Pacalin Virginie Trace d`apprentissage n°2 bis Communiquer de

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Pacalin Virginie
Trace d’apprentissage n°2 bis
Communiquer de façon efficiente avec le patient et/ou son entourage
Annoncer une mauvaise nouvelle
Hiver 2008/2009, je suis en stage libre au SAMU du 92, à Garches, depuis quelques mois
maintenant. Au début, j’avais assez peur du sang, de la grosse traumatologie, que j’ai finalement
plutôt bien supporté (même si je ne pense pas avoir vu le pire du pire). Par contre pour ce qui est
d’annoncer une mauvaise nouvelle, en particulier un décès aux proches, là, je trouve cela
extrêmement difficile et j’ai été plus que choquée par certaines attitudes. Je suis très étonnée de voir
à quel point les décès sont gérés de façon très très variable selon le médecin avec qui je travaille.
Certains sont d’une froideur dérangeante et d’autres d’une empathie telle que je doute qu’ils soient
capables d’arrêter d’y penser en ôtant leur tenue blanche à la fin de la journée. Je ne vous cache pas
que d’une manière générale, dans le premier cas, il s’agissait d’homme et dans le 2° cas de
femmes…
Quand on y réfléchit bien, cette situation est tout simplement terrible. Si on essaye une seconde de
se mettre à la place des gens. J’ai bien évidemment déjà perdu des êtres chers mais jamais de façon
très brutale et jamais des proches au 1°degré, jeunes et a priori en bonne santé. Le rôle du médecin
et de l’équipe médicale qui prend en charge initialement « un ACR » et qui finit par prendre en
charge « un décès » est primordial. Comment annoncer une telle nouvelle. Les gens sont en général
à mille lieux d’imaginer ce que l’on va leur annoncer. Quel traumatisme !!! Je crois que très
rapidement, on perd cette notion. On ne se rend plus compte puisque cela fait partir du quotidien. Cet
événement si exceptionnel et unique pour une famille est tellement banal pour une équipe de SMUR.
Et certains diront : « heureusement que l’on se « blinde », sinon nous ne pourrions plus bien faire
notre travail ». Je suis d’accord avec cela ; mais ne pas souffrir avec nos patients ne veut pas dire
qu’il ne faille pas se rendre compte de leur souffrance et essayer de la limiter. Et ça, je crois qu’un
certain nombre de médecins l’oublie, prétextant qu’ils se sont blindés pour mieux soigner. Or je crois
qu’au contraire, ils ont perdu un des aspects essentiels de leur métier de «soignant ».
Les exemples que j’ai pu voir sont nombreux.
L’exemple qui m’a le plus choqué est celui-ci : Le médecin avec qui je suis de garde ce jour là est un
homme d’un certain âge, assez sympathique avec son équipe, tant qu’on ne le contredit pas. Nous
intervenons chez un monsieur d’environ 65 ans, qui vit seul et qui a été retrouvé par son frère (parti
30 minutes, faire des courses), inconscient dans son fauteuil. C’est un monsieur sans antécédents
particuliers en dehors d’une BPCO modérée. A notre arrivée, les pompiers sont en train de réanimés
le patient en arrêt cardio-respiratoire, dans le salon, devant le frère abasourdi. Mon chef regarde le
patient au sol et dit : « Laissez tomber les gars » et les pompiers commencent à ranger leur matériel.
Le médecin s’adresse alors au frère : « Bon, alors là, votre frère est mort. Il n’y a rien à faire. Il me
faudrait ses papiers d’identité pour établir le certificat de décès. » Le frère reste là sans bouger, les
yeux fixés sur le corps de son frère. Mon chef reprend : « Eh oh. Monsieur. Je vous ai dit qu’il était
mort, vous comprenez, c’est fini. Ses papiers s’il vous plait »
Je vous laisse imaginer la tête de la famille : initialement complètement abasourdi et puis en
quelques minutes, sur la défensive « oui, mais, il a été vu par son médecin traitant hier, il aurait dû
l’envoyer aux urgences, il était enrhumé depuis quelques jours, son médecin lui a juste donné du
paracétamol et n’a rien vu, etc.… »
« Cherchez pas, il est mort. Voila un papier avec les coordonnées des pompes funèbres et de notre
psychologue. Au revoir… »
Et là, tout
e l’équipe prend le matériel, part tête basse, plutôt honteux, et va fumer une cigarette en racontant
une vieille blague pas drôle, avant de passer à autre chose.
