LA DECLARATION UNIVERSELLE SUR LE GENOME HUMAIN ET LES DROITS DE L’HOMME LE PRINCIPE DE CONFIDENTIALITE DES DONNEES GENETIQUES Cours de D.E.A. Génétique Faculté de Médecine de Tunis, le 12 Juin 2001 Pr B. HAMZA Président du Comité National d’Ethique Médicale L’on sait que depuis deux décennies, les sciences et les technologies biologiques et médicales sont le siège de bouleversement des connaissances de plus en plus renouvelées. L’on commence à mieux comprendre le secret de la vie et de la génétique en particulier où l’on assiste, dans ce dernier domaine à une meilleure information qui peut être fournie sur un individu et qui provient de l’analyse de son A.D.N., individuel sur lequel est inscrite la chronique de toute une vie. Ces progrès nous font poser des questions sur le sens de la vie et le dessein de notre existence et même nos facultés intellectuelles et psychologiques innées et qui sont du domaine inné et privé. En effet, la maîtrise de la génétique offre aujourd’hui de grands pouvoirs à l’homme : la connaissance de la carte du génome humain, la médecine prédictive qui est fondée sur la connaissance des gènes, le diagnostic prénatal, la thérapie génique, les méthodes de sélection eugénique, les manipulations génétiques, l’utilisation de l’embryon et du fœtus à des fins thérapeutiques donc l’instrumentalisation, le clonage reproductif, l’utilisation des cellules souches embryonnaires et les perspectives du clonage thérapeutique, les transplantations d’organes humains, la xénogreffe, la médecine reproductive et le don de cellules germinales ovocytes et spermatozoïdes et les problèmes de filiation, autant de connaissances nouvelles qui sont objets d’espoirs et aussi d’angoisse et d’inquiétude sur le devenir de l’homme, son éthique, sa morale et ses droits et autant de dérives avec leurs conséquences sur les droits de l’homme. C’est devant l’explosion des connaissances qui découlent de la génomique et du séquençage qui peuvent moduler la naissance et la chronique d’une vie inscrite sur l’A.D.N. avec des problèmes éthiques, inédits à tous les niveaux de la société, qu’il est devenu nécessaire d’énoncer des principes fondamentaux de l’éthique et de souligner que si les applications de la recherche sur le génome humain offrent des perspectives bénéfiques sur la santé, elles doivent obéir à des règles qui respectent la dignité et les droits de l’homme et les libertés fondamentales. De là, la déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme adoptée par la Conférence Générale de l’UNESCO à sa 30ème session, 1999. Cette déclaration a pour ambition d’assurer un développement de la génétique humaine respectueux de la dignité de la personne humaine et qui impose de ne pas réduire les individus à leurs caractéristiques génétiques et de respecter le caractère unique de chaque individu. Elle énonce donc des principes essentiels qui 1 doivent guider les recherches en génétique pour garantir leur innocuité. Si, elle n’a pas de portée contraignante pour les Etats (comme par exemple la Convention internationale des droits de l’enfant ou la Déclaration des droits de l’homme, 1948, elle constitue néanmoins un instrument de réforme, une force morale qui devrait guider les Etats membres des Nations Unies) à adopter ces principes. Un des principes de cette déclaration est mentionné dans l’article 7, et qui est l’objet de l’expose d’aujourd’hui, que m’a confié le Professeur Habiba CHAABOUNI et qui pourrait être l’objet de débats à la fin de cet exposé. LE PRINCIPE DE LA CONFIDENTIALITE DES DONNEES GENETIQUES, LES DIFFERENTES INTERPRETATIONS ET APPLICATIONS (lire article 7) Le principe de la Confidentialité des données génétiques, repose sur le droit à la vie privée, droit par ailleurs reconnu par la déclaration universelle des droits de l’homme et ce droit lorsqu’il est associée à une personne identifiable, qui a été l’objet de recherches ou de diagnostic. Si la personne n’est pas identifiable, il n’y a plus de confidentialité. Lorsque les données génétiques identifiables sont répertoriées, se pose la question de leur « Divulgation ». Celle-ci implique systématiquement, le consentement libre et éclairé par une information adaptée à la personne, son langage et son niveau culturel (article 3-b). La divulgation peut concerner l’individu lui-même, c’est-à-dire, la personne concernée. Au terme de l’article 5 de la déclaration : toute personne qui a été l’objet d’examens génétiques peut exprimer le droit d’être informée ou de ne pas être informée du résultat. Ce droit doit être respecté. Cette possibilité est offerte, lorsqu’il s’agit d’un diagnostic prédictif (médecine prédictive). La médecine prédictive, c’est le