Two Movements and Human-Animal Continuity

publicité
Continuité humain-animal : prises de position de deux mouvements, leurs suppositions et
contradictions.
Barbara Noske
Cet article s’intéresse aux représentations, images et traitements des animaux au sein de deux mouvements: d’une part, du
mouvement de libération, de bien-être et du droit des animaux (les pro-animaux) et, d’autre part, du mouvement des verts
et écologistes radicaux. Il s’agira plus précisément ici d’explorer leur prises de position vis à vis de la continuité naturelle
existant entre animaux et humains.
La dénomination de chaque mouvement nous importe peu, chaque définition portant en elle une forme de généralisation
assez inévitable puisque certaines personnes, parmi elles des éco féministes (Warren 1994), se définissent elles-mêmes
comme des défenseurs des animaux tout autant que de fervents écologistes.
Le réductionnisme individualiste
Les membres du mouvement pour la protection des animaux tendent à se focaliser sur les animaux comme des êtres
sensibles et ont des idées très arrêtées sur le comportement éthique que nous devrions adopter à leur égard. Pour eux, une
nature qui a évolué de manière individuelle et sensible est une nature qui peut éprouver de la douleur, du plaisir et de la
peur (Singer 1990).
Puisque beaucoup de ces défenseurs des animaux sont des citadins (Francione 1996, Montgomery 2000), les animaux
qu’ils sont amenés à rencontrer sont ceux que nous avons incorporés à nos lieux de travail et de vie : ceux des aires de
production d’animaux telles les fermes-usines, ceux utilisés comme matériel organique dans les laboratoires et ceux que
nous considérons comme des animaux de compagnie. En clair, ces citadins rencontrent des animaux soit domestiqués, soit
qui ont été créés pour vivre (et mourir) dans des structures construites par des hommes (Sabloff 2001). Ceci étant dit, les
défenseurs des animaux s’intéressent également aux animaux chassés et cela concerne les animaux sauvages plutôt que
domestiques (la chasse sportive existant de longue date, spécialement en Amérique du nord (Cartmill 1993, Flynn 2002)).
Le mouvement pro-animal s’intéresse aux racines de la sensibilité prenant en compte la continuité qui existe entre la
condition humaine et animale. La sensibilité humaine porte en elle une signification éthique et c’est par elle que nous
condamnons l’oppression, la torture et les génocides. La continuité humains-animaux implique la reconnaissance que
beaucoup d’animaux ont des corps et des systèmes nerveux semblables aux nôtres. Ainsi, si le bien-être est une notion
importante pour les humains, il doit en être de même pour les animaux. Non seulement les animaux ont des corps qui
fonctionnent comme les nôtres et leur subjectivité (leur esprit et leur vie émotionnelle) ressemble également à la nôtre.
Comme nous, les animaux sont, comme le souligne Tom Regan, des “sujets de vie” (1983). Ces similarités
humains/animaux appellent à un égal comportement éthique : notre comportement vis-à-vis des animaux ne peut pas être
radicalement différent de celui que nous pouvons avoir vis-à-vis des humains.
Beaucoup de pro-animaux sont presque indifférents à d’autres natures que la nature animale. Des formes de vie
supposément non-sensibles telles les plantes et les arbres ne sont généralement pas prises en considération ainsi d’ailleurs
que des formes ou groupes de formes de vie inorganiques comme les roches, les rivières ou les écosystèmes. En ellesmêmes ces formes de vie ne sont pas sensibles et individuellement elles ne peuvent souffrir : le mouvement pro-animal
s’en désintéresse-t-il le plus souvent (Hay 2002).
Le mouvement de défense des animaux est très critique vis-à-vis de la notion traditionnelle d’ « animal machine » et
s’affirme comme étant le plus important groupe de pression au niveau mondial à condamner l’élevage intensif. En
revanche, nous n’entendons pas leur voix quand ce même mal est fait aux plantes (Dunayer 2001). Le concept de « plante
machine » et l’élevage intensif de végétaux ne provoquent pas, en effet, le même mouvement d’indignation... Ainsi, la
critique de l’objectivation et de l’exploitation reste indéfectiblement liée à la notion précédemment discutée de sensibilité.
