent pas suffire, parce que si elle
entre en nous, ça annonce le Descartes des preuves de l’existence de Dieu. Si quelque chose
d’aussi grave entre en nous, ça ne vient pas de nous. Argument que reprendra Descartes, dans
la preuve de l’existence de Dieu. Il faut bien que quelque chose comme la foi, vienne en nous,
de plus haut que nous. Sinon la foi n’a pas de sens. Mais cependant, la foi vient en nous
aussi par des moyens humains. Alors, argument, deux arguments. Premièrement, si la foi que
nous avons venait de Dieu et non de nous, elle ne serait jamais ébranlée, secouée ou altérée
par des événements humains. Tels, la contrainte d’un prince, ou la bonne fortune d’un parti,
elle ne serait jamais troublée par un nouvel argument, influencée par la rhétorique. Autrement
dit, si, donc Montaigne vient de le dire : la foi ne peut venir en nous, que par Dieu. Dans cette
expression « par une infusion extraordinaire », elle n’entre en nous par une « infusion
extraordinaire ». Sinon, elle n’est pas en nous en « dignité ». Mais cependant, si elle entre en
nous par Dieu, alors elle serait inébranlable. Or, nous savons que, quelques-uns ont des
doutes et révisent leur foi, quelquefois selon leurs intérêts. « Si nous tenions », alors
maintenant je cite l’argument :
« Si nous tenions à Dieu par l’entremise d’une foi vive : (…) si nous avions un pied et
un fondement divin, les occasions humaines n’auraient pas le pouvoir de nous
ébranler, comme elles ont : notre fort ne serait pas pour se rendre à une si faible
batterie40 »
C’est un beau français ça, « notre fort ne serait pas pour se rendre à une si faible
batterie », ça veut dire une faible artillerie en quelque sorte. Alors, deuxième argument, pour
dire que les moyens humains doivent aussi venir de nous. Alors, premier argument, elle vient
de Dieu, sinon notre foi serait inébranlable et ne céderait jamais devant de faibles artilleries.
Deuxième argument :
« Si le rayon de la divinité nous touchait, il illuminerait tout ce qui vient de nous, il
transparaîtrait dans nos mœurs, nos paroles, nous actions, or41 » quelques petits points.
39
op. cit. p. 695.
op. cit. p. 695.
41
Idem note 38. Var. : « Si ce rayon de la divinité nous touchait aucunement, il y paraîtrait
partout : non seulement nos paroles, mais encore nos opérations en porteraient la lueur et le
lustre ». op. cit. p.695.
40
15
Donc, il faut finalement comprendre, le rapport entre ce qui vient de nous et la grâce
de Dieu, comme le rapport de la matière à la forme : ce qui vient de nous c’est la matière,
Dieu vient informer une matière. Il l’énonce page 54 :
« Or nos raisons et nos discours humains c’est comme la matière lourde et stérile : la
grâce de Dieu en est la forme : c’est elle qui y donne la façon et le prix. (…) Ainsi en
est-il de nos imaginations et discours : ils ont quelque corps, mais une masse informe,
sans façon et sans jour, si la foi et la grâce de Dieu n’y sont jointes42. »
Donc, conclusion de la réponse à la première objection : sans la grâce, les arguments
de Sebond, ne sont qu’une « matière informe ». Bien voilà la manière finalement, dont
Montaigne se situe. C’est très étonnant : il se sert d’une « théologie naturelle », il en fait
l’ « Apologie ». Mais, « Apologie » pourquoi ? « Apologie », pour dire : tous les
raisonnements qui sont rapportés, sont comparables à une « matière informe ». Une « matière
informe », qui ne prend sens que si on a d’abord l’illumination divine. Que si, ils prennent
forme grâce à l’illumination divine. C’est seulement grâce à la foi, que les raisonnements de
Sebond sont fermes et solides. Hein, je cite :
« la foi venant à teindre et illustrer » ça veut dire éclairer « les arguments de Sebond,
elle les rend fermes et solides43 ».
Sans la foi, ils ne sont pas plus solides que les raisonnements qu’on leur oppose.
« Et quand on les dépouillera de cet ornement, et du secours et approbation de la foi,
et qu’on les prendra pour fantaisies pures humaines, pour combattre ceux qui sont
précipités aux épouvantables et horribles ténèbres de l’irréligion, ils se trouveront
encore lors, aussi solides et autant fermes, que nuls autres de même condition qu’on
leur puisse opposer44. »
Donc, en français d’aujourd’hui, débarrasser, « dépouiller » de la foi : ils ont la même
solidité que les arguments qu’on leur oppose. Donc voilà, pour la première objection.
