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PROGRÈS TECHNIQUE ET CROISSANCE
1) Les sources du progrès technique :
a) - Le rôle de "l’entrepreneur innovateur" :
En cette fin de XIXe siècle, la vapeur est encore le symbole du progrès. Elle fait battre le
cœur de l'industrie lourde et propulse les chemins de fer. Pourtant scientifiques et
entrepreneurs sont en quête d'une autre mécanique. Les énormes chaudières, outre qu'elles
explosent régulièrement, ont un très faible rendement. Elles ne transforment en travail qu'à
peine 10% de l'énergie dégagée.
A la fin de l'année 1870, cette question ne quitte pas l'esprit d'un élève-ingénieur de
l’École supérieure technique de Munich. Rudolph Diesel, né à Paris en 1858 de parents
allemands émigrés, est un étudiant brillant. Il entre chez un constructeur de machines
frigorifiques, voyage beaucoup, mais continue de mener des recherches personnelles. Le 28
février 1892, il dépose devant l'Office impérial de Berlin le brevet d'un moteur dont la
pression de fonctionnement est très élevée et dont l'allumage s'effectue de façon spontanée,
sans qu'il soit nécessaire d'utiliser une bougie. Quatre années de difficiles et parfois
conflictuelles mises au point sont nécessaires pour parvenir à un prototype. Les dirigeants de
la Maschinenfabrik Augsburg-Nuremberg (MAN) se sont immédiatement intéressés au brevet
de Rudolph Diesel. L'empire industriel Krupp passe contrat et s'investit également dans les
recherches.
Au cours du second semestre 1897, la décision est prise de commercialiser le moteur. La
pression à l'intérieur du cylindre atteint 34 atmosphères et non pas 250 et le rendement
thermique ne dépasse pas 31,9%. Pourtant, ce moteur est largement plus efficace que les
autres. En 1897, les licences de construction de moteurs sont accordées à de nombreuses
sociétés allemandes et Diesel prend la décision de créer sa propre entreprise. Les
améliorations portées par MAN sur le compresseur et sur le filtre de carburant en améliorent
le fonctionnement. Le succès est immédiat. On vient du monde entier pour acheter les
licences de construction du "plus économique des moteurs à pétrole". Rarement invention et
inventeur auront été aussi rapidement consacrés. Rudolph Diesel devient millionnaire en
quelques mois.
(Source : J.M.Normand, Le Monde, 14 décembre 1997)
Q1 - Quelles sont les caractéristiques d'un entrepreneur-innovateur au XIXe siècle ?
Q2 - Quelles sont les étapes de la diffusion de son innovation ?
Q3 - Que peut-il retirer de cette innovation ?
Q4 - Ce modèle d’entrepreneur-innovateur vous semble-t-il d’actualité ?
b) - Le rôle de la "concurrence monopoliste" :
1 - Innovation et taille de l’entreprise industrielle (en % des entreprises)
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(Source : SESSI, L’Industrie française, 1997-1998)
Q1 - Quelle corrélation pouvez-vous établir entre la taille de l’entreprise et l’innovation ?
2 - L'analyse de "Schumpeter âgé" (Capitalisme, Socialisme et Démocratie, 1942)
s'oppose à celle de "Schumpeter jeune" (Théorie du développement économique, 1912). Le
premier Schumpeter voyait dans la figure de l'entrepreneur individuel le héros de l'innovation,
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grâce à son dynamisme, à sa liberté de manœuvre et à sa vision de l'avenir. A l'opposé, le
second Schumpeter souligne l'importance des économies d'échelle dans les activités qui
déterminent la croissance. La recherche technologique, notamment, requiert des équipes
nombreuses, qui ne peuvent être rassemblées que dans des firmes de grandes tailles. De plus,
les banques, les marchés financiers et les gouvernements font plus confiance aux grandes
entreprises qu'aux petites leur donnant un accès plus aisés aux ressources financières.
