Monsieur le Président

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Nom du sénateur
Eric Bocquet
Paris, le 19 mars 2013
Groupe Communiste Républicain Citoyen
Sénateur du Nord
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Projet de loi de régulation et de séparation des activités bancaires
Intervention générale
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
A l’évidence, le contexte économique et financier de
notre continent européen souligne avec plus de netteté
encore la nécessité d’une régulation de notre système
bancaire, dans notre pays bien sûr mais aussi bien
évidemment au sein de l’Union européenne.
Alexandre Dumas, fils disait en son temps : « La
banque, c’est l’argent des autres ». J’ajouterai de tous les
autres en particulier, mais aussi les entreprises et même
aujourd’hui les Etats. Notre collègue Richard Yung,
rapporteur sur ce texte, rappelait utilement le mardi 12
mars dernier lors de la réunion de la Commission des
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Finances que le bilan cumulé des banques françaises
atteint quelques 10000 milliards d’euros, soit environ 5
fois plus que le PIB de notre pays, au plan européen les
actifs des banques de l’Union Européenne représentent
350% du PIB de l’Union. Notre pays occupe dans ce
concert
de
l’hypertrophie
bancaire
une
place
particulièrement centrale. En effet, la France ne compte
pas moins de 4 banques dites systémiques, quand nos
voisins allemands en comptent une seule avec la Deutsche
Bank. A cet égard, il faut savoir que le total de l’actif
bancaire français représente 400% du PIB de notre pays
contre 85% aux Etats-Unis.
Ces quelques données chiffrées significatives illustrent
pour une part et de manière très spectaculaire la folie
spéculative qui s’est emparée des banques ces trois
dernières décennies, creusant le lit de l’explosion de la
dette et de l’implosion du système financier mondial,
comme le disait de fort belle manière un journaliste d’un
grand journal du soir dans son édition du mardi 15 janvier
dernier, je cite : « les banques ont alimenté à grandes
pelletées, le chaudron des bulles immobilières américaines
et espagnoles. Les banques fournissent le carburant de
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l’économie et allument la mèche en même temps », fin de
citation.
Il est donc tout à fait légitime qu’après ces trente
années de dérégulation et de financiarisation à outrance,
les Etats tentent de remettre le génie dans la bouteille en
imposant de nouvelles restrictions, disait ce même
journaliste.
Ce même constat fut fait le 22 janvier 2012 au Bourget
par un candidat à la Présidentielle, devenu Président de la
République, « Sous nos yeux, en vingt ans, la finance a
pris le contrôle de l’économie de la société et même de
nos vies », il poursuivait en indiquant je cite « que la
maîtrise de la finance commencerait par le vote d’une loi
sur les banques qui les obligera à séparer leurs activités de
crédit de leurs opérations spéculatives. Aucune banque
française ne pourra avoir de présence dans les paradis
fiscaux. Les produits financiers toxiques, c’est-à-dire sans
lien avec les nécessités de l’économie réelle seront
purement et simplement interdits, les stocks options seront
supprimés et les bonus encadrés ».
Telle était mes chers collègues la feuille de route.
Puis en Octobre 2012, un rapport fut rendu au
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commissaire européen Michel Barnier par M. Eerki
LIIKANEN, rapport qui recommandait entre autres
mesures de mettre à l’écart les activités financières les
plus risquées gérées par les banques.
Ces éléments de contexte, mes chers collègues, ne
peuvent pas ne pas être pris en compte au moment où nous
nous engageons dans la discussion d’un texte qui doit se
donner une véritable ambition pour faire en sorte que
jamais demain une telle crise financière ne puisse se
reproduire, car les conséquences graves en sont connues
pour les économies et les peuples évidemment en dernier
ressort, ainsi la dette publique irlandaise est-elle passée de
25% du PIB en 208 à 100% en 2010 du fait du naufrage
du secteur bancaire irlandais, qui obligea plus d’un
partisan
d’un
libéralisme
débridé
à
revoir
ses
fondamentaux pour décider de nationaliser plusieurs
établissements, que de couleuvres avalées ! De même, la
dette publique espagnole a augmenté de 50% qui plus est
malgré la prise en charge d’une partie des dettes bancaires
par la puissance publique, le secteur endetté en Europe
aujourd’hui n’est pas, et de loin, le secteur public : c’est le
secteur financier privé.
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Le modèle de la banque universelle tant promu par
certains milieux est devenu largement un mythe, si l’on
considère les dix plus grosses pertes annuelles de banques
européennes entre 2008 et 2011, 75% de ces pertes sont le
fait de banques universelles.
