ibsen - Compagnie Divine Comédie

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COMPAGNIE
DIVINE
www.compagniedivinecomedie.com
COMEDIE
ssssssssss
Solness,
Constructeur
Henrik Ibsen
Présentation
du spectacle
Projet
Pédagogique
SOLNESS Seul, on ne peut rien faire advenir d'aussi
grand. Non, - les aides et les serviteurs doivent y
participer si on veut obtenir un résultat. Mais les
aides et les serviteurs, ils ne viennent jamais d'euxmêmes. Il faut les appeler avec ténacité. En son for
intérieur, voyez-vous.
HILDE Et qui sont les aides et les serviteurs ?
SOLNESS Oh, nous en
parlerons une autre fois.
Tenons-nous en à l'incendie.
73 rue du Champ des Oiseaux - 76000 Rouen
09 54 49 06 12 - 06 60 82 74 30 - [email protected]
Equipe
Jean-Marie Winling, Halvard Solness
Eléonore Joncquez, Hilde Wengel
Hubertus Biermann, Knut Brovik, le docteur Erdal
Aline Solness, Ragnar Brovik, Kaja Fosli : distribution en cours
Mise en Scène Jean-Christophe Blondel
Scénographie Marguerite Rousseau
Costumes Tormod Lindgren
Création musicale en scène Hubertus Biermann (violoncelle)
Production
Compagnie Divine Comédie, La Plate-Forme des Producteurs
Normands (Le Préau CDR de Vire, La Comédie CDN de Caen, Les
Deux Rives CDR de Rouen, Le Trident SN de Cherbourg, Le Volcan
SN du Havre), le Quai des Arts - Argentan, dans le cadre des Relais
Culturel Régionaux, Subventions : DRAC Haute Normandie, Région
Haute Normandie, Département Seine Maritime, ville de Rouen.
Avec le soutien de CartT@too (CR Basse Normandie), de l’ODIA
Normandie, et du Festival des Boréales.
Planning 2012 2013
26 et 30 janvier 2012 : maquette à Lilas en Scène
14 et 15 avril 2012 : rendu d’atelier au TGP Saint-Denis
Mai 2012 : rendu d’atelier au lycée Marie Curie, Vire
Mi septembre à mi novembre 2012 : répétitions
Deuxième quinzaine de novembre 2012, puis avril 2013.
Tournée : Le Préau CDR de Vire, La Comédie CDN de
Caen, Les Deux Rives CDR de Rouen, Le Trident SN de
Cherbourg, Le Volcan SN du Havre, Quai des Arts –
Argentan, Théâtre de Lisieux, Théâtre de Saint-Lo, Archipel
de Granville, Théâtre de Gisors, Théâtre du Garde Chasse
des Lilas. Discussions avec le Théâtre de la Paillette
(Rennes) et le Théâtre Antoine Vitez (Aix en Provence).
Sommaire
L’œuvre en quelques lignes 3
Une lecture 4
Notes de mise en scène 7
L’équipe 8
Pistes d’actions artistiques 11
Anne Ubersfeld, à propos de notre extrait Solness/Hilde 14
Quelques extraits et citations 15
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L’œuvre en quelques lignes
Résumé
Solness : l’histoire d’un autodidacte, ancien employé dans un cabinet d’architecture, qui a
conquis le monopole du bâtiment dans sa région sur le cadavre de ses deux enfants et les
décombres du patrimoine incendié de sa femme. Ruinant puis exploitant son ancien patron,
jouant d’autorité ou de séduction, il a défendu bestialement son règne, tué dans l’œuf toute
concurrence, toute relève possible. Vieux fauve effrayé par la jeunesse et surtout par la
Mort, vieil artiste qui a cru pouvoir apporter le bonheur avec l’humanité de son architecture,
il contemple l’étendue des dégâts : un territoire conquis par le cancer de ses constructions,
une maison coupée en deux, hantée par une femme, Aline, omniprésente et passivement
tout contre lui, et le fantôme de deux enfants morts ; un idéal mort, un couple sans désir, et
un instinct de survie toujours là, sauvage, indestructible. C’est alors qu’arrive « la
jeunesse ». Hilde Wangel se présente, elle a quelque chose à réclamer. Dix ans plus tôt,
alors qu’il était ivre et qu’elle avait douze ans, Solness l’aurait embrassé… Il lui aurait
promis… un royaume. Elle vient, à l’heure dite, chercher son dû. Etre de chair ou production
hallucinatoire d’un fou ? Elle va s’installer au cœur de la vie du couple et travailler à bras-lecorps l’âme malade du Constructeur
Autobiographie
Le Constructeur Solness est tout autant le portrait de son auteur, à la fois comme artiste et
comme homme politique. Ibsen, Norvégien né en 1828, issu de la classe moyenne, a
consacré sa jeunesse à la fois à remettre en cause le fonctionnement politique et
économique de la société de son temps, et à tenter de développer un art théâtral alors
inexistant dans son pays. Il quitte la Norvège en 1864 et développera son talent et son
succès en vivant dans différents pays d’Europe. Il ne retournera au pays que vingt-sept ans
plus tard, précédé d’un immense succès.