L’objectivation du reste de la nature –comme par exemple la manipulation génétique- est largement soit ignorée, soit
déniée.
Se focalisant sur les êtres sensibles, les défenseurs des animaux font abstraction de l’environnement dans lequel ces êtres
évoluent. On rencontre parfois une certaine gêne parmi eux à propos des carnivores : comme si des animaux dévorant
d’autres animaux est une chose qui ne devrait idéalement pas exister. Des personnes s’intéressant aux droits des animaux
et ou en faisant partie me disent que, si cela était possible, ils aimeraient faire disparaître de telles relations proie-prédateur
ou au moins d’extraire (pour ne pas dire libérer ou sauver) la proie de cette équation mortelle.
Un autre exemple du refus d’accepter comme une nécessité zoologique le fait que des animaux se nourrissent de viande est
la tendance qu’ont les végétariens/vegan défenseurs des animaux de transformer leurs compagnons carnivores à quatre
pattes en végétariens en les nourrissant exclusivement de produits d’origine végétale souvent additionnés de compléments
alimentaires. La nourriture standard des animaux de compagnie d’Amérique du Nord prend la forme le plus souvent de
sachets ou de boîtes de conserves contrairement aux Européens qui leur préfèrent la nourriture fraîche -voire bio- que l’on
peut facilement se procurer chez le boucher du coin. Alors que beaucoup de ces personnes reconnaissent que le corps de
leur petit compagnon n’est peut-être pas fait pour être végétarien, cela ne leur pose apparemment aucun problème de
rendre la santé de leur animal dépendante de suppléments alimentaires issus de l’industrie. Malgré eux, ces gens
transforment leurs animaux en un double d’eux-mêmes, consommateurs modernes de produits manufacturés de l’ère
industrielle. Les vies animales sont humanisées et colonisées : leur aliénation est ainsi portée à un autre extrême. S’agit-il
de protéger les animaux de compagnie d’une nourriture non-éthique ou bien d’imposer une éthique humaine à l’animal?
Incidemment, la plupart des aliments manufacturés à base de produits végétaux s’avèrent être des produits de quasi rebut
provenant de monocultures de l’agriculture conventionnelle pour lesquelles l’habitat de nombreux animaux est détruit,
…ces produits étant commercialisés par les mêmes complexes agro-industriels qui mettent sur le marché les nourritures
standard pour animaux de compagnie (Noske 1997).
Beaucoup de défenseurs des animaux semblent avoir des problèmes à accepter que le monde naturel soit un système
d’interdépendances où tout a sa place et sa fonction. Les êtres vivants ont mis longtemps à construire ces relations entre
eux-mêmes et vis à vis de leur environnement. La nature est une communauté où toute chose vivante vit aux dépends de
quelque chose d’autre. La nourriture, même vegan, n’est-elle pas le produit mort d’une nature qui fut autrefois vivante?
Dans le royaume zoologique cela veut dire qu’un régime à base de plantes ou à base de viande ont leur propres raisons
d’être : la prédation n’est ni une anomalie quantitativement négligeable ni une déficience éthique de l’écosystème
(Plumwood 1999).
Au risque de généraliser, je vois un manque d’attention vis à vis de l’environnement ainsi qu’une critique
environnementale dans le discours des défenseurs des animaux. L’urbanisation, l’optimisme technologique et la
survalorisation de l’espace citadin (Lemaire 2002) sont tenus pour acquis. J’ai rencontré des militants pour les droits des
animaux -de ceux qui vivent dans d’immenses blocs d’immeubles de villes nord américaines- qui se sentaient investis de
la mission de convaincre le peuple Inuit du grand nord de migrer vers le sud : abandonnant leurs terres gelées où vivaient
leurs ancêtres depuis des générations, ils pensaient que ces peuplades pourraient ainsi se créer un mode de vie plus éthique
vis-à-vis des animaux et devenir végétariens (chose qu’ils ne peuvent se permettre dans leur environnement actuel)...
