Les clefs dela puissance indienne

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CONNAISSANCE ET VIE D’AUJOURD’HUI ROUEN
20 mars 2007
LES ORIGINES DE L'HOMME
ENTRE NOUVEAUX FOSSILES, VIEIL ADN ET GRANDS SINGES.
D’après la conférence de Pascal Picq, paléoanthropologue au Collège de France, conseiller scientifique à la
Cité des Sciences et au Palais de la découverte, conseiller auprès de l'Éducation Nationale pour les
programmes et leur enseignement.
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Dans notre vocabulaire, on confond souvent les notions d'origine et d'évolution. Cette dernière est assez
simple, c'est l'idée que les espèces puissent changer. En revanche, l'émergence d'une lignée, de nouvelles
fonctions, de nouveaux caractères, d'une nouvelle espèce, la "macro-évolution" est souvent plus
compliquée car nous sommes bloqués par de mauvaises compréhensions.
Aujourd'hui les enjeux sont considérables car le monde fait face à une offensive à la fois des créationnistes
fondamentalistes évangélistes américains et des islamistes, qui présente le risque de retourner plus d'un
siècle en arrière en réfutant les travaux de Darwin. Il y va des enjeux de laïcité.
Historique des hypothèses sur les origines de l'homme
Aujourd'hui le propre de l'homme est la question fondamentale mondialement posée : "Qui sommes-nous et
d'où venons-nous ?" Pour nombre d'Occidentaux la réponse est dans les textes de la Bible, en Amazonie
c'est un autre discours, chez les Inuits c'est un autre récit. Aussi divers qu'ils soient, ces récits installent
l'homme dans son rapport au cosmos à travers les mythes. Ce qui est important n'est pas que ces récits
soient cohérents scientifiquement, mais qu'ils installent un rapport cohérent au monde.
L'homme occidental a une double tradition : celle de la pensée grecque (Aristote et Platon) et celle de la
pensée chrétienne issue de la Bible. Ces deux pensées vont se construire dans un rapport au monde centré
sur l'homme. Ainsi l'univers est centré autour de lui-même, ses dimensions (y compris le temps) sont à
l'échelle humaine. Les sciences vont faire éclater ce cadre centré autour de l'homme.
Freud dira : "Les sciences ont infligé trois blessures à notre amour propre :
 Copernic et Galilée : nous ne sommes plus au centre de l'Univers,
 Darwin : nous n'avons pas fait l'objet d'une création particulière,
 Découverte de l'inconscient."
1. Galilée est le premier à avoir l'idée de l'expérimentation : action sur la nature afin d'en connaître les lois,
c'est la modélisation d'un point de vue mathématique. Avec Newton ce sont les découvertes des lois de la
nature, en particulier celles de la gravitation universelle. Tous ces scientifiques sont dans l'esprit de la
religion. Leur mission est de découvrir les lois mécanistes que le Seigneur a mises dans la nature pour la
bonne ordonnance de l'univers. Cela va poser problème aux théologiens : si l'univers est régi par des lois,
nous risquons de retomber dans des interprétations liées à la matière donc l'inverse du spiritualisme.
2. Au XVIIe siècle, Francis Bacon en Angleterre et René Descartes en France ("L'homme doit connaître
la nature pour mieux la commander") prônent la connaissance dans l'observation de la nature. Ce sera
l'origine de la domination de l'occident sur le monde à travers les sciences relayées plus tard par les
techniques au XIXe siècle.
Les hommes commencent à regarder le monde de manière "mécaniste". Si la mécanique céleste est
devenue accessible : gravitation universelle, phénomènes de marées, calendriers etc., vient alors l'idée de
s'intéresser à la Terre : ce sera la théologie naturelle, l'idée d'observer la nature et la diversité de ses
formes comme un grand livre écrit par Dieu.
Les origines de l'homme – Pascal Picq
20 mars 2007
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3. Ainsi commencent des collections d'organismes vivants, de roches, de fossiles : les "curiosités de la
nature". Charles Linné publie en 1758 "Le système de la nature ", il cherche à trouver des lois dans la
nature comme on a trouvé des lois dans la mécanique céleste. Il crée l'ordre des primates et de l'Homo
sapiens. Avec les voyages on connaît les singes, ils arrivent en Europe. En 1798, la dissection de l'un
d'eux montre qu'il ressemble plus à l'homme qu'aux autres singes. Apparaît alors la notion de "grands
singes". Montesquieu, Diderot, Rousseau se posent la question de l'appartenance de ces grands singes au
"genre humain". Ils inspirent une réelle fascination, Diderot va jusqu'à imaginer un hybride entre une
femme et un orang-outan ! Le XVIIIe siècle était extrêmement ouvert sur la place de l'homme dans la
nature. Cela ne pose pas de problème pour la religion car il est admis que Dieu a ainsi réalisé la création,
et que celle-ci n'a pas évolué.
