ENSEIGNEMENT DE SPÉCIALITÉ Économie approfondie Il est demandé au candidat de répondre à la question posée par le sujet : - en construisant une argumentation ; - en exploitant le ou les documents du dossier ; - en faisant appel à ses connaissances personnelles. II sera tenu compte, dans la notation, de la clarté de l'expression et du soin apporté à la présentation. Ce sujet comporte un document SUJET B En quoi la stratégie de monopole discriminant repose-t-elle sur un pouvoir de marché ? DOCUMENT « Sur Internet, personne ne sait que vous êtes un chien », dit la légende d'un dessin dans le New Yorker en 1993, montrant un chien souriant au clavier et un autre qui le regardait. En fait, beaucoup de gens savent non seulement que vous êtes un chien mais connaissent beaucoup d'autres choses sur vous, notamment votre marque préférée de nourriture pour chien. Internet et les technologies associées ont eu un impact dévastateur sur la vie privée. L'effet sera de marquer le début d'une discrimination sans précédent par les prix, a fait valoir Andrew Odlyzko de l'Université du Minnesota, dans une de ses publications. Ce n'est pas ce que la plupart des gens attendent. Internet permettant de comparer les prix, le consensus a porté sur le fait que la capacité des vendeurs à facturer des montants différents à différents acheteurs sera limitée. Ce n'est pas le cas, soutient M. Odlyzko. Grâce à Internet, beaucoup plus de possibilités de discrimination par les prix se constituent. L'exemple le plus évident est celui des compagnies aériennes. Les sites Web des compagnies aériennes établissent une discrimination d'une manière extraordinairement raffinée en fixant des tarifs qui peuvent varier, pas seulement par classe mais par date de réservation et d'heure du vol. [...] Bien sûr, tous les produits et services ne peuvent pas être facturés de telle manière. La discrimination par les prix sera compromise si des marchés secondaires(1) se développent de manière à ce que les gens qui peuvent acheter à bas prix revendent à ceux qui devraient payer des prix plus élevés. Dans le cas des compagnies aériennes, cela ne peut pas se passer ainsi car la sécurité du gouvernement exige que le nom d'un passager corresponde à celui figurant sur le billet. [...] La discrimination par les prix, souligne M. Odlyzko, a un sens économique. Les clients sont prêts à payer des montants différents pour le même produit ou service, selon la façon dont ils sont lotis et s'ils en ont vraiment besoin. Une entreprise maximisera ses revenus si elle peut extraire de chaque client le montant maximum que la personne est disposée à payer. Source : « They're watching you », article de The Economist reproduit dans Principes de l'économie. Gregory MANKIW, Mark TAYLOR, 2006. (1) Marchés secondaires : (ici) marchés sur lesquels les produits peuvent être revendus. ENSEIGNEMENT DE SPÉCIALITÉ Correction sujet B - En quoi la stratégie de monopole discriminant repose-t-elle sur un pouvoir de marché ? En 2008, un rapport parlementaire portant sur la tarification des billets de train par la SNCF notait que peu de voyageurs payent le même prix pour un trajet donné. Ce rapport, réalisé au nom de la commission des Finances de l'Assemblée, et intitulé "Le consommateur a le droit de comprendre", ne conteste pas la différenciation des prix opérée par l’entreprise, mais revendique une plus grande transparence tarifaire pour les consommateurs. Cette différenciation des tarifs pour un même bien correspond à une pratique de monopole discriminant. Nous étudierons dans un premier temps comment cette stratégie est mise en œuvre afin de montrer qu’elle repose nécessairement sur un pouvoir de marché. Une stratégie de monopole discriminant vise à capter la totalité de la disposition à payer de chaque consommateur afin d’accaparer la totalité du surplus du consommateur au profit de l’entreprise. Les services vendus doivent être alors différenciés pour justifier les différences de prix entre le service vendu le plus cher aux consommateurs qui ont la plus forte disposition à payer et le service vendu le moins cher à ceux dont la disposition à payer est la plus faible. Cette pratique est fréquente dans l’hôtellerie ou le transport. Dans le secteur aérien, elle est connue aussi sous le nom du « yield management ». Il s’agit de proposer, pour un même trajet Paris-New York par exemple, des services différents en termes de confort (classe affaire, 1ère classe, classe économique), de services annexes (priorités