Les barrages dans les régions arides du Nord-Est du Brésil ont-ils des conséquences sur la santé humaine ? Par Pierre Gazin Institut de Recherche pour le Développement, CFRMST - Faculté de Médecine de Marseille, France et Universidade Federal de Pernambuco, Departamento de Doenças Tropicais, Recife PE, Brasil Dans les régions semi-arides du Nord-Est du Brésil, le déficit chronique en eau a entraîné la construction de milliers de barrages dans les lits des cours d’eau temporaires, grands barrages publics ainsi que nombreux petits barrages privés ou communautaires. Pratiquement tous les sites possibles sont désormais construits. La multiplication de ces retenues a-t-elle des conséquences sur l’état de santé des populations riveraines ? Quelles sont ces conséquences ? Leur bilan est-il plutôt positif ou négatif ? Cette question récurrente du lien entre stockage de l’eau et effets sur la santé se pose en particulier pour des pathologies infectieuses liées à l’eau soit du fait de leur transmission par un vecteur aquatique, soit de la vie de leurs agents infectieux dans l’eau ou en milieu humide. 1 - Quelles sont les principales pathologies liées à l’eau ? Les schistosomoses Les schistosomoses, ou bilharzioses, sont des infections parasitaires dues à des vers plats hématophages vivant dans le système circulatoire de l’homme avec des locations préférentielles propres à chaque espèce. Ces parasites présentent un cycle de développement chez l’homme, et chez d’autres vertébrés, aboutissant à l’émission d’œufs avec les excréments de leurs hôtes. L’embryon ou miracidium doit pénétrer dans un mollusque aquatique spécifique pour continuer son évolution. Il s’y multiplie de manière végétative intense. Les furcocercaires sont la forme mobile infectante pour les hommes émise dans l’eau par les mollusques parasités. Ils nagent jusqu’à rencontrer une victime dont ils pénètrent activement la peau. Pierre Gazin 582694893 16/04/17 Les schistosomoses sont des infections étroitement dépendantes des contacts entre les hommes et l’eau douce : contacts pour y introduire les miracidiums avec les excréments, contacts pour être infecté par les furcocercaires lors des activités de pêche, de jeux, de toilette. Elles sont les maladies parasitaires les plus étroitement liées à l’eau douce et les plus aptes à utiliser des modifications de biotope comme les aménagements hydrauliques pour se développer. La schistosomose intestinale est présente dans la région de production de la canne à sucre, en zone littorale du nord-est du Brésil, avec des taux de prévalence qui peuvent être élevés. Cette situation ancienne est probablement une conséquence de l’introduction massive d’esclaves originaires de l’Afrique à partir du 16ème siècle. Une enquête en 1950 a observé qu’un tiers des scolaires étaient infectés dans cette région ainsi qu’une décroissance de la prévalence de l’infection au fur et à mesure de l’éloignement de la côte avec 11% d’infectés à Belo Jardim, 2% à Arcoverde, 0,7% à Serra Telhada (1). La schistosomose reste actuellement fréquente dans la zone de la canne avec selon les enquêtes de 30% à 90% de porteurs de parasites, malgré des campagnes de lutte contre les mollusques et de traitement des infectés (2). Les mollusques hôtes intermédiaires appartiennent au genre Biomphalaria, avec principalement B. glabrata dans les régions les plus humides du littoral et B. straminea dans les régions un peu moins arrosées, jusqu’à la limite de la région agricole dite de l’Agreste. La crainte de la diffusion de la schistosomose dans le Nord-Est brésilien est ancienne. Elle a conduit à la réalisation d’enquêtes dans différents secteurs du Sertão à partir de 1979, puis en 1986-1987 dans 23 périmètres gérés par le DNOCS. Ces enquêtes ont mis en évidence la rareté de l’infection aussi bien chez l’homme : 3 cas parmi 10 200 sujets examinés (municipalités de Ibimirim dans le Pernambuco, de Condado et Souza dans la Paraíba) que chez les mollusques : 0,1% de positifs parmi 17 000 B. straminea