(Source : D.Guellec, P.Ralle, Les nouvelles théories de la croissance, Repères, La Découverte, 1995)
3 - Les grandes entreprises reconnaissent que l’enjeu de la prochaine décennie réside dans
leur capacité à innover. Dans les pays émergents, des entreprises produisent souvent des
produits comparables à meilleurs coûts. Pour acquérir des idées, des technologies ou des
compétences nouvelles, Cisco, Alcatel, Microsoft, entre autres, achètent des start-up, des
petites sociétés innovantes qui ont réussi à développer un produit ou une technologie qui peut
servir le grand groupe.
Ces acquisitions ne sont pas sans risque. La grande entreprise doit trouver la bonne
distance : utiliser la technologie et le savoir-faire de la start-up, lui apporter une assise
financière et un réseau de distribution mondial pour ses produits...sans trop l’utiliser, ni
l’étouffer. Certaines entreprises tentent d’insuffler l’esprit start-up en interne et créent des
équipes indépendantes autour d’un projet.
(Source : Laure Belot, Le Monde, 8 septembre 1999)
Q1 - Comment peut-on expliquer la corrélation entre la taille et l’innovation ?
Q2 - Quels peuvent être les inconvénients d’une trop forte concentration pour l’innovation ?
Q3 - Comment les grandes entreprises s’y prennent-elles pour contrer ces inconvénients ?
c) - Le rôle de l’État :
1 - Qu’est-ce qui détermine la quantité d’inventions et d’innovations ? Certaines idées
neuves sont simplement le produit d’une curiosité intellectuelle ou d’une frustration (“il doit y
avoir une meilleure façon de faire !”). Mais comme dans la plupart des activités, la découverte
d’idées neuves dépend dans une large mesure des ressources qui sont consacrées à leur
recherche, et celles-ci dépendent à leur tour du coût d’immobilisation des ressources dans
cette activité et des perspectives de succès. Certaines activités de recherche prennent place
dans des départements universitaires, généralement financés, du moins en partie, par l’État.
Mais de nombreuses recherches sont financées par le secteur privé, grâce à l’argent que les
entreprises consacrent à leurs départements de recherche et développement (R&D).
Le résultat de la recherche est risqué. Les chercheurs ne savent jamais s’ils trouveront ou
non quelque chose d’intéressant. La recherche ressemble à un projet d’investissement risqué
puisque des fonds doivent être engagés avant que les avantages (s’il y en a) commencent à
apparaître. Mais il existe une différence importante. Supposons que vous consacriez beaucoup
d’agent à la mise au point d’une souricière. Quand vous aurez réussi, tout le monde la copiera.
Son prix baissera, et vous ne récupérerez jamais votre mise initiale. Si nous vivons dans un tel
monde, il n’y aurait aucune incitation à se lancer dans la R&D.
Si l’invention est accessible à tous dès sa découverte, la société en tire des avantages,
mais pas le découvreur : il y a un effet externe. Les avantages privés et sociaux ne coïncident
pas et le mécanisme des prix ne fournit pas les incitations adéquates. La société essaye de
contourner cette carence du marché de deux façons. En premier lieu, elle accorde des brevets
aux inventeurs et innovateurs privés, qui sont des monopoles légaux pendant une période
déterminée. Ils permettent que des projets de recherche fructueux couvrent les investissements
en R&D grâce à la fixation de prix temporairement supérieurs au seul coût de production. En
deuxième lieu, l’État subventionne de nombreuses recherches fondamentales dans les
universités, dans ses propres laboratoires et dans le secteur privé.
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(Source : D.Begg, R.Dornbusch et S.Fisher, Macroéconomie, Ediscience international, 1992)
2 - L’effort de "recherche-développement" (R/D) des principaux pays de l’OCDE :
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(Source : OST - 2000)
Q1 - Cherchez les définitions de recherche fondamentale, recherche appliquée, recherchedéveloppement.
