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La diplomatie au XVIIème siècle
Parce que le XVIIème siècle fut un temps de guerres, ce fut aussi celui d'intenses négociations
dans l'ensemble de l'Europe.
I. Les souverains entre eux
1. La volonté politique
Les États étant pour la plupart des monarchies héréditaires, les décisions en matière
internationale étaient prises au nom du souverain. Elles étaient élaborées par les princes,
lorsqu'ils en avaient la volonté et les capacités, avec l'aide d' un nombre restreint de ministres
et de conseillers car le secret faisait partie du jeu diplomatique. Par-là, ces ministres avaient
un rôle prépondérant : en Espagne, le favori ou valido l'emportait sur le Conseil d'État, ainsi le
duc de Lerma sous Philippe III, ou Olivarès sous Philippe IV. En France, les cardinaux
premiers ministres définirent la politique extérieure sous Louis XIII, et Louis XIV jusqu'en
1661 : Mazarin continua la politique de Richelieu. Ensuite Louis XIV prit ses décisions
après avoir consulté le conseil d'en haut. Le domaine des affaires étrangères était confié à un
secrétaire d'État qui lisait au roi les dépêches des agents à l'étranger et préparait les réponses.
Les titulaires de ce département furent peu nombreux sous Louis XIV : Loménie de Brienne,
Hugues de Lionne, Arnauld de Pomponne, Colbert de Croissy, de nouveau Arnauld de
Pomponne, enfin Colbert de Torcy. Au début du règne, le secrétaire d'Etat à la Guerre,
Louvois, le maréchal de Turenne, et le contrôleur général des finances, Colbert, donnèrent
aussi leur avis et proposèrent parfois à Louis XIV des politiques alternatives voire
contradictoires (Paul Sonnino). A la fin du règne, le contrôleur néral et secrétaire d'Etat à la
Guerre, Chamillart,n'hésitait pas à intervenir dans les négociations dont le responsable était
Colbert de Torcy (John C. Rule).
A Vienne, Léopold Ier, à partir de 1665, remplaça le poste de premier ministre par la
conférence secrète (Jean Bérenger) . Pour les affaires extérieures et le choix des diplomates,
une petite guerre était engagée entre la Chancellerie d'Empire (Reichshofkanzlei) -le
Chancelier était l'Electeur de Mayence et seul le vice-chancelier était à Vienne- et la
Chancellerie autrichienne (Hofkanzlei) créée en 1620. Le président du conseil de guerre avait
aussi à s'occuper des relations avec les Turcs, mais lorsqu'il s'agissait d'une personnalité
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comme le prince Eugène de Savoie, son rôle était grand dans les choix politiques. Ainsi, au
temps de Joseph Ier, ce fut l'ami d'Eugène, Wratislaw von Mitrowitz, chancelier de Bohême,
qui définit la politique étrangère. En Angleterre, deux Secrétaires d'Etat se partageaient la
routine des affaires étrangères, l'un pour le Nord, l'autre pour le Sud. Le souverain avait dans
ses prérogatives la conduite de la politique extérieure mais il avait à tenir compte de l'opinion
du Parlement qui décidait de l'impôt. Guillaume III sut non sans mal imposer ses vues à partir
de 1688 et après sa mort sa politique fut poursuivie par le Grand Trésorier Godolphin et son
allié, le commandant en chef des armées anglaises, le duc de Marlborough, avec le soutien des
Whigs, jusqu'au triomphe des Tories en 1710. Mais l'Acte d'Etablissement de 1701 décida
qu'après Guillaume et sa belle-soeur Anne, le souverain ne pourrait plus s'engager dans un
conflit extérieur sans le consentement du Parlement. Dans les Provinces-Unies, les Etats
Généraux décidait en dernier ressort de la politique étrangère qui était examinée par le Comi
des Affaires secrètes et la correspondance diplomatique passait par les mains du greffier des
Etats généraux, mais le personnage clef était le Grand Pensionnaire de Hollande - Johan de
Witt perdit la vie lorsque Louis XIV se lança contre les Provinces-Unies, Anthonie Heinsius
fut le collaborateur dévoué et le continuateur de Guillaume III, stathouder et roi d'Angleterre.
Mais les députés des Etats-généraux devaient faire leur rapport aux instances provinciales
pour les grandes décisions, comme la guerre et la paix.
Derrière les ministres, une bureaucratie se mit en place au cours du XVIIe siècle avec des
commis, des secrétaires, des interprètes, des spécialistes du chiffre : les premiers commis en
France, les under secretaries à Londres,les Referendare à Vienne. Si les missions de prestige
leur étaient fermées en raison de leur origine sociale (bourgeoisie ou petite noblesse), ils
pouvaient être employés dans des négociations officieuses ou au cours de congrès comme
plénipotentiaires, voire s'élever dans la hiérarchie gouvernementale. Les juristes étaient
nombreux dans les négociations en Allemagne.