4. Les choses vont changer avec Jean-Baptiste de Lamarck, disciple de Buffon. Il est le premier à
interpréter cette ressemblance comme une relation généalogique. C'est le "transformisme" avec l'idée que
les espèces peuvent se modifier. Il dresse l'échelle naturelle des espèces dans laquelle la ressemblance est
une relation d'ancêtre à descendant. L'idée, que l'on retrouve en philosophie, est que le singe va devoir
sortir de la forêt car la savane avance, qu'il va se redresser, devenant "homme".
5. Charles Darwin (1859) et Thomas Huxley (1863) vont tout bouleverser : "l'homme et les grands singes,
et en particulier les gorilles et les chimpanzés, se ressemblent beaucoup plus entre eux qu'ils ne
ressemblent aux autres singes". Effectivement les singes sont des mammifères, ils ont 5 doigts tous
terminés par des ongles (un doigt s'écarte pour attraper les branches) au bout des mains et des pieds, un
gros cerveau avec une face en retrait, des yeux juste de part et d'autre de la racine d'un vrai nez, 32 dents
comme l'homme, et un centre du visage dépourvu de poil. Les grands singes (chimpanzés, gorilles,
orangs-outans, bonobos) ont tout cela, plus une cage thoracique d'avant en arrière, et des omoplates dans
le dos qui permettent la suspension. Or la suspension, c'est découvrir le monde verticalement, c'est donc
la porte ouverte à la marche debout ! Tout cela sera confirmé un siècle plus tard avec la génétique.
Mais le singe devient la honte des origines : "Mon Dieu, l'homme descend du singe, pourvu que cela ne
soit pas vrai, mais si cela l'était, prions pour que le peuple ne le sache pas "(reine Victoria).
À partir de la fin du XIXe siècle, l'idée de l'évolution de l'homme est acquise, tout le problème va
être de savoir comment s'est faite cette évolution.
6. Vers 1870, cette nouvelle science, l'"anthropologie", va déclencher un immense mouvement de recherche.
L'idée de chercher les origines de l'homme entraîne un extraordinaire engouement. On cherche les signes
de nos origines d'abord en Europe, puis en Asie, en fait partout sauf en Afrique. Le XIX e siècle invente le
concept que l'homme blanc puisse être supérieur aux autres et que cela peut être démontré par la science.
Au début du XXe siècle, l'Europe domine le monde, elle est colonisatrice, impérialiste : l'homme blanc est
au sommet de l'évolution. On évacue les grands singes, et à la place de ceux-ci on va mettre d'autres
populations humaines : l'anthropologie va inventer le racisme. Ernst Heckel traduit Darwin et pense que
l'évolution est dirigée toute droite selon l'échelle naturelle des espèces, dans l'ordre croissant : le
chimpanzé, le gorille, l'orang-outan, le Negro et l'homme blanc.
On va chercher les origines d'abord en Europe qui se considère au sommet de l'évolution. En France, on
trouve l'Homme de Cro-Magnon (1868), l'Homme de Neandertal ; l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne
ont aussi leur Homme de Neandertal. Les Anglais, qui ne trouvent rien, créent en 1911 la fraude (dénoncée
seulement en 1954) de l'Homme de Piltdown qui a un crâne d'homme et une mâchoire d'orang-outan.
7. En 1929 l'Abbé Breuil, qui crée la première chaire de la préhistoire au Collège de France, propose
d'aller en Asie. Ce sera la découverte du Pithécanthrope de Java puis de l'Homme de Pékin (1927). Dans
les années 1980, de nombreuses recherches se font ainsi en Asie. En 1982, Yves Coppens expose des
fossiles de Sivapithèques (ancêtre présumé de l'orang-outan) et de Ramapithèques (ancêtre présumé de
l'homme). En fait, il sera ultérieurement démontré que les Ramapithèques étaient les femelles des
Sivapithèques, ancêtre de l'orang-outan actuel ! Il y avait erreur, et ce parce que nous n'avions pas les
bons modèles de classification.
Les chercheurs ont mis du temps à aller en Afrique, pour des raisons scientifiques et idéologiques.
Linné : les grands singes nous ressemblent plus que les autres, mais on est dans un monde fixe.
Lamarck : l'homme descend du grand singe.
Les origines de l'homme – Pascal Picq
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Darwin : nous avons des relations de parenté avec les grands singes. Si les chimpanzés sont les plus
proches de nous dans la nature, nous sommes frères. Donc il faut rechercher notre DAC (dernier ancêtre
commun), les chimpanzés sont en Afrique donc, pour suivre l'idée de Darwin, il faut aller en Afrique.