Q2 - Pourquoi le marché n’est-il pas capable de prendre en charge la totalité de la recherche ?
Q3 - Quels sont les moyens dont dispose l’État pour favoriser la recherche ?
Q4 - Connaissez-vous des exemples concrets d’innovations soutenues par l’État ?
Q5 - Comment ont évolué les dépenses de R&D dans les pays de l’OCDE ?
d) - Le rôle des "transferts technologiques" :
L’emprunt technologique au Japon avait commencé bien avant la Rénovation de Meiji
(empereur du Japon, 1868). Il s’est poursuivi après les années 1880 et même intensifié, pour
diminuer ensuite.
En 1900, 500 métiers américains Northrop automatiques sont achetés par la société des
filatures d’Osaka, et la Compagnie des textiles japonais se procurait des machines suisses.
Pour les rails, la Grande-Bretagne était le grand fournisseur jusqu’à l’extrême fin du siècle
puis les États-Unis prenaient la première place et, juste avant la première guerre mondiale,
l’Allemagne occupait une place à peine inférieure à celle des États-Unis. Pour les fournitures
de locomotive, même chose.
Mais la dépendance du savoir-faire étranger commençait à décroître. Le nombre de
locomotives en circulation de fabrication japonaise était de 11 en 1897 et de 162 en 1912. En
1887, 9/10 du commerce extérieur japonais était aux mains d’étrangers ; dans les années
1890, et dans les années 1900 les firmes japonaises avaient la majorité. L’évolution avait été
beaucoup plus rapide encore pour les ingénieurs et les experts de toute sorte qui, après avoir
formé des techniciens sur place, repartirent après 1880, ou même avant. En tout cas,
l’emprunt technologique avait des avantages considérables. Il a été pratiqué par toutes les
nations européennes involontairement - rôle des protestants émigrés après la révocation de
l’édit de Nantes - ou volontairement, mais de façon réduite - manufactures de Colbert, ou
métallurgie et chemins de fer en France au début du XIXe siècle - tandis que le Japon y
procéda de façon méthodique. Ainsi, il se procurait les machines les plus modernes, dont la
productivité était la plus élevée. Ce faisant, il économisait la main-d'œuvre, car celle-ci,
paradoxalement, peut être très chère dans un pays à l’industrie naissante. Il s’agit bien
entendu d’une main-d'œuvre spécialisée et de qualité. On a là un nouvel exemple du progrès
par retard. Mais ce progrès était possible parce qu’il y a toujours eu quand même une certaine
quantité de main-d'œuvre spécialisée ou capable de l’être pour accueillir ces nouveautés
techniques. Le retard peut être obstacle ou tremplin selon les caractéristiques de
l’environnement humain. Au Japon, jusqu’à nos jours, il a été un tremplin.
(Source : J.Mutel, Le Japon 1853-1912, Hatier 1978)
Q1 - Qu’est-ce qu’un transfert de technologie ? Quelles formes peut-il prendre ?
Q2 - Comment le progrès technique est-il assimilé ?
Q3 - A quelle condition de transfert technologique est-il possible ?
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2) Progrès technique et "destruction créatrice" :
a) – "Cycles longs" et "grappes d’innovation" :
1 - Nicolaï Dimitrievitch Kondratiev, économiste russe, dirigea de 1920 à 1928 l’institut
de conjoncture de Moscou. Il disparut au goulag en 1930. Ses travaux ont mis en évidence
l’existence de cycles longs (40- 60 ans) dans l’histoire du capitalisme. Au cours de ces cycles,
alternent une phase d’expansion (phase A) et une phase de récession (phase B). Depuis 1789,
on aurait repéré quatre cycles complets. Les signes de reprise de la croissance observés
actuellement dans certains pays pourraient inaugurer la phase A d’un nouveau cycle.
L’existence de tels cycles est cependant aujourd’hui très discutée.
