Thème 1 : Classes, stratification et mobilité sociale 1.1. Comment analyser la structure sociale ? Le programme officiel : INDICATIONS COMPLÉMENTAIRES : On présentera les théories des classes et de la stratification sociale dans la tradition sociologique (Marx, Weber) ainsi que leurs prolongements contemporains et on s'interrogera sur leur pertinence pour rendre compte de la dynamique de la structuration sociale. On mettra en évidence la multiplicité des critères de différenciation sociale dans les sociétés post-industrielles (statut professionnel, âge, sexe, style de vie) et on se demandera dans quelle mesure cette multiplicité contribue à brouiller les frontières de classes. Acquis de première : groupe social NOTIONS : Classes sociales, groupes de statut, catégories socioprofessionnelles I- La construction des groupes sociaux A- Stratification et groupe social 1- La hiérarchie au cœur de la stratification sociale 2- Castes et ordres : exemples de stratification dans les sociétés traditionnelles 2- Catégorie sociale et groupe social a- Les catégories sociales b- Les groupes sociaux c- Des groupes réalistes ou nominalistes ? B- Les PCS : un outil pour étudier la stratification sociale 1- Présentation de la nomenclature a- Les 8 grandes catégories b- Les 7 critères de classement 2- Les avantages de la grille a- comprendre les mutations de la société b- mesurer les inégalités économiques et sociales 3- Les inconvénients de la grille a- Une homogénéité sociale contestable b- Chômage et précarité de l’emploi : 2 critères de classement oubliés II- Les débats théoriques autour de la notion de classe sociale A- Une approche en terme de classe : Karl Marx 1- Prolétariat et bourgeoisie 2- Exploitation et domination 3- Classe en soi et pour soi 4- La lutte des classes B- Une approche en terme de strate : Max Weber 1- Une autre vision de la société 2- Les différences entre Marx et Weber C- La société française est-elle encore une société de classe ? 1- Un effacement des frontières de classes et la moyennisation de la société a- Montée de la constellation centrale b- La disparition des classes sociales, et notamment de la classe ouvrière 2- La persistance des clivages de classe : Pierre Bourdieu a- Classe dominante, moyenne et populaire b- Habitus et reproduction c- Exemple : la grande bourgeoisie Conclusion Introduction : - sensibilisation : Le goût des autres (1999) de Agnès Jaoui Problématique : égalité et inégalités en démocratie La sociologie vise la connaissance et pour y accéder, elle procède par classement comme les ensembles en mathématiques, les espèces en biologie, les périodes en histoire, etc. Il est donc normal que la sociologie suive cette démarche : c’est ainsi qu’ont été créées les notions de catégories sociales, classes sociales, groupes sociaux. Mais le statut des sciences humaines n’est pas celui des sciences dures (la physique par exemple). I- La construction des groupes sociaux A- Stratification et groupe social 1- La hiérarchie au cœur de la stratification sociale Déf : Ensemble des différences sociales associées aux inégalités de richesses, de pouvoir, de savoir, de prestige et déterminant la division de la société en groupes de droit ou de fait. La division en classes est un système de stratification parmi d’autres, comme les sociétés d’ordres sous l’Ancien Régime ou le système de castes en Inde. La société française, qui, depuis 1789, a érigé en principe l’égalité des hommes, n’est pas pour autant une société égalitaire. Même si les inégalités de droit ont progressivement été abolies, le changement économique et social n’a pas fait disparaître les inégalités de fait : les différences entre individus sont encore très grandes (accès aux biens de consommation, au logement, à la culture, à l’éducation...), et elles renvoient aux places occupées dans la vie économique et sociale. Les sociologues se sont toujours interrogés sur le problème de la structuration sociale, c’est à dire qu’ils se sont efforcés de proposer une ou des réponses aux questions suivantes : quels sont les grands groupes sociaux ? quelle place ils occupent dans la hiérarchie sociale ? comment sont-ils construits ? Une hiérarchie est un classement visant à distinguer des supérieurs et des inférieurs, au regard de certains critères fonctionnant comme des valeurs pour ce classement. Le fait, par exemple, de classer les individus selon la richesse ou le prestige implique que l’argent et la considération des autres sont des “valeurs” reconnues comme telles par la majorité des membres de la société. La stratification est souvent représentée par la métaphore de l’échelle (dont on peut gravir ou descendre les échelons) ou de la pyramide (sur laquelle on occupe une place plus ou moins proche du sommet ou de la base). 