La seconde objection, c’est simplement celle qui vient des athéistes. Là, aux
arguments de Sebond en faveur des vérités divines, les athéistes opposent des arguments
rationnels, prétendument rationnels, qui invalident les prétendues vérités divines. Donc,
Montaigne est tout à fait opposé à cette confiance rationnelle et athée dans les pouvoirs d’une
raison, qui serait capable d’atteindre au fondement …45 :
« Le moyen que je prends pour rabattre cette frénésie, et qui me semble le plus propre,
c’est de froisser et fouler aux pieds l’orgueil, et l’humaine fierté46 ».
Donc, ici, alors cette argumentation, euh, pascalienne. Alors, argumentation qui
consiste à montrer que nous sommes misérables, faibles. Et que finalement, nous sommes,
dans la même condition, d’une certaine manière que la condition animale.
42
op. cit. p. 703.
op. cit. p. 703.
44
op. cit. p. 703.
45
Mot incompréhensible.
46
op. cit. p. 704.
43
16
« Quand je me joue à ma chatte, qui sait, si elle passe son temps de moi plus que je ne
fais d’elle47 ».
Les bêtes « nous peuvent estimer bêtes, comme nous les estimons48. »
Donc, là, la critique de la raison tout à fait sceptique, pyrrhonien. Et par conséquent,
c’est un scepticisme qui fait état non seulement sur les matières scientifiques, mais aussi sur
ce qu’on prétend être juste ou injuste. Donc, le juste ou l’injuste, avec tout le thème
développé par Montaigne et puis repris par Pascal, par la même formule, tels : les conventions
nous paraissent naturelles, parce que nous avons été éduqués par ces conventions, mais ce qui
semble ainsi naturel, n’est jamais que conventionnel ; et cependant, le plus sage est de suivre
ces conventions, pour éviter la guerre civile. Alors, voilà pour le contexte général de ces
« Essais ».
*
*
*
Je poursuis maintenant par une introduction, à la même problématique au XVII e
siècle, à savoir le rapport raison/foi, raison/croyance, qui va connaître un, question qui va
connaître un très grand retentissement dans les pays allemands, à l’occasion de ce que on va
appeler une « querelle ». Querelle qui va éclater dans le cadre de l’ « aufklärung », la
querelle dite, « querelle du panthéisme ». Querelle du panthéisme, « pantheismusstreit ». On
l’appelle « querelle du panthéisme », parce qu’elle est née à l’occasion d’une discussion qui
était de Spinoza.
Donc, pour y introduire, il faut d’abord présenter Lessing. Lessing, qui va reprendre
la position humaniste, développer la position humaniste, d’une façon tout à fait capitale, parce
que c’est une reprise humaniste, qui en même temps va fortement, conduire vers une
représentation historique, de la condition humaine. L’idée que l’humanité, dans la découverte
de la vérité, dans la découverte des principes fondamentaux qu’enseigne la religion ;
l’humanité a été prise, par un développement historique de son origine … 49 Mais, c’est
souvent présenté comme la première grande philosophie de l’histoire, qui annonce celle de
Hegel. Alors, qu’est-ce que Lessing, comment Lessing présentent-ils l’histoire humaine,
comme découverte progressive par la raison de ses propres principes ? Hein, c’est une
histoire tout à fait nouvelle.
Et bien, il présente dans un livre appelé l’ « Education du genre humain », plus
précisément « La révélation, comme éducation du genre humain ». Alors, la révélation
comme éducation du genre humain. Et que dit, en quel sens faut-il entendre « révélation » et
en quel sens la « révélation » est-elle « éducation du genre humain » ? Alors, je disais tout à
l’heure, la « révélation » est déjà comprise par l’humanisme, comme une révélation que les
hommes auraient pu découvrir par eux-mêmes, mais en plus longtemps. C’est cette idée que
développe Lessing, en disant que ce « plus longtemps », c’est l’histoire humaine.
47
op. cit. p. 710.
op. cit. p. 711.
49
Mot incompréhensible.
48
17
Toute l’histoire humaine, se présente, en effet, comment ?
