Le jeu de l`amour et du hasard est une comédie de Marivaux créée

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Envoyé par Sophie.
Commentaire sur un texte du Jeu de l’Amour et du Hasard de Marivaux.
Le jeu de l’amour et du hasard est une comédie de Marivaux créée par les comédiens
Italiens le 23 janvier 1730. Lors de sa représentation, cette pièce rencontra un franc succès
auprès du public ; elle fut jouée de nombreuses fois. Elle est aujourd’hui considérée comme
l’un des chefs-d’œuvre de Marivaux. Cette comédie en prose se divise en trois actes. L’objet
de cette pièce est la reconnaissance de deux amours propres et l’avènement de l’amour entre
eux. Pour cela Marivaux utilise les ressorts du travestissement et la mise en scène d’acteurs
spectateurs. M.Orgon, père de Silvia et le père de Dorante se sont entendus pour unir leurs
deux enfants à condition qu’ils se plaisent tous deux nous dit-il I, 2
« Dans le dernier voyage que je fis en province, j’arrêtai ce mariage-là avec son père,
qui est mon intime et ancien ami ; mais ce fut à condition que vous vous plairiez à tous deux,
et que vous auriez entière liberté de vous expliquer là-dessus »
La pièce commence à l’annonce de la visite de Dorante à sa future belle-famille.
Silvia demande à son père une faveur : celle de prendre l’habit de Lisette, sa soubrette, pour
observer son prétendant ; ce qu’elle ne sait pas et que nous apprend son père informé par une
lettre du père de Dorante, c’est que Dorante a demandé la même chose au sien. Les deux
jeunes gens vont donc se rencontrer sous l’habit d’un valet et d’une soubrette, à leur insu,
sous le regard attentif de Mario, frère de Silvia mis dans le secret et de M. Orgon, son père.
De ce fait tout au long de la pièce, va se dérouler une comédie à plusieurs niveaux avec

d’une part un couple d’acteurs spectateurs : Mario et M.Orgon

et d’autres part deux couples : Lisette et Arlequin miroir de Dorante et Silvia.
La scène 9 de II que nous allons étudier est un dialogue entre Silvia en soubrette et
Dorante en valet. Dans la scène qui précède, Silvia et Lisette se sont disputées à propos de
Dorante et d’Arlequin. Silvia est hors d’elle car Lisette lui fait prendre conscience de ses
sentiments pour Bourguignon / Dorante.
Lecture.
Le passage se situe donc au moment où après un bref échange de banalités par
lesquelles Silvia espère maintenir Dorante à distance, celle-ci s’emporte devant l’entêtement
de celui-ci. Cet extrait est donc un dialogue qui se déroule en 4 mouvements :

0 à 25 . Silvia exaspérée s’emporte dans deux tirades qu’elle assène à Dorante

26 à 44. On assiste à un nouvel échange de propos d’une apparente banalité à la
suite desquels Dorante annonce son départ.
1

45 à 59. Dorante tente de se justifier auprès de Silvia.

60 à la fin. Dorante se fait pressant et demande à Silvia des preuves de son non
amour.
Nous allons donc voir comment dans cet extrait on observe une progression de
l’intrigue avec une Silvia qui ne maîtrise plus que très difficilement ses émotions et qui tente
d’éviter une confrontation avec Dorante en lui assenant des paroles terribles. Puis elle s’apaise
et tente de revenir à une conversation réglée en reprenant le dialogue sur des bagatelles. Mais
l’adieu prononcé par Dorante et repris par Silvia les plonge tous deux dans les pires
souffrances. Une souffrance à laquelle Dorante ne peut résister et qui se traduit par un
« hélas » qui marque le début de la montée d’un désespoir qui le fera se jeter aux genoux de
Silvia.
Dans ce 1er mouvement qui commence par le « tiens, Bourguignon » (l.1) de Silvia et
se termine par le « ah !ma chère Lisette que je souffre ! » (l.25) de Dorante, on observe un
affrontement entre deux sensibilités qui s’expriment dans deux discours très différents.
