Conférence de l'APECLE à Lyon : l'Arménie en 2015 Enjeux stratégiques et géopolitiques, facteurs de puissance, tiers facilitateurs ou tiers de confiance ? Par Krikor Amirzayan armenews.com - 27/10/2015 L’APECLE, présidée par Arthur Derderian proposait vendredi 2 octobre à la salle Garbis Manoukian (Lyon 3e) une conférence intéressante « L’Arménie en 2015 : Enjeux stratégiques et Géopolitiques, Facteurs de puissance, tiers facilitateurs ou tiers de confiance ? », conférence dirigée par Gilbert Derderian, professeur à l’IEP d’Aixen-Provence et l’IEP d’Erévan et Azad Varjabedian étudiant en Master à l’IEP d’Aix-en-Provence. Indépendante depuis le 21 septembre, la République d’Arménie évolue dans un environnement géopolitique pour le moins compliqué. En conflit larvé avec l’Azerbaïdjan à propos du Haut-Karabakh, elle doit faire face au blocus imposé par Bakou et Ankara. Il ne lui reste donc que sa frontière avec la Géorgie, au nord, et sa frontière avec l’Iran, au sud. Soit à peine 10% de ses frontières qui restent ouvertes. Mais surtout, l’Arménie doit faire face à une recrudescence des tensions avec l’Azerbaïdjan et a aujourd’hui pour première préoccupation d’assurer l’intégrité et la sécurité de son territoire et du Haut-Karabakh. De ce fait, la jeune république arménienne entend préserver son alliance privilégiée avec la Russie. Un partenariat qui ne cesse de se renforcer, dans les domaines économique, politique, militaire, et même culturel. Pour l’année 2014, les échanges bilatéraux de biens ont atteint près d’1 400 000 000 de dollars. De grandes entreprises d’Etat russes, telles Gazprom, sont propriétaires de secteurs clés de l’économie arménienne : approvisionnement énergétique et en ressources naturelles ; réseau de chemins de fer ; centrale nucléaire de Metzamor... C’est dont tout naturellement que l’Arménie s’est tournée vers l’Union Economique Eurasiatique (UEE) plutôt que vers l’Union Européenne (UE). A cette mainmise économique accrue de la Russie, s’ajoute une coopération militaire de haut niveau. L’Arménie est membre de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC), le pendant russe de l’OTAN, qui regroupe quelques anciennes républiques soviétiques. L’armée arménienne acquiert la très grande majorité de son armement auprès du complexe militaro-industriel russe, qui la fait bénéficier de prix avantageux. De surcroît, la Russie dispose de trois bases militaires en Arménie, la plus connue étant celle de Gumri, qui regroupe des missiles, des blindés et plusieurs milliers de soldats russes. A l’heure où l’Arménie cherche avant tout à assurer l’intégrité et la sécurité de son territoire, nous comprenons pourquoi il est primordial pour elle de maintenir ce partenariat privilégié avec Moscou. Mais la politique extérieure arménienne se réclamant du multilatéralisme, elle dialogue avec d’autres acteurs. C’est le cas de l’Iran, avec qui Erevan entretient d’excellentes relations, et ce depuis son indépendance en 1991. A priori très différents culturellement et religieusement, les deux pays entretiennent des liens économiques étroits, caractérisés par des échanges économiques qui se chiffrent chaque année à plusieurs centaines de millions de dollars. Après l’inauguration d’un gazoduc en 2007, plusieurs projets arméno-iraniens sont aujourd’hui à l’étude : construction de deux centrales hydroélectriques ; construction d’une voie ferrée... D’un point de vue plus politique, l’Iran soutient son petit voisin du nord sur le dossier du HautKarabakh. A l’inverse, Erevan a toujours défendu le droit de Téhéran de pouvoir bénéficier du nucléaire civil. Par ailleurs, l’Arménie représente un pôle touristique pour nombre d’Iraniens, qui y célèbrent avec un peu plus de « légèreté » que dans leur pays, les différentes fêtes religieuses. Dans le même temps, l’Iran compte une importante communauté arménienne, présente depuis des siècles, et respectée par le régime des ayatollahs. L’Arménie doit également manœuvrer habilement face à d’autres questions. Tout d’abord, sa relation avec la Géorgie, vitale à bien des égards. Après les années tumultueuses de l’ère Saakachvili, cette relation semble se réchauffer depuis l’avènement à Tbilissi d’une nouvelle majorité en octobre 2013. Si l’Arménie tient tant à sa bonne entente avec la Géorgie, c’est que leur frontière commune demeure primordiale, dans la mesure où 70% du commerce de l’Arménie passe par là. En outre, l’Arménie fait face depuis 2011 à la guerre civile syrienne, qui a poussé nombre d’Arméniens à fuir ce pays. Les autorités arméniennes n’ont d’ailleurs abordé le conflit qu’à l’aune de la diaspora présente sur place. Elles n’ont donc jamais demandé le retrait de Bachar El-Assad (jugé proche de la communauté arménienne). Malgré tout, la tournure très violente des événements a contraint la majorité des Arméniens de Syrie à trouver refuge en Arménie. Enfin, Erevan assiste impuissante à l’alliance militaire qu’ont noué Israël et l’Azerbaïdjan. Tous deux hostiles à l’Iran, ils trouvent là un terrain d’entente politique et mettent en pratique le fameux adage : « Les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». Ainsi, en 2012, Bakou achète pour 1 600 000 000 de dollars d’armes à l’Etat hébreu. De quoi faire grincer des