PROPOSITION DE COMMUNICATION

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LES RESEAUX VILLE-HOPITAL :
VERS UN NOUVEAU MODE DE REGULATION
EN SANTE PUBLIQUE ?
Jean-Paul DOMIN
CERAS-LAME, Université de Reims Champagne-Ardenne
Résumé : Cette analyse propose une interprétation de la dynamique du système de santé publique en
France et voit la mise en œuvre des réseaux ville-hôpital comme l’émergence d’un nouveau mode de
régulation. De 1945 à 1970, le dispositif de santé publique s’est articulé autour d’une forme sociale de
médicalisation intensive. Mais la crise économique a remis en cause ce type de fonctionnement et a mis
en évidence la nécessité d’une réforme. L’expérimentation des réseaux depuis le milieu des années 1980
semble répondre aux attentes des malades et offre une issue à la crise du système de soins. La mise en
place d’une telle logique favoriserait alors la naissance d’un nouveau mode de régulation : la
médicalisation coordonnée.
INTRODUCTION
Les principaux développements récents en économie de la santé favorisent une
approche uniquement microéconomique, expliquant la croissance des dépenses comme
une conséquence du comportement des agents. Ainsi, depuis le début des années 1980
les pouvoirs publics prônent le retour à l’équilibre en agissant tant sur la mise en
concurrence de l’offre1 que sur la responsabilisation de la demande2. Au-delà du simple
problème financier, il nous semble plus pertinent de nous interroger sur les obstacles
que semble rencontrer le système de santé publique pour maîtriser ses coûts de
fonctionnements et améliorer son efficacité.
Les théories de la régulation3 offrent un cadre conceptuel intéressant pour
étudier l’essor des réseaux ville-hôpital et leur place dans le dispositif de santé
publique. Dans cette perspective, le fonctionnement du système économique se
caractérise par l’avènement d’un mode de régulation permettant d’assurer, pendant un
certain temps, sa cohésion. En l’absence de ce mode de régulation, les formes sociales
Mougeot M., Naegelen F., « Antisélection, concurrence et qualité des soins », Revue d’économie
politique, volume 110, n°4, juillet-août 2000, p. 493-512.
2 Lachaud-Fiume C. et alii, « Franchise sur les soins ambulatoires et équité sociale, microsimulation
d’une voie de responsabilisation des usagers du système de soins », Économie et Statistique, n°315, mai,
1998, p. 51-72
3 Il est préférable de parler des théories de la régulation. On distingue généralement trois courants de
recherche sur la régulation en France. Une première tendance s’est constituée autour de Paul Boccara et
du concept de suraccumulation-dévalorisation du capital. Une deuxième (G. de Bernis) considère le rôle
régulateur du taux de profit. Enfin, le troisième courant (R. Boyer, A. Lipietz) axe sa réflexion sur le
régime d’accumulation. Tous ont en commun une référence plus ou moins proche au marxisme. Sur cette
question on pourra lire Jessop B., « Regulation theories in retrospect and prospect », Économies et
Sociétés, Cahiers de l’ISMEA, série R, n°4, 1989, p. 7-62.
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divergeraient et la société ne pourrait plus perdurer. Celui-ci est donc producteur de
normes, ces dernières permettent un processus d’homogénéisation des rapports
sociaux4. La stabilité du système dépend donc des normes et toute évolution du mode de
régulation doit être appréhendée comme une transformation de ces dernières.
Cette démarche présente un triple intérêt, elle est globale, historique et offre un
schéma d’analyse de la période actuelle. Elle est globale dans la mesure où elle intègre
le dispositif de santé publique, et plus généralement le sous-système de protection
sociale comme un élément moteur de la reproduction du système économique5. Elle est
également historique, elle s’appuie sur la longue période afin de comprendre la logique
de transformation de l’organisation sanitaire. Enfin, elle offre un schéma d’analyse de la
période actuelle et de ses enjeux de reconstruction.
Notre objectif est de produire un schéma global d’interprétation de la dynamique
du système de santé publique en France. De 1945 à 1970, l’hospitalo-centrisme a
constitué un mode de régulation efficace produisant des normes sanitaires pour
l’ensemble de la population et assurant la reproduction de la force de travail. Mais
depuis 1970, ce mode atteint ses limites (I). Une phase de mutation a commencé et elle
semble aboutir à l’émergence d’un nouveau processus régulateur qui réponde aux
dysfonctionnements du système de soins (II).
I. LA MEDICALISATION INTENSIVE COMME MODE DE REGULATION (1945-A NOS
JOURS)
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les différents gouvernements ont
favorisé la modernisation des établissements hospitaliers. Mais cette politique a
engendré des dysfonctionnements importants dont les pouvoirs publics n’ont pas tenu
compte.
A. L’HOSPITALO-CENTRISME : UN ELEMENT CENTRAL DU MODE DE REGULATION
Les théories de la régulation offrent un cadre conceptuel intéressant pour l’étude
historique du dispositif de santé. Elles refusent l’idée d’une dichotomie entre la santé et
le système économique et montrent, au contraire, que les deux entretiennent de
multiples relations d’interdépendance.
1. L’évolution du dispositif de santé en termes de régulation
Historiquement, il semble que l’on puisse distinguer trois modes de régulation
successifs : les stades de la médicalisation partielle, la médicalisation extensive et la
médicalisation intensive6. Ces trois stades correspondent à une succession de formes
sociales différentes et compatibles avec les grandes étapes du système économique. Ce
4
Duharcourt P., « Régulation, transformation systémique et dynamique des normes », Économies et
Sociétés, Cahiers de l’ISMEA, série R, n°7, novembre 1993, p. 21-34.
5 Mills C., Économie de la protection sociale, Éditions Sirey, Paris, 1994.
6 Domin J.-P., « Évolution et croissance de longue période du système hospitalier français (1803-1993) »,
Économies et Sociétés, Cahiers de l’ISMÉA, série AF, n°26, mars 2000, p. 71-133.
3
processus met en évidence les transformations de longue période du mode de régulation.
Il souligne également l’existence de logiques successives.
Le stade de la médicalisation partielle couvre la presque totalité du XIXe siècle
(1803-1890). Il est marqué par une nette séparation entre une sphère marchande
(médecins et officiers de santé) qui s’appuie sur le paiement à l’acte et la nonsocialisation depuis la loi du 19 ventôse an XI-10 mars 1803- et une sphère non
marchande (hôpital) qui ne reçoit que des indigents. Le système, malgré la révolution
thérapeutique, reste assez faiblement médicalisé. Il faut attendre la fin du XIXe siècle et
l’apparition d’une crise démographique pour voir se dégager une prise de conscience
des questions sanitaires.