Silvia nous montre l’exaspération et la confusion qui règnent dans son esprit. Elle pose
un ultimatum à Dorante en utilisant une proposition adverbiale « une bonne fois pour toutes »
(l.1) qui n’admet pas l’alternative. Cet ultimatum semble renforcé par l’utilisation de verbe à
l’impératif d’autant qu’ils sont dits dans une gradation qui va de l’état présent « demeure »
(l.2) , à l’instant du souhait exprimé « va-t-en »(l.2), pour aller vers l’inexprimé et
l’inexprimable par le fait des conventions sociales « reviens » (l.2) qui est un reste déguisé.
« Ce doit m’être indifférent » (l.1) insiste encore sur la différence entre le cœur et la raison.
La raison l’emporte en apparence à la fin de la phrase dans le « et me l’est en effet » .(l.3) La
phrase suivante est un aveu déguisé : l’utilisation hyperbolique des négations montre une
oscillation deux qui fait la différence entre « je ne te veux ni bien ni mal » (l.3) qui laisse un
espoir par l’indicible qu’il renferme et tu m’es indifférent. Ce balancement se retrouve dans la
gradation en rythme ternaire des trois verbes suivants introduits par la négation : le premier
« je ne te hais », (l.4) litote pour dire je t’aime ; tout de suite annulé par le « ni ne t’aime »
(l.4) et renforcé par le « ni ne t’aimerai » (l.4) verbe au futur, donc inscrit dans le réel. Un réel
détruit avant même d’avoir existé, par la double négation. Mais la fin de la phrase, typique de
l’écriture de Marivaux et que Deloffre a appelé phrase à retouche, se termine par une
proposition rajoutée à la fin introduite par la conjonction « à moins que » (l.4) qui apporte un
espoir. Mais cet espoir n’est lui-même pas positif puisque la condition de sa réalisation est
que « l’esprit » (l.5) ne lui « tourne »(l.5) . Ceci entraîne qu’elle perde la raison et donc se
2
perde elle-même. Elle termine son propos par le présentatif « voilà » (l.5). Un « voilà » (l.5)
conclusif et récapitulatif qui se veut faire acte. Mais dans sa conclusion, il y a une légère
distorsion entre « mes dispositions » (l.5) qui par le pronom possessif « mes » (l.5) semble
englober tout son être et « ma raison » (l.5) . L’emploi synecdochique de « ma raison » (l.5)
tend à montrer que c’est ce qui domine chez elle. Mais en même temps la coordination avec
« mes dispositions » montre qu’elle n’est pas la seule. Ceci est accentué par le reste de la
phrase « ne m’en permet point d’autres » (l.6) qui semble vouloir dire que si elle le lui
permettait il en serait autrement.
Ces paroles assassines pour Dorante l’abattent. Cet abattement se retrouve dans les
mots qu’il emploie : tout d’abord le verbe être qui est un auxiliaire sans grande valeur si ce
n’est celle de mettre en relief « malheur » (l.8) et « inconcevable » (l.8) . L’inconcevable par
définition est ce qui ne peut être conçu et qui échappe à la raison. Il est donc au-dessus des
modes qui régissent Silvia et Dorante, du moins en théorie. Le second verbe de sa réplique est
bien un verbe performatif mais il n’en est pas le sujet : « tu m’ôtes » (l.8) . Ceci montre la
dépendance de Dorante face à Silvia. C’est un aveu pathétique d’impuissance. Le « peutêtre » (l.8) arrive à peine à minimiser le poids du verbe et de son C.O.D. « tout le repos de ma
vie » (l.9) . Par ce groupe nominal, Dorante nous dit tout son tourment.
Mais Silvia refuse de se laisser entraîner là où Dorante s’engage. Pour cela elle utilise
le pronom personnel « il » (l.10) pour s’adresser à lui afin de pouvoir reprendre ses esprits et
mettre une distance entre eux. Elle feint de ne pas comprendre les mots de Dorante en mettant
cela sur le compte de la fantaisie. Ce mot même de fantaisie se rattache à la perte de la raison,
à la folie. D’ailleurs, « fantaisie » (l.10) et « esprit » (l.10) s’oppose par leur position dans la
phrase de Silvia.
