Le projet de fusion Ulm-Cachan Séance de Pollens du 24 mars 2005 (25 présents) Petite histoire des ENS (Charles Bosvieux) Historiquement, la première ENS est bien celle de la rue d’Ulm mais elle ne pouvait s’appeler ainsi dès sa naissance pour la simple et bonne raison qu’elle ne s’installa sur le site d’Ulm qu’en 1847. Le premier nom de l’Ecole est Ecole normale de Paris. Elle voit le jour dans les temps mouvementés qui sont ceux de la fin de la Convention : le décret qui marque sa création date en effet du 09 brumaire an III (30 octobre 1794) . Il est contemporain de celui qui est à l’origine de l’Ecole centrale des travaux publics, devenue Ecole polytechnique en 1796. Il place donc l’ENS au nombre des réalisations révolutionnaires : outre l’Ecole polytechnique, le Conservatoire national des arts et métiers et l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO). Plongeant ses racines dans l’entreprise de restructuration du système éducatif au lendemain de l’expulsion des jésuites en 1762 et s’inspirant du plan grandiose d’instruction publique présenté par Condorcet en 1792, l’Ecole normale de l’an III incarnait les rêves égalitaires et utopistes de l’idéologie des Lumières. Le décret Lakanal proclamait ainsi : « La convention nationale, voulant accélérer l’époque où elle pourra faire répandre dans toute la République l’instruction d’une manière uniforme, charge son Comité d’instruction publique de lui présenter, dans deux décades, un projet d’écoles normales, où seront appelés de tous les districts tous les citoyens déjà instruits, pour leur faire apprendre, sous les professeurs les plus habiles dans tous les genres de connaissance humaine, l’art d’enseigner les sciences utiles ». Le contexte est donc le suivant : urgence de la guerre, volonté de former la nation et de faire accéder le peuple à un système d’éducation universaliste. Le décret du 09 brumaire prévoyait la création d’écoles normales au pluriel ; en réalité, une seule a été créée, celle de Paris. L’institution est morte au bout des quatre mois d’existence que lui avait accordés la Convention. Garat (commissaire de l’Instruction publique) et Lakanal prévoyaient en effet un normalien pour 20000 habitants et quatre mois pour lui faire acquérir l’ensemble des connaissances humaines et apprendre à les enseigner. Quatre mois, c’est tout ce que le comité des finances acceptait de payer. En 1794, il n’existe pas d’engagement décennal ; il y a juste une indemnité accordée aux élèves de l’Ecole normale pour frais de voyage et retour dans leur département. C’est l’Ecole normale de 1794 que l’Empire a cherché à retrouver en 1808 et qui est l’ancêtre des ENS actuelles. Apparaissent petit à petit dans le siècle le recrutement par concours, le passage de la scolarité à trois ans avec l’agrégation comme sanction habituelle des études et la division de l’Ecole en lettres et sciences (œuvre de Victor Cousin, directeur de l’Ecole, dans les années 1830). C’est en 1845 qu’on accole à l’Ecole normale l’épithète de « supérieure », et ce pour la distinguer des écoles normales d’instituteurs, qui se structurent elles aussi pas à pas. Il faut bien voir que l’Ecole a été créée essentiellement pour former des professeurs à destination des lycées de France en un temps où ces établissements étaient peu nombreux (une trentaine sous l’Empire) et où chacun n’accueillait que quelques centaines de pensionnaires. On peut imaginer les problèmes qui se poseront au moment de la massification de l’enseignement secondaire, lorsque les normaliens seront eux-mêmes perdus au sein d’une foule d’enseignants recrutés par le biais des concours de l’éducation nationale. La Troisième République commençante se signale en mettant sur pied d’autres écoles normales : Ecole normale de professeurs-femmes pour les écoles secondaires de jeunes filles (1881), ENS d’enseignement primaire destinée à former des inspecteurs primaires, professeurs