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THEATRE
" Art " : colères noires autour d’un tableau blanc
Vendredi dernier, un événement tant attendu par certains a
rempli le Théâtre Municipal. Enfin, une pièce de théâtre en
français proposée par une troupe autre que l’Atelier Théâtre
de Tunis. Et, d’après les Hichem Rostom, Mohamed Kouka
et Raouf Ben Yaghlane – les pionniers des retrouvailles du
théâtre tunisien avec sa langue seconde – c’est parti pour
durer. Mais laissons les discussions sur le thème de l’art à Marc, Serge et Yvan – les trois
protagonistes de la pièce " Art ", signée Yasmina Reza.Une
toile
"
insignifiante
"
avec
une
pensée
derrière
Marc, Serge et Yvan, trois hommes en pleine crise de la quarantaine, sont amis depuis
longtemps. Jusqu’au moment où un événement inattendu vient semer le trouble dans leurs
relations, déjà au bord de l’usure : Serge, dermatologue, divorcé de Françoise, père de deux
enfants et passionné d’arts plastiques, vient d’acheter pour la somme de deux cent mille
francs, une toile d'un certain Antrios. L’ennui, c’est que ce fameux tableau est, en fait,
entièrement blanc, ou presque. " C'est une toile d'environ un mètre soixante sur un mètre
vingt, peinte en blanc. Le fond est blanc et si on cligne des yeux, on peut apercevoir de fins
liserés blancs transversaux ", commente Marc, ingénieur dans l'aéronautique, faisant partie de
ces intellectuels, nouveaux, qui, non contents d'être ennemis de la modernité en tirent une
vanité incompréhensible. Probablement déçu par la réalité, il a fini par devenir acariâtre et
adopter un comportement particulièrement cassant, surtout vis-à-vis d’Yvan, le farfadet du
groupe qui fait rire tout le monde mais dont la vie est un échec sur tous les plans. Refusant de
critiquer le choix de Serge, il s’attire les foudres de Marc : " Si Yvan tolère que Serge ait pu
acheter une merde blanche à vingt briques, c'est qu'il se fout de Serge. C’est clair. " A quoi,
Serge rétorque : " C’est peut-être de la merde, mais il y a une pensée derrière ". Et, comme
cela se passe si souvent, Marc et Serge s’unissent contre Yvan et l’accusent d'être la cause du
conflit du fait de sa position " d'arbitre ". C’est alors qu’Yvan vide son sac. Il déteste sa vie,
mais fait avec. Sur le point de pleurer, il cède finalement aux rires devant la " merde blanche "
de Serge. Gagnés par le rire, les trois amis se réconcilient et s’unissent autour de la
profanation du tableau – fauteur de troubles. Le théâtre francophone – un repère
important pour la Tunisie .Lorsqu’en 1994, elle terminait les dernières lignes d’ " Art ", une
pièce spécialement écrite pour Vaneck, Luchini et Arditi, Yasmina Reza, nourrie par le
théâtre de Nathalie Sarraute, était loin de penser que la rencontre de ces trois quadragénaires
allait avoir un tel succès. Ecrite en un mois et demi, sans notes, d’un jet, la pièce remporte
deux Molière pour le meilleur spectacle privé et le meilleur auteur. Immense succès, " Art "
fait le tour du monde, se joue à guichets fermés et le livre sera traduit en vingt langues. La
pièce sera notamment créée à Londres par la Royal Shakespeare Company. Moscou et
Broadway suivent. Douze ans plus tard, Tunis se joint à la fête.
" C'est une situation qui m'est proche, nous a dit Mohamed Kouka, le metteur en scène de
l’expérience tunisienne. A partir d'une appréciation de goût, c'est toute une relation amicale
qui se voit reconsidérée. C'est cette remise en question entre les trois amis qui m'a incité à
mettre en scène cette pièce. " En fait, la mise en scène d’ " Art " est un rêve que Mohamed
Kouka caresse depuis bien d'années. " J'avais rencontré le beau-frère de Yasmina qui était
séduit par l'idée de monter la pièce en arabe dialectal tunisien et il voulait me donner les droits
d'auteur pour le monde arabe, nous a-t-il raconté. Comme j'avais d'autres préoccupations à
l'époque, j'ai bêtement laissé le projet de côté. Quand j'ai repris le projet en français, Yasmina
Reza était devenue une star et les droits n'étaient plus les mêmes et là, j'ai les droits pour une
année seulement. " Mais, au-delà de la pièce, la soirée de vendredi dernier a peut-être marqué
un tournant dans l’histoire théâtrale tunisienne : la réconciliation tant attendue avec le théâtre
en langue française. " C'est une dimension très importante de notre culture qui manque, a
souligné Mohamed Kouka. Les pièces en français étaient une tradition en Tunisie. On en
montait une douzaine par saison, au Théâtre Municipal. Sarah Bernard, Gérard Philippe,
Pierre Brasseur y ont joué. Je suis tellement ému que tous ces gens-là font partie de ma
culture.
Ce
sont
des
repères
importants
pour
la
Tunisie.
"
A.L – TUNIS HEBDO 26-02-2007
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