Y a-t-il des lois en économie ? Proposition de corrigé Alain Beitone Introduction : On connaît la formule célèbre de Montesquieu selon laquelle " les lois sont des rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses ". En ce sens, on peut dire que toute connaissance scientifique vise à énoncer des lois. Le sociologue N. Elias rappelle que les sciences de la nature se sont imposées contre des conceptions naïvement anthropocentriques qui attribuaient les phénomènes naturels (la foudre par exemple) aux caprices ou aux desseins des Dieux. Elles ont contribué au " désenchantement du monde " en substituant le hasard et la nécessité des phénomènes électriques aux colères de Jupiter. Les sciences sociales (et en premier lieu la science économique) se sont proposées très tôt de mettre au jour les lois qui régissent les sociétés. Cette ambition a été systématisée par Auguste Comte et le positivisme, mais elle est déjà présente chez les physiocrates (qui considèrent que la vie économique est régie par des lois naturelles), chez les classiques et chez Marx. On ne s’étonnera donc pas de la multiplicité des lois en économie : loi de l’offre et de la demande (loi du marché), loi de la baisse tendancielle du taux de profit, Loi de Wagner, Loi de Say, Loi de Walras, Loi de Pareto etc. Cependant, au delà de l’utilisation fréquente du mot, sa signification est vivement controversée. Les discussions portent d’une part sur l’origine des lois et leurs méthodes d’élaboration. Elle porte d’autre part sur le champ de validité des lois (les lois économiques sont-elles universelles ?). La vivacité de ces débats explique sans doute le relatif déclin de l’usage du mot " loi " dans la littérature économique contemporaine. Faut-il pour autant succomber à la tentation du relativisme absolu et considérer que les lois n’ont pas d’existence objective ? Une telle conclusion serait sans doute excessive. I. La découverte des lois en économie. A. La conception positiviste des lois économiques La naissance de l’économie politique, notamment chez les physiocrates et chez Adam Smith, est fortement liée à l’idée de Nature. Quesnay affirme d’ailleurs que ses analyses du commerce sont " fidèlement copiée d’après la nature ". Dans la tradition inaugurée en philosophie par F. Bacon, il s’agit donc de lire " le grand livre de la Nature " afin de mieux la gouverner (c’est l’étymologie du mot " physiocratie "). Aux approches normatives (qui recherchaient " le juste prix " et le " juste salaire "), les premiers économistes opposent la nécessité d’une connaissance des faits. Aux mercantilistes (qui conseillaient aux Princes d’intervenir dans l’économie), ils opposent la nécessité de laisser jouer les lois naturelles qui conduisent à la satisfaction de l’intérêt général. Cette volonté de construire des lois à partir de l’analyse des faits se retrouve chez Malthus dont la loi de population est appuyée sur un certain nombre d’observations empiriques. J.-B. Say pour sa part affirme que l’économie politique est " tout entière fondée sur les faits ". Pareto, lui aussi, sans négliger la théorie et sans l’opposer à la pratique, affirme le primat des faits dans l’investigation scientifique. F. Engel élabore la célèbre loi qui porte son nom (lorsque la consommation augmente la part des dépenses consacrées à l’alimentation diminue) à partir de l’examen de nombreux budgets de ménages (rassemblés dans l’optique descriptive et monographique chère à F. Le Play). Parmi les économistes contemporains, il faut souligner, en France, l’influence de J. Fourastié. Non seulement ses analyses (qui conduisent à la " loi des trois secteurs ") reposent sur de très Page 1 sur 7 nombreuses investigations empiriques, mais, s’appuyant explicitement sur les travaux de Claude Bernard, il revendique une approche fondée sur la collecte et l’interprétation des faits. Aux Etats-Unis, les travaux conduits dans le cadre du National Bureau of Economic Research (notamment par Burns et Mitchell) s’efforcent par la collecte de données statistiques et leur traitement statistique (méthode des moindres carrés) de mettre en évidence des relations causales. La célèbre courbe (ou relation) de Phillips résulte d’un travail d’observation empirique de longue période. Même si le terme " loi " n’est pas utilisé, il s’agit bien d’une corrélation statistique à laquelle on donne une signification causale et à partir de laquelle on peut réaliser des prévisions (si