et directeurs des écoles normales d’instituteurs et des écoles primaires supérieures (1882, son équivalent féminin s’établit la même année à Fontenay-aux-Roses), Ecole normale de l’enseignement technique (ENSET), chargée de former les maîtres du technique (1912). La rue d’Ulm se taille la part du lion (enseignement supérieur, recherche). La principale différence entre Ulm et les autres ENS est la pluridisciplinarité, pluridisciplinarité qui fait qu’un élève entré à l’Ecole en mathématiques peut en sortir économiste (exemples de Daniel Cohen ou de Thomas Piketty). Elle s’est construite avec le temps. L’économie, par exemple, n’a pas toujours été représentée à l’Ecole. Ainsi l’archicube Gérard Debreu, prix Nobel en 1983, dut-il accomplir sa formation économique à l’Ecole des Mines. En 1982 a été créé le concours lettres-sciences sociales pour permettre à des candidats n’ayant pas suivi de formation en langues anciennes dans le secondaire, mais qui avaient un bon niveau en mathématiques, de pouvoir entrer à l’ENS, et peut-être pour ramener vers une école en perte de vitesse à la fin des années 70 les élèves les plus brillants qui désertaient les concours de l’ENS au profit de Sciences-po, de l’ENA ou des grandes écoles de commerce. Hormis cette évolution majeure, les concours d’entrée à l’ENS se caractérisent par une stabilité dans le temps, à la différence des concours de Fontenay et Saint-Cloud, d’abord orientés vers la formation des cadres du primaire. La présence de quotas à Cachan comme à Fontenay permet de produire chaque année un nombre égal de spécialistes mais a l’inconvénient d’empêcher la flexibilité des cursus. Quelques mots sur l’ENS d’aujourd’hui : juridiquement, l’Ecole est un établissement public à caractère scientifique et culturel. Ses missions ont été définies au lendemain de la fusion avec Sèvres par le décret du 26 août 1987. L’article deux de celui-ci énonce ainsi : « L’Ecole normale supérieure prépare, par une formation culturelle et scientifique de haut niveau, des élèves se destinant à la recherche scientifique fondamentale ou appliquée, à l’enseignement universitaire et dans les classes préparatoires aux grandes écoles ainsi qu’à l’enseignement secondaire et, plus généralement, au service des administrations de l’Etat et des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et des entreprises ». Ce décret est la troisième tentative de définition des missions de l’Ecole depuis 1945. Il est intéressant de remarquer que les deux premières tentatives restaient relativement classiques dans leur formulation et leurs objectifs, en assignant principalement à l’Ecole de préparer à l’enseignement et à la recherche. La plus récente intègre elle des missions nouvelles : les établissements publics et les entreprises sont ainsi mentionnés, signe que les deux voies royales qu’étaient jadis l’enseignement et la recherche ne suffisent plus aujourd’hui à fournir aux normaliens des emplois publics leur permettant d’honorer leur engagement décennal. L’engagement décennal, parlons-en. Il y a des informations contradictoires à ce sujet. Dans sa chronologie de fin de volume, le livre du bicentenaire (dirigé comme il se doit par Jean-François Sirinelli) fait état d’une réforme datant de 1962 et instaurant l’obligation pour tous les normaliens de travailler pendant dix ans au service de l’Etat. Pourtant, on trouve dans les archives des engagements décennaux signés par des élèves, et ce dès le milieu du 19ème siècle. A l’époque, on signait son engagement décennal au moment de l’inscription au concours d’entrée, et on s’engageait à le respecter en cas de réussite. Comment expliquer alors la présence de cette réforme de 1962 ? On peut remarquer qu’elle est contemporaine de la décision prise par la direction de l’Ecole de ne plus rendre le passage de l’agrégation obligatoire dans les disciplines scientifiques. Peut-être a-t-on éprouvé à ce moment là le besoin de réaffirmer solennellement les obligations que les normaliens devaient à l’Etat. L’ENS naît durant la Convention, en 1794. Elle est dans la ligne de l’idéal égalitaire des Lumières. Il s’agit d’instruire des jeunes gens, pour former des professeurs pour les rares lycées de France. C’est ce modèle que l’Empire tente de retrouver (1808). D’autres ENS sont créées ensuite. Notamment Cachan en 1912. La fusion Ulm-Sèvres (Vincent Pons) Comparer cette fusion avec celle qui est projetée. 