Concours Agrégation Interne EPS Session 1997 Epreuve n°2 Note : 15/20 L’autonomie et le risque sont souvent deux des caractéristiques des nouvelles pratiques sportives, qui s’effectuent de plus en plus dans des espaces informels et sans encadrement. Une récente enquête du CREDOC(1995) montre que les deux tiers des pratiquants sur 68% des français qui déclarent faire du sport, le font hors des institutions. Le ski hors piste, le parapente, la plongée sous marine, l’escalade, ou même les ascensions en haute montagne, qui ont fait plusieurs morts cet été, sont quelques illustrations de ces pratiques. Face à cette évolution des loisirs sportifs, mais aussi face à la mouvance du contexte social, économique et culturel, l’école, et à travers elle, l’éducation physique et sportive(EPS) ont dû s’adapter pour continuer à former des citoyens en adéquation avec les exigences de la société. La recherche d’autonomie et la maîtrise du risque, c’est à dire la sécurité, sont clairement ,formalisés dans les instructions officielles(IO) depuis 1985, au collège comme au lycée. Les dernières instructions pour les 6° précisent que c’est en faisant vivre aux élèves des expériences individuelles et collectives que « l’EPS participe de façon spécifique à l’éducation à la santé, à la sécurité, à la solidarité, à la responsabilité et à l’autonomie. »( Bulletin officiel du 18.07.1996.) Si l’enjeu d’un tel objectif, de part le contexte culturel actuel, paraît évident, il n’en est pas de même en ce qui concerne sa réalisation. En effet, PIERON définit l’autonomie comme « le comportement d’un individu qui n’obéit qu’aux lois qu’il s’est donné lui même ou aux lois dont il a compris et accepté la valeur »(1979 dictionnaire de psychologie). Se pose alors la question de savoir comment l’enseignant peut amener l’élève à devenir autonome à travers des situations d’apprentissage qui sont, par définition contraignantes ? A quelles conditions le peut-il et jusqu’où sa responsabilité d’enseignant lui permet-elle d’aller ? En effet, concilier recherche d’autonomie de l’élève et maîtrise du risque de la part de l’enseignant peut paraître difficile du point de vue de l’intégrité corporelle des élèves. Mais la maîtrise du risque ne concerne-t-elle que l’enseignant ? Si on se place du coté de l’élève et de son éducation à la sécurité, y a t-il opposition entre maîtrise du risque et recherche d’autonomie ? Comment l’enseignant peut-il prendre en compte ces deux notions par rapport à sa responsabilité civile et pénale d’une part, et à sa responsabilité de professionnel de l’apprentissage de l’autre ? Bref, de quels risques parle-t-on ? Nous définirons le risque comme le dépassement de ses ressources physiques, psychologiques ou affectives. Prendre un risque revient alors à s’engager dans une situation dont on ne maîtrise pas l’issue et à mettre en danger son intégrité physique, ou aussi son image de soi. « Le risque peut par conséquence être physique, mental ou social. »(EP guide de l’enseignant . Revue EPS 1996.). Selon M. COLLARD (« Le risque ludosportif »1994), il dépend à la fois d’un processus stochastique, déterminé par l’habilité motrice, l’incertitude de l’environnement et la présence de partenaire ou d’adversaire, et d’un enjeu qui peut être corporel, compétitif ou les deux.. A la lumière de ces deux définitions, il apparaît que le risque a des causes diverses et une nature variée. Dans cette même optique JP FAMOSE(90) distingue le risque objectif et le risque subjectif. Au regard de cette définition, nous pensons que la recherche d’autonomie de l’élève et la maîtrise du risque, par l’enseignant ou par l’élève, ne sont pas incompatibles, bien au contraire : l’autonomie passe bien souvent par une maîtrise du risque et une gestion de sa sécurité. Autrement dit, nous défendrons l’idée selon laquelle c’est par une éducation à la maîtrise des risques que l’enseignant d’EPS amènera l’élève vers plus d’autonomie à 17/04/2017 1 condition d’ajuster à l’activité physique, sportive et artistique(APSA) choisie et à la nature du risque encouru et visé, des mises en oeuvres didactiques et pédagogiques afin de réduire au maximum tout risque objectif, tout en maintenant le risque subjectif, ou risque perçu, à un niveau optimal. Pour étayer notre propos nous analyserons quels choix l’enseignant peut réaliser au niveau du projet de classe et du choix des APS pour amener les élèves vers plus d’autonomie et de maîtrise des risques, sans pour autant mettre leur intégrité corporelle en jeu. Nous étudierons ensuite quelles tâches et quelles modalités d’évaluation paraissent les mieux adaptées pour répondre à ces deux objectifs, avant de nous intéresser aux