Sur le plan esthétique, Ibsen décrit un créateur qui lui ressemble : lui aussi connaît un plein
succès, mais en lui aussi, se développe cette peur de ne pouvoir dépasser ce qu’il a
construit (à ce moment, le naturalisme qu’il a porté au sommet est réinterrogé par la
génération suivante qui laisse éclore la subjectivité, l’autobiographie, la vision intérieure, le
symbolisme). Sur le plan politique, le capitalisme construit par la société bourgeoise, qu’il a
dénoncé dans ses œuvres, génère toujours plus d’exploitation et d’injustice : comme
Solness, Ibsen doute de la possibilité d’apporter un progrès par l’art. Enfin, sur le plan
existentiel, l’approche de la mort exacerbe la question « Kierkeggaardienne » posée trente
ans plus tôt dans Peer Gynt : que fait-on de notre vie ? Comment « être soi-même » ?
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C’est sur ces trois terrains, esthétique, philosophique et économique, que nous pouvons
construire un projet pédagogique en lycée, reliant systématiquement chaque point abordé à
la question pratique de sa transcription, sa représentation et son incarnation sur scène.
Une lecture
Un Faust
Solness réunit le portrait d’un entrepreneur sans scrupules et l’autoportrait d’un artiste qui a
« réussi ». Le moteur de sa vie était-il la quête spirituelle, et l’espoir d’apporter du bonheur
aux hommes, dont il parle au troisième acte ? Quelle est la part de la soif de puissance
dans cet élan ? Quoi qu’il en soit, lorsque le rideau se lève, l’œuvre derrière lui est jugée
vaine, inutile, fruit de chimères fatiguées. Ce regard sur la création déroulée derrière soi, on
le retrouve dans la successions des périodes de construction de Solness : les églises, les
maisons, le « château chimérique », qui correspondent aux grandes époques d’écriture
d’Ibsen, poèmes patriotiques et spirituels, drames bourgeois, et les œuvres « symbolistes »
à partir de Solness. Et la pièce elle-même est la synthèse du « merveilleux » de Peer Gynt,
du réalisme des drames bourgeois qui ont suivi, au service d’une aspiration nouvelle.
Solness déplie peu à peu, au fil des trois actes, sa perception d’un monde peuplé de Trolls,
de diables, d’esprits invisibles, qu’il aurait le pouvoir de guider, pour sa propre gloire et pour
le malheur de son entourage. Une théorie Faustienne à laquelle les évènements passés,
mais aussi les attitudes sur le moment, et jusqu’aux entrées en scène magiquement
« reliées » à la discussion en cours, semblent donner raison. Sa femme Aline pleure la
disparition de ses poupées, figures énigmatiques, voire effrayantes, qui semblent sorties
d’un conte d’Hoffman. Partout, le fantastique affleure sans que jamais le fil de la rationnalité
ne soit rompu. Partout, la présence d’un monde invisible, proche de l’inquiétante étrangeté
de Freud, menace de déborder la vie sociale et de tout faire basculer dans la folie.
Questions théologiques, politiques, psychanalytiques
Les personnages reviennent souvent à l’évocation d’une scène fondatrice : avant d’accéder
au succès en construisant des maisons, Solness est monté, en dépit de son vertige, au
sommet d’une tour d’église pour parler à Dieu. La scène est calquée sur la tentation du
Christ au sommet du temple, et on se demande : est-ce à Dieu qu’il a parlé comme il le dit,
ou est-ce le Diable ? Le succès est-il fruit du mérite, comme l’affirmaient les Protestants qui
fondèrent l’Amérique moderne et le capitalisme contemporain, ou fruit d’un pillage sans
scrupule des ressources ? Solness est rongé par une culpabilité que cachent mal les
idéologies de facade. Il incarne notre société bâtie sur l’exploitation, hier des colonies,
aujourd’hui d’ateliers qui fabriquent la mode et la technologie dont nous sommes obsédés.
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Il y a aussi cette angoisse d’être détrôné par ce qu’Ibsen appelle un « drapeau nouveau ».
Quand j’ai monté un extrait de la pièce en 2005, je ressentais surtout l’actualité personnelle
et française de cette problématique de la place qu’on laisse ou non à la génération qui vient.
Auourd’hui, je sens que cette peur est planétaire. Elle se ressent par exemple vis-à-vis de l’
Asie « étrangère », « conquérante », qui ressemble à ce jeune Ragnar qui veut la place de
Solness, avec la spécificité, la richesse culturelle d’une force nouvelle – mais aussi, le désir
caricatural et désespérant d’imiter, de perpétuer le vieux modèle. L’angoisse de Solness
d’être submergé résonne, je crois, avec notre inconscient collectif, elle reflète l’expression
d’un début de lucidité, un dégrisement, un sentiment d’immense vanité couvé par toute
notre société occidentale, l’ivresse de la course s’essoufflant avec la course elle-même.
Je crois ainsi pouvoir expliquer mon attraction pour les auteurs de la fin du XIXe et le début
du XXe par certaines similitudes entre nos époques. Comme nous, Maeterlinck, Ibsen ou
Claudel ont vécu un temps matérialiste de « foi » en la rationnalité, le commerce, le progrès
technique. Et comme beaucoup d’entre nous, ils ont éprouvé en réaction le besoin d’une
esthétique du mystère humain, d’œuvres profondes, non simplifiables, non élucidables,
mais stratifiées, foisonnantes, contradictoires comme la vie même. Même s’il se défend de
toute lien avec le symbolisme de Maeterlinck, Ibsen donne à entendre un monde primordial
et silencieux que les spectacles trop explicites, trop bruyamment socio-politiques par
exemple, ont du mal à laisser émerger. La pièce échappe à tout interprétation réductrice et
didactique parce qu’elle n’est pas seulement une construction raisonnée, mais aussi une
empreinte de son âme, un feuilletage de lancinantes questions philosophiques, politiques,
théologiques, intimement, organiquement reliées en lui. C’est peut-être cela, une œuvre
symboliste ? Une œuvre qui produit des signes issus non de la raison, mais de l’intimité
psychique. Qui s’appuie sur les mythes, leur ouverture, leur polysémie, pour établir un
dialogue silencieux entre cette intimité de l’auteur celle de chaque spectateur.