1. Les réactions face à la fusion. Sèvres : la formation de pédagogues, sur le modèle des religieuses, avec une certaine sévérité. Ulm : formation de savants, beaucoup plus brillante. Et il y avait aussi la question du lieu. Pour notre fusion, c’est un peu pareil. Et l’argument serait donc que comme la fusion avec Sèvres s’est bien passée, on doit accepter celle avec Cachan. Mais pourquoi ce n’est pas le cas ? La fusion avec Sèves relevait d’un grand problème de société. En 1986, la division Ulm-Sèvres était un des seuls endroits où il y avait encore cette séparation. Elle devenait ridicule. Les arguments qui tendaient à la fusion, c’était des arguments de société. Noter qu’il y a beaucoup moins de filles qui deviennent mathématiciennes désormais (la distinction était une forme de discrimination positive). Autre différence : ce ne sont pas les mêmes disciplines qui sont enseignées à Cachan et à Ulm. La fusion est conçue comme un recentrage sur les sciences ; elle devrait aussi sans doute Le projet de fusion n’est donc pas celui entre deux Ecoles qui n’auraient jamais dû être séparées, mais entre deux écoles différentes. Ensuite, c’est vrai qu’il y a une différence de niveau : en maths, Cachan recrute jusqu’au 300ème (et Ulm jusqu’au 70ème). Ce ne sont que des concours, mais il y a manifestement une différence de niveau. En ce qui concerne la question géographique : c’est vrai que la fusion avec Sèvres a bien fonctionné, et on pourrait penser que ça se passerait bien aussi pour une fusion avec Cachan. Mais ça risquerait de poser un certain nombre de problèmes au niveau de la vie associative, par exemple. La question du nombre joue ici aussi : Sèvres rajoutait 87 élèves en plus par promotion (doublement) ; Cachan en rajouterait sans doute 220 (plus qu’un doublement). 2. Les conditions pratiques de la fusion. Les élèves de première année à Ulm : c’était important pour la directrice de Sèvres. Donc pourquoi aller si vite vers une fusion ? On pourrait commencer par mettre en place des formations communes. ___________________________________________ Commentaire de Madore : quelques précisions historiques sur la fusion Ulm-Sèvres. Les filles avaient le droit de passer le concours avant la fusion. Thomas Piketty Je ne suis pas là pour défendre le point de vue de la direction. Ce n’est pas le département de sciences sociales qui est derrière ce projet. Ma première réaction est assez sceptique : Cachan paraît très loin. Pour les concours scientifiques, ils sont objectivement beaucoup moins sélectifs que ceux d’Ulm (les gens qui passent Ulm ne passent pas Cachan). L’univers de l’enseignement technologique, on ne connaît pas. Alors il y a quelques BL, qui sont un peu comme nous. Donc ce n’est pas de la même nature que la fusion avec Sèvres en 86. Le principal point commun, c’est la question des sites : depuis 1985, l’école est sur plusieurs sites. Etre à Jourdan, ce n’est pas un choix scientifique : c’est un choix immobilier. On pourrait reconstruire les bâtiments d’Ulm de toutes les façons, ça ne tiendrait pas. La porte d’Orléans, c’est pas mal, mais ce n’est pas un choix. Il y a beaucoup de problèmes de sécurité, à Ulm (départements sous les combles). Depuis 1985, l’ENS vit sur plusieurs sites, et ce n’est pas un choix au départ. Mais à part ça, le problème posé aujourd'hui n’est pas le même. Deux critiques par rapport à ce que dit Vincent. - le rapport