2- Castes et ordres : exemples de stratification dans les sociétés traditionnelles Dans les sociétés traditionnelles la stratification est légitimée par des fondements religieux : elle est le reflet terrestre de l’ordre divin. Elle est aussi sanctionnée (organisée) par la loi. Elle donne à chaque individu en fonction de sa naissance des attributions (droits et devoirs) différentes. L’espérance pour ceux qui appartiennent aux groupes défavorisés ou méprisés existe cependant : Dans le système des ordres (ancien régime) l’espérance d’une vie meilleure est liée au respect de la morale chrétienne, la récompense c’est la vie éternelle au paradis. Dans le système des castes en accomplissant fidèlement les tâches assignées à sa caste, il est possible, pour un individu, de renaître dans une caste supérieure. Le dessein ultime était le moksha (équivalant du nirvana dans le bouddhisme), retrait du cycle de vie et de mort, par l’acquisition d’une haute spiritualité qui repose, dans les interprétations traditionnelles de l’hindouisme, sur le fait de naître brahmane. Ainsi, chacun peut espérer un salut en remplissant les devoirs inhérents à sa caste. Les ordres sont les trois grandes catégories qui composent la société d’Ancien Régime : clergé, noblesse et tiers état. Ils sont hiérarchisés en fonction du prestige des fonctions sociales remplies par leurs membres. En théorie, le clergé est le premier des ordres, car sa fonction est d’être l’intermédiaire entre le monde divin et le monde humain. Mais la noblesse, dont la fonction principale est le métier des armes, jouit d’un égal prestige. Quant au tiers état, il s’adonne à des taches peu prestigieuses : agriculture, artisanat, commerce. Dans la noblesse, le souci de la pureté du sang, de la lignée, engendre une forte endogamie (proche de celle des castes) ; la transmission des fonctions sociales est largement héréditaire, limitant ainsi la mobilité sociale. Au sein du tiers état, une couche bourgeoise s’enrichit, jetant les bases du capitalisme, tandis que la noblesse ne pouvait accéder à des fonctions mercantiles. Une certaine convergence d’intérêt apparut ainsi entre la haute bourgeoisie, avide de reconnaissance sociale, et la noblesse et l’État toujours en manque d’argent. L’État vendit donc à la bourgeoisie des charges anoblissantes, titra ses grands commis d’origine bourgeoise (Colbert, ...), créant une “noblesse de robe” inférieure en dignité à la “noblesse d’épée”. Des alliances matrimoniales se nouèrent entre les deux noblesses. Les ordres furent abolis en France par la Révolution. Les privilèges furent supprimés dans la nuit du 4 août 1789. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen affirma, dans son article premier : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits, les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Les castes sont des groupes sociaux endogames (on ne peut se marier qu’entre membres d’une même caste), strictement hiérarchisés et fermés et héréditaires. Les relations sociales se construisent autour de la notion de pureté/répulsion. L’esprit de caste interdit formellement les contacts physiques, les relations sexuelles, les repas en commun entre membres de castes différentes. Si un contact impur a lieu, il faut procéder à un rite de purification. Des tribunaux de castes jugent les déviants et prononcent contre eux des sanctions allant jusqu’à l’exclusion définitive. Dans ce cas, l’individu perd son identité sociale, il n’est plus rien, ne peut rejoindre une autre caste, où il n’est pas né. Il devient un intouchable, mis au ban de la société. Aboli en 1947 le système des castes exerce encore une puissante influence sur les mentalités et les pratiques sociales. Il y a, en Inde, concurrence entre normes juridiques et normes sociales. Brahmanes Propriétaires Artisans Commerçants Intouchables Intouchables 2- Catégorie sociale et groupe social a- Les catégories sociales Une catégorie sociale serait la simple juxtaposition d’individus présentant une ou plusieurs caractéristiques communes. Les critères de construction des catégories sociales sont très nombreux ; c’est ce qu’on appelle les caractéristiques sociologiques ou socioéconomiques. Exemple le revenu, l’âge, le sexe, la profession, le niveau d’étude, la nationalité, le lieu d’habitation... Ainsi les femmes peuvent être considérées comme un rassemblement assez artificiel (donc nominaliste) car il englobe des jeunes, des adultes, des femmes âgées, des bourgeoises, des ouvrières, des femmes mariées, des célibataires... Elles n’ont donc aucune réalité dans la société en tant que groupe social. Pourtant, au-delà de cette diversité, elles ont certains traits communs, par exemple le fait de subir une certaine discrimination dans leur vie professionnelle. b- Les groupes sociaux Déf : un groupe social : c’est un ensemble d’individus qui ont des caractéristiques communes et entretiennent des relations telles qu’elles leur donnent une certaine conscience d’appartenir à cet ensemble. Un groupe social est identifiable par le reste de la société (il est repérable). Grâce à sa cohésion, un groupe social peut être un acteur de la vie sociale. Pour