« Quelle fantaisie il s’est allé mettre dans l’esprit ! » (l.10)
Puis elle revient au mode traditionnel du tutoiement par un impératif « reviens à toi »
(l.11) que l’on dit à quelqu’un quand on pense qu’il divague. A partir de là, elle essaye
d’expliquer son propre comportement mais en continuant à le mettre en cause : « Tu me
parles, je te réponds. » (l.11) auquel elle rajoute « C’est beaucoup ; c’est trop même » (l.12)
qui sont là comme pour un aveu qui lui brûle les lèvres. Cette assertion est renforcée par la
phrase « tu peux m’en croire » (l.12) suivi d’une phrase conditionnelle qui vient appuyer son
discours. Il faut la croire car elle, elle connaît des éléments qui lui échappent, que lui ne
connaît pas et qu’elle exprime dans le « si tu étais instruit » (l.13) . Et pour mieux se
persuader de ce qu’elle dit tout autant que pour persuader Dorante, elle continue sa phrase sur
un rythme ternaire dans une gradation qui va crescendo. Dans un premier temps, il « serai(t)
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content » (l.13) d’elle, puis il la trouverait « d’une bonté sans exemple » (l.14) et enfin
« qu’elle blâmerait dans une autre » (l.15) . Cette gradation hyperbolique montre l’implication
de Silvia et l’ampleur du sacrifice qu’elle consent au nom de la raison. En même temps, elle
se donne bonne conscience mais c’est difficile. Le « pourtant » (l.16) émet un doute quant à la
validité de ses intentions réelles. Après avoir justifié ce que sa raison lui conseillait, elle met
en cause son cœur ou plus exactement « le fond de son cœur » (l.16) . Le terme de « louable »
(l.17) montre bien le changement de registre. Silvia éprouve le besoin de se justifier « c’est
par générosité que je te parle » (l.17) . La bonté s’est transformée en générosité. « Louable,
générosité » sont des mots que l’on attribue au héros magnanime ou au chevalier. Silvia se
place donc en position de Dame qui accorde ou reprend : « ces générosités-là ne sont bonnes
qu’en passant » (l.18) . Ce discours trahit Silvia sous le déguisement de Lisette et ne peut
qu’inciter Dorante à l’aimer un peu plus. Elle continue en lui disant : « et je ne suis pas faite
pour me rassurer toujours sur l’innocence de mes intentions » (l.19, 20) . Une fois de plus une
affirmation se retrouve niée par la suite de la phrase. Ceci montre que malgré un discours
apparemment bien construit, Silvia est agitée, divisée entre le cœur et la raison. La phrase
suivante ressemble à un monologue intérieur, comme si Silvia parlait pour elle-même « à la
fin, cela ne ressemblerait plus à rien » (l.21) . En effet, si le cœur triomphait sur la raison elle
serait perdue puisqu’il est inconcevable qu’une maîtresse puisse aimer et encore moins
épouser un valet. Elle se reprend donc et le « finissons » (l.21,22) utilisé par deux fois
ressemble au « une bonne fois pour toute » (l.1) du début. Mais le ton n’est plus le même, les
impératifs des premières lignes se sont transformés en une prière : « je t’en prie » (l.21) .
Cette prière est une nouvelle faille dans le masque de la raison. Silvia a de plus en plus de mal
à résister et demande à Dorante de l’aider . Ceci se note dans le passage d’une formule
adverbiale relativement neutre à un impératif de 2ème personne du pluriel « finissons » qui unit
Dorante et Silvia dans un même dilemme. Ce « nous » est révélateur du trouble de Silvia. Un
trouble qui se poursuit dans l’interrogation délibérative qu’elle utilise à la fin et qui n’attend
pas d’autre réponse que celle qu’elle donne elle-même. Cette interrogation s’adresse à la fois
à Dorante à qui elle signifie de ne plus l’importuner mais elle s’adresse aussi à elle-même
comme si elle rêvait éveillée et se sommait de revenir à la réalité.
Dorante n’entend pas son discours car chez lui le cœur a supplanté la raison. Les
« générosités » de Silvia ne sont pour lui que souffrance, une souffrance que lui assène sa
« chère Lisette » (l.25) . Le décalage entre « chère » et « que je souffre » (l.25) donne plus de
poids aux tourments endurés par Dorante.