Je me suis également rendue dans des refuges pour animaux, de ceux dirigés selon le principe qu’on ne confie pas
d’animaux à des personnes possédant un jardin de peur que, si ces animaux s’échappaient, ils puissent se faire tuer en
traversant la route. Mais être enfermé entre quatre murs est sans doute une vie moins enviable qu’une mort accidentelle
sous les roues d’un camion...
Beaucoup de défenseurs des animaux évoluent dans un monde où la technique tient la première place, où l’être humain
domine et pense que cela est un dû. Par exemple, l’hégémonie de la voiture dans le monde moderne ne fait pas partie de
leurs préoccupations. Quoi que représente la voiture, ce mode de transport privé est cause de nombreux décès d’animaux.
Selon Wildecare, association pour la réintroduction de la faune sauvage à Toronto, la plupart des blessés ou des orphelins
animaux que l’on leur amène sont des victimes de la route et non victimes de prédateurs. Tandis que les voitures génèrent
de nombreuses morts et blessures, la construction de nouvelles infrastructures pour un trafic en constante augmentation
cause de manière indirecte de plus en plus de dommages à la faune (décès d’individus voire disparition de certaines
populations) par la détérioration ou destruction de leur habitat naturel. Nombreux sont les protecteurs des animaux qui
n’ont pas conscience des violences qu’impliquent le bétonnage d’une partie d’un paysage ou la construction d’une route.
Nous ne voyons pas beaucoup de traces de sang mais ces entreprises déciment des populations entières d’animaux et de
plantes (Livingston 1994).
En résumé, le mouvement pour la protection animale tend à considérer l’animal comme s’il était un être isolé, un
consommateur-citadin, vivant à l’écart de tout contexte écologique. De tels errements mènent à une forme de
réductionnisme: le réductionnisme individualiste.
Réductionisme écosystémique
Les animaux sont pour les radicaux écologistes - en tout premier lieu et avant tout- des animaux sauvages, c’est-à-dire une
faune vivant dans la nature. Ce ne sont pas les questions de sensibilité ou de cruauté qui sont centrales ici mais la nature et
l’environnement (Baird Callicott 1989). Incidemment, le mot environnement lui-même est problématique: cela signifie
littéralement ce qui nous environne et par définition, cela ne parle pas de nous. Dans le mot environnement, la séparation
entre nous et la nature est absolue (Noske 1997).
Les radicaux écologistes déconsidèrent ce qui ne touche pas à l’environnement ou ne contribue pas à l’écosystème. Ainsi,
les animaux de ferme ou les animaux de compagnie n’ont pas vraiment leurs faveurs. Leurs fondamentaux sont la nature,
les espèces et la biodiversité (Low 2001). Seuls les animaux inscrits dans un écosystème comptent à leurs yeux. Les
animaux ne sont que des représentants de leurs espèces, sont presque assimilés avec l’espèce ou l’environnement dont ils
font partie et l’animal en tant qu’individu est souvent méprisé.
Les animaux non-indigènes semblent tenir le mauvais bout: ils ne font pas partie d’espèces dignes d’intérêt et ce ne sont
pas des individus qui attirent une sympathie à caractère éthique (Rolls 1969, Soulé/Lease 1995, Reads 2003). Bien
souvent, ils sont considérés comme de la vermine. Rats, chats, lapins, chiens, renards, chevaux, singes, cochons, chèvres,
buffles –des animaux importés sciemment ou accidentellement par l’homme sur le continent Australien ou Américain–
perturbent l’écosystème car ils menacent la biodiversité locale. Ces animaux sont susceptibles de détruire l’équilibre
originel. Ceux qui agissent en prédateurs font souvent disparaître des espèces indigènes dont les membres ne trouvent
aucune parade contre ces envahisseurs. Ces animaux herbivores rendus à l’état sauvage peuvent totalement dévaster les
habitats dont dépendent des espèces locales (Reads 2003). Bien malheureusement, cela est souvent minimisé ou ignoré
par
le
mouvement
de
protection
animale.