Alors, elle se, il y a histoire, il y a histoire, parce que l’humanité s’est développée un
peu comme l’enfant se développe pour devenir adulte. C’est-à-dire, n’était pas à l’origine,
dans ses débuts, dans son développement, capable d’accéder à la vérité vraie, à la vérité
ultime. Et dès lors, Dieu a révélé aux hommes, la vérité progressivement. La révélation a été
progressive. Comment Dieu a-t-il révélé progressivement aux hommes la vérité ? Et bien, il
a commencé par faire comprendre l’idée de divinité, à travers des religions naturelles, c’est ce
que dira également Hegel. Croyance en la divinité chez les égyptiens du chat, divinité
naturelle, l’animisme. Dieu a commencé par donner aux hommes l’idée de Dieu, par une
religion animiste. On aurait dit aux hommes, il y a un seul Dieu omniscient, impotent, ça
aurait été incompréhensible. Il faut commencer, faut commencer doucement comme avec les
enfants. Et puis, il en est venu à viser d’un seul Dieu, mais un Dieu encore humain, dans ses
manifestations. C’est le Dieu des Juifs. Et puis, vient le Christ, qui enseigne aux hommes,
une vérité plus abstraite : la résurrection comme représentation, le passage de la mort à la vie,
c’est-à-dire de la matière à l’esprit. Donc, dans la représentation plus abstraite avec le
christianisme. Donc, on sait évidemment, dans le contexte, que ça devrait être la révélation
ultime.
Mais alors, Lessing ajoute, « vient ensuite Spinoza ». Vient ensuite Spinoza, qui
interprète la révélation chrétienne, nous fait comprendre le sens ultime de la trinité. « Père »,
« Fils », «Saint Esprit », signifient et Spinoza nous en donne une traduction philosophique. Et
par conséquent dit Lessing, il faut comprendre que chaque révélation est comme un livre
qu’on donne à un enfant. Un livre qui pour un enfant de sept ans, peut lui faire faire des
progrès dans la connaissance. Mais si il en reste au même livre, et bien, il progresse plus. Il
faut qu’il abandonne le livre qui l’a fait progresser, au profit d’un livre nouveau, qui lui fera
faire à nouveau des progrès. De la même manière, les différentes révélations, et bien entendu
Dieu dans sa révélation, à chaque fois, d’une certaine manière, ruse. Puisque à chaque fois,
Dieu fait semblant que c’est la révélation ultime. À chaque étape, il fait semblant que c’est la
révélation ultime. Et donc, la révélation est chaque fois un moment à dépasser, mais pour
celui qui la reçoit, il ne sait pas que c’est un moment à dépasser. Parce qu’il n’est pas encore
assez mûr pour le savoir.
Alors, l’extrême subtilité de Lessing, c’est qu’il faut appliquer au livre de Lessing
lui-même, ce même raisonnement. À savoir : on dit que l’ultime vérité, c’est que la révélation
divine s’est faite progressivement. Voilà donc ce que serait l’ultime vérité : la révélation
divine s’est faite progressivement, en conduisant jusqu’à la véritable interprétation de
l’enseignement chrétien, qui est l’interprétation spinoziste. Mais il faut appliquer à cette
dernière révélation, le même principe qu’on applique aux révélations antérieures. À savoir :
« moi Lessing je vous dis ça, parce que vous êtes pas encore assez mûrs. Je vous dis ça parce
que vous êtes pas assez mûrs pour entendre la vérité ultime : la vérité ultime étant que
Spinoza est athée ». Et par conséquent, la vérité ultime, c’est que la révélation n’est pas
divine. Mais que la révélation, c’est la raison qui par elle-même, se révèle progressivement la
vérité divine. Mais, la subtilité de Lessing, c’est qu’il ne le dit pas.
Mais, quand vous lisez, l’interprétation spinoziste de l’enseignement chrétien, c’est
bien que cela veut dire dans l’esprit de Lessing. À savoir qu’il ne faut pas comprendre « Dieu
le Père » comme « Dieu le Père », « Dieu le Fils » comme le fils, le « Saint Esprit » comme le
« Saint Esprit », mais qu’il faut entendre cela comme, la vérité qui pour se développer se
donne une représentation d’elle-même et se dépasse. C’est-à-dire, ce que Hegel appellera la
« dialectique ». Autrement dit, le titre même du livre « La révélation comme éducation du
18
genre humain », doit se comprendre au terme de l’ouvrage, la raison comme autorévélation.