dents l’Arménie, entraînée dans une course aux armements avec Bakou. Voilà pour la politique étrangère arménienne dans son environnement direct et régional. A côté de cela, Erevan a souhaité nouer et approfondir ses relations diplomatiques avec d’autres pays et organismes. Ainsi, s’est engagé un net rapprochement avec l’UE, mais aussi avec les Etats-Unis, et même avec des espaces géographiques plus éloignés, comme l’Amérique du Sud et l’Extrême-Orient. Les relations Arménie-UE sont avant tout de nature politique. Bruxelles représente pour Erevan une opportunité de visibilité, une enceinte internationale où elle peut faire valoir ses différents points de vue, face à l’axe turco-azéri. En outre, l’UE sait se montrer généreuse envers les pays qui engagent les réformes qu’elle souhaite. Ainsi, l’Arménie se voit accorder plusieurs centaines de millions de dollars de subventions européennes. En échange de quoi, elle s’engage à améliorer sa législation en termes de luttes contre la corruption, contre les discriminations, et amélioration de l’Etat de droit. N’omettons pas de souligner l’importance que l’Arménie accorde à sa coopération avec le Conseil de l’Europe et l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). Deux structures européennes au sein desquelles elle affirme sa présence, en premier lieu, pour défendre le droit à l’autodétermination pour le HautKarabakh. Le partenariat avec les Etats-Unis semble plutôt se développer sur un terrain économique, notamment avec les aides substantielles que l’USAID fournit à l’Arménie, avec pour objectif notamment, le développement des zones rurales. Ces subventions se montent à plusieurs dizaines de millions de dollars et s’effectuent par tranches. L’Arménie coopère aussi dans le domaine militaire avec Washington, à travers l’envoi de contingents de maintien de la paix en Irak, Afghanistan, Kosovo et Liban. Un engagement certes limité mais à forte valeur symbolique. Enfin, n’oublions pas la diaspora arménienne des Etats-Unis, très active politiquement, et qui met tout en œuvre pour rapprocher les deux pays. Si l’Arménie reste diplomatiquement très active parmi les grands de ce monde : UE, Russie, Etats-Unis, elle étend son action au sous-continent américain et à la Chine, à l’Inde et au Japon. Nombre de pays sudaméricains abritent d’importantes communautés arméniennes, et font partie des premiers Etats à avoir reconnu le génocide de 1915. L’Arménie y cherche donc des alliés politiques face au lobbying très soutenu de l’Azerbaïdjan. Nous avons tous en tête l’érection de la statue Heydar Aliev à Mexico, déboulonnée suite à l’intervention du ministre Nalbandian auprès des autorités mexicaines. Nous regretterons simplement que cette bonne entente n’aboutisse pas à l’heure actuelle à une croissance du commerce bilatéral. Pour sa part, l’Asie de l’Est représente un marché de près de trois milliards d’habitants, soit des débouchés non négligeables pour l’économie arménienne. Les échanges commerciaux avec ces trois marchés sont en pleine expansion, tout comme les relations diplomatiques. La Chine se montre tout particulièrement intéressée par la construction de diverses infrastructures en Arménie, notamment le chemin de fer Arménie-Iran. Comme nous pouvons le constater, l’Arménie mène depuis son indépendance une politique extérieure équilibrée, nouant des relations avec des acteurs très différents les uns des autres. En manque de visibilité politique sur la scène internationale, Erevan ne ferme la porte à aucune opportunité de partenariat. Ceci s’explique principalement par le besoin qu’elle a de défendre le droit du peuple du Haut-Karabakh à l’autodétermination et la nécessité de contrer le lobby très actif de Bakou. Malgré tout, nous remarquons également ces dernières années qu’Erevan ne peut et/ou ne veut se défaire de la tutelle russe. En septembre 2013, le président Serge Sarkissian a annoncé que l’Arménie rejoindrait l’Union Douanière, aujourd’hui Union Economique Eurasiatique, au détriment d’un Accord d’Association avec l’UE. Pourtant, de 2009 à 2013, d’intenses négociations avaient eu lieu entre Bruxelles et Erevan, afin que cette dernière signe ce fameux accord lors du sommet de Vilnius de novembre 2013. Si cette volte-face arménienne en a surpris plus d’un, nous comprenons avec le recul qu’elle constitue la suite logique de la relation arméno-russe. En effet, son économie et sa sécurité étant entre les mains des russes, comme l’Arménie aurait-elle pu refuser ? Toutefois, les relations avec l’UE et les Etats-Unis ne semblent pas pâtir du choix eurasiatique de l’Arménie. Pour preuve, l’UE a tout récemment accordé une enveloppe de plus de 160 millions de dollars à Erevan pour la période 2014-2017, et elle réfléchirait même à un accord spécifique pour l’Arménie. Un succès diplomatique pour cette jeune république, qui dialogue aujourd’hui avec Bruxelles et Washington, mais aussi avec Moscou, Téhéran, et Pékin ! Bien que l’alliance traditionnelle avec la Russie ne puisse être remise en cause, l’Arménie a su manœuvrer habilement pour s’assurer une présence diplomatique sur les cinq continents. Un indéniable succès pour cette république qui n’a pas encore vingt-cinq ans ! http://www.armenews.com/article.php3?id_article=117927