le taux de chômage baisse on doit s’attendre à une accélération du rythme de la hausse des prix). Ce qui rassemble ces auteurs, très différents du point de vue de leurs approches comme de leur place dans l’histoire de l’analyse économique, peut se résumer en trois propositions : - la nature est gouvernée par des lois qui régissent les phénomènes; - l’observation minutieuse et sans a priori des faits est à la base de la connaissance scientifique - à partir de l’observation des faits, il est possible, par induction, de formuler des lois générales. Une telle approche est liée à une méthodologie vérificationniste : une fois les lois établies on les vérifie en les confrontant à nouveau aux faits. Même si on l’a parfois confondue avec LA méthode scientifique, cette approche a cependant fait l’objet de nombreuses critiques. B. L’approche déductive et a prioriste Très tôt l’idée est apparue que l’important n’était pas de rassembler un grand nombre de faits, mais d’ordonner ces faits, de leur donner une signification qui ne peut être trouvée que dans le recours à la théorie. Plus fondamentalement encore, il n’existe pas d’observation qui soit vierge de théorie. C’est pourquoi, des auteurs comme Say et Pareto, tout en se réclamant des faits, insistent sur l’importance de la grille de lecture théorique. C’est la tradition ricardienne qui va illustrer de la façon la plus remarquable une approche déductive. Il s’agit, à partir de postulats reposant sur l’évidence ou sur l’observation, de déduire logiquement des conclusions qui sont des énoncés universels (lois économiques). Cette approche est dite déductive-nomologique. Dans cette perspective, expliquer un fait singulier, c’est le ramener à une ou plusieurs loi(s) causale(s). Les lois ainsi énoncées sont des lois tendancielles (qui reposent sur la clause ceteris paribus), c’est à dire qu’elles ne prétendent pas décrire ce qui se passe réellement, mais ce qui se passerait en l’absence de causes perturbatrices. Si ces lois présentent un intérêt c’est que, en règle générale, la tendance se manifeste dans la réalité en dépit des causes perturbatrices. La loi de l’avantage comparatif est une loi de ce type qui conduit à montrer que la liberté de l’échange international est avantageuse pour tous les participants à l’échange. Cette démarche déductive est aussi celle de Walras qui étudie, dans le cadre de l’économie pure, les ajustements de marché " sous un régime hypothétique de concurrence parfaite ". La loi de Walras (selon laquelle, il n’existe pas de demande excédentaire à l’équilibre) est logiquement déduite des hypothèses de la concurrence pure et parfaite et de l’hypothèse de rationalité des agents. Walras est bien conscient de la nécessité de développer une économie appliquée qui ne peut faire abstraction de la multiplicité et de l’enchevêtrement des causalités, mais il considère que la compréhension des lois de l’économie pure est un préalable à l’approche plus complexe de l’économie appliquée. Marx lui aussi, développe une telle approche déductive. Son point de départ, dans son livre majeur Le Capital, est l’étude de la Page 2 sur 7 marchandise et de la valeur, ce n’est que progressivement qu’il complexifie le modèle afin de formuler des lois du fonctionnement du système capitaliste (la loi de la valeur par exemple, ou celle de l’accumulation). Cette approche déductive va être radicalisée par l’Ecole autrichienne. A partir des critiques adressées par C. Menger à l’Ecole Historique Allemande, L. Von Mises affirme que nous pouvons, par l’introspection, connaître la façon dont les individus effectuent leurs choix. Il affirme que " l’action humaine est nécessairement toujours rationnelle " et que les propositions correctement déduites à partir de prémisses dégagées par introspection n’ont pas besoin d’être vérifiées de façon empirique. Si Mises a le mérite de formuler très clairement le fondement a prioriste de sa démarche, il faut bien constater que nombre de propositions économiques n’ont d’autres fondements que leur évidence intuitive. Il est ainsi par exemple de l’affirmation selon laquelle les hommes ont des besoins illimités et sont donc confrontés à la rareté. Ainsi, dans l’approche a prioriste, les lois économiques sont le résultat d’une activité de déduction logique à partir de postulats dont la validité repose sur l’évidence empirique ou sur l’introspection. C. La méthode déductive enrichie : un moyen terme ? Ce sont