(Source : Sciences Humaines n° 71, Avril 1997)
2 - C’est à Joseph Schumpeter que l’on doit la première tentative d’interprétation
systématique des cycles de Kondratieff. Dans un ouvrage devenu classique intitulé Business
Cycles, qu’il publie en 1939, Schumpeter attribue l’existence de ces cycles à la dynamique
spécifique de l’innovation (...).
Selon Schumpeter, le propre de l’innovation est que son développement n’est pas linéaire
(...). Il se développe par vagues, par sauts, certaines périodes voyant l’apparition de grappes
d’innovations majeures qui vont conditionner le développement de l’économie pendant de
longues années. Aux phases d’accélération du progrès technique succèdent donc des lignes
droites d’innovations mineures, au cours desquelles les nouvelles conditions de production et
de consommation se diffusent à l’ensemble de l’économie. Durant ces périodes, les
entreprises recourent massivement au crédit pour investir dans les nouveaux procédés ou les
nouvelles branches d’activité. Le crédit est ainsi, pour Schumpeter, le complément monétaire
de l’innovation. Il entretient par conséquent une relation intime avec le cycle, sans en être
pour autant la cause.
Le développement de la phase A du cycle de Kondratieff serait donc conditionné par le
temps nécessaire à l’assimilation, la diffusion et l’amortissement de ces nouvelles conditions
d’activité. L’épuisement des opportunités ainsi créées et l’exacerbation de la concurrence, qui
en résulterait, expliqueraient le retournement du cycle.
La phase B correspondrait à une longue période de purge des capacités de production en
excès et des dettes correspondantes, ainsi que de gestation d’une nouvelle vague
d’innovations.
Ce n’est que lorsque la purge économique et financière touche a sa fin que la nouvelle
vague d’innovations peut voir le jour. Tant que la crise domine, l’incertitude concernant
l’avenir inhibe en effet toute prise de risque par les entrepreneurs. Une fois les prix et les taux
d’intérêts stabilisés, les conditions d’un calcul économique raisonnable sont restaurées et le
potentiel d’innovations en gestation en cours de la phase B peut enfin être exploité.
(Source : Jacques Adda, Kondratieff : la cinquième vague, Alternatives économiques n° 173, septembre 1999)
Q1 - Que décrivent les cycles longs de Kondratieff ?
Q2 - Comment Schumpeter explique-t-il le cycle Kondratieff ?
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Q3 - Remplissez ce tableau à l’aide des données des documents :
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Q4 - Quelles sont les caractéristiques de la phase A ? Celles de la phase B ?
Q5 - Pourquoi J. Schumpeter parle-t-il d'une destruction créatrice ?
Q6 - Cette analyse vous semble-t-elle d’actualité ?
b) - Croissance et progrès technique “endogène” :
1 - D’où vient donc ce progrès technique qui, chez Solow, "descend du ciel" (le fameux
"deus ex-machina") ? Paul M. Romer, un jeune économiste américain, proposa, en 1986, une
explication : ce n’est pas autre chose que le résultat de l’apprentissage par l’expérience, du
“learning by doing”. Parce que c’est en faisant les choses que l’on devient capable
d’améliorer, de changer, bref de progresser (...). En d’autres termes, le progrès technique a
d’autant plus de chance d’être important que l’économie est plus développée, puisque les
occasions de perfectionnement et de changement se multiplient.(...). Romer, contrairement à
Solow, avance l’idée que c’est la croissance qui engendre elle-même le progrès technique (et
non le progrès technique qui engendre la croissance), c’est à dire que l’origine de la
croissance est "endogène", qu’elle dépend de la vitesse déjà acquise. Ce qui revient à dire que
les écarts entre nations, loin de se résorber, peuvent avoir tendance à s’accentuer (on serait
donc loin à la fois du "rattrapage" et de la "convergence" !).
Ce n’est pas la seule conséquence du modèle de Romer. La croissance dépend à la fois de
l’investissement et des connaissances acquises par l’expérience.