disséqués, tous provenant de Souza (3). Le contrôle des schistosomoses repose sur la réduction, assez illusoire, des contacts des hommes avec l’eau, sur l’arrêt du dépôt d’excréments à proximité des berges, donc sur la construction et l’usage de latrines, et sur l’emploi de produits molluscicides tel que le niclosamide (Bayluscide®). Ces produits demandent à être appliqués environ une fois par mois pour être efficaces, donnant alors des résultats intéressants sur la population de mollusques et sur la transmission (4). Onéreux et peu respectueux de l’environnement, demandant une grande 2 continuité dans leur emploi, ils sont rarement utilisés sur une période de temps et un espace suffisants pour permettre des résultats valables sur le long terme. Les schistosomoses sont des parasitoses d’accumulation. Les parasites ne se multiplient pas dans l’organisme humain. Des infections rares sont en général paucisymptomatiques. Le contrôle de la maladie repose pour partie sur le diagnostic et le traitement des infectés. Les traitements sont efficaces en prise unique, bien tolérés et peuvent être employés en campagne de masse. Ils n’aboutissent généralement pas à une diminution marquée de la prévalence mais ils permettent une réduction importante des fortes infections et de la fréquence des formes graves. Ainsi, l’oxamniquine (Vansil®) est actif contre S. mansoni. Son emploi dans des sites du Rio Grande do Norte, de Pernambuco, de l’Alagoas et de la Bahia a permis une réduction marquée de la fréquence des formes graves, observées désormais surtout chez les sujets les plus âgés (5, 6). La prévalence de l’infection est restée élevée, sans nette amélioration après 25 ans de traitement dans d’autres sites de la région de Pernambuco (7, 8). Cette discordance apparente est surtout à mettre sur le compte de la qualité et de la régularité des actions, sur l’assimilation ou non des recommandations sanitaires par la population et sur les comportements. Des résultats persistants sont en général observés là où la lutte est associée à un développement économique véritable (9). Le problème posé aujourd’hui par les schistosomoses n’est pas tant celui de leur transmission et de l’existence cas humains, nombreux, que celui de la mise en place de structures de dépistage et de traitement associées à la continuité des actions préventives. Il n’y a aucune fatalité dans l’établissement ou dans la pérennisation de leur transmission dans des zones bénéficiant de retenues. En cas de transmission installée, il n’y a pas non plus obligatoirement apparition de conséquences cliniques importantes si les infectés sont régulièrement et bien traités. Le paludisme Le paludisme est une infection parasitaire due à la multiplication dans l’organisme de protozoaires du genre Plasmodium. Ils sont introduits par un moustique du genre Anopheles lors de son repas sanguin. Après une phase hépatique d’adaptation, asymptomatique, ils envahissent des hématies et s’y multiplient intensément, avec un cycle de deux à trois jours, provoquant des accès fébriles aigus. Des formes sexuées apparaissent et permettent la 3 continuité de la transmission si elles sont absorbées par un anophèle. Elles y accomplissent un cycle de multiplication long, en comparaison de la vie d’un anophèle adulte, avant de le rendre infectant. La transmission du paludisme exige la présence concomitante de ses trois acteurs, le Plasmodium, l’anophèle et l’Homme, seul réservoir connu de parasites. Les anophèles ont une vie larvaire aquatique avec des exigences de biotope strictes, différentes selon les espèces. Les modifications de l’environnement, en particulier le défrichage pour la création de zones de culture, leur sont en général favorables. Cette situation, évidente en Afrique, l’est moins en Asie et dans les Amériques où les destructions du couvert végétal dense peuvent être défavorables à des espèces endémiques ombrophiles. Une seule infection palustre réussie permet la multiplication intense des protozoaires chez l’homme. Elle