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Le premier mouvement du texte est donc un dialogue disproportionné entre Silvia et
Dorante. Mais on peut remarquer que si les répliques de Silvia sont très longues, elles
témoignent en même temps d’une grande confusion de son esprit alors que celles de Dorante
qui se résument à peu de mots sont au contraire très claires. Il ne se cache pas derrière un flot
de paroles, il affirme la souffrance que lui procure ses sentiments pour Silvia.
Dans le 2ème mouvement, Silvia refuse de s’arrêter au message que Dorante tente de
lui transmettre. Elle essaye de clore le plan des états d’âme par « venons à ce que tu voulais
me dire » (l.26) . En changeant de sujet , elle s’éloigne du danger que représente son combat
intérieur. Elle s'efforce d’effacer ce qui vient de se passer en ramenant le dialogue à la 1 ère
réplique de la scène en formant une boucle, pour revenir à 0. On voit là aussi le manque de
cohérence de Silvia car elle demande à Dorante de lui parler de quelque chose qu’elle avait
tenté d’éluder par des digressions dans la 1ère partie de la scène ; mais surtout elle avait
exprimer le souhait qu’il ne lui parle plus dans sa dernière tirade.
Dorante ne répond pas à ses attentes, il ne veut pas revenir à la raison et il continue à
se déclarer sans vraiment le faire. « un rien, une bagatelle » (l.28) à l’initiale de la réplique
suivi « d’un prétexte » (l.29) à la fin mettent en relief « l’envie » (l.28) . Cette envie est plus
forte que tout, incontrôlable puisqu’elle utilise des subterfuges pour parvenir à ses fins. En
même temps, Dorante met en parallèle ce « rien , cette bagatelle » avec « l’envie de te voir »
(l.28) comme pour minimiser ce besoin. Et il continue dans cette voie en se mettant à parler
de leurs maîtres respectifs comme pour mieux relativiser la portée de ses sentiments.
Pendant ce temps, en aparté, Silvia fait un aveu de son impuissance en s’avouant pour
elle-même et malgré elle ses sentiments pour Dorante. En effet, « quand je m’en fâcherais, il
n’en serait ni plus ni moins » (l.30) nous dit-elle. Elle est consciente que quoiqu’elle dise ou
fasse, elle n’est pas maîtresse de ses sentiments et encore moins de ceux de Dorante.
En insistant sur le « ta maîtresse » (l.32) à l’initiale de sa réplique celui-ci met, ou
croit mettre une certaine distance entre eux.
Silvia
profite du prétexte qu’ il lui fournit en parlant de leurs pseudo maîtres
respectifs pour répliquer.
Dans ces deux répliques on note que leur discours est équilibré ; ceci est du au fait
qu’il est moins empreint de subjectivité.
Dorante se moque bien de leurs pseudo maîtres respectifs. Il le dit à la fois dans sa
réplique : « ce n’est pas cela qui m’occupe » (l.36) mais le terme même « occupe » interpelle
car le travail d’un valet n’est-il pas de s’occuper de son maître ?
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Silvia ne l’écoute pas et lui donne congé une nouvelle fois mais ce congé sonne
étrangement. « Nous n’avons plus que faire ensemble .» (l.37) Il sonne comme un regret. En
effet, « plus » est différent de pas ou de rien. Il implique qu’il y a eu un avant. « ensemble »
et « nous » implique eux aussi une certaine communion. Silvia veut terminer quelque chose
qui n’a jamais commencé, anéantissant tout espoir.