avec les entreprises : je crois que ce n’est pas ça le concept. Les départements techniques ont et continueront à avoir des relations avec les entreprises. Mais pour les autres départements, ça ne sera pas des contacts plus grands. - l’engagement décennal, c’est complètement en dehors du projet. Melonnio disait qu’un toilettage est nécessaire : plus d’entreprises publiques, pas de possibilité d’aller dans les institutions européennes. Or il semblerait qu’il y ait eu un durcissement ces dernières années, en plus, suite à l’injonction de la Cour des comptes d’appliquer l’engagement décennal de façon très stricte. Je suis parti aux Etats-Unis pendant trois ans, et je n’étais alors attaché à aucun corps de la fonction publique. Ensuite, je suis rentré dans un corps de chargés de recherche au CNRS. C’était mon intention depuis le début, et la recherche française a tout à gagner à ce que les élèves passent du temps à l’étranger. Donc c’est vraiment un problème qu’il faut regarder d’un point de vue pragmatique, ce n’est pas une question de principe : il faut voir si une application stricte en est exigée, et si oui réécrire le texte. Pas la peine de s’inventer des fausses peurs, il y en a suffisamment de vraies. Tout le monde est très attaché à la diversité des cursus, et si fusion il y a, ce sera le modèle d’Ulm qui dominera. C’est une excellente chose, et il est hors de question que ça change. Cette histoire ne se fera peut-être pas : il ne faut pas croire que tout est écrit. Mais même si ça ne se fait pas, les raisons de la fusion continueront à se poser. Il faut poser le problème dans un cadre plus large, celui de l’avenir de l’ENS. Actuellement, le paysage de l’enseignement supérieur est marqué par des alliances d’universités : il y a un certain nombre de moyens mis en commun (service juridique, services à Bruxelles, logement des étudiants). Par exemple, il faudrait loger autant de magistériens que possible, mais l’ENS (avec ses moyens limités) ne va pas résoudre toute seule le problème du logement étudiant. L’intérêt de faire des alliances, c’est de pouvoir construire ensemble des résidences étudiantes, etc... Cachan, dans tout ça, c’est un élément parmi d’autres. Il y a beaucoup de formations qui sont mises en commun. Parce que l’objectif général, c’est qu’on puisse offrir à l’ENS un plateau de formations à l’ENS qui fasse que les gens aient envie de se former ici, même s’il n’y avait pas le salaire et la chambre : il faut que les gens aient envie de venir se former ici pour la qualité de l’enseignement. C’est un peu la douche froide, quand les élèves rentrent à l’ENS ; et les élèves peuvent être frustrés par ce qui est proposé ici. Il y a deux modèles extrêmes : - soit l’ENS ne propose rien sur son site, et les gens vont entièrement se former ailleurs (sauf pour l’agrégation). C’est l’ENS-dortoir. - soit l’ENS propose tout sur son site, en mettant les gens dans une filière rigide. Ca ne se fera jamais, parce que l’ENS ne pourra jamais offrir toute la palette des disciplines et des spécialités. Les élèves de cette école n’ont pas un goût pour la glande infinie : ils ont plutôt un appétit pour le travail. Il faut leur proposer des choses. Donc ce que peut apporter Cachan, c’est très clair que ça dépend des disciplines : il y a des disciplines qui sont uniquement à Ulm, et d’autres qui sont uniquement à Cachan. Pour celleslà, il n’y aura pas de changement directs ; mais il y aura des bénéfices indirects (des services plus développés, qui pourront gagner des postes). Ensuite, toutes les disciplines qui ont des concours communs : ça dépend des concours. Pour le concours BL, quand on a une promo de 25 élèves avec tellement de disciplines possibles, si on a 5 élèves en économie en première année, c’est très difficile d’organiser un cursus satisfaisant. La première année devient un trou noir, on envoie les gens à Paris I en économie. Et on a des choses