aboutit, en absence d’immunité acquise efficace ou de traitement, à une maladie aiguë. Celle-ci peut tuer en quelques jours (cas de Pl. falciparum) ou provoquer des crises itératives se répétant pendant quelques mois (cas des autres Plasmodium). Les médicaments antipalustres sont nombreux. L’essentiel est la possibilité d’un accès rapide à une structure de soins capable d’établir un bon diagnostic et de procurer un traitement efficace. C’est avant tout une question d’organisation, de formation des hommes, de disponibilité de revenus, certains de ces traitements étant onéreux (jusqu’à 40 euros pour le traitement d’un accès). Le paludisme est surtout grave pour les populations démunies, sans accès à des professionnels de la santé compétents et à des soins. Le paludisme a été présent dans une grande partie du territoire brésilien. A partir de 1870, l’attention a été portée sur les épidémies atteignant les nombreux émigrants quittant les régions arides du Nord-Est, dans l’ensemble libres de cette infection, et qui allaient s’installer en Amazonie pour la récolte de l’hévéa sauvage. Les plaines côtières des états de Rio de Janeiro et de São Paulo furent également atteintes par de graves épidémies à la fin du 19ème siècle, peutêtre liées à une détérioration du drainage et de l’irrigation. La deuxième guerre mondiale entraîna une nouvelle forte demande de latex amazonien et un accroissement des cas. Pour une population de 55 millions d’habitants, le nombre annuel de cas au Brésil était estimé durant les années 1940 entre 4 et 5 millions, plus de la moitié provenant de l’Amazonie. Une cinquantaine d’espèces d’anophèles ont été observées au Brésil. Les vecteurs principaux sont An. darlingi et An. aquasalis. Ce dernier a été signalé dans l’intérieur du Nord-Est, où il est le seul vecteur endémique, jusqu’à 200 km de la côte et 600 m d’altitude (10-12). 4 Le Nord-Est brésilien a été le site d’une épidémie très particulière. En 1928, An. gambiae, un des principaux vecteurs africains, a été observé dans le Rio Grande do Norte, puis en 1930 à Natal (Paraíba). Il avait été vraisemblablement involontairement introduit par les navires français faisant des voyages rapides entre Dakar et les ports de cette côte. Il se multiplia intensément, provoquant une épidémie très importante dans la ville de Natal. En 1938, celleciatteignit le Val do Jaguaribe dans l’état du Ceará, y causant en huit mois 150 000 accès et plus de 14 000 morts. Un service spécialisé de lutte fut organisé, bénéficiant de ressources importantes du gouvernement brésilien et de la fondation Rockfeller. Il permit l’éradication de ce vecteur entre 1938 et 1940 (13). Il s’agit d’un exemple à peu près unique de succès complet de la lutte antivectorielle dans une région tropicale. Le paludisme a été particulièrement étudié et combattu dans les états de Rio de Janeiro et de São Paulo dès le début du siècle par des mesures portant d’abord sur l’environnement et le traitement des malades, puis à partir de 1950 selon le protocole d’éradication proposé par l’OMS. Cette lutte a été un succès et les cas autochtones dans ces régions sont désormais inexistants ou très rares (14). Au niveau national, l’incidence la plus faible a été observée en 1970. Depuis, les échanges avec l’Amazonie, les migrations dans cette région de travailleurs qui défrichent et modifient les conditions d’environnement, un relâchement de la surveillance ont abouti à un nombre croissant de cas (environ 40 000 cas dus à P. falciparum et 120 000 dus à P. vivax pendant le premier semestre 1998) (15). La filariose de Bancroft La filariose de Bancroft est une parasitose due au développement dans le système lymphatique de nématodes adultes de l’espèce Wuchereria bancrofti. Les femelles émettent des embryons, les microfilaires, qui circulent dans le sang généralement avec une périodicité nocturne, pendant le repos du sujet parasité. Ces microfilaires assurent la continuité du cycle de transmission par l’intermédiaire de moustiques hématophages qui les absorbent. Elles y effectuent un cycle évolutif propre avant d’être introduites dans un nouvelle hôte humain lors d’un repas sanguin. Les genres et espèces de moustiques responsables de la transmission diffèrent selon les parties du monde. L’Homme semble être le seul réservoir de parasites. 