À un moment ou un autre ces descendants de notre DAC se sont séparés, mais on ne sait pas pourquoi.
Darwin fait donc l'hypothèse que l'émergence de la lignée humaine se trouve en Afrique. Il faudra attendre
un siècle et changer de modèles de références, pour vérifier cette hypothèse !
L'aventure actuelle
Ce n'est qu'après la seconde guerre mondiale que l'on va commencer à s'intéresser à l'Afrique : l'aventure
africaine commence en 1959.
1. Louis Leaky (né en 1902 en Afrique, fils de pasteur) va étudier à Cambridge, découvre Darwin et est
persuadé des origines africaines de l'homme. En 1930, il retourne en Afrique, convaincu que la lignée
humaine est apparue dans la vallée du Rift (sud-est de l'Afrique). Il y trouve des outils en pierre taillée,
mais il ne trouve jamais l'artisan, c'est à dire l'ancêtre de l'homme.
Pourquoi la vallée du Rift ? C'est un grand fossé d'effondrement, présentant une véritable cicatrice qui
s'enfonce dans les couches géologiques où on trouve les fossiles. Ces outils sont le plus souvent
découverts à côté d'ossements d'animaux anciens : chevaux, éléphants, cochons fossiles, qui sont bien
plus anciens que ceux que l'on trouve ailleurs en Europe ou en Afrique.
2. 1959 : à Olduvai (Tanzanie), Mary Leaky découvre le premier artisan et le plus ancien connu. On
attendait un homme, ce sera un australopithèque (tête de singe avec un corps d'homme). La fraude de
Piltdown est révélée au monde. Tout le monde se précipite en Afrique de l'Est, c'est la "ruée vers l'os".
Les découvertes s'accumulent dont celle de Lucy qui en est un des plus beaux symboles. Les origines de
la vie humaine sont bien en Afrique !
3. En 1980, Yves Coppens fait une grande synthèse : tous les plus anciens fossiles de la lignée humaine
sont trouvés à l'est (5 millions d'années), mais étonnement il n'y a aucun fossile de grands singes, par
contre tous les grands singes actuels sont à l'ouest de la vallée du Rift. Dans les couches géologiques, les
déjections des volcans peuvent être datées par la méthode nouvellement mise au point du "Potassium
Argon". Les géologues disent ainsi que la vallée du Rift se déforme vers 6-7 millions d'années.
De plus, dans les années1960-1970, la génétique est arrivée : on commence à comparer les squelettes non
plus par leur morphologie, mais par les molécules et les génomes. Est alors confirmé que les chimpanzés
et les bonobos sont plus proches de nous que les gorilles et les orangs-outans.
Tout converge : les plus anciens fossiles connus de la lignée humaine sont à l'est, on n'y trouve pas de
trace fossile des grands singes, tous les grands singes actuels sont à l'ouest, la génétique nous dit que notre
séparation avec la lignée des grands singes, notamment celle des chimpanzés se fait vers 6-7 millions
d'années, et la géologie nous dit que le Rift se déforme à cette époque-là. Donc pour Yves Coppens c'est
très clair, les descendants du DAC se sont trouvés séparés par la déformation de la vallée du Rift, ceux qui
se trouvent à l'ouest ont évolué vers les gorilles, les chimpanzés et les bonobos, et de l'autre côté à l'est vers
les australopithèques et l'homme. D'où le nom d'"East Side Story", modèle mis en place par Yves
Coppens dans les années 1980.
4. En l'an 2000, Brigit Senut, Martin Pikford du collège de France, découvrent un nouveau fossile :
Orrorin Tugenensis. Orrorin a des phalanges longues et incurvées, donc il s'accrochait au monde des
arbres. Son coude est très verrouillé, comme chez les grands singes. Une mandibule est longue et étroite
avec de très grandes canines. Donc pour les membres supérieurs et le crâne, Orrorin est un bon grand
singe de 6 millions d'années. Mais il a un fémur extraordinaire présentant une grosse tête, un col solide et
une partie longue très costaude, ce qui signifierait que Orrorin marchait debout. D'où l'idée que notre
lignée ait commencé par la marche debout, et qu'ensuite le reste du corps aurait évolué. Orrorin est daté
de 6 millions d'années, et du côté est, il confirme donc magnifiquement l'"East Side Story" de Yves
Coppens.
