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rec. 332 full text
Edgar Morin
"L'humanisme et la Révolution française ont battu la Révolution russe"
Dix ans après la chute du communisme, le sociologue Edgar Morin explore un
monde sans Union soviétique, distingue les bonnes et les mauvaises utopies,
dessine les contours de ce qu'il appelle la "société- monde" et explique
pourquoi l'islam intégriste ne durera pas plus que n'avait duré le
communisme stalinien.
LE MONDE | 22.12.01 |
(...)
- Le fondamentalisme islamique peut-il prendre la place de la religion,
laissée vide par le soviéto-marxisme ?
- L'islam s'est montré historiquement beaucoup plus tolérant que le
christianisme ; le christianisme a exclu l'islam et même les juifs, alors
que l'islam a toléré chrétiens et juifs, pas seulement en Andalousie, mais
dans l'Empire ottoman, pendant des siècles. Ce que n'a pas vécu le monde
islamique, ce sont ces siècles qui ont permis au monde européen chrétien de
rejeter le christianisme vers la sphère privée et de créer un espace de
laïcité qui, par la suite, a produit de la pensée, de la philosophie, de la
politique et de l'Etat. C'est cela qui a manqué à l'islam, à l'exception de
la Turquie.
- La modernité, c'est justement cette séparation de la religion et de
l'Etat ?
- La modernité est difficile à définir, mais, historiquement, c'est un des
éléments, un autre étant la croyance au progrès. Ce sont des éléments de la
modernité qui ne fonctionnent plus ; ils sont valables mais ils sont en
crise.
- N'y a-t-il pas dans l'islam politique certaines des composantes qui ont
fait le succès de l'URSS, la capacité de créer une surréalité, à laquelle
les gens finissent par adhérer, une sorte de schizophrénie, un système qui
fonctionne en dehors de la réalité ?
- A mon avis, c'est une forme très provisoire. Regardez le cas de l'Iran,
qui a subi un régime très dur. La société civile, parce qu'elle n'est pas
organisée politiquement, vomit le système à la base. Les femmes ne sont plus
voilées, elles commencent à se farder, les étudiants, les jeunes
manifestent... J'en arrive presque à un paradoxe : de même que l'expérience
du communisme stalinien a été profondément libératrice pour cesser de croire
à cette illusion, de même que ceux qui l'ont vécue ont été les plus
désabusés, de même l'expérience de cet islam intégriste ne peut pas, à mon
avis, durer. Ne serait-ce qu'à cause des formidables aspirations de la
jeunesse qui vit dans un bain de culture planétaire. Et vous avez le
problème des femmes. Regardez en Afghanistan !
"Une idée intéressante, qui aurait pu être féconde, encore qu'elle fût une
idée de Ben Laden, c'était de reconstituer le califat, c'est-à-dire un vaste
espace de civilisation islamo-arabique, qui, par là même, aurait surmonté
les différences nationales. Un peu comme pour l'Europe. Sur la base du
"benladénisme", c'est évidemment épouvantable. Mais il y a quelque chose de
fécond dans l'islam, dans une perspective éventuellement démocratique, c'est
l'idée d'"ouma", cette communauté des croyants. Si vous la "débenladénisez",
cela ne me semble pas a priori une idée négative. Je suis pour les grandes
confédérations.
(...)
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