Là, vous voyez comment on est passé de l’humanisme, à une position, l’humanisme au XVI e
siècle, à une position où évidemment Montaigne crierait à l’ « exécrable athéisme ». Parce
que, ici c’est une justification rationnelle de l’athéisme, mais qui se donne donc, encore de
manière déguisée. Qui se donne de manière déguisée, parce que, même principe que celui
qu’il faut appliquer, à chaque étape historique, parce que en chaque étape l’homme n’est pas
encore assez mûr, pour entendre la révélation ultime. En ce qui concerne mon propre livre, eh
bien, « à bon entendeur, salut ! ». C’est-à-dire, je donne les clés pour comprendre, à ceux qui
peuvent comprendre, ceux qui ne sont pas encore assez mûrs pour comprendre, comprendront
déjà ce qui les fait progresser, par rapport aux étapes précédentes. Comprendront déjà, que
l’enseignement chrétien, peut se traduire, dans une philosophie comme celle de Spinoza, par
un système rationnel. Donc, pour qui comprennent le …50 à accomplir le passage, à l’étape
suivante, à savoir que cette révélation, n’est pas une révélation. Que l’histoire est une autoéducation, que c’est la raison qui par elle-même, surmonte progressivement les illusions
qu’elle rencontre dans son monde.
Alors, évidemment, première philosophie de l’histoire, à propos de l’enseignement, de
la découverte progressive, présentée dans le cadre de l’enseignement religieux. Mais qui,
évidemment va profondément marquer les philosophies de l’histoire, aussi bien hégélienne
que marxiste. Parce que, on pourrait dire, alors rétrospectivement, que si Lessing prône en le
cachant un certain athéisme rationaliste, sous la forme d’une raison qui se découvre
progressivement dans l’histoire. Inversement, cette raison, qui se découvre progressivement
dans l’histoire, peut rester théologique. Peut rester théologique, comme c’est le cas chez
Hegel et Marx, mais alors théologiquement irréelle. Théologiquement irréelle, en ce sens, il y
a bien un principe, il y a bien un principe qui guide l’histoire humaine qui est téléologique. Et
s’il y a une raison téléologique, on est proche d’un cadre théologique.
Comment comprendrait-on une raison téléologique à l’œuvre dans l’histoire, sans y
voir, une, sans voir que cette histoire a comme condition, a comme condition, un absolu ? Un
absolu qui s’incarne dans l’histoire. Puisque c’est une histoire Une, qui conduit
progressivement depuis la condition la plus rudimentaire et la fruste, vers une raison
accomplie philosophiquement.
Alors, donc voilà le personnage qui va être au centre de la querelle, parce que Lessing
était un ami de Jacobi et puis dès que Lessing décède en 81’. Dès que Lessing décède en 81’,
Jacobi publie des lettres en disant : « mais vous savez, Lessing me l’a dit à moi, qu’il était
spinoziste » c’est-à-dire athée. Alors, là-dessus, scandale. Parce que, les amis de Lessing
n’avaient pas du tout compris « L’éducation du genre humain », comme un pamphlet athéiste.
Ils avaient au contraire, pensé que c’était une manière rationnelle de présenter la religion,
donc que c’était une « théologie rationnelle », au sens habituel. Jacobi avait bien vu que, sous
couvert de spinozisme, il s’agissait en effet d’athéisme. Et révélant cela, tous les aufklärer
ont pensé que Jacobi attaquait l’aufklärung et attaquait Lessing. L’attaquait méchamment.
Donc, on prend le parti de Lessing et notamment de Mendelssohn (le célèbre Mendelssohn,
qui était le grand-père du musicien). Mendelssohn, hein, donc grand penseur juif et penseur
de l’aufklärung, prend la défense de Lessing, contre Jacobi.
Alors là, ce qui est
extraordinaire dans la vie intellectuelle allemande, c’est qu’alors tout le monde va prendre sa
plume. Tout le monde va prendre sa plume, on est pour ou contre Jacobi. Euh, Goethe,
Schiller, Kant, Hegel, Fichte, Schelling. Euh, toute l’Allemagne se passionne pour cette
querelle, donc que je vais développer la prochaine fois.
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Inaudible.
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Mais la prochaine fois, ça veut dire vendredi prochain, « semaine tampon », pas cours.
Vendredi suivant Saint Verhaegen, pas cours.
Intervention : le vendredi 11…51
Pr. Legros : Ah oui ! Il y a encore, oui ! C’est ça ! Il y en a trois… oui c’est ça, il y en a
trois ! Mais, j’ai demandé une heure de récupération, hein. Le lundi, le dernier lundi, le lundi
de la dernière semaine de décembre. J’ai demandé une heure de récupération le lundi 19
décembre de 10 heures à midi. Je sais pas si ça a été affiché. Mais, euh, si on trouve un local,
on aura ces deux heures de récupération.
FIN DES DEUX HEURS DE COURS DU PR. LEGROS DU 28.10.05
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Inaudible.
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