(Source : Denis Clerc, La fin des guerres de théories, Alternatives économiques n° 162, septembre 1998)
2 - Dans les années 80, les "théories de la croissance endogène" (= "nouvelles théories de
la croissance") sont venues bouleverser l'analyse "néo-classique" traditionnelle. Dans ces
nouvelles théories, les rendements du capital ne sont pas décroissants, mais constants : cela
signifie que plus on investit, plus la croissance tend à augmenter, puisque l'efficacité de ce
capital supplémentaire ne fléchit pas. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce qu'un investissement
supplémentaire engendre toute une série d'effets positifs ("externalités positives") au bénéfice
de la collectivité. Il faut se garder d'une vision trop matérielle de l'investissement. Il peut
s'agir d'investissement dans le domaine de la formation, de la recherche ou de l'infrastructure.
Les effets positifs tiennent au fait que, dans la plupart des cas, grâce à ces investissements, le
niveau des connaissances progresse, un savoir-faire nouveau ou existant est développé.
L'approche néo-classique l'admettait pour la formation puisqu'elle assimilait
l'amélioration de qualification de la main-d'oeuvre qui en résultait à une augmentation du
nombre de travailleurs. Mais, l'approche de la croissance endogène généralise ce constat : en
investissant, une entreprise, un individu ou une collectivité améliorent la productivité de
l'ensemble. Le progrès technique ne tombe plus du ciel : il est issu de ces investissements qui
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produisent de l'efficacité accrue non seulement au bénéfice de celui qui investit, mais aussi de
tous.
(Sources : Denis Clerc, Mais d'où vient la croissance ? Alternatives Économiques, juillet août 1995)
3 - De longue date il existe des travaux analysant l'activité de formation (au sens large)
comme une activité d'accumulation (de capital humain) et donc obéissant à des
comportements économiques traditionnels. Se former c'est perdre du temps qui pourrait être
utilisé à produire ; mais c'est aussi améliorer sa productivité future, gage de meilleure
rémunération à venir. Il y a un arbitrage à réaliser entre recevoir un revenu aujourd'hui
(produire) et recevoir un revenu plus élevé demain (se former). La question est de savoir si
l'activité d'accumulation du capital humain est à rendements décroissants, constants ou
croissants. Par exemple, une heure de formation d'un professeur agrégé produit-elle un
accroissement de son capital humain (relativement à son niveau initial) plus faible, égal ou
supérieur à celui d'une heure de formation d'un écolier (relativement à son niveau initial) ?
Une réponse évidente ne s'impose pas. Ainsi, R. Lucas construit un modèle dans lequel il
postule que le rendement du "capital humain" dans la formation du capital humain est
constant.
De ce modèle, il ressort que la part du temps consacrée à la formation détermine le taux
de croissance du capital humain et donc du taux de croissance global, puisque le capital
humain est pour Lucas un facteur de production. La formation (au sens large) a donc une
influence sur la croissance économique. De plus, il est possible que le capital humain
engendre des effets externes positifs. Ainsi, par exemple, la productivité des entreprises peut
dépendre du niveau du capital humain total de l'économie : quand on est dans un monde de
gens mieux formés, il est plus facile de travailler efficacement, toutes choses égales par
ailleurs. Ceci est une justification économique importante à l'existence d'un soutien public à
l'activité de formation.
(Source : P.Ralle, La croissance endogène, Ecoflash n° 86, mars 1994)
Q1 - Quelle est la signification de l’expression “progrès technique endogène” ?
Q2 - Comment la croissance économique peut-elle favoriser le progrès technique ?
Q3 - Pourquoi l’hypothèse des rendements décroissants est-elle abandonnée par Romer ?
Q4 - Que doivent faire les acteurs économiques pour entretenir la croissance ?
Q5 - Cherchez la définition du capital humain. Quel est son rôle dans le progrès technique ?
c) - Ralentissement du progrès technique et crise :
1 - Facteurs de production et productivité globale (TCAM en %)
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(Source : Angus Maddison - 1995 - actualisé 2001)
Q1 - Calculez le TCAM de la productivité globale des facteurs entre 1973 et 1998. Que
constatez-vous ?