Alors oui face à ce constat, la séparation des activités
bancaires apparait comme une nécessité absolue, aussi ne
peut-on que s’inquiéter quant à la portée du présent texte
dont le PDG de la deuxième banque française indique face
aux membres de la commission des finances de
l’Assemblée Nationale, que le texte en l’état encadrerait
1% du produit net bancaire, le constat fut le même de la
part du représentant de la première banque française. Que
faut-il filialiser ? Il faut renoncer aux opérations de négoce
à haute fréquence et aux opérations de marché sur les
matières premières agricoles, oui il faut réorienter la
finance vers l’économie réelle, l’outil de travail, la
formation, la recherche et le développement, les PMI/PME
et artisans, autant d’atouts qui, bien plus que l’austérité
mortifère, seraient facteurs de la croissance qui fait défaut
à notre économie aujourd’hui.
Comment ne pas s’interroger de l’absence de référence
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dans le texte initial à la présence de filiales nombreuses de
banques françaises dans les paradis fiscaux, certes les
collaborateurs du ministère nous ont indiqué lors de notre
dernière entrevue que ce choix visait à inciter le Parlement
à apporter sa contribution à la rédaction, nos collègues
députés ont entamé ce travail, notre groupe souhaite
l’approfondir en introduisant l’ensemble des critères
indispensables à une présentation dite de « reporting »
(pardonnez cet anglicisme) pays par pays, ainsi serait-il
vraiment possible de juger de l’activité économique réelle
des banques dans ces territoires si particuliers.
Nous pensons également que « le politique » - P
majuscule – doit reprendre toute sa place face à la finance,
en parfaite indépendance, détaché de toute influence, si les
anglo-saxons n’ont sans doute pas la même approche que
nous sur ce sujet, nous pensons que la France doit être
porteuse d’un message sans ambiguïté sur cette question et
il nous semble également qu’il y va du fonctionnement
démocratique de notre société, en effet trop de nos
concitoyens
pensent
aujourd’hui
que
c’est
bien
l’économique qui dirige nos sociétés, chers collègues, il y
a là un enjeu de société majeur pour l’équilibre de notre
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république.
D’où la nécessité, selon nous, de « démocratiser » en
quelque sorte les organes de régulation, pourquoi ne pas
imaginer au sein de ces instances la présence de
représentants du personnel ainsi que des représentants des
associations de clients des établissements bancaires ? A
situation exceptionnelle, ne faut-il pas imaginer des
solutions originales. Nous sommes convaincus qu’il y
aurait là une source de prise en compte de l’intérêt général
de manière beaucoup plus constante. Hâtons-nous aussi de
rendre la finance accessible au plus grand nombre, nous
sommes tous concernés.
Un mot encore sur le trading haute fréquence,
l’exemple type de la finance déshumanisée, des émissions
d’ordre de bourse effectuées par des ordinateurs, des
robots, constituant l’essentiel des transactions à l’échelle
de la planète. Le texte envisage d’interdire cette pratique
malheureusement elle resterait autorisée dans le cadre des
activités dites de tenue de marché. Comme la quasi-totalité
du trading haute fréquence fait l’objet d’accords de tenue
de marché signés entre traders et places boursières, cette
interdiction pourrait se révéler être sans effet.
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L’expérience récente doit nous amener à une très
grande ambition dans le cloisonnement strict, étanche
entre l’entité qui collecte les dépôts et la filiale qui
regroupe les activités de marché à risque.
Le texte de loi présente de réelles avancées, de réelles
intentions ainsi les outils juridiques dont est dotée
l’Autorité de Contrôle Présidentiel et de Résolution visent
effectivement à agir plus rapidement et à minimiser
l’implication des contribuables en cas de défaillance
bancaire.
Mers
chers
collègues,
notre
responsabilité
de
parlementaires est très grande face à ce texte, qui peut être
un tournant salutaire et correspond à une véritable attente
chez nos concitoyens qui s’inquiètent légitimement de la
situation actuelle à Chypre, ainsi selon un sondage de
l’IFOP paru en décembre 2012, 71% des personnes
interrogées estimaient que les banquiers n’avaient pas tiré
les leçons de la crise et n’avaient pas adopté des
comportements moins risqués, le même institut quelques
mois plus tôt montrait que 84% des personnes interrogées
étaient favorables à une séparation au sein des banques
entre les activités de détail et les activités de marché, nous
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ne pouvons décevoir ces attentes !
Je voudrais à ce stade et avant de conclure soumettre à
la réflexion de chacun une citation dont je ne vous
dévoilerai l’auteur qu’à l’issue de la lecture.
« Je pense que les institutions bancaires sont plus
dangereuses pour nos libertés que des armées entières
prêtes au combat.
Si le peuple américain permet un jour que les banques
privées contrôlent leur monnaie, les banques et toutes les
institutions qui fleuriront autour des banques priveront les
gens de toute possession, d’abord par l’inflation ensuite
par la récession jusqu’au jour où leurs enfants se
réveilleront sans maison et sans toit sur la terre que leurs
parents ont conquis ».
Thomas JEFFERSON
(1802)
Notre groupe déterminera donc sa position au terme de
l’examen des articles et de la discussion des amendements.
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