Le stade de la médicalisation extensive (1895-1945) débute avec la phase
d’édification républicaine qui favorise une légitimation de la question sociale7. Face à la
crise démographique, les différents gouvernements qui se succèdent au pouvoir
privilégient deux axes politiques : l’assistance et l’assurance. Le premier s’inscrit dans
une logique d’intervention publique (loi sur l’assistance médicale gratuite du 15 juillet
1893). Le second nécessite la rénovation de la législation sociale et l’apparition de
formes sociales alternatives (mutuelles). Ainsi cette période se manifeste par l’extension
d’une logique assurantielle : loi sur les accidents du travail, Charte de la mutualité,
assurances sociales. La socialisation de la médecine doit permettre d’étendre la
médicalisation de la main d’œuvre. Le vote des lois sur les assurances sociales (1928,
1930) couronne cette évolution législative en assurant une socialisation partielle de la
prise en charge de la maladie.
Le stade de la médicalisation intensive débute après la Seconde Guerre
mondiale, il se caractérise par la généralisation de la socialisation de la médecine grâce
à la Sécurité sociale qui favorise l’accès aux soins de la population et par la même
occasion augmente ses capacités productives. En période de croissance économique, la
santé devient un vecteur de la qualité de la population assurant ainsi ce que Louis
Fontvieille et certains théoriciens de la régulation systémique appellent le
« développement des Hommes »8.
2. La santé au service du système économique
L’essor de l’hôpital dans le système de santé publique, pendant la dernières
période, résulte essentiellement des conditions sanitaires de l’après-guerre. Les pouvoirs
publics ont clairement opté pour le développement du système sanitaire au détriment de
la médecine de ville. Progressivement, un nouveau mode de régulation, qualifié de stade
de la médicalisation intensive, a émergé.
L’après-guerre marque donc l’émergence de nouvelles préoccupations. En effet,
la faiblesse de l’espérance de vie conduit les pouvoirs publics à faire de l’hôpital le
centre du système de soins. Le constat de la sous-commission médico-sociale est, à ce
Bec C., Assistance et République, la recherche d’un nouveau contrat social sous la Troisième
République, Édition de l’atelier, Paris, 1994.
8 Fontvieille L., « Les mouvements longs de Kondratieff et la théorie de la régulation », Issues, n° 3,
1979, p. 3-36.
7
4
sujet, sans concession : en 1947, la France est en retard sur les autres pays européens en
matière d’équipement sanitaire et social9. Le taux de mortalité infantile est un des plus
élevé de l’Europe occidentale et cette particularité perdure depuis les années 1920. Dans
cette perspective, les responsables de la sous-commission, le docteur Eugène Aujaleu et
Pierre Laroque proposent de réformer en profondeur l’organisation hospitalière autour
de trois pôles : le Centre Hospitalier Régional (CHR), le Centre Hospitalier (CH) et
l’hôpital qui permettent d’assurer un maillage hospitalier optimal. La sous-commission
propose, en outre, une réforme plus audacieuse de la santé publique en dégageant les
médecins de leur clientèle privée, afin qu’ils consacrent tout leur temps aux soins et à la
recherche clinique. Cette idée, déjà développée par Robert Debré dès 194410, choque
encore bon nombre de praticiens qui considèrent l’exercice hospitalier comme une
activité caritative et qui refusent, pour la plupart l’idée d’une « médecine
fonctionnaire »11.
Une idée plus forte se répand à l’époque : celle de la supériorité de l’hôpital dans
le domaine sanitaire et social. Ainsi, les dépenses publiques, bien orientées, sont
importantes dans la mesure où elles « ont pour effet d’accroître les capacités de
production » et que « l’intervention de la puissance publique est efficace et payante »12.
Dans cette perspective, les pouvoirs publics proposent d’achever les projets débutés
avant-guerre, de moderniser et d’agrandir les équipements existants. Cette politique
volontariste est préconisée par un grand nombre de hauts fonctionnaires. Dans un
rapport à l’Inspection générale des finances, Edmond Dobler résume assez bien la
problématique : « Lorsqu’il s’agit de prolonger la vie humaine, d’accélérer les
guérisons, les considérations purement budgétaires doivent rester secondaires. Ce que
les hôpitaux y perdent financièrement est d’ailleurs largement compensé par
l’accroissement possible de la production nationale »13. Les autorités sont conscientes
de l’intérêt que présente l’hôpital dans l’amélioration des capacités productives de la
main-d’œuvre.
Les arguments utilisés sont multiples. Il y a d’abord un avantage thérapeutique.
L’hospitalisation est meilleure dans la mesure où elle facilite une guérison plus rapide
du malade. Ce dernier est coupé de son milieu et guérit donc plus vite14. D’autre part, la
socialisation de la médecine doit permettre de favoriser les investissements. Elle assure
9
Commissariat général du Plan, Premier rapport de la Commission de la consommation et de la
modification sociale, septembre 1947, p. 67-103. Archives nationales, 80 AJ 10.
10 Debré R., « Le médecin français est libre », Le médecin français, n° 28, 25 octobre 1944.
11 Il nous paraît important de préciser que le modèle britannique du National Health Service - NHS - a
longtemps fait figure d’épouvantail pour les médecins français qui ont toujours considéré ce système,
financé par l’impôt et offrant des soins gratuits à la population, comme étatique et lourd.
12 Commissariat général du Plan, Rapport général de la Commission de l’équipement sanitaire et social,
juillet 1953. Archives nationales, 80 AJ 42.
13 Dobler E., « Présentation », in Thomas, Rapport d’ensemble sur les hôpitaux vérifiés en 1958,
Inspection générale des finances, Paris, 1959. Centre des Archives Économiques et Financières, cote B
8507.
14 Il est intéressant de noter que cet argument est, aujourd’hui, remis en cause par les partisans de
l’hospitalisation à domicile qui affirment que le retour du malade à son milieu naturel accélère sa
guérison.
5
une fréquentation suffisante aux établissements de soins qui ont donc intérêt à investir.
Ces derniers, plus modernes et mieux équipés, sont donc plus efficaces.
À partir de 1958, cette logique va encore s’accroître. Les changements de
majorité au sein du pouvoir vont accélérer l’émergence d’une réflexion sur le système
de santé publique et conduire les pouvoirs publics à élaborer une réforme profonde.