L’ivresse, sans la foi
A la différence du cinéma commercial, qui exploite souvent les mythes selon une vision
platonicienne du bien et du mal, Ibsen ne donne tort à personne. On aime à la fois la vitalité
de Solness faisant table rase pour construire l’avenir, et l’attachement d’Aline au passé
détruit. On adhère à la figure libératoire de Hilde, rebelle à l’éducation moraliste, incarnation
débridée des désirs de Solness, même si on constate la destruction que provoque son élan.
Chacun va droit à l’échec et à la mort, mais suscite l’empathie, laissant là le spectateur
vacant, avec ses questions ouvertes. L’œuvre n’apporte pas de réponse morale, mais tente
un équilibre élevé et périlleux entre lucidité et vitalité ivre. Réapprendre à conjurer l’ennui, à
s’étonner, à s’engager, même si la foi est mourante, le doute béant. Il faut que tout soit
« terriblement excitant », comme le répète Hilde inlassablement. Une excitation perpétuelle
qui fait de Hilde l’incarnation même de la libido qui a porté Solness à ce sommet, et qui
aujourd’hui arrive à son épuisement. L’épuisement du désir qui a porté si longtemps la
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machine se constate au moment où la perte de sens devient intolérable : ne pouvons-nous
pas sentir à quel point aujourd’hui, cet épuisement, cette crise nous parle collectivement ?
Ibsen ne nous amène pas tout de suite à ce sentiment. Il commence par nous perdre. Nous
sommes d’abord pleins d’empathie pour le désir d’élévation du jeune Ragnar ou de pitié
pour le vieux Brovik mourant. Mais il faudra l’admettre au fil du spectacle : Brovik, Solness
et Ragnar sont identiques dans l’avidité, ils sont trois âges du même prédateur. Tous
associent leur bonheur au culte de l’argent, du pouvoir, et de leurs signes. Leur « vocation »
est un alibi. Seul Solness aura la lucidité d’avouer l’effrayante vanité de son existence.
Un dédale structurel
Fosse, Claudel et Maeterlinck constituent des défis formels qui entrent pour une grande part
dans mon appétit. Qu’en est-il du Ibsen de Solness ? Depuis la versification énergique,
lyrique, où il a excellé jusqu’à Brand et Peer Gynt, il a quitté le vers pour la prose rude du
drame bourgeois. Je vois dans ce choix la volonté de happer le spectateur au cœur d’une
illusion de réalisme, afin qu’il se retrouve, sans l’avoir vu venir, au sein d’un dédale de
signes fantastiques, inattendus, à peine visibles. C’est presque l’opposé de Claudel : ici, la
chair des mots s’efface au profit de la structure.
Le dédale est temporel : un passé aussi complexe qu’un sous-sol géologique, avec strates,
failles, énigmes ; un présent toujours imprévisible de la pensée en chemin, pleine de lapsus
monstrueux, d’hésitations (tirets, phrases non terminées ou reformulées), de dialogues
serrés aux réparties imprévisibles ; et enfin, toujours visible, la Mort comme futur immédiat.
Le dédale est aussi stylistique. A l’acte I, se dévoilent, en quelques pages : trois générations
qui s’entre-dévorent (Brovic, Solness, Ragnar), la comédie du pouvoir et du sexe (Solness
et Kaja sa comptable), l’introspection psychanalytique avec le docteur Erdal, et l’irruption de
Hilde, figure d’un passé trouble dont on ne saura jamais s’il est réel ou réécrit, venue ouvrir
la boîte de Pandore du souvenir. Il se conclut sur une nuit de rêves prémonitoires. L’acte II
est celui du dernier matin de la vie. Pendant les dernières heures de Brovic, se noue le
pacte Solness/Hilde. L’acte III alterne le déploiement du monde secret d’Aline, silencieux,
végétal, comme la Terre ancienne dévastée par les constructions des hommes, et
l’angoissante/excitante ascension de Solness jusqu’à sa chute aux dernières lignes.
Le vertige : faiblesse du fort, marque de l’usurpateur, expression de la culpabilité. De la
lucidité aussi : car on tombe dès l’instant où une pensée nous fait quitter des yeux la
chimère qu’on suivait depuis toujours. « Ainsi, il n’a pas pu », dit Ragnar. « Mais jusqu’au
sommet, il est allé », dit Hilde, qui l’a mené au dépassement de lui-même. A moins qu’elle
l’ait aidé à quitter par le haut ce monde qui ne voulait plus de lui. Ou bien, c’est encore autre
chose : elle était son Méphisto, elle était venue chercher son Faust.
Une fois Solness mort, vers qui, maintenant, va-t-elle se tourner ?