Dorante insiste. Il ne peut se résoudre à la séparation. Il tente de minimiser la portée de
ce qu’il demande. « du moins » (l.39) , précédé de « laisse-moi » (l.39) le pose en mendiant
auprès de Silvia. L’aumône qu’il réclame est passée du plan de l’« envie de (la) voir » (l.28)
au « plaisir de (la) voir ».(l.39)
Silvia prend le parti de se moquer en prenant de la distance par rapport à la demande
de Dorante. Elle utilise le pronom « il » (l.40) à la place du « tu ». Les propos de Dorante sont
résumés dans le groupe nominal « le beau motif » (l.40) qui fait référence au « prétexte »
(l.29). Le plaisir de la voir se transforme en la « passion de Bourguignon » (l.40), la passion
d’un homme qu’elle croit être un valet. L’effet réducteur se fait encore plus sentir par
l’utilisation du c.d.nom souvenir qui est « tout ceci » (l.41) ; ce groupe nominal englobe à la
fois « le motif », « la passion de Bourguignon » et Bourguignon lui-même. Il les réduit à une
perte totale de sens en les assimilant les uns aux autres dans le pronom « ceci ».
Dorante est de plus en plus désespéré : il reconnaît lui-même qu’il a perdu une partie
de sa raison. Pourtant son dialogue est très articulé et construit avec une certaine métrique :
« tu me railles, 4 syllabes
tu as raison, 4 syllabes
je ne sais ce que je dis, 7 syllabes
ni ce que je demande, 7 syllabes (l.43, 44). Puis ce bel agencement est brisé par un
« adieu » (l.44) brutal.
Cette nouvelle façon de concevoir son discours annonce un changement chez Dorante.
On assiste à deux grandes nouveautés :
D’une part un discours réglé,
D’autre part il prononce une parole de rupture qui était jusqu’alors réservée à Silvia.
Ceci annonce donc une nouvelle évolution de leur rapport que nous allons voir se développer
dans le 3ème mouvement du texte.
Silvia semble interloquée par cette initiative de Dorante. Elle répète le mot « adieu »
(l.45) comme pour mieux s’en imprégner, pour mieux comprendre ce que ce mot signifie. Elle
paraît l’approuver en lui disant « tu prends le bon parti » (l.45) mais les trois points de
suspension laissent penser qu’elle n’a prononcé ces paroles que pour gagner du temps, pour
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retarder le moment de l’adieu définitif. Les rôles s’inversent puisque Dorante ayant pris
l’initiative de la rupture a mis Silvia dans la position qu’il avait lui-même jusqu’à présent.
C’est elle qui, désormais, cherche un prétexte initié par le « à propos de tes adieux »
(l.45). elle fait tout d’abord semblant de ne pas s’y intéresser :
d’une part en utilisant l’« à propos » (l.45) qui marque une certaine distance par
rapport à ce qu’elle veut demander
d’autre part en utilisant une tournure impersonnelle « il me reste » (l.46).De plus le
« vous partez » (l.46) ramène le sujet sur Dorante et son maître, tout comme Dorante l’avait
fait mais de manière plus directe dans le 2ème mouvement du texte. Le pronom démonstratif
neutre « cela » (l.47) qui reprend l’idée du départ accentue la distance. Par la même occasion,
elle met en doute la raison de Dorante et de son maître : le propre du « sérieux » est la qualité
d’une chose faite avec réflexion (dico A.REY, 1690). Aussi la question « cela est-il
sérieux ? » (l.47) peut être entendue comme une mise en cause de la raison .
Ce à quoi Dorante répond pour son propre compte avec un « pour moi » (l.48) qui
placé à l’initiale a une valeur d’insistance quasi désespérée que vient renforcer le « il faut »
(l.48). Pour appuyer un peu plus son propos, il reprend à son compte les paroles de Silvia à la
ligne 5 : « l’esprit ne me tourne » qu’il transforme en « que la tête me tourne » (l.48). Il
renvoie à Silvia ses propres arguments pour lui dire l’état où il est. Mais le ton a changé car il
persévère dans sa volonté de partir en mettant Silvia au pied du mur.
Silvia ne veut rien entendre. Mais sa réponse « je ne t’arrêtais pas pour cette réponselà, par exemple » (l.49) montre qu’elle en attendait une tout de même. Elle aussi reprend une
réplique déjà utilisée par Dorante : « eh ! ce n’est pas cela qui m’occupe » (l.36).