Des verts de tendance radicale perçoivent ce type d’animaux comme appartenant à des espèces indésirables et prônent leur
destruction, par des moyens souvent inhumains. Jusqu’à présent, les parcs nationaux et les gardes de ces parcs avaient
l’habitude de tirer sur les “brumbies” (des chevaux sauvages) d’hélicoptère, massacrant indistinctement les individus,
décimant des populations et destructurant des familles entières d’animaux. Ainsi, sur le continent nord, les buffles d’eau
sont poursuivis et écrasés par des 4X4 équipés de pare-chocs anti-buffles, les lapins sont, quant à eux, à dessein
contaminés par des maladies mortelles, souvent transmises par le biais de puces infectées lâchées dans leurs terriers
(Reads 2003). Renards, chats et chiens sauvages sont tués par l’ingestion d’appâts empoisonnés. Par des cas relatés
d’empoisonnements humains (Bell 2001) et de très récents cas de nourriture empoisonnée en Chine (article de septembre
2002), nous savons les souffrances horribles qu’implique une mort par empoisonnement. Cela n’est guère différent pour
les animaux. Pour les radicaux écologistes, la souffrance des animaux sauvages et celle des animaux de ferme n’est pas
d’un grand intérêt.
Dans ce discours écologiste radical, la sensibilité est souvent traitée comme un sous-produit de la vie animale, de même
que l’individualité : nous découvrons que la sensibilité ne fait pas partie de la notion d’environnement, d’écologie ou de
nature.
Quelques radicaux écologistes tels que Aldo Leopold, Gary Snyder, Paul Shepard (cf. Leopold 1949, Shepard 1996),
présentent la chasse sportive comme un moyen d’être plus proche de la nature. Peu de radicaux verts sont critiques vis-àvis de la chasse sauf quand elle menace des espèces protégées et c’est alors le nombre d’animaux qui compte, plus que la
valeur des vies individuelles. Ils ne prennent pas non plus parti contre l’expérimentation animale. Mais, après tout, des
écologistes et des biologistes ne conduisent-ils pas eux-mêmes ce type d’expériences? Les expérimentateurs utilisent des
individus issus d’espèces très communes ou de bêtes spécialement élevées à cet effet telles des souris et des rats: celles-ci
n’appartenant plus totalement à la nature, leur bien-être n’est pas non plus aux yeux des chercheurs une priorité.
Les radicaux écologistes sont connus pour propager l’idée que chasser fait partie de la nature humaine. Ils parlent ainsi des
sociétés de chasseurs cueilleurs. La chasse est naturelle, disent-ils. Nous arrivons au point que, dans ces milieux radicaux,
la chasse est considérée comme un comportement plus naturel que celui qui consiste à avoir des animaux pour
compagnons (ce qui est très mal vu). Quoi qu’il en soit, l’origine des animaux de compagnie est aussi ancienne que la
chasse. C’est un phénomène que nous constatons dans toutes les sociétés, toutes les périodes de l’histoire et parmi toutes
les classes sociales (Serpell 1986). Ce n’est peut être pas dû à la nature humaine mais apparemment beaucoup de gens
éprouvent une profonde attirance pour une proximité physique véritable avec des individus d’autres espèces (Lévi-Strauss
1973, Tuan 1984).
Les verts radicaux n’ont pas beaucoup de temps à consacrer aux animaux domestiques et tendent à être plutôt désinformés
et peu concernés à propos de ce qui se passe pour les animaux de ferme et de laboratoire. A l’occasion de divers éco-tours
dans l’arrière pays australien, j’ai été frappée de voir que rien n’était fait pour éviter de servir de la viande industrielle aux
participants à l’occasion des repas. Même le guide le plus sensibilisé aux questions d’écologie témoignait d’une parfaite
indifférence quant à savoir d’où venait la nourriture consommée. C’est parce qu’il n’est pas dans une logique de
développement durable et qu’il pollue l’environnement que les verts radicaux désapprouvent l’élevage intensif, non à
cause de ce qui peut arriver aux individus animaux enfermés dans ces élevages.
En résumé: les radicaux écologistes tendent à confondre les animaux avec leurs espèces et mettre au même niveau les
animaux et leurs espèces ou leurs écosystèmes mène à une autre forme de réductionnisme: le réductionnisme éco
systémique.