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Notes de mise en scène
Réalisme et fantastique
« L’architecture, c’est mon métier », a dit Ibsen. Il pense chaque œuvre à partir d’une
maison, maquette du lieu de l’action. Le drame est d’abord raconté par ces murs, meubles,
portes, fenêtres et leurs vues, par les déplacements et les rapports de position que tout cela
permet ou empêche. Puis il fait des coupes dans cette maquette, et ces « maisons de
poupées » deviennent les décors de chaque acte, décrits dans ses didascalies. On peut les
interpréter comme le souci d’un certain réalisme social. Mais lorsqu’on découvre, page
après page, comment le lieu façonne l’action et le dialogue, on en vient à le considérer
comme un champ de forces, un espace mental.
Notre espace respectera l’esprit de ces lieux et les rapports de forces, de lumière et de
perspectives qu’ils produisent. Ce sera un espace stratifié. Monde de Solness écrasant le
monde ancien, mais aussi, réalité sociale survolant un univers de Trolls souterrain, invisible,
magique. Confrontation, aussi, de deux expressions artistiques, celle de la maîtrise et celle
de l’inconscient – le constructivisme contre le surréalisme. Cette stratification guidera le jeu
des acteurs, dont le réalisme devra être « troué » de fantastique. Là aussi, il s’agit
simplement de suivre l’esprit d’Ibsen, qui « troue » constamment le réalisme en stylisant les
interactions spatiales et les déplacements, ou bien, en introduisant des ruptures – par
exemple les volte-face de Solness vers le lyrisme ou la trivialité, et aussi, les
immobilisations, les chutes soudaines de Hilde dans le sommeil.
Mouvement
Cette recherche formelle sera menée par une équipe, siège d’un grand-écart culturel, où de
grands acteurs –Jean-Marie Winling, Hubertus Biermann, Eléonore Joncquez – côtoieront
des jeunes artistes de la danse contemporaine, le groupe Shifts. Le travail extrêmement
sobre et conceptuel de Shifts peut permettre d’établir de nouvelles conventions de jeu, où la
danse se mêle au théâtre, sans étouffer les mots, ni le silence, ni l’immobilité. Malgven
Gerbes développe un langage alliant le geste signifiant à l’expression ténue d’états
intérieurs. Son travail est à mon sens très théâtral en ce qu’il est un art de la « présence »
plus que du « faire ». David Braunstätter, lui, se passionne pour la construction d’espaces
pour la danse, la manipulation d’objets, le déséquilibre, la maladresse. Ensemble nous
établirons une scénographie mouvante, faite d’objets issus des ruines du manoir brûlé
d’Aline Solness, et développant des allégories de construction, de verticalité et de chute,
dans le sillage circassion de Johann Leguillern, peut-être…
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Influences sonores
L’établissement d’un langage théâtral spécifique s’appuie aussi sur l’autre art d’Hubertus
Biermann, la contrebasse. Sa présence s’inscrit dans la continuité d’une démarche entamée
avec le percussionniste Edward Perraud, puis la joueuse de Qin Wu Na, et le saxophoniste
Li Zhen Hue, tous musiciens d’improvisation à la carrière internationale.
La musique d’improvisation diffère de la composition d’une musique d’ambiance. Elle ne
vise pas uniquement à entraîner le public dans une émotion que les acteurs ne
parviendraient pas à construire seuls. Elle établit un dialogue entre acteur et musicien,
parallèle à l’action. Traversé, modifié par les stimulations du musicien, l’acteur n’est plus
tout à fait maître de son jeu. Un jeu de forces invisibles devient alors perceptible au public.
Au-delà de leurs immenses différences, ce désir de faire affleurer l’invisible est commun à
Fosse, Claudel, Maeterlinck et Ibsen : la musique sur scène répond à ce désir commun.
Les Trolls
Hubertus, Marie-Laure, Malgven et David sont aussi les Trolls de Solness. Leur travail
corporel et sonore constitue la part diabolique de la forme, s’équilibrant avec le réalisme de
de l’action principale. Le même acteur, Hubertus, jouera deux rôles complémentaires, le
vieux Brovic et le docteur Erdal. Faire porter deux personnages à un même acteur est un
autre moyen de rendre palpable cette théorie d’hommes-enveloppes, habités par des Trolls.
Brovik meurt rapidement, mais sa présence musicale continuera d’accuser Solness, depuis
l’autre côté de la vie, jusqu’à sa fin. Avec sa fonction de pré-psychanalyste, Erdal est, tout
comme Brovic mort, un observateur en retrait, mais dont le regard pèse sur la conscience
de Solness. Il a aussi une complicité discrète avec Aline, et une façon trouble d’influer sur
les évènements, jusqu’à la chute de Solness – a-t-il voulu l’empêcher ou la favoriser ?
Dans le Canard Sauvage, le vieil Ekdal commente le suicide de sa petite fille : « la forêt se
venge… ». Le thème de la vengeance – vengeance des hommes, des lois, des éléments de
la nature – traverse toute l’œuvre d’Ibsen, jusqu’à Solness. Tout comme les diables de
Faust, les Trolls qui ont servi Solness deviennent les instruments de cette vengeance.