Je décide alors de réfléchir pour le staff mensuel à une présentation sur l’annonce d’une mauvaise
nouvelle. D’autant plus que l’HAS vient de sortir des recommandations. J’ai beaucoup hésité sur le
thème car je me disais d’une part que je n’avais certainement pas grand-chose à apprendre à tous
ces médecins, qui annoncent de mauvaises nouvelles au moins toutes les semaines parfois même
tous les jours, et d’autre part, je ne voyais pas vraiment quoi leur raconter pendant 30 minutes.
Et bien, je me suis complètement trompée. Ce staff a été très bien accueilli, et a duré finalement plus
d’une heure. Tous avaient un vécu d’expériences qui les avaient touché ou suscité des
interrogations. Malheureusement, les médecins dont la brutalité de l’annonce m’avait choqué,
n’étaient pas présents (ce qui est finalement peu surprenant).
Quelques jours après, un autre médecin avec qui je suis de garde, me propose de prendre en charge
la prochaine intervention. Il s’agit d’un homme d’une soixantaine d’année, qui est allé s’allonger dans
l’après midi car il se sentait fatigué. La veille, il s’était vaguement plein d’une douleur épigastrique
mais sinon, ne présentait aucun antécédent notable. Au bout de 2h, sa femme inquiète, va le voir
dans leur chambre et n’arrive pas à le réveiller. A notre arrivée, nous tentons de le réanimer pendant
environ 30 min, dans sa chambre alors que sa femme attend, impatiente, dans le salon. Au bout de
10 min de réanimation, mon chef me demande si je veux bien mettre en pratique mon topo sur
l’annonce d’une mauvaise nouvelle et aller voir la dame pour commencer à la préparer. Je prends
mon courage à deux mains et accepte. C’était vraiment très dur de me retrouver face à une situation
qui me paraissait pourtant si simple sur le papier quelques jours auparavant. La tension est
palpable. Dans le couloir, elle essaie de regarder ce qui se passe, sans oser s’approcher. Je
commence à lui parler et mon chef me fait un signe de tête en me montrant le salon. Ah, oui, c’est
vrai, ça commence bien : « Madame, voulez-vous venir vous asseoir avec moi dans le salon un
instant, je vais vous expliquer ce qu’il en est ». (C’est déjà mieux qu’entre 2 portes). « Bon, alors, (je
prends une grande inspiration, en voyant cette femme, complètement effrayée par la situation).
Quels mots utiliser ?? « Madame, j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Qu’avez vous
compris de la situation ? ». Elle me raconte à nouveau ce qu’il s’est passé. « Peut-être aurais je dû
vous appeler plus tôt ? ». Je me lance alors « Madame, le cœur de votre mari, s’est arrêté. Nous ne
savons pas exactement pourquoi, mais en ce moment même, son cœur ne bat plus. Nous tentons de
le réanimer, grâce à des médicaments, mais je ne vous cache pas que la situation est plus que
grave. Maintenant, je dois vous laisser pour retourner auprès de votre mari. Nous allons poursuivre
encore la réanimation pendant une dizaine de minutes en espérant faire repartir son cœur mais au
delà de ces 10 minutes, il n’y aura plus d’espoir. Appelez un proche et faites le venir pour vous
soutenir. »
Ça aussi c’est très difficile. A plusieurs reprises, j’ai eu des proches au téléphone. Que leur dire ??
« Venez tout de suite, votre mère/père/frère/sœur a besoin de votre soutient immédiatement. Il est
arrivé … quelque chose de grave. Venez. » Comment leur faire comprendre l’urgence de la situation
sans les faire paniquer seuls au bout du fil. Si ils ont une fragilité physique (angor, asthme,
spasmophilie, …) ou un métier à risque (conducteur de transport ou d’engin, …) ou je ne sais pas
quoi d’autre, comment les prévenir sans leur faire courir à eux aussi un risque.