La sympathie désincarnée contre l’antipathie incarnée
Les deux mouvements sont potentiellement unis dans leur lutte contre l’anthropocentrisme, idée que l’humanité est la
mesure de toute chose. Mis à part ça, il y a peu de terrains sur lesquels les deux groupes se rencontrent, peut être
seulement à l’occasion de campagnes internationales comme celles contre la chasse à la baleine ou la chasse au phoque.
La première fois qu’un groupe tel que Greenpeace avait témoigné quelque intérêt pour le bien-être d’individus animaux a
été quand, il y a quelques années, trois baleines se sont trouvées emprisonnées dans les glaces au Canada.
Etrangement -car on pourrait s’attendre au contraire- c’est le mouvement animal plutôt que le mouvement vert radical qui
évoque la continuité homme-animal comme une possibilité de considérer les animaux comme des individus. Par ailleurs,
beaucoup de défenseurs des animaux sont eux-mêmes l’incarnation d’une rupture entre l’homme et l’animal. Comme il est
dit précédemment, c’est à peine s’il existe dans ce mouvement une critique de la manière dont la technologie actuelle
aliène les humains à leur part d’animalité. Le sujet est soulevé par les radicaux verts plutôt que par le lobby de la
protection animale.
Considérons à nouveau le problème des voitures. Pour toutes les espèces, le mouvement du corps est le premier et le
principal mouvement organique : cela implique de la puissance musculaire, de la fatigue et de la sueur. Mais, pour des
hommes contemporains, le mouvement corporel est de plus en plus remplacé par la mécanisation et l’informatisation. Les
humains laissent des machines se mouvoir à leur place et, en conséquence, ils s’éloignent de plus en plus de la condition
animale. A peine quelques défenseurs des animaux considèrent ceci comme problématique en ce qui concerne la
condition humaine naturelle, c'est-à-dire notre animalité physique. Pour eux, le problème ne concerne pas la continuité
animaux-humains. Mais la continuité n’est pas uniquement une question d’humanité des animaux mais aussi d’animalité
des humains. Il y a une existentielle et cruciale connexion entre les deux. Dans les cercles du lobby pro-animal, quoi qu’il
en soit, la similitude humains/animaux reste largement un principe moral abstrait qui est rarement mis en œuvre dans la
réalité. On pourrait peut être dire que cette attitude est caractérisée par une empathie désincarnée : l’empathie est réelle
mais son fondement matériel est oublié.
Les verts qui, au contraire, apprécient les merveilles de la nature, sont conscients de la continuité homme-animal, et
dénoncent les diverses technologies (dont les voitures) comme étant aliénantes et dangereuses pour la nature. Une étrange
contradiction apparaît là aussi.
Quoique dans les cercles verts il soit reconnu que les pratiques humaines modernes ont exploité de manière extrême la
nature et le monde sauvage, cela ne semble pas induire beaucoup de sympathie pour les animaux exploités. Les victimes
animales, qu’elles soient domestiquées ou sauvages, sont condamnées par leur propre situation et sont considérées, dans
certains cas, comme une menace active envers ce qui est perçu comme la vraie nature.
Quoique les verts, contrairement à leurs homologues citadins du mouvement animal, sont susceptibles d’opter pour un
mode de vie naturel et d’être plus concernés par un passé humain-animal partagé, cela ne se traduit pas par une sympathie
à l’égard d’animaux moins bien considérés. La continuité hommes-animaux est réalisée mais, à la place de l’empathie, elle
est souvent accompagnée d’un mépris pour ces êtres qui ne mènent pas les vies naturelles dans un écosystème approprié.
Aussi dénaturés que ces êtres puissent être (nos souris de laboratoire par exemple), ils sont néanmoins encore
suffisamment proches de la nature pour posséder une aptitude naturelle à la souffrance, qu’il s’agisse de douleur, d’ennui,
d’indifférence, d’isolement social ou écologique ou pour ce qui est de faire face à une mort douloureuse.