à apprendre du département de sciences sociales : les BL de Cachan font des choses là-bas, et c’est relativement attirant (puisque les deux derniers majors de BL y sont allés). Mais il y a une grande différence entre le concours BL est concours en maths : les gens qui vont à Cachan sont un peu moins bons en moyenne, mais ils ne sont pas très différents. Et ensuite, dans les formations, on n’observe pas de différence. Donc on ne peut pas dire, pour les BL, qu’on va brader le niveau d’Ulm. Mais pour les maths, ça vient assez loin dans la liste des concours : ceux qui ont Cachan sont ceux qui n’ont pas eu Polytechnique, ni Donc s’il y avait le moindre risque que la fusion fasse rétrograder le niveau du concours de l’ENS à celui de Cachan, ça serait catastrophique, et on arrêterait immédiatement. Mais ça ne se passera pas comme ça : on ne dira pas aux Taupins qu’il y aura un concours Ulm-Cachan, mais un concours Ulm qui aura un peu augmenté de places. Et ce concours restera le plus sélectif des concours, plus que l’X : s’il ne restait pas le plus sélectif de tous les concours en maths, la vocation de cette Ecole en serait affectée. Il y a un siècle, le concours littéraire était dévalorisé : les meilleurs littéraires ne s’y présentaient pas. Donc le niveau de l’Ecole n’est pas assuré. La question de Lyon : effectivement, ils vont un petit peu perdre. C’est tout à fait regrettable, mais on ne peut pas résoudre tous les problèmes. Du point de vue du bien-être national, du point de vue de l’ensemble du pays, le fait que le niveau de Lyon baisse un peu (et que les nouveaux élèves à Cachan soient meilleurs que ceux de Lyon) n’est pas important. Et à Lyon, il y a beaucoup de projets (fusion, qui est d’ailleurs peu réaliste). Mais on ne peut pas fusionner avec Lyon, parce que c’est trop loin ! (déjà, Cachan est loin, alors…). Si cette fusion avec Cachan se fait, déjà, ça pérennise le modèle des ENS pour très, très longtemps (le modèle avec les classes préparatoires). Par rapport aux autres modèles (quasifusion avec une université, comme à Lyon), ça pérennise les choses de façon très durable. Ca pérennise la filière BL, aussi. Il y a beaucoup de gens qui sont contre les filières préparatoires : dans les universités, … Et la filière BL était très menacée il y a deux ans. Une chose très importante, aussi, c’est d’augmenter les débouchés de la filière BL : si les gens ne vont pas beaucoup en hypokhâgne, c’est parce qu’il y a un risque de rentrer à la fac en cas d’échec à l’ENS, contrairement à la maths sup. HEC va rentrer dans la banque d’épreuve : ça ne va pas dénaturer les choses, parce qu’il n’y aura pas de représentants d’HEC à la banque d’épreuve (de même qu’il n’y a pas de représentants de l’ENSAE) ; ils prennent simplement nos épreuves. Banque d’épreuve commune, ça ne veut pas dire que tout le monde est obligé de passer les concours. Donc pour la question du risque de pertes d’étudiants par les universités se pose de façon Il est inscrit dans le contrat quadriennal que l’ENS devrait arriver à 4000 élèves en gros. Un contrat quadriennal, c’est très souple. C'est un contrat entre deux personnes, l’ENS et le ministère. Le projet avec Cachan, Et il y a beaucoup de choses qui sont dans les contrats quadriennaux et qui ne sont pas respectés par le ministère. C’est simplement une façon de s’engager, pour qu’on ne renégocie pas chaque année combien d’argent on aura pour acheter des craies et des ordinateurs. Surtout qu’on ne rebatte pas les cartes dans l’établissement à chaque fois. Il s’agit d’introduire un peu de prévisibilité dans l’établissement. Mais c’est un contrat qui n’engage que ceux qui y veulent ; il est toujours inscrit que c’est sous réserve du vote de la loi de finances par le Parlement. Or en droit français, comme partout ailleurs, on ne vote pas le budget de façon pluriannuelle : il n’y a rien d’assuré tant que la loi de finances n’a pas été