qu’un groupe social existe et se maintienne, il faut que ses membres aient en commun un minimum de manières de penser, de sentir et d’agir qui opèrent une démarcation nette avec le reste de la société. Il existe une grande diversité de groupes sociaux : nations, ethnies, partis politiques, syndicats, religions, groupes d’amis, classes d’établissements scolaires, équipes sportives... c- Des groupes réalistes ou nominalistes ? Quelle est la nature des "objets" classés ? o Selon l’approche réaliste, ces concepts traduisent des réalités objectives que l’on peut constater et même souvent mesurer, c’est le cas dans l’analyse marxiste des classes par exemple ; Attention : Réaliste ne veut pas dire ici vraisemblable. L’approche est dite réaliste parce qu’elle considère que les classes sociales sont des objets réels et non pas des simples catégories. Les philosophes distinguent clairement la réalité décrite par un concept et le concept lui même : "le concept de chien n’aboie pas" cela veut dire que c’est le chien réel qui aboie et pas le mot construit pour désigner le chien. Ici l’approche réaliste des classes donne donc une réalité aux classes sociales, elles sont aussi réelles qu’un chien peut l’être. o selon l’approche nominaliste, ces concepts sont des constructions intellectuelles opérées par les sociologues, leur permettant d’appréhender et de comprendre le réel, elles ont une valeur descriptive. On regroupe des individus présentant des similitudes au regard de certains critères mais ces regroupements ne sont pas des réalités empiriques, ce sont des outils abstraits. Nominaliste renvoie à l’idée qu’on donne un nom pour construire un regroupement, mais le regroupement ne devient pas pour autant autre chose que ce nom, c’est une catégorie, rien de plus. Derrière cette opposition il y a aussi un grand débat entre les tenants d’une explication de l’organisation sociale déterministe souvent qualifiée de holisme méthodologique et ceux qui privilégient une explication relevant de l’individualisme méthodologique. Parmi tous ces critères de différentiations (revenu, âge, sexe, région, etc.), nous allons voir que la profession a été un des critères retenus par l’INSEE pour décrire la société actuelle française PCS B- Les PCS : un outil pour étudier la stratification sociale 1- Présentation de la nomenclature La nomenclature des catégories socioprofessionnelles (CSP) a été élaborée par les statisticiens de l’INSEE dans les années 50. Elle constitue le principal instrument d’analyse de la structure sociale en France. Cette nomenclature a été modifiée en 1982 lors du recensement au profit de celle des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS), ce qui a permis d’affiner l’ancienne nomenclature devenue en partie obsolète en raison de la modification des qualifications professionnelles au sein de la société. Cette nouvelle nomenclature met davantage l’accent sur la position sociale, donc sur le niveau hiérarchique. Une nouvelle nomenclature ne remettant pas en cause l’essentiel et conservant le nom de PCS est entrée en vigueur en 2003. a- Les 8 grandes catégories La nomenclature existe à un niveau agrégé de 8 postes ou groupes socioprofessionnels. La nomenclature est également développée en 24 et en 42 postes. 1. agriculteurs exploitants ; 2. artisans, commerçants et chefs d’entreprises de plus de 10 salariés ; 3. cadres et professions intellectuelles supérieures ; 4. professions intermédiaires ; 5. employés ; 6. ouvriers ; 7. retraités ; 8. autres personnes sans activité professionnelle. b- Les 7 critères de classement Attention : le revenu n’est pas un critère !! Les PCS sont un mode de regroupement des individus en catégories sociales homogènes selon leur activité professionnelle, sur la base de trois critères : le métier on distingue l’horloger et le cordonnier la position hiérarchique au sein de la profession exercée (ou de l’ancienne profession en cas de retraite) on distingue cadre, intermédiaire, exécution (employé et ouvrier) le niveau de diplôme requis pour exercer cette profession, càd la qualification le statut on distingue salarié ou indépendant ou employeur la nature de l’activité on distingue l’ouvrier agricole, artisanal, industriel la taille de l’entreprise on distingue le salarié de la grande, moyenne, petite entreprise le statut public ou privé de l’employeur (administration ou entreprise) on distingue le cadre technique du public ou du privé Ces critères correspondent aux trois clivages fondamentaux qui structurent les groupes sociaux dans une société marquée par la prédominance du travail : le clivage hiérarchique, le clivage ville/campagne, le clivage salarié/indépendant. 