Une autre contradiction apparait également. Dans des régions comme l’Amérique du Nord et l’Australie, l’intérêt porté
aux écosystèmes est fort et, comme il a été mentionné plus tôt, ceci s’est toujours exprimé par des mesures de défense
drastiques contre ce qui vient de l’extérieur, l’exotique et le sauvage (Aslin/Bennet 2000, Reads 2003). On peut se
demander ce qui conduit à de telles attitudes. Est-ce des êtres humains étrangers (au sens écologique) condamnant des
animaux étrangers? Est-ce que de tels individus voudraient défendre l’éradication d’eux-mêmes, membres d’un groupe
d’envahisseurs exotiques blancs dont l’impact néfaste sur l’écosystème local est bien visible? Seraient-ils en faveur de
réduire les naissances non aborigènes sans mentionner d’autres mesures drastiques ? Si la réponse est négative, comment
de telles mesures seraient justifiées en ce qui concerne les animaux ? Sous estimer la sensibilité animale et le sujet de la
cruauté animale quand au même moment on agite les arguments de la sensibilité humaine, provoque une discontinuité
éthique entre humains et animaux, peut être, il est vrai, de manière non intentionnelle.
Les récents développements de la biotechnologie animale vont être un test pour nos deux mouvements. Des protecteurs
des animaux affirment que le génie génétique peut créer des espèces animales adaptées aux conditions de vie des élevages
(Rollin, 1995). D’autres, parmi lesquels des vétérinaires, jouent avec les possibilités de cloner et de fabriquer des animaux
de compagnie sur mesure (Quain, 2002). Pour les verts, la question du génie génétique met en lumière les profonds
dilemmes liés à l’intégrité des espèces (Birke/Michael 1998).
Comment va réagir le mouvement pro-animal? Le mouvement vert va-t-il soulever ce problème? Admettons, le
mouvement vert s’intéresse aux espèces mais seulement aux espèces sauvages ; ainsi, les verts radicaux peuvent-t-ils être
inquiets de ce qui va arriver si des populations transgéniques se mélangent à des populations sauvages. Comment cela vat-il affecter les espèces? La plupart des manipulations génétiques sont faites sur des espèces déjà domestiquées qui
n’intéressent pas le discours de ce mouvement radical. Récemment, on a parlé de faire renaître des espèces sauvages
éteintes telles le tigre de Tasmanie (Thylacine) au moyen de manipulations génétiques : voilà ce qui les concerne plus…
Un terrain commun?
Qui sommes-nous pour naviguer entre une éthique individualisée et un réductionnisme éco systémique?
Le lobby animal s’accorde sur la nature sensible des individus humains: cela nous interroge sur l’espace occupé par
l’animal dans la société et l’éthique. Ce mouvement pourrait peut-être combler le fossé qui le sépare de l’écologie radicale
en dépassant l’intérêt exclusif qu’il porte à la sensibilité. Cela pourrait étendre l’éthique de la compassion du lobby animal
de telle manière à ce qu’elle inclut également les êtres non dotés de conscience, voire inorganiques. Plus que tout, il y aura
toujours des conflits d’intérêts entre les animaux eux-mêmes, entre les animaux et les plantes, les individus et les espèces
et ce qui est organique vis-à-vis de ce qui est inorganique...
Si la compassion d’une société signifie étendre l’éthique autant que cela nous est possible, l’écologie radicale ne serait
alors pas compatissante. Il s’agirait de se conformer et d’obéir au rythme de la nature et à ses limitations (Linvingston
1994). Cela parle d’une nature qui inclue la mortalité, la relation proie-prédateur, la primauté de certaines espèces,
l’imperfection des corps ainsi que notre propre finitude. Ainsi, au lieu de demander comment les animaux sont une part de
notre éthique, les écologistes radicaux demandent comment animaux et humains sont une part de la nature.
