LA PERFUSION SOUS-CUTANEE La perfusion sous-cutanée est une technique déjà ancienne, dont l’efficacité n’est plus à démontrer. Elle ne doit la désuétude dans laquelle elle est tombée qu’aux progrès technologiques relatifs aux matériels de ponction veineuse, qui ont pu faire croire que les possibilités de la voie intraveineuse étaient inépuisables. Ce n’est plus le cas dans certaines circonstances, notamment en fin de vie où le capital veineux peut être devenu inutilisable. La voie sous-cutanée retrouve alors son intérêt, pour sa simplicité, son efficacité et son innocuité. Elle aussi a bénéficié des progrès techniques dans le domaine du matériel et des solutés pour perfusions. PRINCIPES D’UTILISATION : La perfusion sous-cutanée est fondée sur le fait que la plupart des drogues et solutés injectés dans le tissu cellulaire sous-cutané sont résorbés à peu près comme s’ils avaient été injectés par voie intraveineuse. Cette constatation permet d’administrer ainsi la quasi-totalité des médicaments, et notamment ceux qui sont couramment utilisés dans les derniers temps de la vie. L’administration sous-cutanée d’une quantité notable de liquide provoque un décollement localisé de la jonction dermo-hypodermique, ce qui aboutit à la formation d’une poche ; physiologiquement tout se passe alors comme si cette poche était presque directement raccordée au compartiment sanguin. TECHNIQUE DE PERFUSION : Il importe de choisir un site de ponction commode et indolore. On doit veiller à respecter autant que possible le confort du patient, en évitant d’entraver sa mobilité, et en choisissant le site de ponction dans une zone ou la peau est facilement décollable des plans profonds. Par ailleurs on doit opter pour un site que ne gêne pas les examens cliniques. Pour ces raisons on peut sélectionner, dans l’ordre : 1. La zone sous-claviculaire droite. 2. La zone sous-claviculaire gauche. docteur michel cavey juillet 2003 michel.cavey@laposte;net 1 3. La paroi abdominale antérieure. 4. La face antérieure des cuisses. On se méfiera cependant de la paroi abdominale, souvent très mince chez le sujet cachectique, et peu commode chez tout patient dans la mesure où le matériel peut gêner l’examen de l’abdomen. En fait la meilleure voie est la sous-claviculaire droite, dans laquelle on accède facilement au montage sans déranger le malade, et qui ne gêne pas l’auscultation cardiaque ; les seuls problèmes sont les suites d’irradiation (et les chambres implantables, mais on n’a pas tous les jours besoin de mettre une voie sous-cutanée quand on a un Port-ACath). On utilise une aiguille épicrânienne à ailettes de calibre 23 ou 25. Après désinfection avec un agent non colorant, on pince la peau assez largement afin de réaliser un gros pli cutané ; l’aiguille pénètre dans la peau sous un angle de 30°, biseau vers le haut, jusqu’à la garde. On vérifie que la peau a bien été traversée : l’extrémité de l’aiguille doit pouvoir bouger de droite à gauche et de la surface vers la profondeur. On place immédiatement un petit tampon de coton sous les ailettes pour maintenir l’angle de pénétration, et on fixe le tout, idéalement par une plaque adhésive transparente. La fixation doit en effet éviter la rotation de l’aiguille autour du point de ponction (risque de douleur, d’hématome), ainsi que le retrait spontané de l’aiguille ; cependant l’application d’adhésif ne doit pas gêner la surveillance du point de ponction. Idéalement, l’aiguille est montée sur une seringue contenant 3 ml de Xylocaïne® à 1% diluée dans 2 ml de sérum bicarbonaté à 1,4% (ceci afin de prévenir les irritations engendrées par l'acidité de la Xylocaïne® ; en cas de contre-indication on remplacerait cette formule par du sérum salé) ; une fois l’aiguille en place on crée un début de clivage dermo-hypodermique avec la Xylocaïne®. Trop brutale cette opération serait inutilement douloureuse. On omet souvent cette précaution, mais alors il arrive que la première journée de perfusion soit marquée par une irritation locale avec prurit, voire douleurs, ce qui fait croire à tort à une intolérance. Ceci réalisé, le système est en place. SURVEILLANCE DU POINT DE PONCTION : La surveillance du point de ponction est quotidienne. On vérifiera la position de l’aiguille et l’état de la peau autour d’elle. L’intolérance se manifeste par une rougeur au point de ponction, rarement accompagnée de douleurs ou de démangeaisons. La seule mesure à prendre est le changement de site d’injection. Cela dit il faut se méfier : la plupart du temps le prurit n’est lié ni aux drogues ni au sparadrap mais simplement au fait qu’on a omis de créer le clivage dermo-hypodermique ; dans ce cas il disparaît en 24 heures. S’il n’y a pas d’anomalie il n’y a pas de soins à faire ; quand on en fait ils se résument à un nettoyage à l’alcool suivi d’une application d’éther. La seule difficulté est de ne pas déplacer l’aiguille. En pratique on sera souvent surpris de constater qu’une aiguille correctement placée sans faute d’asepsie est parfaitement tolérée pendant une période pouvant aller jusqu’à deux ou trois semaines... docteur michel cavey juillet 2003 michel.cavey@laposte;net 2 Quand on utilise la sous-cutanée de manière intermittente, il arrive que l’aiguille se bouche ; il est rare que ce ne soit pas réversible en injectant sous pression 0,5 ml de sérum salé ; naturellement il ne peut être question d’héparine. UTILISATION DE LA VOIE D’ABORD : La voie d’abord ainsi créée peut être utilisée pour effectuer une réhydratation (perfusion sous-cutanée proprement dite), ou pour pratiquer des injections intermittentes sans avoir à ponctionner le malade à chaque fois. On a du mal à se