L’analyse des controverses et l’enseignement Les enjeux Plus que l’émergence d’un nouvel objet d’études, l’analyse des controverses est une méthode née dans le cadre de l’histoire sociale des sciences dans les années 1970-1980. Il s’agissait (à l’inspiration de la microstoria) d’invalider le «grand récit» linéaire de l’histoire des sciences positiviste au profit de récits singuliers et multiples. D’abord confinée à l’étude des débats internes aux scènes scientifiques, la méthode fut étendue dès 1990 à l’analyse de controverses intellectuelles et d’affaires de nature judiciaire ou politique (les premières se sont penchées sur la réception sociale des objets techno-scientifiques). Ainsi a-t-elle été appliquée tout aussi bien à l’œuvre de Céline, à la guerre du Kosovo, au nucléaire, à la vache folle ou aux sans-papiers. Cette ouverture a mis en évidence des dynamiques différentes mais contiguës entre les disputes internes aux milieux scientifiques et les débats qui se propagent dans des «arènes» non spécialisées (médias, associations, justice, politique…). La méthode, typique d’une sociologie dite pragmatique, est attentive aux situations, à l’autonomie des différents acteurs et à l’évolution de leurs arguments. Elle cherche à combiner des techniques propres à l’analyse du discours et à la statistique en élaborant des logiciels capables de traiter des corpus complexes, dynamiques et à longue portée temporelle. Ces outils permettent, par exemple, de repérer quels sont les événements qui provoquent des «reconfigurations» rhétoriques dans les argumentaires des acteurs. L’un des mérites importants de l’analyse des controverses est de ne pas caricaturer l’opposition entre le savoir des experts et la spontanéité d’un public ignorant. Il n’y a pas d’une part «la science», d’autre part «la société». Elle remet en question l’idée selon laquelle il suffirait, pour faire cesser une controverses, de combler l’écart entre ce savoir et cette ignorance par une information adéquate. L’analyse des controverses est un outil qui permet de s’interroger sur la notion de savoir, de culture et sur la capacité que les acteurs institutionnels ont d’agir dans le domaine public. En particulier, elle éclaire d’un jour inédit la mission de transmission qui est celle de l’enseignement. Le but du forum n’est pas, sur les six dossiers sélectionnés, de constituer des corpus, ni de programmer ou de voir fonctionner les logiciels de traitement des données. Après une brève initiation à la méthode, nous tenterons, expérimentalement et sur un échantillon restreint, de faire l’épreuve du regard que l’analyse des controverses jette sur les discours (car tel est bien son objet), regard qui permet de constater la plasticité des arguments et la mobilité des acteurs. Surtout, nous nous interrogerons, de manière tout à fait libre, sur le profit pédagogique que pourrait présenter l’analyse des controverses et à quelles conditions. Danielle Chaperon, Vice-rectrice de l’UNIL, 06-09-09