Considérons la poésie de Val Plumwood “Etre une proie”. En 1985, cette éco-philosophe végétarienne survécut de justesse
à une attaque de crocodile dans le parc national Kakadu, au nord du territoire australien, et se vit alors confrontée à sa
propre qualité de proie. Cela la fit réaliser qu’elle avait un corps mais qu’également, comme les animaux, elle était un
corps, une proie potientielle, un morceau de viande que pourrait dévorer tout autre animal. L’expérience l’obligea à
repenser le dualisme éthique/écologie. Il est bon de s’intéresser à de grands prédateurs comme les crocodiles, les ours, les
requins –ceux qui peuvent ôter la vie aux humains- dit Plumwood, car ces animaux sont un test pour nous (comme pour
les membres de nos deux mouvements...). Sommes-nous préparés à co-exister avec le monde libre, sauvage et
potentiellement mortellement dangereux de la terre sans le transformer en une autre chose qui éliminerait toute friction,
challenge ou conséquence? Les populations de prédateurs testent notre reconnaissance de l’existence humaine dans des
termes communs et écologiques, nous voyant nous-mêmes comme un maillon de la chaîne alimentaire, proie et prédateur à
la fois (Plumwood, 1999).
Les deux points de vue –liens entre la nature et l’éthique sociale- semblent incompatibles. C’est un vrai dilemne. Mary
Midgley et Baird Callicott (Hargrove 1992) se sont essayés à le résoudre en déclarant que les animaux sauvages méritent
notre protection comme étant une part de l’écosystème et que les animaux domestiques également, puisqu’ils font partie
de la communauté mêlée humain/animal et que nous avons des obligations éthiques envers tous les individus de cette
communauté. Le problème est que cet arrangement ne pourrait concerner tous les animaux. Certains animaux
n’appartiennent pas à ce groupe (l’écosystème d’origine) ni au second (la communauté domestiquée). La raison souvent
donnée pour les persécuter et éradiquer ce type d’animal sauvage et non-indigène est précisément qu’ils ne donnent pas
l’impression d’appartenir à une communauté particulière. Les parasites ne sont ni intéressants comme espèces ou comme
individus et en cela ils sont décrétés hors la loi…
Quoi qu’il en soit, nous tous, humains comme animaux, nous avons notre place dans la nature et dans la société (du moins
dans une nation aux règles humaines). Chacun d’entre nous est un individu sensible, membre d’une espèce et individu
ayant sa place dans le monde. Nature et société sont, de ce fait, intimement mêlés.
Le lobby animal a besoin de réaliser l’importance du monde sauvage, la relative particularité des non-humains et ce que
Livingston appelait l’« antériorité » des espèces. Cela nous protège d’une colonisation éthique et d’une humanisation de la
nature. Le mouvement radical écologiste aura toujours besoin, quant à lui, de s’impliquer dans des questions comme la
raison, la cruauté et la souffrance, de la manière dont ils les conçoivent et la façon dont ils traitent les individus animaux,
incluant ceux qui semblent nuisibles à la nature. Souvenons-nous que beaucoup d’espèces sauvages non-indigènes n’ont
pas choisi leur cadre de vie : ce sont les humains qui les y ont placés.
Pour vraiment rendre justice à la continuité animaux-humains, nous devons nous demander ce que cela a à voir avec la
nature mais également de quelle manière nous faisons partie de cette nature. Selon Plumwood (1999), nous ne pouvons
d’une manière néo-cartésienne diviser le monde en deux domaines séparés: un royaume humain et éthique d’une part, et
un monde animal et écologique, d’autre part. Tout être et toute chose existent à travers les deux. Toute nourriture est une
âme, dit Plumwood et, d’une manière ultime, toutes les âmes sont une nourriture.
Bibliographie
Aslin, H.J. & Bennett, D.H. (2000) ‘Wildlife and world views: Australian attitudes toward wildlife’. Human
Dimensions of Wildlife. 5 (2) 15-35.
Baird Callicott, J.(1989). In defense of the land ethic: Essays in environmental philosophy Albany: State University
of New York Press.
Baird Callicott, J. Animal liberation and environmental ethics: back together again. in Hargrove, E.C. editor.
(1992). The animal rights/environmental ethics debate: The Environmental perspective. Albany: State University of
New York Press, 249-261.
Bell, G. (2001). The poison principle: Sydney: Picador Pan MacMillan Australia.
Birke, L & Michael, M. (1998). ‘The heart of the matter: Animal bodies, ethics and species boundaries’. Society &
Animals. 6 (3) 245-262.