5. Au Tchad en 2002, Michel Brunet de l'université de Poitiers, découvre Sahelanthropus tchadensis alias
Toumaï . Il a une face courte et large, de petites canines qui s'usent par la pointe, et une région autour des
orbites extrêmement solide. Mais on n'a ni fémur ni bassin, donc on ne peut pas prouver qu'il marchait
Les origines de l'homme – Pascal Picq
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debout. Cependant, la base du crâne qui repose sur la colonne vertébrale est très en avant et regarde vers
le bas, le trou occipital est très en avant comme chez les hominidés, ce qui est lié à la bipédie. Donc
Toumaï marchait debout. À 3000 km à l'ouest de l'East Side Story, il réfute l'hypothèse de Yves Coppens.
Le débat est donc : est-ce que c'est la bipédie d'abord et le crâne après, ou est-ce que c'est le crâne d'abord
et la bipédie après ?
East Side Story a été confirmé par Orrorin et réfuté par Toumaï. Aujourd'hui le débat n'est pas tranché.
Un troisième cas a été trouvé par des Américains : Ardipithecus Ramidus en 1992 en Éthiopie, mais qui
semble être plutôt un ancêtre des chimpanzés.
Qu'en est-il aujourd'hui ? Pour Pascal Picq, Toumaï est favori. Toumaï a une morphologie de la base du
crâne qui ressemble beaucoup plus à celle de l'homme qu'à celle des grands singes. Les canines ne sont pas
développées chez l'homme à l'heure actuelle. Les canines chez les singes servent à l'intimidation sexuelle et
non pas à tuer la proie. Celles de Toumaï sont très fines, il n'y a pas nécessité d'avoir des mâles puissants. Il
n'y a pas a priori de différences entre les mâles et les femelles.
Comment se fait le passage de la lignée des grands singes à la lignée humaine : forcément de la forêt à la
savane. Aujourd'hui, il apparaît que les hommes sont frères des chimpanzés (robustes) et des bonobos
(graciles). On cherche donc comment était ce DAC, dernier ancêtre commun entre le chimpanzé et
l'homme. Les caractères de ce dernier doivent être cherchés dans les caractères communs aux deux lignées.
Donc il faut connaître l'homme, mais aussi les grands singes. D'où l'intérêt aujourd'hui d'aller étudier les
grands singes dans la nature, et ce sont des femmes qui feront ce premier travail : Jane Goodall pour les
chimpanzés, Diane Fossey pour les gorilles, Biruté Galdikas pour les orangs-outans, Shirley Strum pour les
babouins, etc.
Les chimpanzés vivent dans des groupes sociaux comme les hommes, les mâles sont liés à leur terrain et les
femelles migrent à l'adolescence. La conséquence en est que les chimpanzés sont les seuls à se faire la
guerre comme les hommes, sans provocation et sans raison. Ils utilisent 70 types d'outils, notamment des
outils en pierre, et ont des cultures de comportement. Ils sont omnivores, pêchent, chassent aussi pour le
plaisir, font des associations d'aliments pour le goût. Les chimpanzés peuvent être très agressifs,
l'épouillage est très important dans leur société. En laboratoire, les chimpanzés peuvent apprendre jusqu'à
300-400 mots ( en langage symbolique), ils apprennent plus vite que l'homme jusqu'à l'âge de deux ans et,
contrairement à l'homme, stagnent ensuite. Ce qui est étonnant est que les chimpanzés ne parlent pas,
pourtant en 1997 a été mise en évidence dans leur cerveau une zone semblable à celle de l'être humain lié
au langage.
CONCLUSION
La question des origines n'est pas tranchée. Est-ce que c'est à l'est avec Orrorin, validant l'hypothèse de la
bipédie et ensuite de l'évolution du reste du corps ? Il est certain que cette origine se trouvait dans la forêt et
non pas dans la savane comme on le pensait. Il semble en fait que les bipédies soient très anciennes et que
l'on ne peut pas se prononcer sur ces caractères. La bipédie est en fait très fréquente chez les grands singes.
Il faut comprendre que l'environnement ne crée jamais rien, il ne fait que sélectionner, et ce forcément sur
des choses qui existent déjà. Depuis 10 millions d'années cette aptitude à marcher debout existait déjà, elle
s'est mise en place le jour où cela était devenu vital pour l'espèce.
En génétique enfin, le résultat du séquençage du génome humain n'a révélé que 25.000 gènes, alors que le
grain de riz possède 40.000 gènes. Notre génome comprend donc très peu de gènes, et il n'est même plus
certain qu'il y ait un seul gène de différence avec les chimpanzés et pourtant… il y a quand même beaucoup
de différences !
Bibliographie
Lucy et l'obscurantisme (publication mai 2007)
Les grands singes ou l'humanité au fond des yeux - Odile Jacob
Au commencement était l'homme - Odile Jacob (2003)
Les origines de l'homme, l'odyssée de l'espèce - Édition du Seuil (2002) et livre de poche
Les origines de l'homme – Pascal Picq
20 mars 2007
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