dépistage chez un sujet sain mais susceptible de développer une affection que ni les examens d’investigation habituels, ni les plus performants ne permettent de dévoiler. Elle prédit chez une personne, un état pathologique avec certitude ou probabilité, selon le caractère génétique dominant récessif ou multifactoriel. La médecin prédictive est basée sur des critères scientifiques génétiques : la localisation, la composition, l’expression , gène. EXEMPLE D’APPLICATIONS DE LA CONFIDENTIALITE Chez l’individu, la connaissance de l’hérédité dominante à forte pénétrance, les maladies récessives, les maladies liées au chromosome X, certains cancers héréditaire, les maladies polygéniques et plurifactorielles. 2 Sur le plan éthique, la pratique d’un test génétique prédictif est une entrée dans l’intimité de la personne, ses angoisses dans la vie future. Aussi, faut-il respecter le droit de savoir, comme celui de ne pas savoir. Cependant, il existe des situations dans lesquelles les résultats d’un examen génétique, pratique sur l’intéressé contiennent des renseignements susceptibles de causer des torts psychologiques à autrui. L’intéressé peut exprimer le droit de ne pas savoir, qu’en principe, il faut respecter, mais il n’est pas aisé de concilier avec la possibilité de prévention du risque de susceptibilité génétique à une maladie qui se révèlera au niveau de la famille, à gros risque, de maladie dominante accessible à la prévention ou à des soins curatifs. En effet, le droit de ne pas savoir devient complexe au niveau de la famille et demande questionnement : Faut-il dévoiler à la famille, la présence dans son patrimoine génétique d’une affection héréditaire transmissible à forte prédominance ou d’un oncogène [cancer génétique (sein)] ? Serait-il éthique de ne pas informer alors qu’il y a possibilité thérapeutique ou préventive ? Exemple : hypercholestérolémie, diabète, glaucome ? Le praticien a-t-il le droit de ne pas informer ? Son geste ne sera-t-il pas interprété comme non assistance de personne en danger ? Jusqu’où va alors la confidentialité ? Il s’agit d’une réflexion qui peut avoir des conséquences juridiques. Le respect de la confidentialité, ne risque-t-il pas de bloquer toutes les actions préventives, à l’entourage du malade, la fratrie, les enfants existant et à naître ? Ces mêmes considérations peuvent justifier la divulgation aux membres de la famille. Il en est de même de la divulgation de l’information entre conjoints, si l’état génétique peut être préjudiciable à l’un ou à l’autre. « De toute manière la divulgation doit passer par le patient lui-même et bénéficier de son consentement ». LA SPECIFICITE La confidentialité concernant le diagnostic au niveau de l’embryon et du fœtus est spécifique. L’on peut par la technique de la biologie moléculaire, dépister au niveau de l’embryon ou du fœtus une anomalie génétique qui se manifestera tôt ou tard dans la vie. Dans cette situation, le praticien ne peut respecter la confidentialité et ce sont les parents qui sont les gardiens de l’information et c’est à eux qu’appartient la responsabilité de la confidentialité et sur le plan juridique le plan de l’interruption thérapeutique de la grossesse (ex. : Huntington). 3 Mais qu’en est-il de l’enfant qui va naître et que l’on sait qu’il est porteur d’un gène d’une prédisposition à une maladie génétique ? Faut-il l’informer de la vulnérabilité et de ses conséquences à long terme. La divulgation peut intéresser des tierces personnes qu’ils soient assureurs, employeurs, établissements scolaires, services d’adoption. Dans toutes ces situations, c’est la non discrimination de caractéristiques génétiques : chaque individu a droit au respect de sa dignité et de ses droits quels que soient ses caractéristiques génétiques. Cette dignité impose de ne pas réduire les individus à leurs caractéristiques génétiques et de respecter le caractère unique de chacun et de sa diversité. L’on ne peut admettre au niveau de la société, le non respect de la confidentialité. Ce serait, le réductionniste, la discrimination et la sélection sociale et économique et la mise en cause des principes d’égalité en droit et en dignité. La confidentialité, lors de l’accès des enfants à la scolarité et l’éducation. La divulgation de données génétiques à un établissement scolaire ne peut être autorisée que pour des raisons impérieuses, et ne peuvent être transmises qu’au service médical après consentement des parents. Au niveau des services de l’adoption, la divulgation des données génétiques relatives aux parents biologiques peuvent-elles être transmises aux parents adoptifs ? Elle est discutable et pose questionnement. Pourquoi, les refuser