5 La filariose de Bancroft est présente au Brésil où sa transmission est assurée par des Culex. Elle est ainsi dans cette partie du monde une maladie essentiellement urbaine, ce moustique s’étant remarquablement adapté aux eaux sales, fortement chargées de matières organiques, fréquentes dans les espaces urbanisés. A Recife, dans des quartiers associant un mauvais drainage des eaux, la pauvreté, un habitat précaire, 11% des habitants sont infectés ; à Maceió (Alagoas), ils sont 5% (16, 17). La transmission ne semble pas avoir été observée jusqu’à présent dans les villes situées à distance du littoral. Le contrôle de la transmission repose sur la lutte antivectorielle, essentiellement grâce à l’assainissement, au drainage des eaux usées, aux protections individuelles que sont les moustiquaires et les insecticides domestiques. Parasitose d’accumulation, la filariose de Bancroft est asymptomatique dans le cas d’infections peu fréquentes. Des infections nombreuses peuvent aboutir à de graves atteintes du système lymphatique dont la manifestation la plus spectaculaire est l’éléphantiasis. Le traitement par la diéthyl-carbamazine réduit le risque d’évolution vers des lésions graves. Son emploi à grande échelle permet également de diminuer la transmission par son action sur le réservoir de parasites (18). La dengue et autres arboviroses La dengue est une arbovirose, une maladie causée par un virus transmis par un arthropode. Le virus responsable appartient au genre Flavivirus et les vecteurs sont des moustiques du genre Aedes. Les quatre souches de virus connues sont suffisamment différentes pour ne pas permettre l’acquisition d’une immunité croisée efficace. La dengue est présente selon des modalités diverses dans toutes les régions tropicales. L’infection peut être asymptomatique ou se manifester par une fièvre aiguë, durant environ une semaine. La forme hémorragique, rare, peut être mortelle. Il n’existe pas de traitement spécifique, ni actuellement de vaccination dont la valeur soit unanimement reconnue. Les larves d’Aedes se développent dans de petites collections d’eau propre. La dengue se transmet souvent là où un réseau de distribution défaillant incite au stockage de l’eau. Le seul vecteur connu jusqu’à présent au Brésil est Ae. aegypti. Originaire d’Afrique, il s’est adapté au continent américain où il est anthropophile et urbain. Il a été à peu près contrôlé jusqu’en 1967, mais depuis sa présence et sa densité vont en croissant (19). Les gîtes les plus habituels sont les dépôts de pneus usagés, les réservoirs domestiques d’eau, les boites de conserves usagées et 6 autres récipients. Les larves ne se développent pas dans les lacs, ni au bord des cours d’eau, ni dans les collections d’eau très chargées de matière organique. Des cas probables de dengue ont été notés au Brésil à partir du 19ème siècle. Des épidémies ont été bien décrites depuis 1982 (Roraima, puis Rio de Janeiro et São Paulo, environ trois millions de contaminations). Le nombre de cas notifiés a beaucoup augmenté depuis 1995. De 1986 à 1993, 53 500 cas ont été ainsi notés dans le seul état du Ceará, sans un seul décès connu. En 1994, l’incidence a été de 1010 cas/100 000 habitants dans la ville de Fortaleza. Parmi les 19 000 cas alors enregistrés, 26 cas de forme hémorragique ont été confirmés, dont 14 mortels. La souche DEN-2 est apparue particulièrement liée à cette forme (20). Pendant le premier semestre 1998, 395 000 ont été rapportés dans le pays, dont un tiers dans le nord-est. Un programme national de contrôle a été mis en place pour tenter d’éliminer le vecteur. Parmi les autres arboviroses présentes au Brésil, la fièvre jaune est la plus redoutée. Transmise par le même vecteur que