mises en oeuvres pédagogiques possibles, permettant de répondre aux problèmes particuliers des élèves et de la gestion de la classe dans un souci d’autonomie, de responsabilité et de sécurité. Si on se place dans un objectif de recherche d’autonomie des élèves, c’est que l’on cherche à leur donner les moyens d’agir ensuite par eux-mêmes. Cela suppose donc l’acquisition d’un certain nombre de connaissances par rapport à leur ressources (métacognition), à leur style propre d’apprentissage (métastratégie), et aux APS. Quelles sont mes possibilités, qu’est-ce que je peux apprendre et comment dois-je m’y prendre pour y arriver ? Il s’agit donc comme le dit P.MEIRIEU de rendre l’élève constructeur et stratège (« apprendre oui mais comment »1990) et si, selon VYGOTSKY, « l’enfant est capable de faire aujourd’hui avec l’adulte ce qu’il sera capable de faire seul demain »,l’enseignant, après avoir aidé les apprentissages, a aussi pour rôle de s’effacer petit à petit pour laisser l’élève agir seul. Là se pose le problème de quand et comment s’efface sans risque objectif pour l’élève ? Le choix des APS apparaît déterminant à ce niveau là . En effet, si l’activité n’est pas porteuse en soi de risques objectifs mettant en jeu l’intégrité corporelle de l’élève, la maîtrise du risque par l’enseignant paraît plus aisée. Il s’agira de laisser à l’élève plus d’initiatives et de responsabilités dans la prise de décisions concernant par exemple le choix d’une tactique d’attaque ou de défense en Base-ball( quelle base bloquer en premier ?) ou d’un enchainement en gymnastique. Selon le niveau de la classe et d’habilité, le degré d’autonomie devra cependant être adapté car une autonomie acquise trop tôt, sans y être préparé aboutit à une angoisse et un refus de s’investir dans l’activité. A ce niveau là, l’élève devra apprendre à maîtriser un risque psychologique lié a un enjeu de performance par rapport à soi ou par rapport à autrui. S’il n’y a pas de risque pour l’enseignant, il y en a cependant un pour l’élève car l’autonomie passe par la prise en charge progressive de ses actes et de leurs conséquences, même si ces dernières ne sont pas corporelles. Dans le cadre d’une APS porteuse de risques corporels, par contre, l’accès à l’autonomie peut s’accompagner d’un enjeu corporel réel. La maîtrise du risque devra donc être à la fois le fait de l’enseignant et de l’élève. Mais le choix de ces APS paraît incontournable pour éduquer les élèves à la notion de sécurité « chat échaudé craint l’eau froide, dit le dicton. C’est bien en éprouvant l’aventure que l’on devient prudent à l’excès »(M. COLLARD 94 op cit). L’idée est la même chez D.DELIGNIERES pour lequel un savoir sécuritaire s’agit plus qu’il ne se déclare et pour M.DURAND selon qui éduquer au risque, « c’est confronter l’élève à des situations qui mettent en péril sa motricité »(1988) .Par contre il apparaît que les objectifs visés dans ces APS sont déterminants En effet, rechercher l’autonomie en escalade implique de se fixer comme objectif la réalisation d’une voie de difficulté moyenne en tête, plus que celle d’une difficulté élevée en moulinette. De même, la prise de risque sera plus raisonnée s’il n’y a pas d’enjeu compétitif comme le montre 17/04/2017 2 M.COLLARD dans une enquête faite sur les risques pris par des gymnastes, des motards, des plongeurs : l’enjeu compétitif exacerbe les comportements et les prises de risques corporelles chez les motards où l’intégrité physique est la plus menacé(60 traumatismes graves sur 10 000 pratiquants par an contre 1 pour 10 000 en plongée). Les plongeurs quant à eux se montrent extrêmement prudents. On retrouve ce même problème dans les sports de combat où l’enjeu de la victoire peut amener des comportements dangereux. Par conséquent, le choix des objectifs dans ces activités porteuses de risques corporels permet à l’enseignant de gérer la sécurité, tout en permettant un accès à l’autonomie. Il s’agira d’axer ces APS sur des objectifs de maîtrise, les objectifs compétitifs étants à réserver à celles qui ne présentent pas de danger corporel réel. Ainsi, l’accès à l’autonomie peut être recherché à travers les différentes APS, aucune n’étant réellement plus porteuse qu’une autre. De même, la maîtrise du risque sous ses différents aspects peut s’acquérir dans des APS porteuses de risques corporels ou non. Toutefois, et dans un objectif de gestion de la vie physique, les premières sont incontournables et l’enseignant doit alors définir scrupuleusement des objectifs adaptés au niveau d’habilité des élèves et plus axés sur un objectif de maîtrise pour en diminuer au maximum les risques objectifs, malgré une autonomie plus grande