2- Les avantages de la grille a- comprendre les mutations de la société Elle donne une vision quantifiée de la structure sociale. Ainsi, l’évolution de la structure des groupes socioprofessionnels révèle les transformations socio-économiques de la société française au cours des cinquante dernières années : tertiairisation, extension du salariat, montée des qualifications. b- mesurer les inégalités économiques et sociales La nomenclature présente des catégories statistiques qui regroupent des individus ayant des caractéristiques communes et des comportements propres, notamment en terme de mode de vie, etc. Par ailleurs, elle représente une stratification hiérarchisée : cf schéma en patate 3- Les inconvénients de la grille a- Une homogénéité sociale contestable Identifier des individus par leur situation professionnelle tend à regrouper des personnes différentes à bien des égards (modes de vie, croyances, origines). Inversement, des individus aux caractéristiques sociales assez proches peuvent se retrouver dans éparpillés dans des catégories différentes. b- Chômage et précarité de l’emploi : 2 critères de classement oubliés En outre, le critère de la profession est parfois insuffisant pour représenter la société, à l’heure où la part des emplois atypiques (contrats à durée déterminée, intérim, contrats aidés) tend à augmenter, et où le chômage frappe, durablement ou à répétition, de nombreux actifs. Les chômeurs, s'ils ont déjà travaillé, sont classés en fonction des critères attachés à leur dernier emploi. S'ils n'ont jamais travaillé, ils sont classés à part, dans un groupe qui n'est pas vraiment une PCS, les « chômeurs n'ayant jamais travaillé ». II- Les débats théoriques autour de la notion de classe sociale A- Une approche en terme de classe : Karl Marx 1- Prolétariat et bourgeoisie Selon Marx, toute structure de classe oppose deux groupes fondamentaux (hommes libres et esclaves, seigneurs et serfs, bourgeoisie et classe ouvrière...). Les autres classes (Marx comptera sept et même dix-huit groupes différents dans différents ouvrages) dépendent plus ou moins de cet antagonisme principal. La classe dominante (la bourgeoisie) détient les moyens de production essentiels et contrôle de ce fait le pouvoir politique. Le prolétariat ne possède que sa force de travail qu’il vend à la bourgeoisie contre un salaire. Remarque : les autres classes : Dans la société capitaliste la division de la société en deux classes antagonistes, la bourgeoisie et le prolétariat se complique par la présence d’autres groupes sociaux assimilables à des classes. Ces classes sont les “traces” de l’ancienne structure sociale de l’Ancien régime et se chevauchent avec les éléments appartenant à la future organisation, les deux étant mélangés ou recouverts par la forme d’organisation dominante. Ainsi, Marx lui même, peut tour à tour affirmer dans le Manifeste du parti communiste (1848) qu’il n’y a que deux classes dans la société capitaliste et dans Les luttes de classes en France (1848-1850) qu’il en existe beaucoup. Pour Marx, ceci n’est pas contradictoire car les autres classes (Marx comptera sept et même dix-huit groupes différents dans différents ouvrages) dépendent plus ou moins de cet antagonisme principal. Ainsi les petits artisans sont voués à tomber dans le prolétariat face à la concurrence des grandes entreprises : la prolétarisation de ces artisans est alors le fait qu’ils soient obligés de se salarier dans les grandes industries. 2- Exploitation et domination Les rapports de production basés sur l’exploitation vont engendre des rapports sociaux de domination. En effet la bourgeoisie va extorquer au prolétariat la plus-value, ce qui va le maintenir dans la misère. Le salaire n’est qu’un salaire de subsistance, destiné au renouvellement de la force de travail (celle du prolétaire et de ses enfants, bien évidemment). 3- Classe en soi et pour soi Déf : 4- La lutte des classes Pour Marx, l’Histoire est l’Histoire de la lutte des classes : Antiquité : patriciens contre plébéiens et contre esclaves Féodalisme : noble contre tiers-états Capitalisme : bourgeoisie contre prolétariat Marx montre que le capitalisme lui aussi va disparaître au profit d’une nouvelle société, le communisme. En effet, le mode de production capitaliste amènerait selon lui une évolution historique vers une polarisation de la société en deux grandes classes sociales par la concentration des entreprises capitalistes et la prolétarisation des catégories inférieures comme les petits artisans. Le capitalisme aboutit donc à une structure sociale simplifiée, articulée autour de ces deux opposés inégaux. Placés dans les mêmes conditions matérielles d’existence marquées par l’exploitation, les membres de la classe développent une conscience de classe qui débouche sur les luttes de classes. La conscience de classe est indispensable pour que la classe sociale ne soit pas une simple catégorie mais devienne un acteur du changement social. C’est le rôle du PC de faire prendre conscience aux ouvriers des rapports d’exploitation. La conscience de classe a deux dimensions : les membres de la classe doivent être conscients de leur appartenance de classe (sentiment d’appartenance), et ils doivent aussi savoir que la classe