Après deux ans de débats au sein des milieux médicaux, le gouvernement entérine, par
une ordonnance du 30 décembre 1958, une réforme chère à Robert Debré15. Celle-ci
institue les Centres hospitaliers et universitaires (CHU) et leur confère une triple
mission de soins, d’enseignement et de recherche. Elle organise le plein temps
hospitalier afin de recentrer l’activité des praticiens autour des établissements et modifie
les procédures de recrutements en mettant en place un concours16.
Cette réforme a considérablement accéléré l’apparition de l’hospitalo-centrisme.
Celui-ci peut se définir comme étant le « trait fondamental d’un système qui soumet au
principe et à la loi de l’autorité médicale hospitalo-universitaire l’ensemble du champ
de la production médicale »17. Le CHU matérialise, aujourd’hui, la conception
scientifique de la médecine à partir de laquelle l’ensemble du système de soins
s’articule. Il constitue l’un des fondements du savoir médical, le « modèle organotechniciste »18 comme le constate Patrice Muller et trouve dans les malades un support
intéressant pour les analyses thérapeutiques.
Dans les faits, la prise en compte de la santé dans la logique économique se
caractérise par une densification des soins dans le monde hospitalier. En l’espace de
quelques années, l’activité des établissements de soins s’est considérablement élargie.
L’analyse de la production hospitalière sur une longue période laisse apparaître une
forte progression du volume d’activité des hôpitaux. En 1946, 1 555 000 personnes
étaient soignées dans les établissements. En 1993, il dépassent sept millions. Le nombre
d’admissions a été multiplié par 5. En revanche le nombre de journées de présence a
très peu augmenté. Cette évolution résulte de la diminution de la durée
d’hospitalisation. En 1946, celle-ci dépasse 26 jours (service de médecine et de
chirurgie) alors qu’en 1993 elle n’est plus que de onze jours (dans les services de court
séjour). On assiste à un phénomène de densification des soins qui se manifeste par une
À la fin des années 1950, les milieux médicaux sont conscients de la nécessité d’une réforme de la
médecine autour de quelques grands principes tels que la refonte des études médicales et le plein temps
hospitalier. Les réformateurs sont de “jeunes turcs”, militants de la SFIO ou partisans de Pierre Mendès
France. Après la victoire du Front Républicain aux élections du 2 janvier 1956 et la formation du
gouvernement de Guy Mollet, des médecins radicaux sont nommés dans les cabinets des ministres de la
Santé publique et de l’Éducation nationale. Le 18 septembre 1956 un comité interministériel, dirigé par
Robert Debré, est créé afin de réfléchir aux conditions de la réforme. Dès 1957 un avant-projet est soumis
aux ministres concernés. Mais il faudra attendre les changements de 1958 pour que Robert Debré, avec
l’aide de son fils Premier ministre, puisse faire entériner sa réforme. Sur cette question, on pourra lire
Dausset P., « Pierre Mendès France, initiateur de la grande réforme 1945-1958 », in Bedarida F., Rioux
J.-P. (dir), Pierre Mendès France et le mendésisme, Fayard, Paris, 1985 et Debré R., L’honneur de vivre,
Stock, Paris, 1974.
16 Jamous H., Sociologie de la décision, la réforme des structures hospitalières, Éditions du CNRS,
Paris, 1969.
17 Arliaud M., Les médecins, Éditions de la Découverte, Paris, 1987.
18 Muller P., « La profession médicale au tournant », Esprit, n° 229, février 1997, p. 34-42.
15
6
augmentation des taux : entre 1965 et 1993, le taux d’encadrement médical a été
multiplié par 5,2 et le taux d’encadrement non médical par 2,9.
L’amélioration de la qualité des soins s’est traduite dans les faits par une forte
augmentation des dépenses qui ne représentent que 1,12 % du Produit intérieur brut en
1949 et 3,35 % en 1993 (figure I). On assiste entre les années 1940 et 1970 à un
compromis entre les pouvoirs publics et la profession médicale. Les premiers ont
clairement montré leur intérêt pour l’institution hospitalière en mettant en place un
mode de financement dynamique (prix de journée) et en permettant aux établissements
de bénéficier de subventions pour agrandissement et acquisition de matériel. De leur
côté, les médecins hospitaliers ont accepté les contraintes liées à leur profession (plein
temps,…) contre le prestige et le statut. Cette configuration a favorisé l’éloignement des
praticiens hospitaliers et des omnipraticiens.
La croissance des dépenses hospitalières semble donc résulter d’une double
logique de médicalisation de la société. Elle est d’abord le fruit d’une politique de santé
publique qui a privilégié l’hôpital comme l’élément central du système de soins,
réparateur des désordres pathologiques, mais également lieu de recherche et
d’enseignement. Elle résultent également d’un accroissement des besoins sanitaires et
sociaux de la population.
Figure I
Les ressources hospitalières entre 1949 et 1993
(% de PIB)19
3,50%
3,00%
2,50%
2,00%
1,50%
1,00%
0,50%
0,00%
1949
19
1954
1959
1964
1969
1974
1979
1984
1989
Source : Domin J.-P., Les dépenses hospitalières entre 1803 et 1993, dynamique hospitalière et cycles
longs, tome II, Annuaire statistique de l’hospitalisation (1803-1993), thèse de sciences économiques,
Université Paris I, 1998.
7
B. LA CRISE DU MODE DE REGULATION ET SES CONSEQUENCES
La mise en œuvre de l’ordonnance du 30 décembre 1958 avait pour objectif de
réformer en profondeur l’enseignement médical, la profession et le recrutement des
médecins. Mais en donnant aux CHU le monopole de l’enseignement, l’ordonnance
consacrait l’hôpital, producteur de normes et de connaissances, comme le centre
omnipotent du système de santé publique. Les pouvoirs publics ont donc
involontairement accéléré la séparation de la profession en deux corps : les médecins
hospitaliers et les omnipraticiens.
La réforme suppose, en effet, que l’enseignement de la médecine générale soit
dirigé par des praticiens hospitaliers qui n’ont pas la même approche du métier, ni les
mêmes préoccupations. Ainsi, le professeur ne se déplace pas chez le malade, celui-ci
vient le voir. Le premier ne voit pas le second vivre, il se coupe de son milieu social qui
pourrait lui être utile pour comprendre l’apparition de la pathologie. Robert Debré
proposait une formule de départ en stage dans les premières années des études de
médecine. Mais cette recommandation est restée lettre morte. Enfin, la formation
continue des professionnels n’a pas été mise en place.