2 - Par rapport aux années 1960-1973, la croissance de la "productivité globale des
facteurs" des sept plus grandes économies a ralenti de 3,3% à 0,8% par an. Autrement dit,
l’essentiel de la croissance depuis le milieu des années 1970 résulte de la simple augmentation
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des volumes de capital et de travail : la contribution du progrès technique semble avoir été
mince. Le prix Nobel Robert Solow a remarqué un jour que “les ordinateurs sont partout sauf
dans les statistiques de la productivité”. L’absence d’impact des nouvelles technologies sur la
productivité est connue parmi les économistes comme le "paradoxe de Solow".
En dépit d’innombrables études, les experts restent très divisés sur les raisons pour
lesquelles la révolution informatique semble avoir échoué (NB : à l'époque) à stimuler la
productivité. Une explication possible, quoique déprimante, serait qu’il n’y a pas eu de
révolution, et que les ordinateurs ne sont pas spécialement efficaces. En 1945, remarque
l’économiste Paul Krugman, travers les États-Unis en train prenait trois jours et on faisait ses
courses à l’épicerie du coin ; en 1970, il ne fallait plus que cinq heures en avion et les courses
se font dans de grands supermarchés efficaces. Par comparaison, dit-il, les technologies de
l’information ont beaucoup moins d’effet sur la vue du citoyen moyen. “La billetterie
automatique est une belle innovation, mais le vol d’un bout à l’autre du pays prend toujours
cinq heures ; les codes-barres sont astucieux, mais l’acheteur fait toujours la queue à la
caisse”.
Cet argument est sérieux. Le fait qu’un ordinateur soit cinquante fois plus puissant qu’il y
a dix ans ne signifie pas qu’il soit cinquante fois plus efficace. Et les ordinateurs, devenant
moins chers, sont utilisés à des tâches de plus en plus futiles, comme de jouer au solitaire.
(Source : Le paradoxe perdu, The Economist, 28 septembre 1996)
3 - Le "ralentissement du progrès technique" (NB : il existe aussi la thèse inverse dite de
"l'accélération du progrès technique") semble avéré. Citons quelques explications de ce
phénomène, plus complémentaires que concurrentes.
- Les bouleversements techniques perturbent l’activité économique. Comme le soulignent
les continuateurs de l'œuvre de J. Schumpeter, une vague d’innovations de grande ampleur
met parfois très longtemps avant de constituer un nouveau système technique cohérent : il a
fallu vingt ans pour que le réseau Internet décolle. Le temps nécessaire pour qu’il devienne
accessible aux entreprises et aux individus. Il faut ensuite que l’organisation socioéconomique s’adapte à ce système technique, comme l’avait déjà montré le fordisme (lequel
conduit d’abord à la crise des années 1930, avant de devenir facteur de croissance lorsque les
innovations sociales et institutionnelles adéquates ont émergé, pendant et après la guerre).
Autrement dit, à court terme, la vague de progrès technique est surtout facteur d’instabilité.
Elle ne fait sentir ses effets bénéfiques qu’après un temps d’adaptation plus ou moins long.
- Le ralentissement de la croissance nuit au progrès technique. Selon la “loi de Verdoorn”,
les gains de productivité dépendent du rythme de la croissance via les investissements (qui
sont requis par l’augmentation de la production et incorporent du progrès technique), les
dépenses de recherche (financement plus facile et horizon plus long en phase d’expansion
rapide) et les économies d’échelle (qui dépendent du rythme d’expansion des marchés). Le
ralentissement de la croissance depuis plus de vingt ans (réduction de moitié de son rythme)
exerce alors très probablement un effet négatif.