joue un rôle dans la transformation de leur situation. Alors c’est le grand soir, la Révolution. B- Une approche en terme de strate : Max Weber 1- Une autre vision de la société Pour simplifier on peut dire que la classe sociale selon Weber est repérable comme selon Marx par la position dans les rapports de production et le sentiment d’appartenance mais sans que cela s’accompagne nécessairement d’une conscience collective mobilisée dans l’action (conscience en soi mais pas conscience pour soi). En plus de cette distinction essentielle (le conflit, la lutte, ne sont plus constitutifs de la structure sociale) Max Weber considère que la position sociale (donc la hiérarchie, la structure sociale) relève d’une approche dans trois dimensions : champ économique : la plus ou moindre grande capacité à accéder à des biens. Une classe regroupe des individus occupant le même statut économique, c’est-à-dire les même conditions extérieures de vie (salaire, niveau de vie) champ social : la position plus ou moins élevée sur une échelle de prestige. Ici aussi le fait d’avoir le même prestige crée des groupes statutaires. [7]. champ politique : qui fait référence à la capacité à influencer, à participer à la prise de décision d’une communauté. Il y a une hiérarchie politique comme il y a une hiérarchie économique et une hiérarchie sociale. Ainsi selon Max Weber, la domination n’est pas qu’économique, il y a aussi une dimension politique et sociale. Dans la période d’industrialisation et jusqu’au début du XXème siècle, il y a, un lien fort entre les trois hiérarchie. La position économique commande les autres positions. Ensuite il n’y a plus forcément congruence (convergence) sous l’effet de la démocratisation de l’école et de l’émergence des personnels d’encadrement. Ces derniers ne sont pas les plus riches mais ils détiennent du pouvoir économique et peuvent participer largement au pouvoir politique. La conception wébérienne de la stratification renvoie à deux notions voisines mais distinctes : la situation de classe qui est déterminée de façon purement économique et qui est objective la situation statutaire qui est « une estimation particulière, positive ou négative, du prestige » et qui ne peut être que subjective (en fait intersubjective, car le jugement des autres compte autant sinon plus que le jugement réflexif - sur soi même). 2- Les différences entre Marx et Weber L’analyse de Weber se démarque de celle de Marx sur plusieurs points : - Une ou plusieurs dimensions : D’abord, l’ordre économique dans lequel s’inscrit la notion de classe ne constitue que l’une des trois dimensions de la stratification sociale, même si dans les sociétés modernes elle tend à devenir plus importante. La structure sociale développée par Weber est donc, à la différence de celle de Marx, multidimensionnelle et moins centrée sur l’ordre économique - Strate/classe : Cette analyse ne débouche pas non plus sur une polarisation, en ce sens, elle est plus proche de la réalité de la société contemporaine, bien que l’on ne puisse mécaniquement superposer les catégories envisagées par Weber sur la réalité de la société d’aujourd’hui bien plus complexe encore. Néanmoins, M. Weber évoque la question des classes moyennes échappant ainsi au modèle binaire développé par Marx dans certains de ses textes. Cette approche raisonne davantage en terme de strate. On est en présence de hiérarchisations multiples qui renvoient aux représentations des individus. C’est cette perspective qu’adoptera largement la sociologie américaine dominante. Cf Dans les années 30, Lloyd Warner va mener une étude empirique très poussée « yankee City » sur une petite ville des Etats-Unis, Newburyport dans le Massachusetts. Classes et % de la population Identification Upper-upper class 1,44% "Aristocratie sociale" : riches High WASP, (White Anglofamilles ayant une position Saxon Protestants) milieu fermé, importante depuis plusieurs tendance à l’endogamie générations Caractéristiques sociales Lower-upper class 1,56% Milieux supérieurs fortunés : imitation de la upper-upper class, richesse plus récente, "nouveaux mais considérée comme moins riches" distinguée Upper-middle class 10,22% Actifs dans le fonctionnement de Classe moyenne aisée : hommes la cité, revendication et exercice d’affaires, professions libérales de responsabilités sociales, entourée de respect Lower-middle class 23,12% Petite bourgeoisie : petits moralité affichée, souci de patrons, commerçants, cols respectabilité, désir de réussite blancs sociale Upper-lower class 32,6% Classe inférieure "honnête" : modeste aisance, considérée boutiquiers, petits employés, comme honnête et respectable ouvriers plutôt qualifiés Lower-lower class 25,2% Population à statut précaire : travailleurs saisonniers, Déclassée socialement, habitat chômage fréquent, forte dégradé, comportements représentation de minorités "asociaux". (noirs, italiens) Il aboutit alors à une stratification reposant sur une