L`obtention du spectre et la calibration

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L’astronomie amateur scientifique : exemple en spectroscopie
L’astronomie a de multiples visages. On dit qu’elle est la plus ancienne des sciences, il
faudrait rajouter qu’elle est aussi la plus complète des sciences. En effet, l’astronomie est un point de
convergence de tous les domaines de la science : la physique, bien évidemment, qu’elle soit
microscopique ou macroscopique, la biologie par le biais de l’exobiologie, la géophysique par l’étude
des roches et des planètes, la chimie via l’astrochimie et la planétologie, etc… Mais l’astronomie est
aussi un art. L’art de la mythologie, l’art du repérage des objets dans le ciel, sans oublier l’art de
l’astrophotographie et de l’astro-dessin. A l’heure d’aujourd’hui où le numérique permet de
repousser toujours plus loin les limites astronomiques de cet art, les astronomes amateurs auraient
tendance à en oublier les fondements de leur passion : une fabuleuse science. Cet article a pour but
de montrer qu’il est facile de faire de la science expérimentale quand on est astronome amateur.
Voici un petit exemple d’une expérience de spectroscopie optique effectuée avec de très modestes
moyens.
Le matériel
La spectroscopie optique nécessite avant tout de décomposer la lumière à la manière d’un
arc-en-ciel. Pour se faire, il est possible d’utiliser un prisme et/ou un réseau (grille espacée d’une
distance de l’ordre de 1µm). Il existe depuis peu une entreprise française (Shelyak Instruments) qui
fabrique des réseaux de basse résolution à prix très raisonnable. C’est donc avec un Star Analyser 100
(pour 100 traits/mm) que cette petite expérience de spectroscopie a pu être réalisée. Ce petit réseau
au coulant 31,75mm s’adapte sur tous les télescopes à la place d’un filtre devant un oculaire, devant
une webcam, un appareil photo numérique (APN) ou encore mieux, une caméra CCD. L’expérience
présentée ici a été imagée avec une caméra CCD Audine équipant un télescope du type SchmidtCassegrain très modeste (Critérion 203mm) motorisé (par une EQ6). Il est possible de faire le même
genre d’expérience, quel que soit l’instrument, même sans suivi. Il suffit donc juste d’avoir un
télescope, un imageur (webcam, APN, CCD, …) et un réseau ou un prisme. Il faut insérer le réseau ou
le prisme entre le télescope et l’imageur avec une distance au capteur (en mm) entre 4 et 10 fois la
taille du pixel (en µm) afin d’avoir une résolution optimale ; dans le cas des APN il est préférable
d’orienter le spectre dans le sens des pixels afin de s’affranchir des problèmes dus à la matrice de
Bayer (pixels Rouge – Vert – Bleu – Vert – Rouge – …).
La prise d’image
Dans un premier temps, il est conseillé de faire des premières expériences sur des étoiles
bien brillantes ce qui facilite déjà grandement le pointage, même sans système GoTo. Le Star
Analyzer 100 est blazé à l’ordre 1, c’est-à-dire que la majorité de la lumière est dirigée vers le spectre
à l’ordre +1 et non pas vers l’image à l’ordre 0. Lors de la prise de photo, il faut donc faire attention à
bien avoir l’ordre +1 et pas l’ordre -1, beaucoup moins lumineux. Pour des raisons de résolution, il
faut essayer autant que possible d’avoir un spectre le plus large possible tout en gardant l’image à
l’ordre 0 dans le champ de la photo. Pour cela, il existe des petites bagues allonges qui permettent
d’ajuster cela de manière optimale. La mise au point est également cruciale, meilleure est la mise au
point, meilleure sera la résolution du spectre, cependant, contrairement à l’astrophotographie, le
suivi n’est absolument pas nécessaire, au contraire. En effet, il est préférable de tourner le réseau ou
le prisme de sorte que le spectre s’étale perpendiculairement au déplacement naturel du ciel (le
spectre doit donc s’étaler le long de l’axe de la déclinaison pour les montures équatoriales). En effet,
afin d’avoir de meilleurs résultats, il est recommandé d’étaler le spectre dans le but ultérieur de le
moyenner. Voici un exemple d’une telle prise de vue sur l’étoile Antarès qui est une super géanterouge dans la constellation du Scorpion :
Figure 1 : image brute étalée d'Antarès (à droite) et de son spectre (à gauche)
Nous voyons ici sur cette image brute de nombreuses raies d’absorption (bandes sombres) qu’il va
falloir maintenant analyser.