des élèves. Cette conciliation entre ces deux notions doit également être présente au niveau des contenus et des situations d’apprentissage proprement dites, sans quoi les APS choisies et les objectifs seraient inopérants. Au niveau de la construction de la tâche, les travaux de J.P FAMOSE ont permis de rationaliser l’élaboration des situations d’apprentissages, en cohérence avec les objectifs visés et les ressources à solliciter. Ainsi, il apparaît que le but de la tâche peut être défini clairement, semi défini ou non défini, entrainant une activité cognitive différente chez l’apprenant. On peut penser qu’une recherche d’autonomie passe par la réalisation de tâches où le but serait de plus en plus non défini. Ces activités de découverte, si elles peuvent être proposées sans danger dans le cadre de certaines APS comme en danse (réaliser une chorégraphie) nécessitent un apprentissage progressif dans d’autres plus risquées on ne laissera pas partir des débutants en parapente sans des consignes précises sur la tâche à réaliser et les moyens à mettre en œuvre pour la réaliser. Il est donc nécessaire de construire de tâches d’apprentissage adaptées aux APS enseignées et aux capacités motrices et cognitives des élèves, à leur niveau d’habilité. Une même tâche n’aura pas la même difficulté et ne comportera pas le même risque pour un débutant ou un expert. Ainsi, il apparaît indispensable de proposer des situations en décalage optimal avec les ressources des élèves afin de minimiser les risques objectifs et d’amener peu à peu les élèves à un niveau d’habilité plus élevé permettant une autonomie plus importante. Par exemple, il s’agira de proposer aux élèves d’effectuer des roulades avant sur une ligne au sol avant de les réaliser sur la poutre à 1m20 du sol, en donnant des consignes précises plutôt qu’en les laissant se lancer. Cela sera encore plus indispensable au pied d’un mur d’escalade ou avant une plongée sous marine. Certaines activités ne laissent pas de place à la découverte de l’élève pour des raisons de sécurité, du moins à un niveau débutant. L’aménagement du milieu permet également à l’enseignant de maîtriser le risque objectif. Mais cette maîtrise du risque par l’enseignant devra être remplacé peu à peu par une maîtrise du risque par l’élève, sans quoi il aura l’impression d’être expert et d’agir en sécurité, alors que ce ne sera qu’illusoire. Pour illustrer notre propos, nous pourrons citer l’exemple de la gymnastique, où l’apprentissage du salto avant devra nécessité un espace de réception 17/04/2017 3 sécurisé, avec gros tapis et parade, voir des tapis surélevés où l’élève pourra arriver assis et sentir la nécessité de s’élever. Mais cette sécurité du milieu , si elle reste figée ne permet pas à l’élève de maîtriser le risque objectif ni d’accéder à l’autonomie. Il faudra donc peu à peu réduire le matériel pour que l’élève réalise la tâche de façon correcte et sans aide. Cet exemple pourrait être aussi transféré à l’apprentissage de certaines techniques de lutte ou de judo où la sécurité de la chute pourra être au départ assurée par des tapis, mais devra être de plus en plus le fait des combattants eux-mêmes par des contrôles efficaces et des décisions judicieuses. Outre le choix des tâches d’apprentissage, l’évaluation mise en place doit répondre aux objectifs visés. Dans les activités à risques corporels, une co-évaluation, et une auto évaluation, si elles permettent d’accéder peu à peu à l’autonomie, permettent également une prise de conscience des critères de la tâche et des objectifs visés, et un engagement plus raisonné dans l’activité. L’évaluation formative apparaît comme un moyen efficace de concilier autonomie et maîtrise des risques dans la mesure où elle rend l’élève davantage responsable de ses actions. En effet, nous reprendrons l’idée de BROUILLET (90 « sécurité et APS ») selon laquelle pour amener un individu à changer d’attitude, il semble plus efficace de l’amener à prendre une part active dans des rôles, des réflexions ou des pratiques qui feront naître une certaine dissonance avec ses représentations, qu’à lui assener à toute force des informations nouvelles, fussent-elles liées à sa sécurité. L’enseignant doit donc gérer le couple risque/sécurité pour amener l’élève, à travers des tâches adaptées à son niveau d’habilité, mais lui posant tout de même un problème affectif ou moteur, à prendre conscience des risques afin de le rendre plus responsable et plus réfléchi dans sa pratique qui deviendra au fur et à mesure de plus en plus autonome. Mais le choix des APS, des objectifs et des tâches n’est pas le seul moyen dont dispose l’enseignant pour amener l’élève à plus