Braunstein, M. M. (1998). ‘Roadkill: Driving animals to their graves’. Animal Issues, 29 (3).
Cartmill, M. (1993). A view to a death in the morning: Hunting and nature through history. Cambridge: Harvard
University Press.
Dunayer, J. (2001). Animal equality: Language and liberation. Derwood: Ryce Publishing.
Flynn, C.P. (2002).‘Hunting and illegal violence against humans and other animals: exploring the relationship’.
Society & Animals. 10 (2) 137-154.
Francione, G.L. (1996) Rain without thunder: the ideology of the animal rights movement. Philadelphia: Temple
University Press.
Hay, P. (2002) Main currents in western environmental thought. Sydney: University of New South Wales Press.
Lemaire, T. (2002). Met open zinnen: Natuur, landschap, aarde. Amsterdam: Ambo.
Leopold, A. (1949). A sand county almanac. New York: Oxford University Press.
Lévi-Strauss, C. (1984). Tristes tropiques. Harmondsworth: Penguin Books.
Livingston, J.A.(1994). Rogue primate: An exploration of human domestication. Toronto: Key Porter.
Low, T. (1999). Feral future. Ringwood: Penguin Books Australia.
Midgley, M. (1983). Animals and why they matter. Harmondsworth: Penguin Books.
Montgomery, C. (2000). Blood relations: Animals, humans, and politics. Toronto: Between the Lines.
Noske, B. (1994). ‘Animals and the green movement: A view from the Netherlands’. Capitalism, Nature, Socialism,
A Journal of Socialist Ecology.5 (4) 85-94.
Noske, B. (1997). Beyond boundaries: Humans and animals. Montreal: Black Rose Books.
Plumwood, V. Being prey. in Rothenberg, D & Ulvaeus M. editors. (1999) . The New Earth Reader: The best of
Terra Nova. Cambridge: MIT Press. 76-92.
Quain, A. (2002). ‘Improving their bodies, improving our bodies’. Artlink, Contemporary Art Quarterly, theme
issue The improved body: animals & humans. 22 (1) 33-37.
Reads, J.L. (2003) Red sand, green heart: Ecological adventures in the outback. South Melbourne: Lothian Books.
Regan, T. (1983) The case for animal rights. Berkeley: University of California Press.
Rollin, B. (1995). The Frankenstein syndrome: Ethical and social issues in the genetic engineering of animals.
Cambridge: Cambridge University Press.
Rolls, E.. (1969). They all ran wild. Sydney: Angus & Robertson.
Sabloff, A. (2001). Reordering the natural world: Humans and animals in the city. Toronto: University of Toronto
Press.
Serpell, J. (1986). In the company of animals: A study in human-animal relationships. Oxford: Basil Blackwell.
Shepard, P. (1996). The others: How animals made us human. Washington DC: Island Press.
Singer, P. (1990 second edition). Animal liberation. London: Jonathan Cape.
Soulé, M.E & Lease, G. editors. (1995). Reinventing nature? Responses to postmodern deconstruction. Washington
DC: Island Press.
Tuan, Y. (1984). Dominance and affection: The making of pets. New Haven and London: Yale University Press.
Warren, K. editor. (1994). Ecological feminism. London and New York: Routledge.
[1] Hunting would indeed be natural if human hunters would kill their prey with their teeth or nails but they
happen to use artefacts such as high tech hunting or fishing equipment which makes hunting ‘cultural’ rather than
natural.
[2] Incidentally, the two movements have so far not been all that interested in each other’s literature. While
working in a North American faculty of environmental studies I found that my colleagues were generally
unfamiliar with animal ethics and animal rights literature other than perhaps Peter Singer’s (whose work they had
heard of, not read). A journal such as Society & Animals is unknown among deep greens and wildlife enthusiasts.
On the other hand, many of the animal ethicists and rightists I met on book tours and at conferences in the US,
Canada, Australia and New Zealand remain unfamiliar with literature of the deep ecology kind.
Animal Liberation Philosophy and Policy Journal, Volume 2, No. 1, 2004. © Barbara Noske
Téléchargement