votée. La liberté, c’est formidable, mais souvent c’est un peu le bordel, quoi. On comptabilise mal les choses. A propos du pré-doctorat : des textes ont été voté, malgré le référendum négatif. Le prédoctorat concerne des non-élèves, qui auront une spécialité principale (correspondant à un mastère), et une mineure. La majeure se détermine en troisième année, ou en quatrième. Et il faut faire aussi des cours pour avoir une mineure. Et les pré-doctorants auront les mêmes obligations que les élèves. Donc il y aura un recrutement par les départements de prédoctorants, à partir de la rentrée 2005. Cela se fera Gabriel Ruget, il a un côté très entrepreneur qui me le rend très sympathique, mais ça déborde un peu. Je ne crois pas qu’on va atteindre la parité entre élèves français et élèves étrangers. C’est une bonne chose que les meilleurs étudiants étrangers viennent se former chez nous, mais il faut qu’on puisse suivre. Il y a déjà des élèves chez nous dont on ne s’occupe pas assez. Mais c’est bien d’avoir des étudiants chinois : La question de la liberté à l’école : c’est très bien, mais il faut tenir compte du nombre de postes à la sortie. Est-ce qu’il n’y aura pas une pression nouvelle à Ulm pour les matheux pour qu’ils fassent des maths pures ? Parce que si tant de gens font des maths appliquées à Cachan, c’est parce qu’ils ont une forte pression de la part de l’Ecole pour qu’ils le fassent. La liberté, si ça veut dire qu’on ne propose rien sur place et qu’on laisse les gens aller se former ailleurs, ce n’est pas bien. Surtout, il faut informer sur les débouchés, et ça doit être mieux fait dès la première année de l’Ecole (d’ailleurs, il faudrait que ça soit fait dès la khâgne, mais bon). Chacun sait qu’il y a une déconnexion entre la carte des disciplines telle qu’elle existe en khâgne AL et la carte des débouchés dans les facs. Tout le monde le sait, et c’est une réalité (on peut se battre contre ça, mais il faut le savoir). Cf. le film La candidature, d’Emmanuel Bourdieu. Et il y a des stratégies : il y a des disciplines qui n’ont rien d’indigne (droit, sciences politiques, économie), où il y a une agrégation du supérieur qui fait qu’on peut être professeur d’université à trente ans. Il faut donner cette information aux élèves : il ne s’agit pas de forcer les élèves à abandonner la philosophie, s’ils veulent en faire c’est très bien, mais il faut savoir qu’il y a peu de postes à l’agrégation, et encore moins en université. L’information sur les débouchés disciplinaires n’est pas du tout assez bonne. Par exemple, Katia Weidenfeld faisait une thèse d’histoire, et on lui a conseillé judicieusement de se mettre en histoire du droit, pour faire la même thèse, mais passer l’agrégation du supérieur en droit ; et finalement, elle est professeur à l’université (pendant que ses copains en histoire sont en lycée). Il y a un devoir d’information, mais il ne faut pas du tout empêcher les gens de faire ce qu’ils veulent. Livio : c’est bien de donner plus de choix aux élèves (entre maths appliquées et maths pures, par exemple). C’est bien de supprimer une pression sur les élèves. Texte de Vincent Dauchy et Antonin Pottier. Il apparaît que pour les scientifiques, tout le débat est entre maths appliquées et maths pures, et la fusion Ulm-Cachan est cruciale dans ce terme. Jean-Baptiste Guillaumin : dans les humanités, le parcours a jusqu’à maintenant été très classique. Est-ce qu’il n’y a pas un risque de marginalisation ? Les places au concours AL sont extrêmement stables depuis 1981 : inertie totale. Comment serait-il possible d’augmenter ce nombre, puisque ce serait le seul moyen d’éviter une marginalisation quantitative des humanités ? Matthieu Protin : ce n’est pas seulement une question quantitative, mais aussi une question de dynamique de recherche. On ne se sent pas en contact avec les laboratoires de recherche, etc... C’est une sorte de pré-agrég, même