les successeurs de D. Ricardo (Senior, Cairnes, J.N. Keynes etc.) qui, soumis aux critiques des Ecoles Historiques anglaise et allemande, vont tenter d’associer la volonté de rigueur et de cohérence interne caractéristique de la méthode déductive et le souci des faits de la méthode historique. La méthode déductive enrichie consiste à commencer par une approche déductive dont on confronte (a posteriori) les résultats à l’observation directe des faits. Dès lors, la théorie peut : - être vérifiée, - être corrigée pour tenir compte de la confrontation aux faits, - être réfutée. Un exemple de réfutation est donné par la critique de la théorie du fonds des salaires par W. Thornton. La théorie du fonds des salaires considère que les salaires sont des avances faites par les capitalistes. Le capital ainsi avancé résulte d’une accumulation réalisée au cours des périodes de production précédentes. Il est donc tout à fait impossible (en particulier par l’action syndicale) de faire augmenter les salaires au delà de ce que permet le fonds des salaires. Thornton va développer le point de vue selon lequel le prix du travail n’est pas réglé par des lois naturelles, mais par des " arrangements en partie artificiels et toujours capricieux " entre employeurs et salariés. J. S. Mill, qui avait pourtant été un défenseur de la théorie du fonds des salaires, se rétracta et la théorie elle-même fut rapidement abandonnée. On constate cependant que le programme de recherche ricardien, au moment où il formulait les canons de cette méthode déductive enrichie, était un programme régressif (au sens de Imre Lakatos). Dans les années 1870-1890 ce sont les modèles néo-classique et autrichien d’une part, historiste et institutionnaliste d’autre part qui occupent le devant du débat scientifique en économie. Entre les méthodes d’un Thorstein Veblen d’une part et celles d’un Ludwig von Mises d’autre part, il n’y a guère de place pour les subtilités de la méthode déductive enrichie. Force est de reconnaître cependant que cette volonté d’articuler théories et faits n’a rien perdu de son actualité. Depuis la Seconde Guerre Mondiale, la science économique est de plus en plus marquée par la formalisation, la méthode déductive règne donc en maître. Des économistes mathématiciens soulignent cependant l’insuffisance de cette approche qui risque de ne devenir qu’un pur jeu intellectuel déconnecté de la réalité. J. Tinbergen, W. Léontieff, M. Allais, E. Malinvaud appellent leurs collègues à un effort accru de réalisme et de Page 3 sur 7 confrontation aux faits. La théorie de la Régulation, développée en France depuis le milieu des années 1970, affirme sa volonté d’associer théorisation et investigations historiques. Quelles que soient les méthodes retenues pour l’élaboration de lois économiques, une question décisive reste posée : celle de leur champ de validité. Est-on en présence de lois universelles comparables aux lois des sciences de la nature ou bien est-on en présence de lois contingentes dont la validité est liée à un contexte historique déterminé ? II Quel est le champ de validité des lois économiques ? A. Des lois universelles ? L’affirmation de l’universalité des lois économiques peut reposer sur des approches assez diverses. Si les lois économiques expriment des tendances inhérentes à une nature humaine elle-même invariable, elles ont indiscutablement un caractère universel. C’est ce qui découle de l’approche a prioriste d’un von Mises. La recherche d’une satisfaction maximale par des individus rationnels n’est pas propre, dans cette perspective, à tel ou tel contexte social ou historique. Dès lors que l’on démontre que la régulation par le marché est la meilleure procédure pour rendre les décisions des individus compatibles entre elles, la loi de l’offre et de la demande est une loi universelle et la violation de cette loi ne peut avoir que des effets néfastes sur le plan économique (pénuries) comme sur le plan politique (totalitarisme). Paradoxalement, on trouve chez Keynes, une approche comparable à propos de la loi psychologique fondamentale. Lorsque qu’il veut justifier cette loi (selon laquelle la propension à consommer diminue lorsque le revenu augmente) Keynes invoque à la fois la nature humaine (argument a prioriste) et l’expérience (argument empiriste). D’autres économistes, sans adopter une position a prioriste, considèrent que certains résultats de l’analyse économique constituent des