La nature des disciplines enseignées peut également être discutée.
L’enseignement de la médecine s’appuie essentiellement sur les sciences exactes et sur
les examens de paramètres clinico-biologiques et oublie le milieu dans lequel vit le
malade20. Comme le dit justement Marie-José Imbault-Huart, confier la formation aux
CHU est incohérent dans la mesure où cette dernière se concentre sur les techniques de
pointe et de haut niveau et néglige les savoirs indispensables à la pratique des
généralistes (pathologies courantes, sémiologie, santé publique,…)21. Georges
Canguilhem remarque justement que le jeune étudiant en médecine apprend « le cycle
des amibes intestinales de la blatte de cuisine, mais rien sur la psychologie du malade,
la signification vitale de la maladie, les devoirs du médecins dans ses relations avec le
malade… »22.
La formation dispensée dans les CHU est tournée sur elle-même, elle prépare
essentiellement aux spécialités de l’internat. Dans cette perspective, les omnipraticiens
sont formés par défaut et constituent le « résidu de ceux qui ont échoué au concours de
l’internat de spécialités »23. Cette situation peut paraître absurde, mais elle conduit à
l’impasse du système de santé publique. Cette inadaptation est lourde de conséquences.
L’analyse de l’activité des généralistes montre que 40 % de leurs consultations
concernent trois spécialités : l’oto-rhino-laryngologie, la gériatrie et la psychiatrie. Or,
dans plusieurs facultés de médecine, les étudiants ne sont pas obligés de suivre les cours
de l’une ou deux de ces spécialités pour leur diplôme. Les jeunes praticiens doivent
donc se former eux-mêmes, souvent influencés par les conseils des grands groupes
20
Kervasdoué (de) J., Santé : pour une révolution sans réforme, Gallimard, Paris, 1999, p. 46-47.
Imbault-Huart M.-J., « Hôpital : réforme ou régression », in État-providence, arguments pour une
réforme, Gallimard, Paris, p. 372-373.
22 Canguilhem G., Études d’histoire et de philosophie des sciences, Vrin, Paris, 1994, p. 390-391.
23 Imbault-Huart M.-J., op. cit., p. 372.
21
8
pharmaceutiques. Ce dysfonctionnement évident induit des distorsions de
prescriptions24 et favorise l’accroissement des dépenses.
L’État n’a que très peu prêté l’oreille à ce type de problèmes. En 1981, un
rapport demandé par les pouvoirs publics, montre que le cloisonnement des disciplines
et des médecines générale et hospitalière peut entraîner un risque de balkanisation et
propose d’assurer une coordination entre les services hospitaliers et les soins
ambulatoires25. En réponse, les différents gouvernements ont tenté de mettre en place
une politique alternative à l’hospitalisation, mais celle-ci est restée assez timide et ne
s’est développée que trop lentement. L’essentiel des mesures a porté sur le plan
économique et budgétaire (taux directeurs en 1979, budget global en 1983,…). La
politique de santé publique, mise en œuvre à la fin de la Seconde Guerre mondiale, a
favorisé un déséquilibre des forces. Rien n’a été fait pour tenter d’y remédier. L’issue à
la crise du système repose donc sur une prise de conscience des acteurs et leur volonté
commune de dépassement des normes.
II. LES RESEAUX VILLE-HOPITAL : UNE REPONSE AUX DYSFONCTIONNEMENTS ET
UNE ISSUE A LA CRISE DU SYSTEME DE SOINS ?
Les premiers réseaux ville-hôpital (RVH) ont connu un essor dans les années
1980. Ces structures sont parties d’expériences locales, elles se sont développées dans le
tissus associatif en s’appuyant sur un établissement hospitalier, des omnipraticiens, des
infirmiers libéraux, des professions paramédicales et des travailleurs sociaux. Les RVH
combinent la formation des médecins généralistes, assure la circulation de l’information
médicale et s’appuient sur une conception sociale de la médecine.
Le réseau ville-hôpital constitue une réponse aux dysfonctionnements liés à
l’hospitalo-centrisme, mais il peut également dégager une issue à la crise en cours du
système de soins et favorise l’émergence d’un nouveau mode de régulation.
A. LE RVH COMME REPONSE AU DYSFONCTIONNEMENTS DU SYSTEME DE SOINS
Les réseaux ville-hôpital se sont développés au milieu des années 1980 et ont
progressivement été réglementés par les pouvoirs publics. Ils permettent, à l’heure
actuelle de répondre aux dysfonctionnements du système de santé publique.
1. Les principes
Les réseaux ville-hôpital ont la particularité d’être une innovation des acteurs
eux-mêmes. Les premiers ont été créés au milieu des années 1980, après le
développement de la pandémie du sida. Plusieurs facteurs ont favorisé leur émergence.
Au premier rang d’entre eux, le caractère polymorphe et chronique de la pathologie dont
l’évolution nécessite une actualisation des connaissances des praticiens. Le profil des
patients constitue un autre facteur important : jeune et actif, le malade désire souvent
24
Kervasdoué (de) J., op. cit., p. 52-53.
Gallois P., Taïb A., De l’organisation du système de soins, rapport au ministre de la santé, La
Documentation française, Paris, 1981.
25
9
conserver son activité professionnelle26. Enfin, le caractère militant d’un certain nombre
de médecins généralistes a accéléré la mise en œuvre de certains réseaux27, notamment
dans l’expérimentation des multithérapies.
En 1991, face au développement désordonné des RVH, le gouvernement a
décidé de légiférer. La circulaire du 4 juin 1991 définit le réseau de la façon suivante :
« la notion de réseau traduit le fonctionnement d'une organisation collective entre
plusieurs partenaires, professionnels ou volontaires juridiquement indépendants et
aptes à apporter sur les plans préventifs, médicaux, sociaux et psychologiques, les
ressources complémentaires requises pour un patient. Par lui même, un réseau n'a pas
la faculté de générer les ressources ou de donner naissance à de nouveaux acteurs. Il
valorise l'usage de ces ressources ou l'emploi de ces intervenants en favorisant leur
relation et leur coordination au bénéfice d'une population donnée »28. La loi du
30 juillet 1991 incite même les établissements publics de santé à « participer en
collaboration avec les médecins traitants et les services sociaux et médico-sociaux à
l’organisation de soins coordonnés au domicile du malade et des actions de
coopération… ».