s’il n’y a pas la structure pour cela. On se demande si les cours qu’on suit vont déboucher sur de la recherche, ou si c’est seulement du plaisir. Il y a plein d’élèves littéraires qui ont l’impression qu’on ne leur offre pas assez de choses ; et la liberté se transforme en ennui. Mais ça dépend largement de la politique des départements respectifs. Et la fusion avec Cachan ne changerait pas ce problème, et les dynamiques de changement dans les laboratoires (au contraire, elle accélèrerait plutôt les choses). Donc la place des humanités tient surtout aux évolutions des départements littéraires. Les centres de recherche ne sont pas bien intégrés aux départements : par exemple, l’IHMC est au département d’histoire (ce qui n’était pas du tout le cas il y a 15 ans) ; de même en sciences cognitives (où il y a mille fois plus de choses qu’il y a 15 ans). Le temps est révolu dans beaucoup de disciplines où il n’y avait que la préparation à l’agrégation. Beaucoup de gens ont l’air de croire que le diplôme a pour but de serrer la vis aux élèves ; mais la vérité politique de la chose est qu’il s’agit de serre la vis aux départements et aux enseignants. De ne plus seulement faire une liste de cours, mais d’essayer d’obtenir une cohérence entre les cours, de les organise en unités. Les départements ne font pas toujours un très bon travail en première année ; y compris le département de sciences sociales en première année. Enseigner devant des groupes de cinq élèves, ça peut être démotivant, vraiment. C’est vrai pour les BL, et aussi pour la biologie. La fusion avec Cachan, ce n’est pas un truc pour les chercheurs dont les élèves ne profiteraient pas. C’est faux : les chercheurs sont embêtés par cette histoire, les équipes de Cachan sont très différentes, on ne les connaît pas. Pour BL, c’est une opération pour avoir des tailles de corps qui soient plus grandes, et permettre des formations meilleures. C’est démotivant pour les enseignants quand ils ont trois élèves une semaine sur deux, et ils font moins bien leur travail. Parfois, il y a une opposition qui est faite (par les jeunes élèves) entre les chercheurs et les élèves : ils se demandent à quoi servent toutes les équipes de recherche. Ce que peut offrir l’ENS à des élèves : c’est certes d’être intégré dans une communauté, de rencontrer des gens. Mais ce que peut ensuite apporter l’Ecole, c’est d’être accueilli dans un laboratoire de recherche, dans un centre qui vous envoie ensuite à l’étranger. C’est important aussi : en première année, on ne voit pas bien ce que veut dire être accueilli dans une équipe de recherche, mais c'est important aussi. En tout cas, la fusion possible avec Cachan est faite pour les élèves, et les chercheurs (du CNRS, de l’INRA, de l’EHESS) sont embêtés, n’ont pas été prévenus officiellement par la direction de l’Ecole. Donc ne pas s’imaginer que tout ça est une espèce de complot de la part des chercheurs. On a prévenu les élèves, et pas les chercheurs ; et on s’intéresse aux réactions des élèves, pas des chercheurs. Sur la question du poids politique des élèves : ils auront une place dans les commissions qui se mettront en place pour concrétiser le projet (projet dans lequel il n’y a rien de concret). La vérité, c’est qu’il n’est pas sûr du tout que la fusion se fasse. Et ça ne dépend pas des élèves ni des chercheurs : ça dépend des cabinets de Fillon et de Chirac (parce que ça remonte très haut). Les retours ne sont pas mauvaises, à ce stade. Et ça dépendra beaucoup de l’impression qui se dégagera au niveau de la réaction des élèves et de la communauté intellectuelle. Donc Ruget a raison quand il dit qu’il y a beaucoup de points d’arrêt possibles. Et c’est vrai que tout est à inventer au niveau du projet. La possibilité de faire la fusion département par département : les départements n’existent pas, ils n’ont pas la personnalité morale ; on ne peut fusionner que des écoles.