Colbert de Torcy s'efforça, pour la France, de conserver et de classer les documents
ayant trait aux pays étrangers, constituant des archives spécialisées, comme une mémoire de
l'Etat, et il recommanda aux postes importants comme Rome d'en faire autant. Le département
des affaires étrangères s'attacha aussi des écrivains chargés de défendre la politique française
(l'académicien La Chapelle, l'abbé Legrand, l'abbé du Bos). Mais de tels propagandistes
existaient aussi auprès des autres gouvernements : Lisola ou Leibniz pour l'Empereur, Swift et
Defoe à Londres.
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Lorsque le futur cardinal Dubois s'imposa au Régent et devint Secrétaire d'Etat aux affaires
étrangères, il s'appuya sur une équipe d'experts : Saint-Prest, garde des archives, Godefroy, le
généalogiste Clérembault, le polémiste Legrand, De l'Isle, premier géographe du roi...
2. Les rapports entre souverains
Les monarques ne se rencontrèrent plus guère au XVIIe siècle ce qui renforça le rôle et l'éclat
de leurs représentants. La guerre de Trente Ans favorisa encore quelques négociations
directes, surtout entre princes allemands , ainsi Jean-Georges de Saxe et Georges-Guillaume
de Brandebourg en 1630 à Annaburg puis à Zabeltitz. Louis XIII et Charles-Emmanuel de
Savoie se rencontrèrent en Avignon en 1622, Christian IV de Danemark et Gustave-Adolphe
de Suède en 1629 à Ulfsbäck. De telles cérémonies devinrent rares. Louis XIV vit encore
son futur beau-père Philippe IV sur l'île des Faisans, mais au cours de son règne il ne
rencontra guère que des princes en exil, Jacques II Stuart, chassé par la Révolution anglaise de
1688, ou les deux Electeurs, de Cologne et de Bavière, bannis de l'Empire pendant la guerre
de Succession d'Espagne. Le tzar de Russie, Pierre, fit deux grands voyages en Europe et
multiplia au contraire, lors de son second périple, les rencontres avec ses "collègues"
monarques, selon l'expression de Ragnhild Hatton. Un cas particulier doit être signalé.
Comme Charles II d'Angleterre ne faisait pas confiance à l'ambassadeur français à Londres,
Colbert de Croissy, il demanda que sa soeur, Henriette d'Angleterre, belle-soeur de Louis XIV
fût chargée de négocier le rapprochement entre la France et l'Angleterre ( traité de Douvres,
1er juin 1670). Un traité secret était ainsi dissimulé par une visite familiale.
L'idée s'était donc imposée qu'un souverain ne devait pas quitter son territoire, à moins
qu'il entreprît quelque guerre (que l'on songe aux périples de Gustave-Adolphe et de Charles
XII de Suède) ou qu'il fût contraint à l'exil. Des princes voyagèrent pourtant, simplement
parce que leurs territoires étaient dispersés : Guillaume III entre Londres et La Haye,
l'Electeur de Saxe, devenu Auguste, roi de Pologne, entre Varsovie et Dresde. Le Grand
Electeur Frédéric-Guillaume de Brandebourg imposa sa présence dans ses domaines
dispersés, aussi bien à Berlin qu'à Clèves ou à Königsberg.
En cas d'urgence, les ministres n'hésitaient pas à se mettre sur la route. Le chancelier de
Suède, Axel Oxenstierna,vint en France au printemps 1635 pour négocier directement avec
Louis XIII et Richelieu (traité de Compiègne, le 28 avril). Une fois la négociation bien
avancée entre la France et l'Espagne, et le mariage de Louis XIV avec l'Infante Marie-Thérèse
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accepté, le traité des Pyrénées fut discuté directement par Mazarin et Luis de Haro, sur la
Bidassoa, à égale distance d'Hendaye et de Fontarrabie. De même, au pire moment de la
guerre de succession d'Espagne, Louis XIV envoya son ministre Torcy à La Haye pour
discuter avec le Grand Pensionnaire Heinsius, mais la rudesse des préliminaires conduisit à
l'échec. En 1712, le Secrétaire d'Etat anglais, Henry Saint-John, devenu vicomte Bolingbroke,
se rendit en France pour accélérer la négociation franco-anglaise. Il eut des discussions en tête
à tête avec le marquis de Torcy pour régler les questions difficiles, mais il fut reçu avec
distinction par Louis XIV et fêté par la société parisienne. Il ne tarda pas à revenir en France,
cette fois comme exilé. Notons que Marlborough de son propre chef décida d'aller rencontrer
Charles XII de Suède en 1707 à Altranstädt alors que ce souverain s'était installé en Saxe : il
s'agissait de l'écarter de l'empire et de la guerre occidentale et de l'encourager à s'engager
contre la Russie - ce fut sa perte.