- La fin du rattrapage. Pendant une trentaine d’années, le progrès technique a été
exceptionnellement rapide, car les pays européens ou le Japon (et, plus tard, les "dragons"
asiatiques) ont pu imiter et adapter les techniques américaines, dont l’avance était
considérable (exemple : le toyotisme serait un fordisme adapté aux particularités japonaises).
Cet effet de rattrapage est aujourd’hui épuisé, de sorte que les gains de productivité possibles
passent de 4% à 5% dans les années 1960 à 2% ou 3% dans les années 1990. A l’appui de
cette thèse, remarquons que, sur longue période, les gains de productivité du travail sont plus
faibles et fluctuent beaucoup moins aux États-Unis, le pays qui se trouve sur la "frontière
technologique".
(Source : P.Combemale et A.Parienty, Technologies et chômage, un couple à histoire, La Recherche, septembre 1997)
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4 - L’essor du Web et de la Net-économie se poursuit cependant. Fin 2000, on estimait à
plus de 400 millions le nombre d’internautes dans le monde (près de 7% de la population
mondiale), un chiffre en progression rapide. Durant les dernières fêtes de Noël, un internaute
américain sur quatre a effectué un achat en ligne, et plus d’un sur trois a utilisé la Toile pour
comparer les prix, la moitié pour rechercher une idée de cadeau. Les ventes en ligne ont déjà
dépassé le seuil symbolique du 1% des ventes de détail.
Mais les taux de croissance d’accès à Internet et d’achat en ligne se tasse aux États-Unis
plus rapide- ment que prévu. A cela, plusieurs explications : les technologies de l’Internet ne
sont pas encore au point ; les débits des réseaux de communication sont la plupart du temps
insuffisants pour permettre des transferts rapides de contenus multimédia (images animées,
son, données) ; les micro-ordinateurs s’avèrent des outils peu fiables, trop chers et
d’utilisation complexe, qui rebutent une bonne partie des consommateurs ; une part
importante de la population reste exclue du réseau ; le contexte juridique qui entoure le
commerce électronique est encore incertain et des doutes subsistent sur la sécurité des
paiements en ligne ; enfin les habitudes d’achat ne se modifient que lentement. La révolution
du commerce électronique grand public sera donc lente. Cependant, dans le commerce
interentreprises, les transactions par Internet connaissent un essor rapide.
Quelle que soit la portée réelle des innovations technologiques en cours, ceux qui
croyaient que la nouvelle vague des start-up allait rapidement renverser les grandes sociétés
de l’ancienne économie en sont actuellement pour leur frais. Le marketing personnalisé et les
appels d’offre en ligne ne sont pas l’exclusivité des jeunes entreprises. L’innovation et les
gains de productivité qui en résultent se diffusent dans l’ensemble de l’économie. Les firmes
installées s’adaptent et rachètent parfois les start-up en difficulté. La grande distribution n’a
pas tardé à se mettre au commerce en ligne et y réussit assez bien.
Le ralentissement de l’économie, aux États-Unis, montre également qu’il ne faut pas
confondre innovation technologique et croissance. Les gains de productivité que permettent
l’informatisation et Internet dans les tâches administratives impliquent pour les entreprises,
des réductions d’emplois. Si cela se traduit par une montée du chômage, l’expansion de la
consommation et donc la croissance s’en trouveront ralenties. Les sociétés d’informatique
américaines font actuellement du lobbying pour sensibiliser les pouvoirs publics au problème
de l’inégalité d’accès aux technologies de l’information. La preuve qu’elles sentent le besoin
d’élargir leur marché actuel, en phase de saturation
(Source : Denis Clerc, La nouvelle économie est-elle un mythe ?, Alternatives économiques hors série n°48, mars 2001)
Q1 - Sur quel indicateur se fonde-t-on pour parler d’un ralentissement du progrès technique ?
Q2 - Pourquoi ce ralentissement paraît-il paradoxal ?
Q3 - Quels sont les explications de ce paradoxe ?
Q4 - Ce ralentissement vous semble-t-il toujours d’actualité ?
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