Le défi de la reconstruction automatisée et quantitative de l

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Le défi de la reconstruction automatisée et quantitative de l’embryogenèse du poisson zébré relevé
à l’interface entre Biologie du Développement, Optique et Mathématiques appliquées
On pourrait croire que les trois premières heures du développement embryonnaire du poisson modèle
Danio rerio au cours desquelles se joue la multiplication des cellules de l’œuf et leur diversification sont
connues, expliquées et comprises. Cette période de l’embryogenèse, comme beaucoup d’autres, n’a
cependant été décrite que verbalement et faute de descriptions formelles et quantitatives, la biologie reste
démunie pour mesurer les différences entre individus et ne sait pas calculer un modèle prototypique qui
représenterait une population d’individus.
Visualiser, quantifier et formaliser les comportements cellulaires dans un embryon de vertébré est un défi
qui ne peut être abordé qu’en conjuguant les efforts à l’interface entre différentes disciplines. Des travaux
publiés dans la revue Science du 20 août 2010 abordent cette problématique typique de la science des
Systèmes Complexes. L’équipe de Nadine Peyriéras (Embryologie, CNRS UPR3294/Gif-sur-Yvette/Institut
de Neurobiologie Alfred Fessard et Institut des Systèmes Complexes de Paris Ile de France) s’est associée
à
celle
d’Emmanuel
Beaurepaire
(Optique,
CNRS
UMR
7645/Inserm
U696/Ecole
Polytechnique/Laboratoire d’optique et biosciences) qui propose une nouvelle stratégie d’imagerie
permettant d’observer et de reconstruire in toto les étapes précoces du développement de l’embryon de
poisson, sans avoir recours à un marquage fluorescent. L’observation repose sur la microscopie non
linéaire (ou multiphotonique) à balayage, une approche détectant les signaux non linéaires produits par un
faisceau infrarouge à impulsions, au voisinage de son point de focalisation dans le tissu. Deux innovations
ont permis d’observer les embryons complets, sans perturbation ni marquage. La première a consisté à
implémenter un mode de balayage adapté à la topographie sphérique de l’embryon. En enregistrant les
images selon une trajectoire circulaire de vitesse variable, il a été possible d’obtenir un signal homogène
dans tout l’embryon. La deuxième innovation a consisté à détecter les minuscules réponses non linéaires
endogènes des cellules embryonnaires. En effet, la microscopie par génération de second et troisième
harmoniques (SHG-THG), approche récemment développée à l’Ecole Polytechnique, permet une
description morphologique du tissu et des cellules qui le constituent. Les fuseaux mitotiques, structures
organisées séparant les lots de chromosomes au cours de la mitose, génèrent un signal de second
harmonique transitoire fournissant un repère temporel précis pour le cycle cellulaire. Simultanément,
l’imagerie par génération de troisième harmonique (THG) détecte les variations spatiales de propriétés
optiques et permet de visualiser avec un excellent contraste la membrane cellulaire et l’enveloppe
nucléaire dans les cellules de l’embryon précoce de poisson zébré.
La qualité des données brutes ainsi obtenues a permis à l’équipe d’Andres Santos (Mathématiques
appliquées, Univ. Politecnica Madrid/E.T.S.I. Telecomunicacion) de mesurer positions, formes, volumes et
contacts cellulaires et de reconstruire avec une précision jamais atteinte jusque-là le lignage cellulaire de 6
embryons depuis leur première cellule jusqu’à 1000 cellules, soit le résultat de 10 divisions cellulaires
consécutives. Ces données uniques ont ensuite été analysées avec les stratégies algorithmiques
développées par l’équipe de Paul Bourgine (Modélisation des Systèmes Complexes, CNRS-Ecole
Polytechnique/Centre de Recherche en Epistémologie Appliquée). Les résultats de cette collaboration
franco-espagnole consistent en une description phénoménologique quantitative précise qui doit servir de
référence dans le domaine et indique un seul régime dynamique de régulation de la prolifération cellulaire
dans tout l’embryon ou l’asynchronie et l’asymétrie sont la règle. La diversification des cellules se produit
au fil des fluctuations qui d’une division à l’autre touchent la longueur des cycles cellulaires ainsi que le
volume des cellules. S’ajoute une règle d’allongement du cycle cellulaire en fonction de la position de la
cellule dans l’embryon par rapport à un point qui peut être calculé, produisant un pattern de pseudos
vagues de divisions. Ces phénomènes expliquent en partie l’origine de l’hétérogénéité cellulaire à trois
heures de développement, au moment où le génome du zygote entre en action. Cette hétérogénéité est le
fondement du développement de l’embryon. Enfin, la comparaison de 6 embryons différents permet de
calculer un modèle prototypique qui devrait remplacer les représentations que contenaient jusque-là les
livres d’embryologie.
Mesurer et quantifier les phénomènes au moyen de stratégies automatisées d’analyse de données
acquises in vivo ouvre la voie à une biologie quantitative, intégrative et prédictive qui est le fondement
d’une médecine personnalisée. Rendre mesurables les comportements cellulaires nous permet d’envisager
de tester précisément les effets biologiques de nouveaux médicaments à toutes les échelles au sein de
l’organisme entier. Il s’agit d’un changement de paradigme qui va bouleverser notre compréhension des
processus biologiques et nos pratiques expérimentales et médicales.
Référence:
“Cell lineage reconstruction of early zebrafish embryos using label-free nonlinear microscopy”
Olivier, N., Luengo-Oroz, M., Duloquin, L., Faure, E., Savy, T., Veilleux, I., Solinas, X., Débarre, D.,
Bourgine, P., Santos, A., Peyriéras, N. & Beaurepaire, E.Science, 20 août 2010, Vol. 329. no. 5994, pp.
967 - 971
Lien article: http://www.sciencemag.org/cgi/content/abstract/329/5994/967
Contacts
Emmanuel Beaurepaire [email protected]
CNRS UMR 7645, INSERM U696, Ecole Polytechnique, Palaiseau.
Paul Bourgine [email protected]
CNRS UMR7656, Ecole Polytechnique, Palaiseau
Andres Santos [email protected]
Univ. Politecnica Madrid, E.T.S.I. Telecomunicacion
Nadine Peyriéras [email protected]
CNRS-N&D UPR3294, Gif sur Yvette
Illustrations (Science droits réservés)
Embryon de poisson zébré après 4 heures de développement observé simultanément en microscopie par
génération de second harmonique (SHG, panneau du haut, en vert) et en microscopie par génération de
troisième harmonique (THG, panneau du bas, en bleu). L’image SHG révèle les fuseaux mitotiques et donc
les cellules en division. L’image THG révèle la morphologie du tissu cellulaire et du vitellus. Données
brutes, barre d’échelle : 100 µm.
Reconstruction du lignage cellulaire et déploiement spatio-temporel 2D et 3D des 10 premiers cycles de
division d’un embryon de poisson zébré. Chaque cellule au stade 8-cellules est marquée par une couleur
afin de repérer sa descendance dans cet embryon digital.
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