si elles concernent un aspect de l’état génétique de l’enfant accessible à une prévention. Dans le cas contraire, nous pensons qu’il faut y renoncer. Peut-on les divulguer à l’âge adulte ? Questionnement ? Mais c’est au niveau de la Recherche et de l’Epidémiologie que la confidentialité pose des problèmes. L’article 10 de la Déclaration stipule : « aucune recherche sur le génome humain ne devrait prévaloir sur le respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales et de la dignité humaine des individus ou des groupes d’individus ». A des fins de la recherche, la divulgation suppose : que l’intéressé, ait été informé, éclairé et qu’il ait donné son consentement et le consentement de la divulgation. Elle est justifiée, et doit être obtenue avant la recherche pour des raisons scientifiques et dans l’intérêt de la santé publique. Elle n’est pas justifiée : dans les cas de discrimination d’individus appartenant à des groupes qui risquent d’être stigmatisée. D’où la nécessité de vigilance de la part des équipes de recherches épidémiologiques. Après ces différentes interprétations sur la confidentialité en matière de génome humain, la déclaration universelle admet des limites au principe de confidentialité, mais celles-ci devraient être exceptionnelles. 4 L’article 9 de la déclaration en fixe les limites : « protéger les droits de l’homme et des libertés fondamentales. Des limitations aux principes de consentement et de la confidentialité ne peuvent être apportées que pour des raisons impérieuses, ou des considérations impératives fixées par la loi pour prévenir les infractions pénales et la protection des droits d’autrui …». Mais quelles que soient les limitations de la confidentialité des données génétiques, il y a lieu de donner une importance particulière à deux facteurs : Sensibilisation et Education. SENSIBILISATION ET EDUCATION DU PUBLIC L’article 6 de la déclaration stipule : « Les Etats devraient reconnaître l’intérêt de promouvoir aux différents niveaux appropriés la création de comité d’éthique indépendants, pluridisciplinaire et pluraliste, chargés d’apprécier les questions éthiques juridiques et soulevées par des recherches sur le génome humain et leurs applications ». C’est dans ce cadre, qu’a été créé, en septembre 1994, le Comité National d’Ethique Médicale. Comme tous les Comités nationaux, il s’agit d’un organisme pluridisciplinaire à compétence consultative pour les sciences de la vie et de la santé. Ce Comité contribue à explorer les limites du droit à la santé et en élaborer la mise en œuvre par des règles éthiques fondamentale. Il s’agit de comité consultatif, et si, il n’a pas le pouvoir de légiférer, il constitue par qualité nationale une référence à la détermination d’une politique de santé ayant une implication éthique. La sensibilisation et l’Education doivent impliquer des personnes qui sont chargées de veiller à la santé des populations, c’est-à-dire les professionnels de la santé, des sciences sociales qui devraient connaître les questions liées à la confidentialité et à la transmission des données génétiques d’un individu ou d’une famille. C’est aussi, dans le cadre de la sensibilisation et de l’éducation qu’il faudrait que les familles et les individus, avant de subir un test génétique, soient informés, avant de subir un test des questions de confidentialité qui peuvent se poser. C’est aussi dans ce cadre qu’intervient, le Conseil génétique qui nous permet aujourd’hui des choix dans le domaine de la génétique, qui touchent à l’hérédité des familles et qui ont des implications sociales, psychologiques et éthiques. Il est évident que le Conseil génétique, géré par des professionnels, aura une influence sur les décisions qui seront prises et pourront être un facteur limitatif de la pratique non contrôlée des tests génétiques dont les résultats parfois contradictoires pourraient en constituer un choc psychologique auprès des individus et des familles non informés de manière transparente des questions de confidentialité qui peuvent se poser. Cette information du public doit passer par une information objective à laquelle devraient contribuer les professionnels de la génétique (médecins ou scientistes) et là 5 où ils existent des comités d’éthique, quelque soit leur niveau, locaux ou nationaux, chacun selon la manière et ses attributions, la mission globale étant d’informer, d’éduquer et de conseiller à toutes les étapes d’un processus d’utilisation des données génétiques face aux problèmes fondamentaux, que pourraient poser la question de la confidentialité de l’homme et des droits fondamentaux qui l’accompagnent, en particulier le respect du droit à la vie privée. 6