Progressivement, les pouvoirs publics ont étendu la création de réseaux,
notamment pour améliorer l'efficacité de l'aide d'urgence des personnes âgées en perte
d'autonomie29. Une circulaire de mars 1994 confirme la création de réseaux destinés « à
améliorer la prise en charge des toxicomanes en favorisant l'échange et la
communication entre les divers intervenants »30. Les deux ordonnances, promulguées
par Alain Juppé le 24 avril 1996 intègrent définitivement la notion de réseau dans le
système de santé. La première accélère l’expérimentation des réseaux et montre l’intérêt
de ce type d’organisation31. La seconde préconise l’essor de réseaux expérimentaux et
médicaux sociaux permettant une prise en charge globale des patients32, s’apparentant
aux Health Maintenance Organization (HMO). Enfin, plus récemment, la circulaire du
25 novembre 1999 reconnaît la pertinence des réseaux ville-hôpital dans le système de
santé publique. Elle prévoit l’élaboration d’un cahier des charges, ainsi que la
possibilité d’un plurifinancement33.
Le réseau ville-hôpital reste une structure fragile sur laquelle l’administration a
très peu d’emprise. Deux sortes de raisons motivent les membres du réseau. Certains
praticiens privilégient un comportement altruiste et désirent participer aux progrès de la
connaissance scientifique et contribuer au développement des politiques de santé
publique. Des motifs plus personnels, comme la responsabilité professionnelle, peuvent
26
Attenti P., Action des réseaux ville-hôpital et des associations dans la prise en charge
extrahospitalière des malades HIV, thèse de médecine, Université Paris VIII, 1995.
27 Bez G., « Les réseaux ville-hôpital dans la lutte contre le sida et la toxicomanie, radioscopie d’un
développement », in Les RVH à la croisée des chemins, les enjeux d’un développement, Paris, 1995,
p. 17-26.
28 Circulaire DH/DGS n°612, du 4 juin 1991.
29 Circulaire DH/EU n°93-26, du 13 juillet 1993.
30 Circulaire DGS/DH n°15, du 7 mars 1994.
31 Ordonnance n°96-346, du 24 avril 1996.
32 Ordonnance n°96-345, du 24 avril 1996.
33 Circulaire DGS/DH n°99-648, du 25 novembre 1999.
10
accélérer la participation des omnipraticiens aux réseaux. En revanche, celle-ci peut,
dans certains cas, masquer une stratégie d’influence au sein des milieux médicaux. Le
réseau apparaît alors comme un instrument de pouvoir permettant à ses membres de se
valoriser aux yeux de leurs confrères. Il s’agirait donc plutôt d’une réappropriation
collective de l’objet médical par les omnipraticiens34.
Enfin, l’administration reste assez méfiante vis à vis de cette innovation
organisationnelle. La première fonctionne avec des règles particulières et poursuit des
objectifs différents de ceux de ses partenaires. Les adhérents aux réseaux craignent les
tendances expansionnistes administratives. Néanmoins, les dernières circulaires
montrent clairement la volonté des pouvoirs publics de tenir compte de cette
organisation. Le service public rénove ses méthodes de travail afin de servir de façon
plus efficace les usagers35. Cette volonté masque une transformation plus profonde :
l’usager consommateur devient un usager citoyen, il participe à la modernisation et se
constitue comme « vecteur de l’innovation pour l’institution »36.
Le concept de réseau s’articule autour de trois points fondamentaux : la
différenciation, la coordination et la régulation37. La différenciation constitue un
élément majeur en ce sens que la volonté commune des adhérents est d’élaborer une
prise en charge alternative de la maladie. L’intérêt est de confronter des expériences
nouvelles. La coordination met en évidence des liens forts, existant entre les membres
du réseau. Enfin, la régulation traduit l’élaboration de règles de sociétés. Le réseau reste
une organisation flexible et ouverte. Ainsi, les modalités de fonctionnement s’adaptent
en fonction de ses actions à chaque étape de sa vie38.
2. Répondre aux dysfonctionnements du système de soins
Les RVH développent des actions dans trois directions différentes. La formation
des omnipraticiens, la circulation de l’information et l’élaboration d’une médecine
nouvelle, ouverte sur l’environnement social du malade.
La formation constitue la mission première des réseaux ville-hôpital. Les deux
premières circulaires de 1991 et 1994 insistent d’ailleurs sur cette nécessité : la création
d’un espace de discussions et de communication. L’amélioration de la prise en charge
des malades résulte de cette évolution. L’expérience du réseau VIH de Paris-Nord est
assez significative de cette nouvelle logique. Cette structure pallie l’isolement des
généralistes face au développement de la pandémie du sida. Dans cette perspective, elle
organise des séminaires animés conjointement par des omnipraticiens et des médecins
hospitaliers. L’enseignement couvre l’ensemble des aspects médicaux, cliniques,
34
Jacob É., « Les réseaux ville-hôpital : instrument de recomposition du système de prise en charge ou
outil de requalification professionnelle ? », Prévenir, n° 32, 1997, p. 189-202.
35 Weller J.-M., « La modernisation des services publics par l’usager : une revue de la littérature (19861996) », Sociologie du travail, n°3,1998, p. 365-392.
36 Le Bœuf D., « Mise en œuvre des réseaux de soins, de l’expérimentation à l’organisation pérenne »,
Gestions hospitalières, n° 391, décembre 1999, p. 741-745.
37 Huard P., Moatti J.-P., « Introduction à la notion de réseaux », Gestions hospitalières, décembre 1995,
p. 735.
38 Reynaud J.-D., Les règles du jeu, l’action collective et la régulation sociale, Armand Colin, Paris,
1997.
11
psychologiques et sociaux de la maladie39. Les médecins participant à ces séminaires
bénéficient d’une formation théorique sur le VIH que bon nombre d’entre eux n’ont
jamais eu dans les facultés de médecine. Celle-ci est complétée par des séances
pratiques concernant l’accompagnement à domicile des malades (pose de cathéter, de
sondes urinaires…). Dans une perspective similaire, l’Unité mobile de soins palliatifs
de Saint-Dizier (Haute-Marne) a pour objectif de faciliter l’hospitalisation à domicile
des malades. Elle forme les omnipraticiens et les infirmiers libéraux aux techniques
d’hospitalisation à domicile40.
Ces rencontrent favorisent le rapprochement entre les médecins hospitaliers et
généralistes. Elles ouvrent les premiers sur les problèmes de l’exercice libéral et offrent
aux seconds une formation indispensable. L’infection à VIH a rendu nécessaire la
formation continue, prévue par l’ordonnance du 30 décembre 1958 mais jamais mise en
œuvre. Ainsi, le patient bénéficie des progrès thérapeutiques connus de l’ensemble des
personnels soignants.