acquis robustes. Par exemple, dans un ouvrage récent, P. Krugman, souligne que bien des débats actuels à propos de la mondialisation, des conflits d’intérêt entre nations, de la concurrence des pays à bas salaires etc. reposent sur une grave méconnaissance de la loi des avantages comparatifs. Il montre comment des hommes politiques, des chefs d’entreprises, des journalistes commettent de graves erreurs d’analyse faute de connaître cette loi économique. Il ne s’agit pas de considérer que la loi des avantages comparatifs épuise l’analyse du commerce international, P. Krugman s’est d’ailleurs illustré par des contributions majeures à la nouvelle théorie du commerce international, mais d’affirmer que la non prise en compte de cette loi conduit à des erreurs d’analyse économique. Enfin, on peut considérer, que les lois résultant d’une approche purement déductive, ont un caractère universel. Il en va ainsi de la loi de Walras, qui est toujours vraie dans le cadre des hypothèses de la concurrence pure et parfaite. La question qui est alors posée n’est pas celle de l’exactitude de la loi, mais celle de la portée heuristique du modèle de concurrence pure et parfaite. On comprendra, à travers ces trois exemples, que l’idée de loi économique universelle a été vivement controversée. Certains économistes considèrent qu’on ne peut raisonner sur une nature humaine invariable, mais qu’il faut rendre compte des comportements économiques à partir des normes sociales et des institutions. D’autres s’inquiètent de l’usage normatif qui est fait des lois économiques ou de la faible portée de modèles formels caractérisés par une grande cohérence interne, mais par un faible réalisme. B. Des lois historiques ? Page 4 sur 7 On trouve notamment chez Marx, la contestation de toute " naturalisation " des comportements économiques. Pour Marx, les économistes classiques qui ont fait oeuvre scientifique (Ricardo en particulier) ont commis l’erreur de considérer que les résultats de leurs analyses économiques exprimaient la nature de l’homme, alors qu’il n’exprimaient que la nature du mode de production capitaliste. Pour Marx, il est possible (et nécessaire) de formuler des lois économiques (loi de l’accumulation, loi de la baisse tendancielle du taux de profit, loi de la paupérisation...) mais ses lois sont relatives à un mode de production particulier. Deux exemples permettent de souligner la portée de cet aspect de l’oeuvre de Marx. Pour Malthus, la loi de population a un caractère universel, elle exprime des tendances naturelles relatives à la production des subsistances d’une part, à l’accroissement démographique d’autre part. Pour Marx au contraire, il n’y a pas de loi de la surpopulation absolue, mais une loi de la surpopulation relative (propre au capitalisme). L’excès de population qui ne trouve pas à s’employer n’a rien de naturel pour Marx, il résulte de la nécessité d’une " armée de réserve industrielle " dans le système capitaliste. La même exigence de prise en compte des spécificités historiques conduit Marx à critiquer la loi d’airain des salaires formulée par le socialiste allemand Ferdinand Lassalle. Selon cette " loi ", le salaire aurait tendance à s’établir toujours et partout au niveau du minimum physiologique. S’appuyant sur les analyses de Ricardo à propos du prix naturel du travail, Marx insiste sur le fait que ce qui est considéré à une époque donné comme faisant partie de la consommation " normale " de l’ouvrier dépend du contexte social et économique et non d’une contrainte naturelle (physiologique). La critique de l’idée de loi économique universelle se retrouve chez les théoriciens de l’école historique allemande. Il y a eu, au sein de cette école des débats sur la possibilité de formuler des lois économiques, le point de vue majoritaire considérant que de telles lois pouvaient être exprimées mais uniquement à propos d’une nation déterminée et d’un contexte historique précis. Le paradoxe, c’est qu’un théoricien de cette école, Adolphe Wagner, a formulé la loi selon laquelle l’intervention de l’Etat se développe dans les économies avancées (loi de Wagner). Cette loi semble être assez fortement corroborées par les observations empiriques du XIXe siècle à nos jours. Mais la meilleure illustration de la position de l’école historique allemande réside sans doute dans la critique par Frédéric List de la théorie ricardienne du commerce international. List en effet ne conteste