succession de strate (lower-lower class/upper-lower class … upper-upper class) comme des barreaux d’une échelle qu’il serait possible de gravir : si on est dans l’upper-lower class, on pourrait à force de persévérance atteindre la lower-middle class, puis la upper-middle class et ainsi de suite. Cette vision rejoint la vision individualiste de la société américaine où le statut de chacun dépend de nos efforts (vision idéaliste de la méritocratie) : c’est l’idéal du self-made man. - Conflit/consensus : A l’inverse de l’analyse marxiste, les classes n’ont pas nécessairement une conscience d’elles-mêmes, ce qui fait que, si leur mobilisation est envisageable, elle n’en constitue pas un élément fondateur. On oppose donc une vision conflictuelle de la société versus une vision consensuelle. Cf opposition holisme et individualisme méthodologique : L’individualisme méthodologique propose une description de la structure sociale à partir de l’étude des actes individuels. Cette conception cherche à classer les individus et à comprendre leurs choix. Sans nier l’existence des inégalités sociales et des conflits, elle offre une vision plus complexe et plus apaisée de la vie en société où les individus peuvent évoluer sur l’échelle sociale : la mobilité sociale est possible. Le changement via le réformisme est possible. Or on voit bien que si l’on multiplie les critères de différenciation entre les individus, on multiplie les positions et donc on crée des positions proches les unes des autres : il est alors facile d’aller de l’une vers l’autre. Le holisme préfère les analyses en termes de classes sociales dont la portée politique est plus révolutionnaire. Ce courant insiste sur le poids de l’origine social et montre qu’il est bien difficile de remettre en cause les hiérarchies existantes : un pauvre restera pauvre, un riche restera riche dans une grande probabilité. C’est ce qu’on appelle le déterminisme social. Or on voit que si l’on simplifie les oppositions en insistant sur les oppositions économiques, on crée deux vastes groupes, les pauvres/ les riches, et il est difficile de changer de groupe. C- La société française est-elle encore une société de classe ? Le XIXème siècle est marqué par la Révolution industrielle qui donne naissance à un capitalisme sauvage, sans très peu de régulation publique des relations patrons/ouvriers. En revanche, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la société française a connu de nombreux et profonds bouleversements : Etat Providence, urbanisation accélérée, baby-boom puis baisse sensible de la fécondité, démocratisation de l’enseignement, émergence puis développement de la consommation de masse. Si ces mutations sont incontestables, des oppositions naissent sur l’analyse de la structure sociale actuelle. 1- Un effacement des frontières de classes et la moyennisation de la société a- Montée de la constellation centrale La moyennisation de la société réduirait la portée de la notion de classe sociale. La définition des classes moyennes est problématique, chacun des deux termes de l’expression renvoyant à une analyse différente de la structure sociale : analyse en termes de strates hiérarchisées ou en termes de classes sociales. On sait que les strates sont ordonnées selon des échelles décroissantes de revenu, de formation, de prestige, etc. Les « classes » moyennes sont alors définies par leur position « moyenne » sur ces échelles alors que l’analyse en terme de classes amène à préciser la place de ces catégories dans les « rapports sociaux de production » ; travailleurs indépendants, salariés d’encadrement, etc. Certes, les classes moyennes se présentent davantage comme une nébuleuse que comme un ensemble structuré, elles ne sont pas polarisées par un groupe social : ni les cadres, ni les enseignants, ni les employés de bureau ni les indépendants ne sont en mesure de représenter, à eux seuls, cette vaste configuration. Elles ne s’affirment pas ensemble comme un acteur sociopolitique. On parle donc des classes moyennes : le pluriel de l’expression se justifie en raison de l’hétérogénéité de la population ainsi désignée. Peu de choses rassemblent le petit commerçant et l’instituteur, le pharmacien et le technicien industriel. Certains sociologues en viennent même à penser à un éclatement de la classe moyenne : les processus à l’oeuvre tendraient vers une fragmentation entre salariés et indépendants, secteur privé et secteur public, et vers une perte d’homogénéité entre les plus fragiles et les plus stables de cette catégorie. A rebours de cette analyse, certains sociologues montrent que la classe moyenne existe bien encore aujourd’hui. Ainsi la classe moyenne serait unie par un sentiment commun : la crainte du déclassement. Ainsi Louis Chauvel dans Les classes moyennes à la dérive, Seuil, coll « La république des idées », 2006 met en évidence un destin commun qui se structure autour de la crainte d’un déclassement, qui ne serait pas fantasmé, et