Le deuxième objectif des réseaux est d’assurer la circulation de l’information.
Les différentes composantes d’un RVH sont associés dans des groupes de travail et des
séminaires à thèmes (cas cliniques, soins palliatif, accompagnement des malades en fin
de vie,…). Le réseau VIH de Paris-Nord favorise, par exemple, la circulation de
l’information entre les médecins généralistes et les praticiens hospitaliers sur le virus du
sida. La diffusion de l’information est primordiale pour le suivi thérapeutique des
malades non hospitalisés.
Le RVH doit être souple et flexible pour assurer la coopération et la
coordination entre les différentes formes d’offre de soins. Depuis 1958, la pratique
hospitalo-universitaire, jugée plus noble, a été privilégiée au détriment de la médecine
généraliste. Or, pour assurer un équilibre au réseau, il est nécessaire d’obtenir un
engagement à part égale des participants. Dans le cas du Réseau VIH de Paris-Nord, les
médecins hospitaliers se sont d’abord montrés réticents face à cette évolution. Mais le
travail en séminaire a permis d’instaurer une relation de confiance entre les
partenaires41. À Metz, le RVH gérontologique a suscité, dans un premier temps, la
méfiance des omnipraticiens et a su gagner leur confiance progressivement42.
Le réseau doit donc être appréhendé comme un instrument de santé publique et
non comme un enjeu de pouvoir. Il doit permettre de mettre en place des enquêtes
épidémiologiques, il doit également favoriser les essais thérapeutiques. Ainsi, la
trithérapie et maintenant les multithérapies, utilisées contre les infections à VIH, ont été
expérimentées dans le cadre de RVH. Dans une perspective conventionnaliste, Sophie
Béjean et Maryse Gadreau ont montré que le réseau limite les comportements de
39
Zanker-Ronsin C., Collaboration ville-hôpital dans la prise en charge des patients séropositifs, thèse
de médecine, Université Paris VII, 1994.
40 Domin J.-P., « Le développement des réseaux ville-hôpital en région Champagne-Ardenne : vers une
nouvelle dynamique hospitalière ? », in Dynamique institutionnelle et dynamiques économiques et
sociales régionales : le cas de la Région Champagne-Ardenne, Presses universitaires de Reims, Reims,
juin 2001.
41 Zanker-Ronsin C., op. cit., p. 70-50.
42 Schmitt S., Les réseaux ville-hôpital en Moselle : bilan de leur mise en place et enjeux pour le Centre
hospitalier régional Metz-Thionville, Mémoire de l’ENSP, Rennes, décembre 1996.
12
stratégie individuelle pour privilégier uniquement la relation de confiance et de
coopération, nécessaire dans une optique thérapeutique43.
Le dernier objectif, mais le plus important, est de redonner au malade une place
centrale dans le système de soins. Cette mission s’articule autour d’une idée
fondamentale : appréhender le malade dans sa globalité qu’elle soit sanitaire et sociale.
Le RVH doit d’abord permettre un redéploiement de la médecine de ville dans le
système de santé publique44 et de faciliter la circulation du patient en assurant une
meilleure gestion des actes médicaux. Deux mesures sont envisagées : la régulation des
entrées à l’hôpital en amont et le développement de l’hospitalisation à domicile en aval.
La régulation des entrées à l’hôpital est indispensable dans la mesure où bon nombre de
patients hospitalisés, souvent issus de milieux défavorisés, ne consultent pas de
médecins généralistes45 et ont accès à l’hôpital que par l’intermédiaire des urgences.
Ces comportements, nés de la crise et de l’impossibilité pour certains ménages d’avoir
accès à des soins de qualité, favorisent inéluctablement l’accroissement des dépenses.
Pour remédier à cette situation, certains hôpitaux emploient des médecins
généralistes vacataires aux urgences afin de réorienter le malade vers une offre de soins
appropriée46. Le centre de soins offre également de multiples avantages. C’est le cas du
Point Alcool Rencontre Information (PARI) de Wazemmes (Nord) dont la fonction est
de recevoir les personnes sujettes à l’alcoolisme et de décider d’une stratégie
thérapeutique à suivre (hospitalisation, cure,…)47. À Troyes (Aube), le réseau Éliséa
tente également de prendre en charge la thérapeutique liée à l’alcoolisme en organisant
les soins autour des établissements hospitaliers et des médecins généralistes48.
En aval, il est nécessaire de développer l’hospitalisation à domicile. Ce type
d’organisation demande une coordination efficace entre la médecine ambulatoire et la
pratique hospitalière. Cette solution est d’autant plus intéressante qu’elle évite aux
patients une cassure avec leur milieu familial et assure ainsi une certaine continuité,
favorable à leur rétablissement. Cependant, il existe deux types de freins à l’essor de
l’hospitalisation à domicile. La mise en œuvre de ce système nécessite des dépenses
supplémentaires que les caisses refusent souvent d’avancer49. D’autre part, certains
malades ne tiennent pas à cette solution dans la mesure où ils ne se sentent pas en
sécurité hors des établissements de soins.
Le RVH doit également s’ouvrir aux réalités sociales, on ne peut comprendre
une pathologie sans la rapporter à l’environnement du malade. Le réseau présente un
intérêt, il permet au praticien d’appréhender le malade dans sa globalité. Le réseau Point
Bleu de Saint-Dizier est, à cet égard, intéressant à analyser. Cette structure mène des
actions ciblées (point d’écoute sociale et psychologique, orientation de la demande
43
Béjean S., Gadreau M., « Concept de réseau et analyse des mutations récentes du système de santé »,
Revue d’économie industrielle, n°81, 1997, p. 77-97.
44 Ferrand-Nagel S., De l’accès aux soins au mode de production alternatif : les centres de santé dans le
redéploiement de la médecine de ville, thèse de sciences économiques, Université Paris I, 1990.
45 Sourty-Le Guellec M.-J., Enquête sur les hospitalisés, 1991-1992, CREDES, Paris, 1993.
46 Bez G., op. cit., p. 17-26.
47 Louvois B., Les réseaux ville-hôpital, Thèse de médecine, Université Lille II, 1996.
48 Domin J.-P., op. cit.
49 Sourty-Le Guellec M.-J., L’avenir de l’hôpital : quelles alternatives ?, CREDES, Paris, 1997.
13
sanitaire,…) autour de populations en difficultés et en état de précarité. Elle s’articule
autour du Centre hospitalier de Saint-Dizier et regroupe des professions médicales et
paramédicales, des assistances sociales et des éducateurs spécialisés. Cette solution est
novatrice dans la mesure où elle reconsidère toute pathologie et la rapporte à une réalité
sociale.