pas que le commerce international et le libre échange soient mutuellement avantageux entre pays à développement comparable. Dans ce cas, la loi des avantages comparatifs est valide. Par contre, il considère qu’entre un pays déjà fortement industrialisé et un pays en retard, le libre échange joue à l’avantage du premier, la loi formulée par Ricardo n’est donc pas valide dans ce cas et il est légitime d’instaurer un protectionnisme éducateur. C’est dans le prolongement des réflexions de Marx et de l’école historique (ou de l’institutionnalisme américain) que se situent de nombreux économistes du développement. Pour eux, l’étude du sous-développement ne peut pas s’appuyer sur les concepts et sur les lois formulées à propos des pays développés. Il est nécessaire d’élaborer une analyse spécifique se rapportant à un contexte économique et social particulier. On peut se demander si, en fin de compte, au delà de tous ces débats, ce n’est pas la pertinence du terme " loi " lui même qui est en jeu. C. Des lois aux conjectures et aux modèles L’intérêt croissant manifesté à l’égard de l’épistémologie poperienne chez les économistes est révélatrice. Contre l’illusion positiviste qui conduit à penser que l’on formule des lois qui sont le reflet exact de la réalité observée et contre l’attraction formaliste qui conduit à l’indifférence à l’égard des faits, une posture plus modeste à tendance à s’imposer. Page 5 sur 7 Les économistes, comme tous les chercheurs qui s’inscrivent dans une visée scientifique (G.G. Granger) construisent des modèles, c’est à dire des ensemble de relations logiquement articulées entre elles. Ces modèles ne sont pas des images fidèles de la réalité, mais des abstractions qui doivent être jugées en fonction de leur portée heuristique. Les modèles inspirent les investigations des chercheurs et permettent d’ordonner les résultats des recherches. Ils reposent non sur des postulats (considérés comme vrais au nom de l’expérience ou de l’évidence) mais sur des conjectures qui ont un caractère provisoire et qui sont destinées à être réfutées. Il ne s’agit donc plus de formuler des lois, c’est-à-dire des énoncés universellement vrais, mais de constituer un ensemble d’outils au sein desquels l’économiste va puiser en fonction de l’objet qu’il étudie, du contexte étudié, de la problématique retenue. Par exemple, la relation de Phillips a d’abord été présentée comme une loi statistique, puis elle a fait l’objet d’un conflit d’interprétation entre monétaristes et keynésiens. Il fallait alors choisir, entre les deux théories, laquelle était la vraie. On a aujourd’hui une autre vision du débat. L’explication keynésienne de la relation de Phillips, reposant sur une certaine illusion monétaire, était assez satisfaisante dans les années 1950-1960. Puis, l’inflation à taux croissant a conduit les agents à anticiper de mieux en mieux la dérive du niveau général des prix et la lecture monétariste est apparue comme la plus pertinente (il y a bien eu à long terme coexistence de l’inflation et du chômage). Dans un troisième temps, le succès des politiques de désinflation, annonce un " retour de la courbe de Phillips ", c’est-à-dire le retour à la possibilité d’un arbitrage entre inflation et chômage dans l’optique keynésienne. On est conduit alors à un certain éclectisme théorique qui se manifeste assez largement dans les développements contemporains de l’analyse économique. La théorie du déséquilibre, par exemple, emprunte à la fois à l’approche keynésienne et à l’approche néo-classique pour rendre compte du chômage. En fonction du contexte, dans un pays donné, à un moment donné, le chômage sera plutôt keynésien ou plutôt néo-classique et la politique à mettre en oeuvre sera différente. De même, la théorie de la régulation, en mettant en évidence l’existence de divers modes de régulation souligne que des mécanismes régulateurs différents sont à l’oeuvre selon le contexte et qu’il faut faire appel, pour en rendre compte, à des concepts ou à des mécanismes différents. Conclusion : La réflexion sur le concept de " loi " en économie présente un grand intérêt. Il faut souligner tout d’abord qu’au cours de l’histoire de l’analyse économique, les débats autour de ce concept ont été très fréquents. La science économique, soutenaient certains, ne peut pas formuler de loi parce qu’elle est une science sociale et non naturelle. D’autres affirmaient au contraire la nécessité de formuler