Le traitement de l’image
Comme pour toute image astronomique, le premier traitement à effectuer est de soustraire
le dark et l’offset mais aussi de diviser par le flat-field afin de calibrer le contraste de l’image. Le
traitement des images spectrales consiste essentiellement à redresser le spectre et à aligner les raies.
Le logiciel de traitement d’image Iris permet de faire ce traitement grâce, notamment aux fonctions
« rot » (rotation de l’image), « slant » (redresse l’image), « trail » (aligne les raies), « l_sky3 » (permet
de mettre le fond du ciel en noir, y compris sous les raies) et finalement la fonction « l_opt »
(moyenne verticalement l’image). Une fois le traitement réalisé, voici ce que l’on obtient de l’image
initiale du spectre d’Antarès (inversé afin de mettre le spectre selon des longueurs d’onde
croissantes) :
Figure 2 : image traitée d'Antarès (à gauche) et de son spectre (à droite)
L’obtention du spectre et la calibration
Arrivé à l’image ci-dessus, le spectre n’est plus loin. Le logiciel de spectroscope VisualSpec est
un exemple de ce qui est utilisé pour réaliser et calibrer les spectres. Une fois l’image ci-dessus
importée dans le logiciel, il suffit juste de sommer toutes les pixels verticaux de l’image afin d’obtenir
le spectre (à une normalisation près). Seul problème c’est que ce spectre ainsi obtenu n’est pas
calibré en longueur d’onde, mais en pixels. Il faut donc mesurer/calculer la dispersion du dispositif
(qui va dépendre de la distance entre le réseau et le capteur mais aussi de la taille des photosites du
capteur). Pour ce faire, il existe plusieurs solutions : soit on utilise une lumière à vapeur de sodium
(par exemple une lumière de rue) afin d’obtenir cette dispersion, soit on utilise une étoile de type
spectral A ou B dont les raies de l’hydrogène sont très facilement repérables. Grâce au logiciel
VisualSpec, il est conseillé de calibrer le spectre avec l’ordre 0 (l’image « normale » de l’astre) à 0nm
et la raie Hβ (486,133 nm) et/ou la raie Hα (656,281 nm). Ainsi la dispersion du dispositif est connue
et peut être appliquée à tous les autres spectres, qui ont été faits dans les mêmes conditions,
directement à partir de l’ordre 0.
Correction de la réponse spectrale du dispositif expérimental
Les caméras CCD, les webcams, les APN (l’œil également) ont l’inconvénient de ne pas avoir
la même sensibilité dans toutes les longueurs d’onde ce qui n’est pas trop grave en
astrophotographie mais qui est très problématique en spectroscopie. Pour cela, il existe une nouvelle
fois, plusieurs méthodes. La première consiste à obtenir le spectre d’une lampe à incandescence (au
tungstène par exemple) dont le rayonnement est très proche de celui d’un corps noir chauffé à la
température d’environ 2900K. En faisant le rapport entre le spectre obtenu de la lampe et le corps
noir, il est possible de déduire la réponse spectrale. Cependant, pour avoir un résultat optimal, il faut
que l’ampoule à incandescence soit suffisamment loin pour être considérée comme ponctuelle. Ainsi,
une seconde méthode moins rigoureuse est parfois plus pratique. Il s’agit de prendre le spectre
d’une étoile considérée comme référence de type spectral bien connu. De préférence, choisir une
étoile très chaude comportant donc le moins de raies visibles possibles. Une fois le spectre brut de
l’étoile de référence obtenu, il est possible d’importer avec le logiciel VisualSpec le spectre théorique
d’une étoile correspondante à un certain type spectral. Ainsi, en faisant le rapport entre les deux
spectres (théorique et brut), il en ressort la réponse spectrale instrumentale (télescope + imageur).