B. ÉMERGENCE D’UN NOUVEAU MODE DE REGULATION : LA MEDICALISATION
COORDONNEE
Nous avons montré que le système hospitalier s’est articulé des années 1945 à
nos jours autour d’un mode de régulation de médicalisation intensive. Celui-ci perdure
encore actuellement, mais semble s’essouffler. D’autre part, la lente transformation du
système économique accélère l’émergence d’un nouveau mode de régulation en santé
publique. Comme dans toutes les phases dites de fin de crise, deux logiques semblent
s’opposer. De cette confrontation naîtra un nouveau mode de régulation50. Une première
tendance propose un aménagement de la Sécurité sociale aux principes du marché.
Comme l’affirme Robert Launois « l’absence d’espace de liberté dans le cadre de la
protection sociale obligatoire généralisé a fait disparaître tous les stimulants financiers
qui poussent les acteurs à une plus grande efficience »51.
La libéralisation du secteur s’appuie essentiellement sur deux techniques. La
première s’articule autour de l’idée de marché. Les réseaux de soins coordonnés
constituent des entreprises intégrées de soins favorisant de façon simultanée une
assurance maladie et une gamme de services sanitaires allant de la médecine
ambulatoire aux établissements de soins et fournie contre une participation forfaitaire52.
De telles méthodes ont été expérimentées aux États-Unis (Health Maintenance
Organization-HMO-) et aux Pays-Bas (réforme Dekker)53. La seconde technique
essentiellement expérimentée en Grande-Bretagne, le quasi-marché, repose sur la mise
en concurrence d’établissements publics54 sur une zone sanitaire donnée. Ces méthodes
marchandes ne peuvent fonctionner sans un régulateur aux compétences multiples55
pour éviter les éventuelles atteintes à l’accès aux soins et les possibilités d’éviction de
Certains auteurs, issus de l’école de la régulation systémique ont développé la thèse du développement
des Hommes. Celle-ci poursuit l’hypothèse de la revalorisation de la force de travail. Elle suppose qu’en
phase de crise les dépenses sociales s’élèvent afin de résoudre les contradictions inhérentes au système
économique et favorise la construction d’une forme sociale nouvelle. Elle se développe en se finançant
sur une partie du capital dévalorisé, puis elle s’autonomise. Le dispositif entrerait alors dans une logique
différente, caractérisée par un processus d’autonomisation. La protection sociale obéirait, non plus aux
besoins du système économique, mais à une logique propre au développement des Hommes. Sur cette
question, on pourra lire Fontvieille L., « Les enseignements de la recherche sur les cycles longs pour une
prospective à moyen et long terme », Issues, n° 36, 1989 et Fontvieille L., « Long cycle theory, dialectical
and historical analysis », Review, volume XIV, n° 2, 1991.
51 Launois R.-J., « réforme du système de santé : serpent de mer ou choix raisonné ? », Journal
d’économie médicale, tome X, n°1-2, mars 1992, p. 56.
52 Giraud P., Launois R.-J., Les réseaux de soins, médecine de demain, Économica, Paris, 1985.
53 Bocognano A. et alii, « Concurrence entre assureurs, entre prestataires et monopole naturel, une revue
des expériences étrangères en matière de santé », Économie et Statistique, n°328, août 1999, p.21-36.
54 Bureau D., Esposito J., « La régulation économique des dépenses de santé : réflexion sur la réforme
britannique », Revue française d’économie, n°1, 1996, p. 147-181.
55 Bocognano A. et alii, op. cit., p. 21-36.
50
14
malades à risques. La libéralisation du secteur sanitaire se développe en Europe, elle
remet en cause les fondements mêmes de notre système de protection sociale. En effet,
de telles méthodes repose sur une logique marchande et assurantielle. Les risques
sociaux de ces systèmes sont connus : évictions des malades atteints de pathologies
graves et des personnes non solvables.
Une seconde tendance propose une réforme organisationnelle de notre système
de soins. Celle-ci s’inscrit dans une logique de révolution informationnelle et inaugure
plus généralement quelques pistes de réflexion vers l’économie solidaire.
La logique du réseau présente des intérêts évidents pour le système de soins dans
son ensemble. Le partage et la circulation des idées et des informations entre tous les
acteurs ne peut que favoriser l'émergence de solutions efficaces. Une telle conception de
la médecine paraît être intéressante. Elle nécessite un travail pluridisciplinaire englobant
les professions médicales, non médicales, paramédicales, mais également les
travailleurs sociaux. Le réseau ville hôpital permet un dépassement du colloque
singulier entre le médecin et son patient et favorise une évolution du paiement à l'acte
curatif pour aller vers d'autres modes de rémunération : capitation, forfaitisation, salariat
à temps partiel, paiement à l'acte préventif56. Cette évolution traduit une transformation
plus profonde de la pratique médicale qui s’oriente vers une thérapie à domicile pour
des pathologies lourdes (maladie d’Alzheimer, cancer en phase terminale,…)57. Elle ne
pourra se faire que dans le cadre d'une modification du comportement des praticiens58.
Cette logique nouvelle semble accélérer le passage vers un nouveau stade de
développement : le stade de la médicalisation coordonnée. Le concept de réseau s'inscrit
dans la logique de la révolution informationnelle. Celle-ci inaugure une nouvelle phase
dans l'évolution du système économique assis sur un nouveau mode de régulation. Paul
Boccara parle d'une mixité technologique évolutive permettant l'émergence de principes
nouveaux de régulation et la conservation de principes anciens59. Cette étape s'appuie
sur de nouvelles formes d'organisation des entreprises et des investissements
immatériels comme la formation et la recherche. Elle rénove le mode de régulation dans
la mesure où le partage des coûts d'information prime sur la compétition et le marché.
Dans un réseau, il y a un partage des coûts de recherche puisque cette opération est
commune à tous les acteurs (médecins généralistes et praticiens hospitaliers).
L'information est reproduite et transmise gratuitement à l'ensemble des membres du
réseau. On se trouve ainsi dans une logique non marchande car les coûts sont partagés
par les producteurs de soins et les utilisateurs de l'information.