d’autonomie et une meilleure maîtrise des risques tout en gérant lui même de façon optimum le couple risque/sécurité inhérent à la pratique de certaines APS. Il dispose aussi de moyens pédagogiques pour parvenir à ses fins. En effet, c’est dans la gestion de la classe dans l’ici et le maintenant que peuvent apparaître des risques non prévus. (Un élève qui se lance dans une situation sans y être invité, un autre qui commence à grimper sans être attaché...). L’enseignant d’EPS, dans la maîtrise du risque doit donc aussi faire face à l’imprévu. Pour cela, il peut utiliser des groupements différents, et placer par exemple les élèves en dyades dissymétriques, associant un expert à un débutant pour guider, conseiller et surveiller celui-ci pendant l’exécution d’une tâche où pourrait survenir un risque corporel. Mettre les élèves par trois en escalade avec un élève au contre assurage permet de maîtriser encore plus les risques objectifs inhérents à l’activité. C’est aussi dans la constitution judicieuse des groupes et dans les consignes données que l ‘enseignant pourra réguler et moduler un rapport de force qui pourrait s’avérer dangereux. Par exemple en combat il s’agira de placer les élèves par groupes de poids, ou de demander au plus lourd de ne pas résister, d’être « adversaire coopérant ». Cela sera d’autant plus réalisable que la tâche ne mettra pas un esprit de compétition en jeu. La délégation de rôles de responsables, en même temps qu’elle participe à une recherche d’autonomie, permet de sensibiliser les élèves aux risques et à la nécessité de respecter les règles. Le pareur en gymnastique, le contre assureur en escalade, l’arbitre en combat sont des rôles intéressants pour concilier les deux objectifs d’autonomie et de sécurité du point de vue de l’élève et du professeur à condition qu’ils soient effectués sérieusement et donc qu’ils fassent l’objet de critères de réalisation précis et d’une attention du professeur. L’attitude de l’enseignant est elle aussi déterminante pour inciter les élèves à entrer en 17/04/2017 4 activité, à se lancer et à prendre un risque, car comme nous l’avons déjà dit plus haut, il n’y a pas d’apprentissage à la sécurité, sans une prise de risque minimale, même uniquement subjective. La quantité d’empathie, ou de congruence définie par K.ROGERS joue donc ici un rôle important. Beaucoup ne s’engageront dans une tâche qu’avec l’enseignant à la parade. Si cela est nécessaire dans un premier temps, il faudra cependant que l’enseignant s’efface peu à peu pour confier la parade à un ou plusieurs autres élèves dans un souci de recherche d’autonomie autant que de prise de risque afin de mieux les maîtriser. Enfin, dans un souci de maîtrise du risque, l’enseignant aura aussi à gérer les styles cognitifs de ses élèves, impulsifs ou réfléchis, extravertis ou introvertis, afin de solliciter les uns et de tempérer les autres. Pour conclure, nous dirons donc que l’enseignant doit rechercher la maîtrise du risque, autant dans un souci de préservation de l’intégrité physique des élèves, que dans un souci de recherche d’autonomie. En effet, si l’institution lui impose d’éliminer tout risque objectif pouvant mettre en danger les élèves, il doit aussi amener ces derniers à prendre peu à peu leur sécurité en charge afin de les rendre autonomes. Il a pour cela à sa disposition un éventail d’APS qui lui permet de confronter les élèves à des risques de nature différente, et des outils didactiques et pédagogiques qui modulent le risque subjectif en fonction du niveau des élèves et qui visent à réduire au maximum le risque corporel réel. C’est par un emploi judicieux de tous ces moyens en fonction des élèves qu’il a en charge, qu’il pourra les éduquer en sécurité à des pratiques physiquement risquées. En effet, si le risque psychologique ou social est intéressant, le risque corporel doit inévitablement être maîtrisé et donc enseigné à l’école pour préparer les élèves à la gestion de leur vie physique et aux activités de loisir. Cet enseignement ne semble pas possible au travers d’APS aseptisées, non porteuses de risques corporels. Pour D.DELIGNIERES, cet objectif transversal doit être recherché au travers d’une ou deux APS approfondies, plus qu’au travers d’un travail superficiel dans chacune. A force de faire un peu de tout, on finit par faire beaucoup de rien. L’enjeu n’est pas mince car le défi de l’Homme moderne, comme le dit E.MORIN, c’est « au lieu d’en mourir, de vivre d’incertitude, de risques et d’angoisse ». Sécurité et autonomie sont donc indispensables pour vivre dans notre société actuelle où la culture sportive évolue très vite et devient de plus en plus mosaïque. 17/04/2017 5