Voici un exemple des spectres théorique et expérimental de l’étoile Altaïr de la constellation de
l’Aigle :
Figure 3 : spectre théorique et expérimental d'Altaïr
Le spectre final s’obtient en divisant le spectre calibré en longueur d’onde par la réponse spectrale
instrumentale.
Détermination de la température de l’étoile
Une des applications la plus simple de la spectroscopie est de pouvoir déterminer la
température de l’étoile. Pour ce faire, il suffit d’approximer le rayonnement de l’étoile comme un
corps noir et de chercher pour quelle température la courbe théorique du corps noir ajuste au mieux
le spectre. Dans le cas précédemment présenté, le spectre d’Antarès a été soigneusement calibré et
corrigé de la réponse spectrale. Puis, ce spectre a été ajusté par une courbe de rayonnement d’un
corps noir (courbe de Planck : fonctionnalité disponible dans VisualSpec) de température 3200K.
Dans la littérature, la température communément mesurée pour cette géante est plus proche des
3400 – 3500K. Cette méthode de détermination de la température est donc assez bonne, contenu de
l’incertitude sur la température de la courbe de Planck. Cependant cette méthode est limitée par la
présence de raies d’absorption ou d’émission qui peuvent modifier l’allure générale du spectre sans
pour cela changer la température de l’étoile. En réalité, il faudrait également tenir compte de
l’absorption atmosphérique (qui dépend de la hauteur de l’étoile au-dessus de l’horizon au moment
de la prise de vue) qui ne sera pas constante sur toutes les longueurs d’onde (ex : diffusion Rayleigh).
Figure 4 : spectre d'Antarès et courbe de Planck à 3200K
A partir de ce spectre, il serait également possible de déterminer les composantes chimiques de
l’atmosphère d’Antarès. Cependant, il faudrait effectuer une calibration beaucoup plus précise qui ne
serait possible qu’avec un spectre de plus haute résolution. La première solution serait d’éloigner le
réseau du capteur, la seconde serait d’utiliser un réseau de plus haute résolution (plus de traits/mm)
et de placer une fente fine (dont la taille est de quelques µm) qui permettrait d’augmenter la
résolution du spectre et donc d’obtenir par la suite beaucoup plus d’informations sur l’étoile (vitesse
de déplacement de l’étoile, vitesse de rotation de l’étoile, type spectral, température plus précise,
voire même faire de la recherche d’exoplanète par vélocimétrie).
Autre application possible
Les réseaux de type Star Analyser 100 peuvent également être utilisés autrement que pour
faire de la spectroscopie stellaire. En imageant Saturne et ses anneaux par exemple, il est facilement
observable une différence de composition chimique entre les deux. Il est aussi possible d’utiliser le
réseau sur des nébuleuses planétaires comme par exemple la nébuleuse de la Lyre (M57) :
Figure 5 : Spectre de la nébuleuse de la Lyre au Star Analyser 100. Composition de 20 images de 15s chacune. A droite, il
s’agit de l’ordre 0 (nébuleuse normale), au milieu il s’agit de la nébuleuse de la Lyre en 0III, à droite, la nébuleuse de la
Lyre en Hα.
Comme le spectre de la nébuleuse de la Lyre ne montre pas un spectre continu mais présente
seulement deux raies d’émission (par réflexion d’une étoile située derrière en fait) : la raie de l’OIII et
la raie de Hα. Cela implique donc que cette nébuleuse est constituée d’hydrogène (ce qui n’a rien
d’étonnant) et d’oxygène issu très certainement de la nucléosynthèse de l’étoile qui a donné cette
nébuleuse.
Alexandre Santerne
Étudiant en Astrophysique – Animateur Scientifique
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