Je retourne donc auprès de notre victime et après 30 minutes de réanimation, nous arrêtons celle-ci
et déclarons le monsieur « décédé ». Mon chef me regarde d’un air interrogateur et m’invite à
retourner voir la femme, ensemble, dans le salon. Entre temps, elle avait appelé son fils et son voisin
(qui était un ami et nous avait rejoint). « Madame, comme je vous le disais tout à l’heure. Le cœur de
votre mari s’est arrêté, d’accord. Et malheureusement, malgré nos efforts, nous n’avons pas réussi à
le faire repartir. Je suis sincèrement désolée. Est-ce que l’on peut faire quelque chose pour vous ?
Avez-vous des questions ? »
La dame me regarde désemparée et me dit « Vous voulez dire que mon mari est mort ??? ».
« Euh, oui. »
Elle commence alors pleurer. « Mais j’aurais du vous appeler plus tôt ? »
« Madame, rien ne laissait présager ce qui vient de se passer et vous ne pouviez strictement rien
faire de plus. »
« Mais qu’est ce que je vais devenir maintenant sans mon mari ? Nous étions marié depuis plus de
40 ans ». Là, je sèche…
Sur le chemin du retour, nous avons débriefé cette intervention avec mon chef. Sans juger ma façon
de faire, il m’a simplement fait remarquer ce que j’avais fait ou pas, par rapport à la théorie présentée
quelques jours auparavant, et m’a dit ce que lui aurait fait différemment et pourquoi :
- je n’ai jamais utilisé clairement le mot « mort ou décès » en m’adressant à sa femme. Or, il y a un
moment où il faut parler clairement : mettre fin aux faux espoirs et « annoncer »
- j’ai mis beaucoup de « d’accord » dans ma conversation. Cela était ma façon de laisser la place à
d’éventuelles questions. Mais bien évidemment que cette femme n’était pas d’accord avec la mort de
son mari !!! Ce terme n’est donc probablement pas approprié.
- « je m’excuse mais votre mari est mort ». Non, je n’ai pas à m’excuser. J’ai bien fait mon travail et je
ne suis pas Dieu. Votre mari est mort et il devait mourir. En tout cas, je l’ai pris en charge en accord
avec les données actuelles de la science et il est mort malgré tout. J’ai une obligation de moyen et
non de résultat. Si je m’excuse, c’est que je suis fautive de quelque chose. Or là, ce n’est pas de ma
faute. Je peux être « désolée/navrée pour vous », mais en aucun cas, je ne dois m’excuser.
- enfin, mon chef m’a fait remarquer qu’à plusieurs reprises, j’avais posé ma main sur l’avant bras de
la dame. Il ne me l’a pas reproché mais simplement fait remarquer. En me disant que lui aussi était
beaucoup plus tactile et proche des gens dans la souffrance lorsqu’il était jeune médecin mais
qu’avec les années, il avait délibérément choisi de ne plus être trop compatissant car ce n’est pas
(selon lui) notre place de médecin. Bien sûr que l’on se doit d’avoir de l’empathie pour nos patients
dans ces moments terribles ; mais rester à sa place de médecin, sans devenir ami, permet parfois
d’être un soutien plus solide que de fondre en larme avec ses patients. Je ne suis pas complètement
en accord avec cette façon de voir les choses (c’est normal, je suis une femme), mais je crois qu’il y
a une part de vérité.
Ces réflexions que j’ai pu avoir et partager au SAMU on été tres enrichissantes et on se rend compte
que même après des années d’annonce de décès, les médecins qui ont un minimum de conscience
professionnelle (ce qui n’est pas toujours le cas), se remettent encore en question pour améliorer
leur pratique. Cette expérience me servira forcement dans ma vie professionnelle, que ce soit pour
annoncer un cancer, une démence d’Alzheimer, un retard mental chez un enfant…Bref, tout ce qui
bouleverse une vie. Cela aura été une chance pour moi d’avoir l’opportunité d’être observée,
corrigée, jugée au moins une fois dans ma vie par un médecin d’expérience dans le domaine de
l’annonce d’une mauvaise nouvelle.
En conclusion, je voudrais reprendre l’introduction de mon diaporama : « Il n’existe pas de bonnes
façons d’annoncer une mauvaise nouvelle mais certaines sont moins dévastatrices que d’autres ».
Sur une échelle allant du blanc au noir, essayons de trouver un gris ni trop clair, ni trop foncé pour
soutenir nos patients dans ces moments traumatisants.
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