L’équipe
Jean-Christophe Blondel, metteur en scène
Après des études d'ingénieur, Jean-Christophe Blondel entre à l’Ecole Supérieure d’Art
Dramatique de la ville de Paris, Il est titulaire du Diplôme d'Etat d'Enseignement de la
pratique théâtrale et d'une licence professionnelle de management culturel (Paris X
Nanterre). Il a été dramaturge de Yoshi Oïda (Les Bonnes, danse-théâtre), et vidéaste de
Laurence Mayor (Chemin de Damas). Il monte Maeterlinck, Lagarce, Ibsen, Borgès,
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Bernhardt, Sorokine, Erasme, mais aussi des spectacles sans parole (Stravinsky). Sa
dernière production, Partage de Midi de Claudel, a été coproduite par le Ministère de la
Culture, l’ADAMI, le Jeune Théâtre National, ainsi que les principales tutelles (Région,
Département, ville de Rouen). Il mène de nombreux projets en Chine avec un réseau fidèle
d’institutions, d’entreprises et d’universités.
Jean-Marie Winling : Halvard Solness
Après des études de lettres classiques à la faculté des lettres de Montpellier et le
Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, où il rencontre Antoine Vitez, il
joue au théâtre d’abord, avec Mehmet Ulusoy, Claude Risac, Jacques Rosner, Jacques
Lassalle, Stuart Seide… Il met également en scène deux pièces de Pierre Macris aux
Amandiers. Il retrouve ensuite Antoine Vitez, qu’il assiste au Théâtre National de Chaillot, et
joue avec lui une dizaine de spectacles. Il crée l’École du Théâtre national de Chaillot.
Après une longue carrière de cinéma, Il revient au théâtre en 2001 pour jouer avec JeanPierre Vincent, Alain Françon, Éric Lacascade, Arthur Nauzyciel (Ordet), Stéphane
Braunsweig (Rosmersholm), Py (Adaggio), Martinelli (Ithaque)
Eléonore Joncquez : Hilde
Formée à Florent puis à l’école Claude Mathieu, Eléonore Joncquez entre au CNSAD et en
sort en 2007. Elle travaille au théâtre avec Jean-Luc Jeener, puis au Conservatoire avec
Wajdim Mouawouad, Vicent Pradal, Christophe Rauck, puis avec Côme de Bellescize,
David Géry, Denis Guénoun, Valérie Gral. Elle travaille aussi pour le cinéma (avec Denis
Guénoun, Sabrina Lemtail), la télévision (Arnaud Legoff, Gérard D’aujourd’hui) et pour la
radio – où elle collabore une première fois avec Jean-Marie Winling. Elle collabore en 2009
avec Jean-Christophe Blondel dans Partage de Midi (rôle de Ysé).
Hubertus Biermann : Brovik, Erdal, contrebasse
Allemand de la Rurh, d’abord rocker, il devient contrebassiste à 18 ans, étudie la
philosophie et la musique (instrument et composition). Il est musicien (jazz, musique
contemporaine ou improvisée, compositions pour le cinéma, la radio)… Acteur, avec entre
autres Bernard Bloch, Jean-Paul Wenzel, Jean-Marie Patte, Christophe Huysman, André
Engel, Noël Casale, Daniel Jeanneteau, Alain Olivier, Stéphane Olry, Patrick Sommier... Et
danseur avec Fabienne Compet, Olivia Grandville, Alain Michard, Loïc Touzé. En 2009 il
joue dans La contrebasse de Patrick Süskind, m.e.s Natascha Rudolf (2009). On le retrouve
en 2010 pour sa quatrième collaboration avec Noël Casale dans Reprise d'un triomphe
Marguerite Rousseau : Scénographie
Après être passée par les Beaux-Arts de Paris, puis l’ENSATT, elle travaille alors sur la
confection de masques auprès de Guerrino Lovato (Venise), Stefano Perocco (Théâtre du
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Centaure), Daniel Cendron (Opéra Bastille) et Cécile Kretschmar (Le Volcan, La Tempête).
En scénographie, elle assiste Jean-Marc Stehlé au Vieux-Colombier. Au théâtre, elle crée
des scénographies pour Aby M’baye, la Compagnie UNtm, Jean-Christophe Blondel (Le
Nom-J.Fosse, Le Brigand-R.Walser), Patrick Zuzalla et la Compagnie La Strada. Au
cinéma, elle travaille comme Seconde Assistante Décoratrice pour Julie Gavras (La Faute à
Fidel), Jacques Maillot (Les Liens du sang), Jean-Daniel Verhaeghe (L’Exécution,
L’Abolition), Pierre Trividic et Patrick Mario Bernard (L’Autre). Elle est Ensemblière pour Mia
Hansen-Love (Le Père de mes enfants, Un Amour de jeunesse) et Catherine Corsini.
Tormod Lindgren, costumes
Après l’ENS Des Arts Décoratifs – Oslo, puis le Central Saint Martin College of Art and
Design – Londres, Tormod Lindgren travaille depuis 10 ans comme scénographe,
costumier, vidéaste, graphiste et constructeur de marionnettes (théâtre et danse). En
France, il crée cent costumes pour les Palatins de Rameau (Montalvo / Hervieu, Châtelet).
En Norvège, il travaille avec Kjersti Alveberg et Emilia Adelöv (danse) et au National
Theatre Ibsen de Skien, au Black Box Theatre d’Oslo, au Grusomhetens teater et au
Théâtre National d’Oslo (théâtre). Tormod a eu le prix Hedda 2008 de scénographie,
pour le spectacle de danse « @lice ». Depuis, il travaille en Norvège et en France : en
théâtre avec Jörn Riegels Vimpel, Agder Teater, et Jean-Christophe Blondel, en danse,
avec Sylvain Groud et Hege Haagenrud, en opéra, " Fjeldfuglen " opéra de Ibsen (première
mondiale), mise en scéne Lars Øyno (Prix Edda 2009, ”évènement théâtral de l’année”)
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Pistes d’actions artistiques
Tout projet se co-construit avec les intervenants responsables de groupes concernés. Ce
que nous décrivons ici, ce sont des pistes issues de notre spectacle.