Celui-ci poursuit sans vraiment répondre à Silvia. Il suit son idée et lui fait une
nouvelle déclaration déguisée. Dans cette déclaration, il avoue avoir commis « une faute »
(l.50). Il utilise une forme restrictive « ne…que » qui renforce la taille de la faute puisqu’une
seule faute a pu commettre tous les dégâts qu’ils ressentent chacun dans leur cœur. Cette faute
qui est « de n’être pas parti dès que je t’ai vue » (l.50, 51) est une façon de se reprocher à luimême d’avoir joué avec le feu en se déguisant. Il se sent coupable non pas d’être amoureux
mais d’avoir continué à jouer la comédie bien qu’il en ait senti le danger dès les premiers
instants de leur rencontre.
Silvia ne lui répond pas, mais son aparté montre le trouble dans lequel elle est plongée.
Elle n’est pas maîtresse de son cœur. Dans cette brève réplique son « j’ai besoin » (l.52) est
pathétique. Il montre le combat que mène le cœur et la raison .
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Dorante poursuit. On le sent proche de l’aveu : « si tu savais » (l.53). Mais l’emploi du
système conditionnel montre qu’il n’est pas tout à fait prêt. Le cœur n’a pas complètement
triomphé de la raison. La suite de la phrase peut être sentie comme une syllepse « l’état où je
me trouve » (l.53).
Soit le plan des émotions
Soit le plan de la situation matérielle et sociale.
Silvia ne le laisse pas terminer sa déclaration et fait-elle aussi un demi aveu en
utilisant l’adjectif « curieux » (l.54) précédé de l’intensif « si » pour montrer l’étrangeté de sa
propre situation. mais elle ne démontre rien, elle lui demande de la croire sur paroles par un
« je t’assure » (l.54, 55) qui n’admet pas de répliques.
Mais Dorante n’y tient plus, et par le « peux-tu » qui atténue le verbe « reprocher »
(l.56) il pose à Silvia une question qui n’attend pas de réelle réponse. En effet, le « peux-tu »
modalise son discours en indiquant une valeur de potentiel qui nuance le terme « reprocher »
au point d’invalider le reproche. Cette question oratoire sert à faire progresser l’aveu. Tout
comme dans les deux 1ères tirades de Silvia, il utilise des négations qui sont là pour appuyer
une déclaration en creux. De plus les négations s’appliquent au comportement attendu de
Silvia, elles ne nous disent pas qu’elles s’appliquent à Dorante. Ce n’est pas la même chose de
dire à quelqu’un : « je ne fais rien pour que tu m’aimes » et « je ne t ‘aime pas ». Le fait
d’avouer sa non volonté de rendre Silvia « sensible » tendrait à montrer que lui-même est
« sensible » (l.57).
Silvia sait bien qu’elle est sensible et c’est ce qui lui fait penser « qu’il ne faudrait pas
s’y fier » (l.58). Mais l’emploi du conditionnel « il ne faudrait » montre qu’au moment où elle
l’exprime elle est déjà caduque.
Dorante continue son propos en posant une nouvelle question oratoire à Silvia. Lui
aussi utilise le conditionnel, mais le sien a une valeur
A la fois délibérative qui lui permet un espoir ; un espoir confirmé dans verbe
« espérer » qui rime avec le verbe « aimer » (l.59).
Et à la fois une valeur de non réalisable renforcé par le participe présent « en tâchant
de ». Ce participe par le sémantisme qu’il contient renvoie à la tâche, au labeur. Le fait de
considérer la réciprocité d’un amour comme une tâche à accomplir déprécie le résultat qui
pourrait advenir. De même la périphrase verbale « se faire aimer » montre que c’est quelque
chose de non naturel qui va à l’encontre de ce pourquoi il avait pris un déguisement.
On a pu voir dans ce troisième mouvement Dorante sur le point de se dévoiler pendant
que sa raison s’affole. Silvia n’est pas mieux lotie. Son discours et sa raison s’efface au profit
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de sa pensée dès que Dorante lui expose ou tente de lui exposer les raisons pour lesquelles il
doit partir.