des lois conformes à la nature des hommes et des phénomènes économiques. Cependant, la notion de loi, souvent invoquée par les économistes soucieux de donner à leur discipline une réputation de scientificité, est aujourd’hui beaucoup moins souvent utilisée. Il s’agit là sans doute d’une posture plus modeste des économistes professionnels qui prennent davantage en compte le caractère approché et relatif de toute connaissance. Cette attitude plus prudente place au premier rang les choix politiques. Dès lors que l’on a compris que la science économique ne pouvait pas, au nom de telle ou telle loi économique, imposer le choix d’un système économique ou d’une politique économique, la responsabilité politique retrouve sa prééminence. L’analyse économique a donc pour tâche, à travers les débats qui la traversent, non d’énoncer des vérités absolues et définitives, mais d’éclairer le champ des possibles. Elle doit pour cela emprunter des outils conceptuels à des traditions théoriques diverses. Page 6 sur 7 Annexes Quelques citations pour alimenter la réflexion " L’histoire de l’économie abonde en lois économiques proclamées en majuscules : la Loi de Gresham, la Loi de Say, la Loi de l’Offre et de la Demande, la Loi des Rendements décroissants, la Loi de l’Utilité marginale décroissante etc. Le terme de loi a cependant acquis progressivement une consonance quelque peu démodée et les économistes préfèrent aujourd’hui les généralités qui leur sont les plus chères sous la dénomination de " théorèmes " plutôt que sous celle de " lois ". De toutes façons, si, par lois, on entend des relations universelles vérifiées entre des événements ou des catégories d’événements, déduites de conditions initiales testées indépendamment, peu d’économistes modernes revendiqueraient que l’économie ait produit plus d’une ou deux lois " ; M. Blaug, La méthodologie économique, Economica, 1982, (page 136) " Les actions humaines présentent certaines uniformités, et c’est seulement grâce à cette propriété qu’elles peuvent faire l’objet d’une étude scientifique. Ces uniformités portent encore un autre nom ; on les appelle des lois. Quiconque étudie une science sociale, quiconque affirme quelque chose au sujet des effets de telle ou telle mesure économique, politique ou sociale, admet implicitement l’existence de ces uniformités, sinon son étude n’aurait pas d’objet, ses affirmations seraient sans fondement." ; V. Pareto : Manuel d’économie politique, (1906), Droz, 1981, (p.5) " A proprement parler, il ne peut y avoir d’exceptions aux lois économiques et sociologiques, pas plus qu’aux lois scientifiques. Une uniformité non uniforme n’a pas de sens. " ; V. Pareto : Manuel d’économie politique, (1906), Droz, 1981, (p. 7) " Certains auteurs, tout en n’admettant pas l’existence des uniformités (lois) économiques, se proposent néanmoins d’écrire l’histoire économique de tel ou tel peuple ; mais c’est là une contradiction évidente. Pour faire un choix entre les faits survenus à un moment donné et séparer ceux que l’on veut retenir et ceux que l’on néglige, il faut admettre l’existence de certaines uniformités. " ; V. Pareto : Manuel d’économie politique, (1906), Droz, 1981, (p. 5) " Aussi, sauf quand il est fait référence aux travaux des " anciens ", les termes de " lois ", " règle " ou " principe " semblent tomber en désuétude au profit de celui de " relation ", comprise comme à la fois déduite d’un modèle théorique et validée par les faits empiriques. " ; B. Walliser et Ch. Prou : La science économique, Seuil, 1988, (p. 323) Bibliographie de base * Les ouvrages d’épistémologie économique sont assez nombreux. Je recommande en priorité le livre de Claude Mouchot, qui présente le grand avantage de présenter dans les premiers chapitres les débats essentiels de l’épistémologie générale (de E. Kant à K. Popper). C. Mouchot : Méthodologie économique, Hachette, Coll. HU, 1996 On lira aussi avec profit les articles suivants : G.-G. Granger : Epistémologie économique H. Brochier : Critères de scientificité en économie in X. Greffe et alii : Encyclopédie économique, Economica, 1990 * Le livre de P. Krugman évoqué dans le corps du devoir s’intitule La mondialisation n’est pas coupable, Editions La Découverte, 1998 * A propos des analyses de Ricardo, Say, Malthus, Marx, von Mises, List...évoquées dans le devoir, on peut toujours se reporter à A. Beitone et alii : 25 livres clés de l’économie, Marabout, 1995 Page 7 sur 7