d’un sentiment de fragilisation de leur position, surtout pour les enfants issus de cette classe les classes moyennes sont caractérisées par une crainte du déclassement justifiée De même, Dominique Goux et Eric Maurin, dans Les nouvelles classes moyennes, Seuil, coll. « La république des idées », 2012, accréditent l’idée d’un sentiment collectif d’inquiétude de ces catégories ; en revanche, ils montrent que ce sentiment ne repose sur aucune réalité. A l’inverse de Chauvel, ils insistent sur la mobilité ascendante dont continuent de bénéficier ces catégories et la distance sociale croissante qui les sépare des classes populaires. Cette opposition renvoie à la question de savoir si les classes existent encore au-delà d’un ordre symbolique, au-delà des représentations collectives et si on peut leur donner une assise empirique les classes moyennes sont caractérisées par une crainte du déclassement non justifiée Henri Mendras tente de représenter la structure sociale actuelle grâce à une « toupie » dans La seconde Révolution française 1965-1984, Gallimard, Paris, 1988 qui permet de mieux visualiser les groupes sociaux contemporains qui se regroupent en « constellations » plus ou moins cohérentes : l’élite la constellation centrale les indépendants la constellation populaire les pauvres. b- La disparition des classes sociales, et notamment de la classe ouvrière Un certain nombre d’auteurs considèrent qu’il faut rejeter le concept de classe sociale en raison d’un certain nombre d’évolutions et en particulier la disparition de la classe ouvrière. En effet, dans la tradition sociologique teintée de marxisme, si classe il y a, c’est bien la classe ouvrière. Or cette classe ouvrière serait en voie de disparition aujourd’hui: - celle-ci est en déclin numérique : - elle est en voie d’intégration à la société (on parle parfois d’embourgeoisement de la classe ouvrière) grâce à la croissance des Trente Glorieuses, l’Etat-Providence qui ont permis à la classe ouvrière de connaître un certain niveau de vie et grâce à la démocratisation scolaire, le développement de la consommation de masse, des médias de masse, etc. qui lui ont permis d’obtenir un mode de vie similaire à celui du reste de la société. - Par ailleurs, la classe ouvrière est en plein éclatement : il n’existe donc plus une classe homogène, c’est-à-dire où les individus ont un niveau et mode de vie identiques et possède un sentiment d’appartenance, une conscience collective. On observe d’ailleurs que les sociologues opèrent un glissement sémantique : ils ne parlent plus de « classe ouvrière » mais de « classes populaires », qui traduit la difficulté de nommer un ensemble plus flou, dont l’identité ne peut plus se résumer à celle des ouvriers et dont l’homogénéité est bousculée par les transformations économiques et sociales. Ainsi, les classes populaires sont traversées par les clivages de genre car elles sont constituées essentiellement autour de la catégorie des ouvriers, très masculine et de celle des employées, très largement féminine. Cela produit des différenciations notables, que l’on observe par exemple sur la question des pratiques culturelles. - enfin les ouvriers n’ont plus la conscience d’appartenir à un même groupe social. Ainsi auparavant les ouvriers votaient massivement communiste, dans la mesure où le Parti communiste défendait leurs intérêts. Désormais, des travaux sociologiques sur le vote ouvrier montrent une dispersion croissante des pratiques de ce groupe (notamment en faveur du FN). Malgré ces éléments qui vont dans le sens d’une disparition de la classe ouvrière, des auteurs comme Olivier Schwartz tentent de défendre l’idée de la permanence d’une dynamique de classe pour ces catégories. S’il reprend le vocable « classes populaires » c’est pour souligner qu’elles ont en commun le fait d’être dominées dans l’espace social, une difficulté d’accès à l’autonomie prônée par le reste de la société, et une culture populaire, même partiellement désenclavée de la culture globale. 2- La persistance des clivages de classe : Pierre Bourdieu a- Classe dominante, moyenne et populaire Pierre Bourdieu s’efforce de montrer l’existence de rapports de domination entre les classes sociales ; encore aujourd’hui, les classes dirigeantes cherchent à asseoir leur domination grâce à la possession d’un capital économique, social et culturel. Pierre Bourdieu distingue quatre types de capitaux : le capital économique, que l’onpeut assimiler à la richesse (revenu et patrimoine), le capital culturel, qui prend diverses formes (tableaux, livres, disques, diplômes) qui se manifeste également dans l’habitus, le capital social est l’ensemble des ressources liées à l’appartenance à un groupe qui assure des liaisons permanentes et utiles que l’on peut mobiliser. Il se matérialise dans des clubs sélects, des rallyes, des cercles, des réceptions, etc., le capital symbolique, qui peut prendre diverses formes : l’apparence physique, la