la dengue, elle pourrait provoquer des épidémies, particulièrement en milieu urbain. La hantise qu’elle suscite a été à l’origine de grands programmes de contrôle des Aedes dès le début du 20ème siècle et de la généralisation de la vaccination antiamarile. La fièvre jaune apparaît actuellement sous forme de cas sporadiques dans la population rurale isolée (21). Les helminthes intestinaux Les helminthiases intestinales sont dues au développement dans l’intestin de nématodes dont deux sont particulièrement fréquents dans les régions tropicales : les ascaris et les ankylostomes. Ces vers ont un cycle de vie en partie dans le corps humain, en partie sur le sol où ils ont besoin d’humidité et de chaleur pour réaliser cette partie obligatoire de leur cycle. Ils sont liés à l’usage des excréments humains comme engrais ou à des maladresses dans la gestion de ces déchets. La contamination par les ascaris se fait par l’ingestion des larves infectantes avec de la nourriture souillée, celle par les ankylostomes par la pénétration active des larves à travers la peau des pieds et des jambes au contact de la boue. Après une phase tissulaire, les parasites s’établissent dans l’intestin. Ils croissent mais ils ne se multiplient pas dans l’organisme et les pathologies qu’ils peuvent provoquer sont des parasitoses uniquement 7 d’accumulation. Le taux de prévalence de ces infections est un indicateur du niveau de développement, d’infrastructure et d’hygiène des populations. De nombreux vermicides efficaces existent. Ils n’ont cependant pas d’effet pour arrêter la transmission si des mesures complémentaires d’assainissement ne sont pas prises et si les comportements ne changent pas. En effet, la production journalière d’une femelle d’helminthe est de l’ordre de 200 000 œufs (22, 23). De rares porteurs de parasites sont donc suffisants pour assurer une continuité de la transmission si les conditions de milieu et de comportement humain y sont favorables. L’intoxication par les cyanobactéries Les cyanobactéries ou algues bleues sont communes dans les eaux douces. Des conditions de milieu favorables peuvent entraîner une augmentation intense de leur population jusqu’à des efflorescences concentrées en surface. Ces conditions peuvent être particulièrement réunies dans le Nord-Est brésilien en fin de saison sèche. Les cyanobactéries peuvent libérer dans le milieu aquatique des neurotoxines et des hépatotoxines (24-25). Une épidémie de gastro-entérites graves a été observée entre mars et mai 1988 dans la population riveraine du fleuve São Francisco à proximité du barrage de Itaparica (Bahia). 2000 cas ont été notifiés par les structures de soins, dont 70% chez des moins de 5 ans, avec un taux élevé de létalité (4,5%). La prolifération contemporaine de cyanobactéries des genres Anabaena et Microcystis dans des eaux chargées de matières organiques, l’absence d’observation d’autres agents étiologiques, l’inefficacité du traitement des eaux alimentaires de la région par des techniques conventionnelles ont permis de conclure à la responsabilité des cyanobactéries dans cette épidémie (26). Les cyanobactéries sont devenues un sujet d’attention après le dramatique épisode survenu entre février et août 1996 dans un centre d’hémodialyse à Caruaru (Pernambuco). 55 insuffisants rénaux parmi 115 dialysés sont morts dans un tableau d’insuffisance hépatique. Les cyanobactéries présentes en grande quantité dans l’eau utilisée pour les dialyses en ont été la cause. La stérilisation n’a pas détruit les hépatotoxines. Il s’agit de la première observation de la responsabilité directe et complète de cyanobactéries dans une pathologie létale (27). Ces conditions involontairement expérimentales sont fort différentes de l’usage normal de l’eau de 8 boisson. Lors d’une hémodialyse, l’eau est directement en contact avec le milieu intérieur de l’organisme, sans la protection de la barrière intestinale, et en très grande quantité, jusqu’à 150 litres par individu pour une séance de 24 heures. La diffusion d’importantes quantités de toxiques est alors possible, une situation bien différente de celle de l’ingestion de un à trois litres quotidiens d’eau de boisson. A la même époque, la population de Caruaru riveraine des réservoirs n’a pas présenté de signes d’intoxication hépatique mais a cependant rapporté des cas d’irritation cutanée après des baignades (28). 