II. Le négociateur
1. Les réseaux diplomatiques
Les puissances européennes avaient donc recours de plus en plus à des représentants
permanents. Cette permanence était encore une nouveauté au XVIIe siècle. En novembre
1661, Louis XIV avait pour l'Italie des ambassadeurs à Rome, à Venise, à Turin; des résidents
à Florence, à Gênes et à Raguse; pour la Suisse, un ambassadeur permanent qui résidait à
Soleure; dans le Saint-Empire, simplement un résident auprès de la Diète, mais aussi en
Bavière, en Saxe, en Hesse-Cassel, à Hambourg et même à Strasbourg. A Vienne, il n'existait
qu'un poste de résident car on aurait fait passer l'ambassadeur de France après celui
d'Espagne, et à cette date le poste n'était pas occupé. Des ambassadeurs étaient prévus à La
Haye, à Londres, à Madrid, à Lisbonne, au Danemark, en Suède, en Pologne et à
Constantinople. C'est sans doute l'une des diplomaties les plus présentes du temps. Les
puissances européennes n'avaient pas forcément les moyens d'entretenir de tels réseaux : en
1662, le personnel étranger comportait le nonce, un ambassadeur extraordinaire d'Espagne, un
autre de Danemark, un autre de Savoie, des ambassadeurs ordinaires pour Venise, la Hollande
et Malte. Mais s'y ajoutaient des "ministres du second ordre" qui représentaient des princes,
des villes, italiens ou allemands (C.G. Picavet).
Une hiérarchie existait entre les "diplomates" (ce terme générique n'était pas alors utilisé) qui
correspondait à la hiérarchie théorique des souverains en Europe . Le diplomate officiel
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n'avait pas le même "caractère" - ambassadeur, envoyé ou résident - selon l'importance du
souverain ou de la république auprès duquel il serait accrédité, selon le dessein politique
aussi, selon son origine sociale enfin. Si la mission était temporaire, elle était qualifiée d'
"extraordinaire". Le "caractère" était précisé dans la lettre de créance qui authentifiait la
mission et qui serait présentée au souverain ou aux institutions souveraines à l' étranger.
L'envoyé était alors protégé par le "droit des gens" qui lui assurait des immunités. Il ne
pouvait être arrêté : un envoyé russe, ainsi emprisonné à Londres parce qu'il y avait fait des
dettes, faillit conduire Pierre le Grand dans le camp de la France (juillet 1708) : la reine Anne
et le Parlement durent prendre une loi qui préservait les "privilèges des ambassadeurs et autres
ministres publics des princes étrangers" et même de leurs domestiques, et une ambassade
d'excuses fut envoyée auprès du czar. Néanmoins, les ambassadeurs n'étaient pas toujours
protégés contre les mouvements de foule : après la fuite de Jacques II Stuart, en décembre
1688,des Londoniens mirent le feu aux chapelles des ambassadeurs catholiques. Dans des
pays au pouvoir faible, comme à Rome ou à Madrid, ces immunités suscitaient autour de la
maison de l'ambassadeur des quartiers règnait l'impunité, mais ces scandales finirent par
disparaître à la fin du siècle. Dans ses voyages, l'ambassadeur était protégé par son statut
même; mais pour traverser des territoires contrôlés par des ennemis, il prenait la précaution
d'obtenir un passeport. L'octroi de tels saufs-conduits devenait un véritable chantage
diplomatique : les Français qui partaient pour Nimègue attendirent longtemps les leurs, et
Mesnager, négociateur officieux, n'en obtint pas en 1709. Sans doute parce qu'il n'avait pas
de "caractère" officiel, le prince Guillaume de Fürstenberg fut enlevé lors de la conférence de
Cologne en 1674 par des Impériaux et l'Empereur aurait engagé son procès si le prisonnier
n'avait pas été protégé par son statut de prêtre et par le Saint-Siège.
Lorsque la négociation primait sur la représentation, l'agent n'avait pas forment de caractère
officiel, même s'il avait des "pleins pouvoirs" pour signer un accord - il était ministre
plénipotentiaire. En 1711, Torcy crut sur parole l'abbé Gaultier qui lui proposait la paix de la
part du gouvernement anglais et le poète Prior ne fut envoyé en France qu'avec un simple
billet d'une seule phrase signé de la reine Anne.
Une organisation permanente de négociateurs coûtait cher et elle se disloquait en
partie dès qu'un conflit éclatait. Mais l'influence politique d'un souverain ou d'un Etat se
marquait d'abord par cette présence diplomatique et, en retour, ces réseaux étaient d'autant
plus efficaces que la puissance du pays en question était impressionnante -forces armées,
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