réputation, le nom, les décorations, ... Les classes sociales se définissent non seulement par le volume global de capital possédé mais aussi par sa structure. Si l’on compare les « gros commerçants » aux « professeurs », les premiers sont mieux dotés en capital économique mais moins bien dotés en capital culturel que les seconds. La hiérarchie sociale découle de la distribution inégale de ces différents capitaux avec une dimension quantitative : les agents fortement dotés constituent les classes dominantes ; mais aussi qualitative : selon la composition du volume global de capital la position des individus varie. Il définit ainsi trois classes liées à la possession de ces capitaux et à des habitus et styles de vie spécifiques. C’est donc une approche multidimensionnelle de la classe qui est développée. Entre ces classes le conflit n’est pas une nécessité mais il existe bien des rapports de domination et des luttes, notamment pour le contrôle du capital culturel, enjeu majeur selon Bourdieu. b- Habitus et reproduction Les classes selon Bourdieu sont relativement fermées du fait de l’habitus et des stratégies de reproduction. Déf : Habitus : L’habitus est un concept central dans les analyses de Pierre Bourdieu : de manière élémentaire, l’habitus c’est un conditionnement, un ensemble d’habitudes qui structurent les comportements à partir de l’origine et de l’histoire sociale des individus. Mais la notion est plus complexe dans la présentation de Bourdieu pour lequel l’individu (être social), agit parce qu’il est agi, sans le savoir, par un système d’habitus, c’est-à-dire un système de dispositions à agir, percevoir, sentir et penser d’une certaine façon, intériorisées et incorporées par les individus au cours de leur histoire. Cet habitus se manifeste par le "sens pratique", c’est-à-dire l’aptitude à se mouvoir, à agir et à s’orienter selon la position occupée dans l’espace social et selon la logique propre au champ et à la situation dans lesquels on est impliqué. Tout cela se fait sans recours à la réflexion consciente, grâce aux dispositions acquises fonctionnant comme des automatismes. Les classes dominantes cherchent ainsi à imposer leur modèle culturel et leur vision du monde aux autres classes par le biais de pratiques de distinction, pour cela elles doivent contrôler les institutions productrices de légitimité comme l’école ou l’État. Il y a donc chez elles une stratégie consciente de reproduction. c- Exemple : la grande bourgeoisie Sur la question des catégories les plus favorisées, de nombreux travaux tentent de montrer qu’elles regroupent de nombreuses caractéristiques d’une classe sociale. On pourrait ainsi saisir des traductions concrètes des barrières de classes à travers l’étude des niveaux de revenus et de patrimoine, de la mobilité sociale ou des inégalités scolaires, par exemple. On peut alors voir à l’oeuvre de véritables stratégies de reproduction et de préservation de l’entresoi. Ces éléments sont à relier avec les autres parties du programme qui les développent, tant sur les inégalités que sur la socialisation. Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot affirment ainsi que la grande bourgeoisie demeure fidèle à la définition classique de la classe sociale, en raison de son style de vie, de l’importance de ses avoirs économiques (notamment en termes de patrimoine), mais aussi de sa conscience d’elle-même et de ses capacités de mobilisation. Remarque : quelles différences entre Bourdieu/ Marx ? - Une approche multidimensionnelle : au-delà d’une dimension économique, empruntée à Marx (le capital économique), Bourdieu accorde une grande importance au capital culturel (certifié notamment par les titres scolaires, mais également lié aux dispositions corporelles et à la familiarité vis-à-vis des biens culturels), au capital social (réseau de relations), ainsi qu’au capital symbolique qui renvoie à la considération que confère la possession des trois autres formes de capital - Un conflit absent : Pierre Bourdieu développe un espace social traversé par des rapports de domination, dans lequel les classes sont inégalement dotées et relativement fermées, mais où l’action collective n’est qu’une virtualité. Les classes populaires par exemple sont marquées par la nécessité, la classe moyenne par la bonne volonté culturelle ! Conclusion : Egalité de principe et rapports de domination dans les démocraties occidentales Finalement dans ce débat, certains auteurs, comme Chauvel ou Schwartz, affirment que les classes peuvent encore être saisies par des études empiriques, même si leurs contours ont pu évoluer et bien que leur conscience collective se soit émoussée. Pour Dubet l’enjeu n’est pas la description des classes, qui paraît vouée à l’échec du fait de leur éclatement, mais davantage la mise en lumière des processus de domination qui se joue dans une multitude de registres. Il renoue ainsi avec les rapports de classe de Marx et les rapports de domination de Weber.