2 – Les retenues d’eau et la santé humaine dans le Nord-Est semi-aride brésilien Une étude a été effectuée de 1997 à 2000 dans l’Agreste (site du barrage d’Ingazeira près de Venturosa) et le Sertão (sites de Cajueiro et Caatingueira près de Tuparetama dans le Sertão du Alto Pajeú) (fig. 1). Les pathologies étudiées sont la schistosomose intestinale, le paludisme, la dengue, les helminthiases intestinales. Les indicateurs de l’état de santé sont l’état nutritionnel des enfants et l’accès aux soins. La schistosomose intestinale a été recherchée par l’examen parasitologique des selles selon la technique de Kato. Des échantillons de selles ont été fournis par 55% des individus avec une répartition par âge et par sexe proche de celle de la population étudiée. Au total, 352 examens ont été effectués, y compris de sujets pouvant être considérés comme le plus à risque (enfants, pêcheurs). Aucun œuf de Schistosoma n’a été trouvé. Cette observation permet d’affirmer l’absence de transmission actuelle de la schistosomose intestinale dans les sites étudiés (29). Les mollusques hôtes intermédiaires, du genre Biomphalaria, ont été cherchés. Aucun n’a été observé, sauf dans une petite retenue où B. straminea est présent. L’eau y est très peu salée, de pH neutre, différant de la situation habituelle dans la région (conductivité électrique moyenne de 2098 µS/cm). L’observation d’hôtes intermédiaires de S. mansoni dans un réservoir du Sertão rappelle que leur rareté jusqu’à présent dans le Nord-Est aride n’est pas une situation immuable. La relative proximité de la zone de la canne à sucre, quelques heures en voiture, où ces mollusques et la maladie sont bien présents, incite à maintenir une surveillance (30). Les ascaris et les ankylostomes ont été observés chez 12% des examinés de Ingazeira, avec des charges faibles à modérées. Il s’agissait le plus souvent d’individus ayant les pires conditions de vie. A Cajueiro et Caatingueira, ces helminthes étaient presque absents. Un tiers des domiciles possédait des sanitaires reliés à une fosse (fig. 2 et 3). Pour les autres, la 9 défécation se faisait dans les bosquets, loin de l’eau. Les conditions d’hygiène et de milieu ne permettaient pas ou très peu la transmission des helminthes. Aucun cas de paludisme n’est actuellement connu ni dans l’Agreste ni dans le Sertão. Les anophèles ne se sont probablement jamais développés dans ces régions. Les collections d’eau, aux limites nettes, bordées de sols sableux ou caillouteux, ne sont pas favorables aux larves. La présence de poissons, de crapauds, la rareté de la végétation immergée participent à cette situation. Il faut cependant admettre que tous les éléments qui y contribuent ne sont pas connus. Les zones rurales semi-arides sont exemptes de filariose de Bancroft. Les Culex vecteurs sont présents dans les petites cités, mais à une densité trop réduite pour permettre l’installation de la transmission. Il ne semble pas y avoir eu de cas de dengue dans les régions étudiées, malgré la tendance à qualifier ainsi tout syndrome grippal. Les Aedes n’y ont pas été observés. Aucun cas d’intoxication aiguë par les toxines de cyanobactéries n’est connu. L’eau malodorante des réservoirs pendant la saison sèche incite à ne pas l’utiliser pour l’alimentation. Les toxines ne pourraient guère atteindre les hommes qu’à travers la consommation de poisson, généralement modérée dans une population qui préfère, quand le choix existe, la viande. L’état nutritionnel des enfants a été mesuré en utilisant les données anthropométriques classiques du poids et de la taille analysées en fonction de l’âge selon les valeurs de référence