La seconde partie de la réplique de Dorante marque le début d’un nouvel échelon dans
son désespoir. Le pathos l’emporte. Marivaux lui fait prononcer une phrase qui ressemble
étrangement à un alexandrin
« hélas !Quand même je possèderais ton cœur… » (l.60)
qui lui donne des airs de héros de tragédie. Dans cette phrase chaque mot apporte une
confirmation du côté irréaliste de la supposition. « Hélas » en début de phrase donne la
dimension tragique. Quand même insiste sur la possibilité, de même que le conditionnel je
possèderais . Seuls les trois points de suspension paraissent laisser un espoir mais ils montrent
aussi que Dorante ne peut se résoudre à avouer son déguisement.
Silvia n’est pas sûre d’elle puisque maintenant elle en appelle au Ciel pour la protéger.
Elle ne dit pas qu’elle ne l’aime pas. Elle le laisse dans le doute. Un doute d’autant plus cruel
que même si elle l’aimait il ne le saurait pas. Ceci peut bien être considérer comme un aveu en
creux. Elle est en train de lui dire qu’elle l’aime mais qu’elle ne le lui avouera pas et qu’elle
refusera de se l’avouer à elle-même. Il est inconcevable que Silvia puisse s’avouer ou avouer
qu’elle aime Bourguignon. Elle traduit ce sentiment par le « quelle idée » (l.63). Mais ce
« quelle idée » la renvoie aussi à elle-même. Comment peut-elle aimer un valet ?
Mais Dorante ne veut plus rester dans le doute. Il a besoin que Silvia lui confirme son
non amour. Pour cela il formule son interrogation avec les propres mots de Silvia (l.4).
« Il est donc bien vrai que tu ne me hais, ni ne m’aimes, ni ne m’aimeras » (l.64, 65)
La réponse de Silvia est sans appel. Mais le terme de « sans difficulté » (l.66) tendrait
à vouloir dire qu’il y a eu des difficultés. Le fait de les nier prouve leur existence.
Dorante est abasourdi par la réponse de Silvia. Incrédule, il répète « sans difficulté ».
La question suivante est un cri de douleur renforcé par l’intensif « si » qui accompagne
l’adjectif « affreux ». (détestable, horrible moralement, A.REY, 1713). Son désespoir se
traduit une nouvelle fois dans l’utilisation d’un alexandrin et dans la mise en cause de sa
personne.
« Sans difficulté !Qu’ai-je donc de si affreux ? » (l.67)
Le « rien » que lui assène Silvia est cruel. L’opposition de ce « rien » au « sans
difficulté » et au « si affreux » est implacable. Mais il est vite relativisé par le pronom « ce »
qui lui enlève une partie de son sens. On peut noter que là encore, il n’est pas question de ne
pas aimer.
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Sur cette réponse Dorante se rassérène un peu et sa question se transforme en une
prière hyperbolique : « dis-le moi cent fois » (l.69).
Silvia refuse de répondre. Elle utilise l’adverbe « assez » (l.71) pour lui dire qu’elle le
lui a beaucoup dit. Elle lui enjoint de la croire.
Une fois de plus Dorante est incrédule et reprend le dernier mot de Silvia pour mieux
s’en pénétrer. Il renouvelle sa prière : « désespère, sauve-moi, accable mon cœur, donne-moi
du secours ». Mais cette prière est devenue la parole de la dernière chance. La raison l’a
abandonnée au profit du cœur. Le champ sémantique de sa réplique est révélatrice du fait :
« une passion, des effets, mon cœur ». Silvia demandait tout à l’heure l’aide du ciel. Dorante
lui, demande à Silvia d’être son propre sauveur : « sauve-moi, donne-moi du secours ». Il
présente cela comme une nécessité rédemptrice qui ne peut passer que par elle. Elle est la
seule qui puisse le convaincre par ses paroles. Pour cela il le lui « demande à genoux » (l.77).
Cette phrase est performative puisqu’au moment où il la prononce, il se jette à genoux comme
nous l’indique la didascalie. Cette position montre bien que Dorante s’en remet entièrement à
Silvia, mais en même temps il se pose en vassal de sa Dame. Cette position montre qu’il lui
est soumis. Pour le spectateur, c’est un changement qui module le côté tragique de la situation
car il est peu vraisemblable qu’un valet se jette aux genoux d’une soubrette. Cela crée un
comique de situation renforcé par l’arrivée de Mario et de son père qui assistent à la scène en
spectateurs.
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