& théologie Le Courrier théologique des professeurs de la faculté de théologie catholique (Université de Strasbourg) N° 3, janvier 2015 Billet : Un marronnier. Qu’on se rassure (s’il en est besoin) : le titre de ce billet est emprunté au vocabulaire du journalisme, pas à celui des traités d’arboriculture, sans qu’il désigne toutefois l’heureuse conclusion d’une délicate enquête relative à la sorte d’arbre sur lequel un célèbre corbeau perdit sa pitance pour s’être essayé, en soliste, au chant a capella. Non, le mot indique le retour périodique d’un sujet de moyenne importance dans le genre « à quoi pensent cette année les philosophes ? » qui, dans le cadre des études actuelles de théologie, revêt une forme particulière : « quelle philosophie [sous-entendu « aujourd’hui »] pour la théologie catholique ? ». À cette question, il est possible de répondre en signalant l’orientation originale prise par l’enseignement de la philosophie dans les études de théologie à l’Université de Strasbourg. En quoi consiste cette orientation ? demandera-t-on. Pour une part, dans l’importance accordée au Moyen Âge tardif, et, pour une autre part, dans la décision d’interroger des disciplines philosophiques comme l’anthropologie, ou bien des manières contemporaines de philosopher comme l’herméneutique, à partir d’une métaphysique qui, loin de chercher à colmater les ouvertures de la pensée en recourant au ciment à prise rapide du moi, du monde et de Dieu, les empêche au contraire de se refermer. Avec quel(s) résultat(s) ? s’enquerra-t-on encore. En anthropologie : la découverte d’un soi charnel plutôt que la énième redécouverte du moi, le primat reconnu au projet de monde (problématique du sens) par rapport au monde, la recherche d’un Dieu vraiment divin, plutôt que les retrouvailles avec un Dieu désespérément trop humain. En herméneutique : l'entrée dans la dimension native de la recherche de la vérité et de la sagesse en ne renonçant pas à la question des fondations et, à cette fin, en honorant le statut ontologique de notre condition herméneutique. La pensée du mois. « “L’adoration” ne voudrait rien dire d’autre que cela : l’attention au bougé du sens, à la possibilité d’une adresse inédite, ni philosophique, ni religieuse, ni théorique, ni pratique, ni politique, ni amoureuse – mais attentive. Attentive par exemple à ceci – entre mille ressources qu’on pourrait invoquer : lorsque le Coran dit que Dieu a créé les hommes pour en être adoré (Sourate, LXI, 55), l’homme moderne est prêt à dénoncer la nullité de cette opération vaine ou bien l’outrecuidance Page 1 - & théologie n°3 - Janvier 2015 exorbitante d’un pareil Narcisse. Mais si nous étions appelés à comprendre cette phrase tout autrement ? Si elle pouvait signifier que “Dieu” n’est que le prête-nom d’un pur excès – vain en effet, exorbitant en effet – du monde et de l’existence sur eux-mêmes ? d’un pur et simple rapport infini à l’infini ? » Jean-Luc Nancy, L’Adoration. Déconstruction du christianisme 2, Paris, Éditions Galilée, 2010, p.31-32. Lecture. Le beau livre de Marielle Macé, Façons de lire, manières d’être (Paris, Gallimard, nrf/essais, 2011) traverse toutes les disciplines enseignées à la faculté en invitant chacun à redécouvrir ce qu’il sait pour l’avoir expérimenté, fût-ce fugitivement, et, trop souvent, oublié : il n’y a pas d’un côté la lecture et de l’autre, la vie. Les formes littéraires qui se proposent dans la lecture sont des formes de vie. Témoin de cette idée rectrice, cet extrait : « Toute configuration littéraire indique ainsi quelque chose comme une piste à suivre, un phrasé dans l’existant. Pour saisir cette dynamique, il faut considérer la lecture comme une conduite, un comportement plutôt qu’un déchiffrement. Une conduite “dans” les livres : question d’attention, de perception et d’expérience, cheminement mental, physique et affectif à l’intérieur d’une forme de langage. Mais aussi conduite “avec” les livres, et même une conduite “par” les livres, dans une vie guidée par eux : question d’interprétation, d’usage, d’application de la lecture aux formes individuelles. La notion esthétique de “conduite” permet justement de tenir ensemble une phénoménologie de l’expérience des œuvres et une pragmatique du rapport à soi, car c’est précisément ce qui relève de l’expérience lectrice qui a un avenir dans la grammaire de l’existence. Considérons donc la lecture comme un exemple de conduite esthétique intégrée, qui se déploie sur un arc existentiel complet. Intégrée, c’est-àdire : non isolé des autres moments d’une esthétique de la vie quotidienne, de toutes les autres conduites qui s’y trouvent mises en jeu. Loin des modèles sémiotiques ou narratologiques (qui ont tendance à décrire l’activité de lecture comme une opération close sur elle-même, aussi valorisée qu’elle est séparée, et qui peinent donc à faire entrer ensuite la lecture dans la vie), l’expérience littéraire s’aligne ainsi sur les autres arts et sur tous les moments pratiques dont elle est concrètement solidaire dans nos vies » (op. cit., p. 15). Éléments bibliographiques. Le principe d’une nouvelle collection d’ouvrages intitulée « Philosophie de la Religion » a été accepté par le conseil de publication de l’Université de Strasbourg. Philippe Capelle-Dumont et Yannick Courtel en sont les directeurs. Le premier volume, Religion et liberté, paraîtra au début de l’année 2015. Les lecteurs voulant approfondir la question de la relation entre philosophie et théologie pourront se référer aux articles suivants de Philippe Capelle-Dumont : « Enseigner la philosophie dans les Facultés ecclésiastiques et les Séminaires », Revue Seminarium, a. LII (2012), n.2-3, p.461-471 ; « Pour une métaphysique de l’alliance. Penser le christianisme » Annuario filosopfico, n° 29 (settembre 2014) Pisa/Milano ; « Que devient la phénoménologie Page 2 - & théologie n°3 - Janvier 2015 française ? », Revue Cités, n° 56, (janvier 2014), Paris, PUF, p. 35-50 ; « L’innovation théologique, » Revue de métaphysique et de morale, juillet 2014, p. 381-394. Rappelons, enfin, que le n° spécial de la Revue des Sciences Religieuses dirigé par Yannick Courtel et consacré à une discussion des deux ouvrages de Jean-Luc Nancy La Déclosion et L’Adoration (déconstruction du christianisme 1 et 2) est toujours disponible. Informations diverses Journée d’étude de l’Institut de droit canonique et de l’UMR Droit, religion, entreprise et société : « La vie associative dans l’Église : entre liberté des fidèles et vigilance de l’autorité », vendredi 16 janvier 2015, Palais universitaire, salle Fustel de Coulanges. Nous avons le plaisir de vous annoncer que la Revue des sciences religieuses est désormais accessible en ligne sur le site Persée pour l’ensemble des années 1921-2005 à l'adresse suivante: http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/revue/rscir Ce portail mis en place avec le soutien du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche est destiné à accueillir des revues scientifiques francophones en sciences humaines et sociales et ce dans une logique d’accès libre. Afin d’accroître la visibilité de ses publications, la Revue des sciences religieuses s’est associée à cette opération de valorisation des résultats de la recherche en SHS. Merci aux responsables de la revue et bravo pour la performance que représente cette entreprise ! Soutenances de thèse en théologie catholique Justin ZANGRE : « Les rites funéraires dans l’Afrique du Nord paléochrétienne du 3ème au 5ème. A la lumière des œuvres littéraires de Tertullien, Cyprien, Lactance et Augustin », sous la direction de Alexandre Faivre et Françoise Vinel, 19 janvier 2015, 14 h, salle Fustel, Palais Universitaire. La direction, les enseignants et les personnels administratifs de la Faculté de théologie catholique souhaitent la joie de Noël et une bonne année 2015 à nos lectrices et lecteurs ! Page 3 - & théologie n°3 - Janvier 2015