proposées par le National Center for Health Statistics. Il n’est pas apparu pas d’importants déficits nutritionnels chez ces enfants généralement de petite taille. La population du Sertão et de l’Agreste sait nourrir ses enfants malgré des conditions économiques et techniques difficiles (fig. 4). Aucune différence entre les enfants des communautés utilisant des barrages et ceux qui n’en disposent pas n’a été observée. Cette situation est probablement une conséquence de l’homogénéité des comportements, des pratiques. L’amélioration de la production grâce à la présence de l’eau a des effets qui atteignent même ceux qui ne possèdent pas de barrage, ne serait-ce qu’en travaillant pour ceux qui ont accès à cette ressource. Les habitants des sites étudiés ont accès à des soins. Ceux-ci fonctionnent assez bien dans les cas des urgences, moins bien pour le quotidien et la médecine préventive, faute de personnel qualifié et de ressources financières. C’est cependant une situation bien meilleure 10 que celle observée dans la plupart des pays tropicaux pauvres. L’intérieur du Brésil n’est pas un désert sanitaire et sa population n’est pas abandonnée. Les données démographiques nécessitent de provenir d’effectifs suffisamment grands, au moins de l’ordre de 10 000 individus, pour qu’elles aient un sens. Ce sont donc les municipalités des sites étudiés qui ont été retenues comme unités d’observation. Le taux de mortalité infanto-juvénile, de la naissance au cinquième anniversaire, était inférieur à 30 pour mille naissances vivantes. Il traduit une situation de relativement bon fonctionnement des services de santé et de cette société. Conclusion Les observations dans l’Agreste et dans le Sertão de Pernambuco ont montré l’absence de toute pathologie infectieuse qui pourrait être une conséquence de la multiplication des retenues d’eau. Les effectifs observés ont certes été limités mais les résultats sont suffisamment nets et en accord avec les données de la littérature pour avoir une signification pour l’ensemble des régions étudiées. L’état de santé de la population est apparu bon malgré des conditions de vie rudes, aggravées par une importante sécheresse ces dernières années. L’accès aux soins fonctionne. La seule endémie grave est la maladie de Chagas, sans aucun lien direct avec l’eau. L’appréciation des avantages des retenues d’eau sur la santé est plus difficile à démontrer. Elle est plus le produit d’un raisonnement. Un bon état de santé est le résultat d’une structure technique compétente ayant les moyens d’agir au sein d’une population suffisamment instruite et aisée pour en tirer des avantages. Les résultats de cette étude ne peuvent pas être extrapolés à l’ensemble des régions semiarides. Il peut apparaître dans certaines conditions des problèmes spécifiques liés à un nouvel usage de l’eau. Le développement des schistosomoses dans la région d’Assouan (Egypte) et dans les zones irriguées du Sénégal (Sénégal et Mauritanie) en est l’illustration. Ces maladies peuvent être prévenues ou traitées par des mesures souvent simples, d’autant plus applicables que la population, instruite, les comprend. Entre le risque de maladie et la possibilité d’améliorer ses revenus grâce à des récoltes régulières, le paysan des régions semi-arides, si le choix lui est présenté, opte probablement pour le stockage et la disponibilité de l’eau. 11 Références Referencias 1. Barca Pellon A et Teixeira I - Distribuição geografica da esquistossomose mansônica no Brasil. Ministerio de Educacao e da Saúde. Divisão da organisação sanitaria, Rio de Janeiro, 1950, 116 pages. 2. Barbosa CS et da Silva CB - Epidemiologia da esquistossomose mansônica no engenho Bela Rosa, município de São Lourenco da Mata, Pernambuco, Brasil. Cad Saúde Públi, 1992, 8 : 83-87 3. 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Poço temporário no leito arenoso de um riacho, única fonte de água domestica durante a estação seca em Caatingueira, Alto Pajeú, Pernambuco, Brasil Photo no 16081 de la base Indigo 14