d’enregistrement, qualité des repas à bord, …), de possibilités d’échanges de billets ou de remboursement, … Pour des chambres d’hôtel, les tarifs peuvent aussi être différenciés en fonction de la qualité de la chambre, de son orientation, des services optionnels (wi-fi, minibar, accès aux salles de sport, …), des dates de réservation, … Pour le train, les tarifs varieront en fonction de la date d’achat (à l’avance ou en dernière minute), du taux de remplissage des trains, de la possibilité d’échanger ou non le billet, de la date de départ (vacances, week-ends ou semaine), des cartes de fidélité achetées (selon l’âge ou la fréquence des trajets), … Cette discrimination par les prix fonctionne bien lorsque les consommateurs peuvent assez difficilement différer leur consommation dans le temps (c’est souvent au moins partiellement le cas pour les voyages, qu’il s’agisse de voyages d’affaires ou de tourisme) et lorsque les consommateurs potentiels ont des caractéristiques différentes et donc des attentes différentes (comme pour les voyageurs d’affaires ou de loisirs). Cette discrimination par les prix suppose néanmoins que l’entreprise dispose d’un pouvoir de marché (c’est-à-dire d’une capacité à accroître ses prix sans perdre de clients) relativement important. En d’autres termes, cette stratégie nécessite que la concurrence soit limitée sur le marché. D’ailleurs, si l’on observe ces stratégies de différenciation des prix dans d’autres structures que les monopoles (par exemple dans certaines situations d’oligopole ou de concurrence monopolistique), elle n’est pas possible en situation de concurrence. En effet, plus l’élasticité de la demande par rapport au prix est faible, plus le monopole peut fixer un prix élevé. Au contraire, plus elle est forte, plus le monopole a intérêt à fixer un prix bas. Or, cette élasticité-prix de la demande dépend en partie du niveau de la concurrence. Par exemple, on constate que si le prix des vols pour les hommes d’affaire sont relativement élevés, cela s’explique par le fait qu’il leur est plus difficile d’arbitrer entre un nombre limité de concurrents sur un long-courrier sans escale sur des dates fixes. Au contraire, dans le cas des voyages de tourisme pour des destinations plus proches, la concurrence est plus vive avec le rail ou la voiture et il y a davantage de trajets low-costs, car l’élasticité-prix de la demande est alors plus élevée. Cette discrimination par les prix est aussi d’autant plus efficace qu’il est difficile pour le consommateur de repérer le meilleur rapport qualité-prix. Or, la multiplication des services proposés par les monopoles discriminants limite cette capacité du consommateur à choisir entre les différents concurrents éventuels lequel propose ce meilleur rapport qualité-prix. Par sa stratégie de différenciation des services, l’entreprise acquiert ainsi un pouvoir de marché basé sur l’absence d’homogénéité du produit vendu. Ce pouvoir du monopole discriminant s’accompagne aussi souvent de politiques de fidélisation (Smile’s par exemple dans le transport aérien ou vente de cartes de réduction spécifiques par la SNCF) qui accroissent son pouvoir de marché. Enfin, on peut faire remarquer que cette stratégie de différenciation des prix ne pourrait pas être mise en place dans un marché où les acheteurs qui ont bénéficié du prix d’achat le plus faible pourraient revendre le service acheté à un prix un peu plus élevé aux consommateurs dont la disposition à payer est la plus forte (mais à un prix plus faible que celui proposé par le monopole discriminant). C’est pour cela que cette stratégie de différenciation des prix ne peut s’opérer que sur des marchés où la concurrence est limitée. Par exemple, dans le cas du transport aérien, la concurrence est limitée par le fait que les billets sont nominatifs et ne peuvent pas être revendus, comme le soulignent Grégory Mankiw et Mark Taylor dans leur ouvrage Principes de l’économie. Au final, si la SNCF peut réaliser une tarification aussi différenciée selon les caractéristiques de ses voyageurs, c’est bien parce qu’elle bénéficie d’un réel pouvoir de marché pour les trafics ferroviaires basée sur l’absence de concurrent direct et une élasticité-prix de la demande relativement faible pour de nombreux voyageurs. L’ouverture à la concurrence des trajets voyageurs imposée par la Commission européenne tendra peut-être à améliorer la transparence de l’information tarifaire réclamée par de nombreuses associations de consommateurs.