L’esprit de notre travail
La compagnie a commencé sa vie en Haute Normandie par une action artistique autour
d’Enrik Ibsen : pour Théâtre en Région 2005, le Conseil Régional nous a demandé de
monter une « petite forme », une scène d’une demi-heure sur l’auteur phare de ce festival,
pour la jouer à l’inauguration du festival, puis au sein même des lycées. L’objectif était de
relier les élèves à ce festival centré sur cet auteur, et de dialoguer avec les artistes.
Ce lien entre création et action artistique est peu à peu devenu l’identité de notre
compagnie. Nous avons travaillé auprès des scolaires, mais aussi de groupes de gens
éloignés des théâtres : résidents de maison de retraite (Culture à l’Hôpital), de centre de
détention (SPIP), habitants de quartiers excentrés (Hauts de Rouen, Grand Projet de Ville),
de personnes handicapées (non voyants en Chine, projet « Samedis du Possible » à
Rouen), amateurs passionnés (Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis).
Ce lien est étroit, parce que nous ne cédons rien sur l’exigence dans l’exploration des
textes, exigence qui fonde nos spectacles. Nous constatons qu’un plateau de débutants se
met en mouvement sur les mêmes bases qu’un plateau d’artistes de métier : il faut créer le
désir, s’inspirer des ressources de chacun, accepter l’inconnu.
Sur Ibsen, nous travaillons déjà avec une classe (première théâtre option lourde au
lycée Marie Curie, Vire). Nous savons comment et pourquoi les élèves adhèrent, en
salle et sur le plateau, avec notre travail et avec cet auteur :
-
Ils découvrent que « le passé nous parle du présent » (Vitez). Des liens forts entre une
œuvre ancienne et des problématiques contemporaines, politique ou/et intimes.
-
Les intervenants tissent les liens et les programme (français, histoire, économie,
philosophie) : Christèle Barbier (Dramaturge, agrégée de lettres classique), et Eric
Hamraoui (philosophe, directeur de la chaire de psycho-sociologie du travail au CNAM).
-
Les acteurs – et ici, de grands acteurs – offrent un moment de jeu proche, de dialogue.
Le metteur en scène anime un atelier au plus près du processus réel de répétition.
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Ce document n’est pas un projet figé, mais la base d’un dialogue avec chaque enseignant :
-
Une rapide présentation de l’œuvre et de son auteur,
-
Quelques pistes pédagogiques pour des interventions à ajouter à la petite forme,
-
pour ceux qui veulent aller plus loin, une lecture plus fouillée de l’œuvre qui donnera
d’autres possibilités de mise en relation entre cette création et le travail pédagogique.
Une scène en classe avant le spectacle
Dans chaque classe ou groupe de classe, une première intervention peut être menée avant
le spectacle, incluant le jeu d’un extrait du spectacle, en salle de classe : la scène
« fondatrice » Solness / Hilde de l’acte I par exemple, ou bien la scène Hilde/Aline à l’acte
III. La scène peut être suivie d’une présentation de la pièce et d’un échange élèves/artistes.
Cet extrait est l’occasion d’accéder, par la représentation, aux thèmes détaillés ensuite.
L’important est que les acteurs, par le jeu, puis par le témoignage et le dialogue, montrent
combien ces thèmes peuvent être concrets, au centre d’une vie artistique et citoyenne.
Thématiques littéraires et théâtrales
La thématique « texte et représentation », centrale dans le programme littéraire au lycée,
sera largement développée et nourrie de l’expérience des artistes, qui pourront expliquer le
processus de transposition du texte sur le plateau en termes de problèmes posés et de
solutions apportées. La diversité et la modernité des outils scéniques – jeu, danse, musique
d’improvisation – rendra cette question de la représentation particulièrement riche.
L’acteur est le bon médiateur pour montrer le lien entre littérature et société. Avec cette
pièce en particulier, on aborde le thème de l’écrivain engagé dans les grands débats de
société. Il est possible de partir de citations pour dresser un petit tableau politique d’Ibsen (à
la fois anarchiste, aristocrate, pourfendeur des injustices sociales). En s’appuyant sur
Solness puis en ouvrant sur d’autres œuvres d’Ibsen (un ennemi du Peuple, Peer Gynt), et
des auteurs proches (Strindberg), on peut montrer comment l’auteur s’engage par le propos
mais aussi par la forme. Voir comment le réalisme, ou le fantastique, ou la subjectivité du
symbolisme plus tard, font évoluer les pensées (citer et analyser des réactions violentes à
certaines œuvres, comme Les Revenants qui traite de la syphilis). L’élève peut réaliser, en
discutant avec l’équipe, que les problèmes de représentation posés par l’auteur nourrissent
l’engagement de ceux qui l’interprètent aujourd’hui.
Le thème de la réécriture est central en première L. Solness est une réécriture de Faust
(voir plus loin, « une lecture de l’œuvre »). On peut comparer, en atelier, différents Faust
(conte originel du Moyen-Age, Marlowe, Goethe) et ainsi explorer différentes formes de
théâtre, romantique, élisabéthain, réaliste, fantastique. On peut aussi faire un atelier
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d’écriture pour réécrire Faust : s’inspirer du dialogue de Faust avec Dieu pour écrire un
dialogue avec une personne absente ou silencieuse).