La circulation permet d'enrichir l'information de l'expérience de chacun des
acteurs. À chaque stade, les membres du réseau alimentent le débat grâce à leur pratique
médicale et leurs expériences. Les coopérants aux réseaux doivent être formés et
capables de s'adapter aux nécessités collectives. Ils doivent avoir en commun un certain
56
Dugleux G. et alii., « Quelle rémunération pour la prévention en médecine générale ? », Revue de
l’économie sociale, 1993.
57 Sagot J., Coudert Y., « Paramètres économiques et centres de santé », Prévenir, n° 36, 1999.
58 Muller P., « La profession médicale au tournant », Esprit, n°229, février 1997.
59 Boccara P., « Révolution informationnelle et débuts possibles d'un nouveau type de régulation dans un
système mixte ouvert », Mondes en développement, Tome XX, n°79-80, 1992.
15
nombre de références favorisant l'assimilation des informations. Dans cette perspective,
les réunions et les séminaires de formation, organisés par les médecins hospitaliers,
facilitent l'élargissement des connaissances. La circulation de l'information au sein du
réseau doit suivre un sens logique, conforme au traitement du malade et son évolution
au sein du système de soins. Cette évolution des mentalités est fondamentale, elle doit
permettre au généraliste de disposer de banques de données et de moyens d'aides à la
prescription pour orienter correctement le patient au sein du réseau60.
Cette procédure ne doit pas, pour autant, entraver l'autonomie ni la liberté des
médecins généralistes. Au contraire leur vision différente des soins confère au réseau un
avantage. Néanmoins, l'excès d'informations n'est pas non plus préférable. Il peut
entraîner des dysfonctionnements au sein du réseau. Certains travaux ont montré qu'une
maîtrise non autonome de l'information61 ou les transformations successives de celle-ci
favorisent des déséconomies d'échelles62. D'autres formes alternatives tendent à se
développer dans le cadre hospitalier. C'est le cas pour les groupements d'intérêts publics
ou les groupements d'intérêts économiques. Ces nouvelles structures constituent des
formes mixtes (public/privé) visant à partager les coûts médicaux. Elles permettent
également de faire évoluer les modalités de représentation des acteurs. Paul Boccara
parle à ce sujet d'une mixité, d'une délégation représentative et d'une autodirection
assurant un partage des pouvoirs et une concertation plus grande entre les acteurs63.
Plus généralement le réseau ville-hôpital s’intègre dans ce que Jean Gadrey
appelle les rapports sociaux de service. Ces derniers seraient porteurs d’un mode de
régulation post-fordiste dans la mesure où ils reposent sur l’interactivité de la
production et de la consommation. La relation entre l’offre et la demande continue à
être profondément structurée par l’offre. L’imbrication de ces deux entités se manifeste
essentiellement par la construction conjointe de l’offre et de la demande. Mais ce type
de service coûte cher et ne pourra se développer que par l’intermédiaire d’une nouvelle
forme de socialisation64.
Les réseaux ville-hôpital, doivent, en effet, accélérer le passage à un nouveau
mode de régulation. La forme monétaire de socialisation de la médecine, imaginée à la
fin de la Seconde Guerre mondiale, ne suffit plus à assurer le fonctionnement du
système. Il est nécessaire de la compléter par une forme non monétaire (la réciprocité).
La politique de restriction budgétaire, mise en place par les pouvoirs publics dans les
années 1980, a favorisé l’émergence de services de proximité. Ces derniers s’articulent
autour du concept de réciprocité. Ainsi, les prestations offertes par les réseaux ont pour
vocation d’affirmer le lien social. Ce principe se distingue de l’échange marchand dans
60
Béraud C., « La France à la recherche d'un système de soins », Futuribles, 1996, p. 5-46.
Simon H.-A., Administration et processus de décision, Économica, Paris, 1983, p. 136-152.
62 Gunn T., « Mécanisation de la conception de production », Pour la science, novembre 1982.
63 Boccara P., « Au-delà de Marx : pour des analyses systémiques ouvertes à la créativité d'une nouvelle
régulation en économie et en anthroponomie », Actuel Marx Confrontation, 1996.
64 Gadrey J., « Rapports sociaux de service : une autre régulation », Revue économique, n°1, 1990, p. 4970.
61
16
la mesure où il s’appuie sur le don. Il s’agit donc d’un mode de régulation assis sur une
relation symétrique et ne reposant plus sur l’autorité d’un pouvoir central65.
CONCLUSION
L'hôpital s'est constitué comme le principal mode de prise en charge de la
maladie. Cette tendance, qualifiée d'hospitalo-centrisme, a conduit à de nombreux
dysfonctionnements favorisant la forte croissance des dépenses. Les difficultés
économiques ont accéléré la remise en cause libérale de la protection sociale. La crise
actuelle se traduit par des débats sur le rôle de la protection sociale et de l'hôpital. Deux
tendances s'opposent à ce sujet. La première réclame un aménagement de la Sécurité
sociale aux principes du marché afin de favoriser l’efficience du système de soins. Cette
logique constitue le socle des politiques de maîtrise des dépenses.
Le réseau ville-hôpital constitue la seconde voie et présente une alternative
intéressante à la privatisation. Il assure le développement de la coopération entre les
différents offreurs de soins et permet avant tout la circulation de l'information entre les
adhérents et améliore le suivi des patients. Cette structure doit, à terme, faire diminuer
les coûts liés à l'hospitalisation et faciliter la prise en charge des patients. En outre, les
malades soignés à domicile connaissent une phase de guérison plus rapide dans la
mesure où ils ne sont pas coupés de leur environnement naturel. Le système entrerait
ainsi dans une période caractérisée par un nouveau mode de régulation : le stade de la
médicalisation coordonnée. La logique du réseau présente des intérêts évidents pour le
système de soins dans son ensemble. Le partage et la circulation des idées et des
informations entre tous les acteurs ne peut que favoriser l'émergence de solutions
efficaces. Une telle conception de la médecine paraît être intéressante. Elle nécessite un
travail pluridisciplinaire englobant l’ensemble des professions de soins, mais également
les travailleurs sociaux. Le réseau ville hôpital s’appuie sur le dépassement du colloque
singulier entre le médecin et son patient et favorise une évolution du paiement à l'acte
curatif pour aller vers d'autres modes de rémunération. Cette évolution ne pourra se
faire que dans le cadre d'une modification du comportement des praticiens.
65
Guigue B., « L’économie solidaire, une alternative au libéralisme », Études, 2000.
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