faire une idée précise de ce qui peut être administré par cette voie. La sous-cutanée a ses partisans aveugles et ses détracteurs farouches. Toutes les indications et contre-indications demandent à être vérifiées. Ce qui par contre n’est guère discuté c’est que la résorption des drogues administrées par cette voie est excellente, meilleure que par voie intramusculaire. Les solutés : Tout le monde s’accorde à dire que l’administration sous-cutanée de sérum salé ne pose aucun problème ; il est facile d’injecter 1 à 1,5 l d’eau par 24 heures ; on notera toutefois qu’en fin de vie 750 ml suffisent à assurer le confort d’un malade non fébrile, et qu’une légère déshydratation est souvent bienvenue. On peut souvent ajouter sans inconvénient des électrolytes, à la seule condition de ne pas aboutir à une hypertonie excessive (source de douleurs). Le potassium est très mal toléré localement, mais il faudrait être sûr qu’on ne peut pas en injecter de petites quantités. Le sérum glucosé est plus controversé ; cela est dû en partie à la mauvaise réputation de la « perfusion qui passe à côté » ; mais il ne faut pas comparer ce qui se passe dans un bras et ce qui peut se passer dans un vaste espace extracellulaire. En pratique il semble que le glucosé à 5% pose peu de problèmes, mais son indication est restreinte, surtout en fin de vie. Il en va de même du sérum bicarbonaté, qui semble utilisable mais demande de la prudence ; d’ailleurs les solutés à pH trop acide ou trop alcalins vont être douloureux. Naturellement les macromolécules ne sont efficaces que si elles sont directement injectées dans la lumière vasculaire. La quantité maximale est indécise. En principe on admet qu’il n’y a pas de problème avec 750 ml par 24 heures. Cependant des quantités allant jusqu’à 1 l par 12 heures ne posent aucun problème. Il faut toutefois noter : Qu’il n’est pas efficace de perfuser plus d’1 l par 24 heures, car une le fait d’injecter un soluté revient à créer un œdème : pour être efficace il faut attendre qu’il se résorbe, ce qui prend du temps. Par contre le fait d’injecter 1 l en 12 heures permet de perfuser le malade pendant la nuit, ce qui laisse le malade libre de ses mouvements pendant la journée. Il peut arriver qu’on veuille administrer plus d’1 l par 24 heures ; dans ce cas il vaut sans doute mieux utiliser deux sites. Enfin chez la femme il arrive que par voie thoracique le soluté diffuse dans le sein. C’est spectaculaire mais sans autre danger que la douleur. Par contre il importe d’en avertir la patiente et sa famille. Même constat au niveau des organes génitaux docteur michel cavey juillet 2003 michel.cavey@laposte;net 3 externes dans les deux sexes lorsque le site de ponction est abdominal, en particulier quand la déshydratation est déjà corrigée. Les molécules : Là aussi il est difficile de se faire une idée de ce qui pose problème. En pratique la règle est que dans la liste des produits utilisés en fin de vie il n’existe pas de drogue utilisable par voie intraveineuse qui ne puisse l’être par voie sous-cutanée. Les opinions défavorables qui courent çà et là doivent beaucoup au fait qu’on a omis de créer le clivage à la Xylocaïne®, et qu’on attribue à des réactions d’intolérance ce qui n’est que la douleur du clivage dermohypodermique. Il faut rappeler que la pharmacocinétique de cette voie est à peu près équivalente à la voie I.V., ce qui implique la même prudence (la morphine par exemple est potentiellement dangereuse en s.c.). De plus, si la résorption par voie s.c. n’est tout de même pas exactement aussi bonne que la voie i.v., elle n’est pas non plus aussi régulière, ce qui pourrait exposer à des surdosages. On peut ainsi injecter : Des antalgiques : morphine, salicylés, mais pas le paracétamol (douleurs). Des antispasmodiques. Des corticoïdes : on leur impute un risque de nécroses cutanées qui semble bien rare, et ne sont jamais observés jusqu’à 120 mg. En cas de crainte, on pourra diluer la substance dans 125 ml de sérum salé. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont douloureux. De l’atropine, de la scopolamine, de l’adrénaline. Le métoclopramide. Des sédatifs : clorazépate, diazepam (mais ce dernier est souvent douloureux), midazolam, halopéridol, chlorpromazine, hydroxyzine. Des antibiotiques, notamment l’amoxicilline (avec ou sans acide clavulanique), le céfotaxime, la péfloxacine, tous les aminosides ; le métronidazole est possible mais mal toléré localement. D’une manière plus générale, tous les produits pour lesquels le Vidal ne mentionne pas « i.m. profonde », ou « i.v. stricte ». Il reste à prouver d’ailleurs que la tolérance locale est la même pour tous les patients, notamment la douleur n’est pas la même. PRECAUTIONS ET LIMITES : Il n’est pas nécessaire de rincer la tubulure après chaque injection. L’héparinisation serait intempestive. Par contre il convient de veiller à la propreté absolue de l’ensemble du système. Il faut aussi informer l’entourage que la perfusion va engendrer un œdème : la voie sous-claviculaire notamment va créer un gonflement de la base du cou qui ne menace pas la fonction respiratoire... La voie sous-cutanée ne permet pas d’utiliser tout, ni toutes les quantités. Cependant cette limite n’est pas perceptible dans les situations de fin de vie. Par contre le collapsus docteur michel cavey juillet 2003 michel.cavey@laposte;net 4 cardio-vasculaire est une limite : l’effondrement de la perfusion tissulaire entrave la résorption des médicaments (la même observation vaut pour la voie sublinguale). Mais là encore cette limite ne pose guère de problème pratique. docteur michel cavey juillet 2003 michel.cavey@laposte;net 5