L’extrait joué en classe est une scène dite « de reconnaissance » : thématique qui permet
une exploration du théâtre à travers de nombreuses scènes, Sophocle (Electre et Oreste
dans Electre), Beaumarchais (Figaro et ses parents dans le Mariage de Figaro), Musset (On
ne badine pas avec l’amour), Maeterlinck (La Princesse Maleine)…
Lorsque la reconnaissance n’est que parcellaire, comme c’est le cas dans plusieurs des
scènes citées, le thème de l’identité et de son trouble apparaît, thèmes qu’on peut
développer en philosophie.
Thématiques philosophiques, historiques et économiques
La découverte de l’œuvre d’Ibsen peut permettre d’entrer dans le sujet du capitalisme au
XIXe siècle. Solness illustre le développement de nouvelles formes de commerce et
d’économie, où le produit en tant qu’objet n’est plus le centre de l’échange. On n’achète
plus seulement une maison, mais un objet d’art, et aussi, du bonheur. C’est le début du
marketing, de la fétichisation de la marchandise, mais aussi, de ce que Walter Benjamin dit
de l’art à l’ère de la reproductibilité – Walter Benjamin dont on peut aussi étudier le travail
sur Baudelaire et sur sa relation à la ville, à la société moderne.
Le cycle du progrès décrit dans la pièce par la confrontation de trois générations
d’entrepreneurs, peut ouvrir sur une critique du progrès (Hegel, Niezsche). Sur la question
de l’identité, Solness permet aussi d’aborder « l’Etre soi-même » de Kierkegaard. Le thème
de l’enfance et du ressouvenir, qui surgit dans la reconnaissance Solness-Hilde et dans les
souvenirs de Mme Solness, sont aussi chers à Kierkegaard et à Niezsche.
Relier constamment ces sujets à la pratique
L’extrait du spectacle joué en classe permet, en amont, d’ouvrir l’attention de l’élève sur
tous ces thèmes. Ensuite, il faut construire des ateliers qui creusent ces sujets en pratique.
Ces ateliers seront animés par deux intervenants : le metteur en scène Jean-Christophe
Blondel s’entourera soit de la dramaturge Christèle Barbier (agrégée de lettres classiques),
soit du philosophe Eric Hamraoui (directeur de la chaire de psycho sociologie du travail au
CNAM, à Paris), soit d’un des artistes de l’équipe, scénographe, acteur, musicien…
Peuvent être proposés :
-
Un atelier d’écriture théâtrale de deux heures autour du mythe de Faust. Nous
proposons des exercices à la fois thématiques et avec des contraintes formelles fortes,
permettant de produire d’abord de courts textes, puis des textes de plus en plus long
pour arriver à un rendu final d’écriture. Exemple de thème dérivé du mythe de Faust : le
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silence de Dieu, travail d’écriture sur le dialogue avec un personnage silencieux ou
absent, et son pendant, la voix tentatrice.
-
un atelier de mise en voix des scènes de théâtre qu’on choisira avec l’enseignant pour
développer tel ou tel thème. L’atelier, qui peut se dérouler sur une ou plusieurs
séances, peut rapprocher l’élève des conditions réelles de nos dialogues metteur en
scène/acteur : invention collective, place laissée à ce qui arrive par accident, utilisation
des particularités de chaque interprète, critique constructive, esprit ludique, stimulation
de l’imagination… Un tel travail est actuellement mené au lycée Marie Curie de Vire.
-
l’atelier de mise en voix peut aussi concerner des textes philosophique, dans l’idée de
« faire théâtre de tout » (Vitez). Un florilège de textes littéraires, philosophiques et
même jounalistiques peut faire un spectacle, comme nous en préparons actuellement
avec les amateurs au Théâtre Gérard Philipe CDN de Saint-Denis.
Anne Ubersfeld, à propos de notre
extrait Solness/Hilde
A propos de la maquette présentée à Rouen en décembre 2005
pour l’inauguration de Théâtre en Région, avec Marie-Laure Crochant,
Anne Alvaro et Géralrd Cesbron
Par-dessus l’abîme où règnent les spectateurs, il y a deux plates-formes qui sont la place
de chacun des héros.
Comment dire l’impossible ? Comment montrer les secrets des cœurs, cette qualité propre
aux dramaturges scandinaves, et particulièrement à Ibsen ? Comme faire entendre ce qu’on
ne peut vraiment ni dire, ni montrer, cet envers du visible ? Le visible est là, dans cette mise
en scène, c’est la matérialité de l’ingénieur Solness, et des morceaux de bois qu’il
assemble, la maquette qu’il manipule ; un morceau tombe, et ce n’est pas un hasard. En
face, c’est « l’enfance » du visage de la femme.
La distance infinie des positions, mais le parallélisme aussi des balcons sont l’image du
passé qui sépare, mais aussi d’un étrange accord.
Il y a plus à dire, et c’est le mouvement de la scène (ponctué par la voix grave de l’épouse –
Anne Alvaro), son évolution, superbe travail d’une incroyable précision que font les gestes,
face à face des deux comédiens (Gérald Cesbron, Marie-Laure Crochant) ; chez l’homme le
corps dit le refus de la mémoire et du sentiment ; mais sur le visage revient par degrés,
avec le souvenir, le sourire. Chez la femme, les pas dansés sur la plate-forme disent le
mouvement de la mémoire, du désir et de la demande. Et le travail de la voix dit, dans la
douceur, le conflit et sa progressive résolution.
On n’oubliera pas ce « moment ».
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Quelques extraits et citations
HILDE Le voilà sur les dernières marches! Tout en haut !
HERDAL Que personne ne bouge ! Vous entendez !
HILDE Enfin ! Enfin ! De nouveau je le vois, grand et libre !
RAGNAR (presque sans voix). Mais c'est de la HILDE Ainsi je le vois depuis dix ans. Comme il paraît sûr de lui ! Et pourtant, c'est
terriblement excitant. Regardez-le ! Il accroche la couronne à la flèche !
RAGNAR C'est comme si on regardait l'impossible.
HILDE C'est l'impossible, ce qu'il fait ! (Avec une expression étrange.) Vous voyez
quelqu'un d'autre avec lui, là-haut ?
RAGNAR Il n'y a personne d'autre.
HILDE Si, il y a quelqu'un avec qui il se dispute.
RAGNAR Vous vous trompez.
HILDE Et vous n'entendez pas les chants dans les airs non plus ?
RAGNAR Cela doit être le vent dans les arbres
« Nous sommes, affirmait-il, sur le point de découvrir un des plus importants secrets de la
nature, je veux dire, un des plus importants secrets sur cette terre ; car elle en a certes
d’autrements importants, là-bas, dans les étoiles. Depuis que l’homme pense, depuis qu’il
sait dire et écrire sa pensée, il se sent frôlé par un mystère impénétrable pour ses sens
grossiers et imparfaits, et il tâche de suppléer, par l’effort de son intelligence, à
l’impuissance de ses organes. Quand cette intelligence demeurait encore à l’état
rudimentaire, cette hantise des phénomènes invisibles a pris des formes banalement
effrayantes. De là sont nées les croyances populaires au surnaturel, les légendes des
esprits rôdeurs, des fées, des gnomes, des revenants, je dirai même la légende de Dieu,
car nos conceptions de l’ouvrier-créateur, de quelque religieon qu’elles nous viennent, sont
bien les inventions les plus médiocres, les plus stupides, les plus inacceptables sorties du
cerveau apeuré des créatures. Rien de plus vrai que cette parole de Voltaire : « Dieu a fait
l’homme à son image, mais l’homme le lui a bien rendu. »
« Mais, depuis un peu plus d’un siècle, on semble pressentir quelque chose de nouveau.
Messmer et quelques autres nous ont mis sur une voie inattendue, et nous sommes arrivés
vraiment, depuis quatre ou cinq ans surtout, à des résultats surprenants. »
« Voulez-vous que j’essaie de vous endormir, Madame » ?
Guy de Maupassant, le Horla
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Mme SOLNESS Non, non, mademoiselle Wangel, - ne me parlez
plus des deux petits garçons morts. Pour eux, nous devons nous
réjouir.
Car à présent, ils sont heureux, - si heureux. Non, dans la vie ce
sont les pertes négligeables qui nous brisent le coeur. Perdre tout
ce qui ne compte pas aux yeux des autres.
HILDE Chère madame Solness, - dites-moi ce que c'est !
Mme SOLNESS C'est comme je dis. Des petites choses. Tous les
vieux portraits ont brûlé. Et tous les vieux vêtements de soie. Ils
étaient dans la famille depuis toujours. Et les dentelles de mère et
de grand-mère, - elles ont brûlé aussi. Et puis, -les bijoux!... Et
toutes les poupées. Il ne faut pas rire de moi, mademoiselle
Wangel.
HILDE Je ne ris pas du tout.
Mme SOLNESS Elles étaient comme vivantes. Je les portais sous
mon coeur. Comme des enfants à naître.
(Hans Bellmer, Dolls)
L’éternel enfant – Nous croyons que les contes et les
jeux appartiennent à l’enfance. Quelle vue courte nous
avons ! Comment pourrions-nous vivre, à n’importe
quel âge de la vie, sans contes et sans jeux ! Il est vrai
que nous donnons d’autres noms à tout cela et que
nous l’envisageons autrement, mais c’est là
précisément une preuve que c’est la même chose ! –
car l’enfant, lui aussi, considère son jeu comme un
travail et le conte comme la vérité. La brièveté de la vie
devrait nous garder de la séparation pédante des âges – comme si chaque âge
apportait quelque chose de nouveau –, et ce serait l’affaire d’un poète de nous
montrer une fois l’homme qui, à deux cents ans d’âge, vivrait véritablement sans
contes et sans jeux.
NIETZSCHE, Opinions et sentences mêlées,
II est fastidieux de se laisser aller à la considération de ce progrès infini, parce qu’ici
la même chose se répète continuellement. Une limite est posée, elle est dépassée,
puis c’est à nouveau une limite, et ainsi de suite à l’infini. Nous n’avons donc ici rien
d’autre qu’une alternance superficielle qui reste toujours dans le fini. Si l’on
s'imagine se libérer du fini en s’engageant dans cette infinité-là, c’est là en réalité
seulement la libération de la fuite. Mais celui qui fuit n’est pas encore libre, car il est
dans la fuite encore conditionné par cela même devant quoi il fuit.
HEGEL, La Science de la Logique, 1830
« L’enfance est certainement plus grande que la réalité. »
G. BACHELARD, La poétique de l’espace, 1957
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