fiche de lecture Aghion Roulet clémentine Cyprien - prepa-bl

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Philippe Aghion, Alexandre Roulet : Repenser l’État. Pour une social-démocratie de
l’innovation, La République des Idées (Seuil), septembre 2011
Fiche de lecture :
Ce livre est né à la convergence de la crise économique de 2008 et d’un déficit de confiance
en l’État. Les auteurs y voient l’occasion d’une refonte de l’État. En effet dans une période depuis
les années 80 marquées par la prépondérance dans l’économie des innovations, ils ont pour
ambition de dépasser le keynésianisme qui n’a plus les outils pour une bonne gouvernance
économique et le néolibéralisme qui vise à réduire l’État. Cet État idéal est un État qui investit dans
l’innovation et se concentre sur les domaines porteurs, mais aussi qui assure les nouveaux risques
face à la précarisation du travail et enfin qui un État qui continue d’assurer le contrat social et de
garantir la Démocratie. La méthode d’analyse des auteurs s’appuie largement sur des comparaisons
internationales afin d’y décerner les lignes directrices d’un État plus efficace et moderniser l’État
français.
Chapitre 1 : Investir dans les Idées :
Selon les auteurs, il faut une intervention raisonnée de l’État pour créer un domaine
favorable à l’innovation et à la mobilisation des idées et à sa matérialisation en pratique. Cette
intervention passe d’abord par un investissement dans le « capital humain », c'est-à-dire l’éducation
et la santé pour augmenter la mobilité et l’adaptabilité des individus afin de favoriser leur capacité
d’innovation. L’investissement dans l’éducation doit évidemment se porter sur le secteur
universitaire tout en favorisant l’autonomie des universités ; mais elle ne doit pas ignorer les
secteurs secondaire et primaire qui sont trop souvent ignorés et la cible d’économie budgétaire. La
qualité de l’école doit être promue et doit continuer à favoriser l’égalité des chances.
L’investissement dans la santé est une garantie d’un bien-être social et est source d’externalité
positive, il doit selon les auteurs s’orienter vers plus d’équité entre les patients à travers un système
de couverture universelle et une forte action de l’État. Pour cela, l’État doit réformer la nature des
dépenses en investissant dans le personnel hospitalier et la qualité des équipements et ensuite
décentraliser la direction administrative des hôpitaux. Mais l’État moderne doit aussi contrer le
vieillissement de sa population en visant à augmenter les flux migratoires sous la forme d’un
investissement réfléchi ; parallèlement cela amène à une recherche de plus d’intégration pour les
immigrés et d’insertion dans le monde du travail. De plus, l’État ne doit pas ignorer le rôle des
entreprises et surtout des PME dans l’innovation en favorisant leur financement notamment celui de
la recherche. Enfin, il s’agit ensuite de réinventer une politique industrielle afin d’avantager les
nouvelles industries et de protéger les activités domestiques de la compétition internationale.
Chapitre 2 : Domestiquer le risque : l’État assureur :
L’économie de l’innovation et la mondialisation ont mis à jour de nouveaux risques
auxquels l’État providence ne fait plus face. Risques liés à la création et la destruction rapide des
activités, les risques environnementaux et risques liés aux fluctuations macroéconomiques. Dans ce
cadre-là, l’État doit encourager les entreprises et les individus à se tourner vers la nouveauté en
apportant son soutien et une certaine sécurité face aux risques pris par les individus lors de
l’innovation. L’État doit d’abord prend en charge le problème de la précarité et du chômage avec
par exemple une politique de fléxisécurité sur l’exemple danois : flexibilité des règles d’embauche
et de licenciement, indemnisations chômage généreuses et formation importante des chômeurs.
Cette politique apporte des garanties d’efficacité et d’équité et assure un dialogue social avec une
syndicalisation importante vers un renforcement des droits des salariés et l’avènement d’une
démocratie sociale. Ensuite, l’État se doit de protéger les individus et les entreprises des fluctuations
macroéconomiques. Cela est fait au moyen de politiques contra-cycliques qui stabilisent les cycles
économiques à travers une politique fiscale et monétaire qui implique une forte présence de l’État
et sa discipline budgétaire évitant ainsi les écueils keynésiens et néolibéraux. Enfin, l’État doit faire
face aux dangers que représentent la dégradation de l’environnement et le réchauffement
climatique. Comment l’État doit-il intervenir dans ce domaine et est-ce que les politiques
environnementales ne vont pas se faire au détriment de la croissance ? Les auteurs pensent que
l’État doit d’abord inciter à des innovations vertes et ainsi lutter contre le réchauffement climatique
sans nuire à la croissance à long terme, le plus tôt sera le mieux. L’État doit aussi envisager de
réduire la production des secteurs polluants. Pour remplir ces deux objectifs, l’État dispose de deux
instruments : une éventuelle taxe carbone et un système de subvention incitatif pour l’innovation
verte. Pour finir, lutter contre le réchauffement climatique passe aussi par un volontarisme et une
coordination accrue des pays développés qui ont tendance à préférer la croissance à
l’environnement.
Chapitre 3 : Réformer la fiscalité
Trois objectifs fondamentaux de tout système fiscal :
1) Optimiser le rendement de l'impôt (incitations à déclarer correctement les revenus,
incitations à travailler et à entreprendre),
2) lisser les revenus nets des contribuables au court des différentes étapes de leur vie (ex. la
retraite),
3) corriger les inégalités sociales.
Comparaison des systèmes fiscaux existants : deux critères :
1) L'équité de la distribution des revenus après impôts. C'est un facteur d'efficacité
économique : en ouvrant l'accès aux opportunités d'investissement et d'innovation, elle génère
davantage de croissance, et elle augmente le consentement à l'impôt.
Comparaison grâce au coefficient de Gini après impôts et transferts (0 : système totalement
égalitariste, 1 : la totalité de la richesse serait détenue par une seule personne). France : position
intermédiaire (0,28), mais correspond à une détérioration de la situation, car il y a un creusement
des inégalités par le haut. Les pays scandinaves sont en tête (Danemark : 0,23).
2) La préservation des incitations à l'innovation et à l'épargne. Deux indicateurs (les brevets et
la croissance de la productivité) qui indiquent tous les deux la même hiérarchie, pays scandinaves
en tête.
→ Il ne semble donc pas nécessairement y avoir un arbitrage entre équité et efficacité.
Les systèmes fiscaux scandinaves : ont tous été réformés au cours des 25 dernières années (Suède :
1991, Finlande : 1993). Systèmes assez similaires : d'un côté les revenus du travail sont soumis à
des taux d'imposition fortement progressifs (et pas de niches fiscales), d'un autre on applique un
taux forfaitaire (~30%) aux revenus du capital. Cela s'accompagne d'un niveau d'investissements
publics conséquent dans l'éducation et la santé.
Le taux forfaitaire permet de conserver les incitations à l'innovation et à l'investissement. En
effet, il y a un écart en termes de brevets entre la Suède et le Danemark (S>D) : le Danemark taxe
encore les revenus du capital de façon progressive, et c'est en 1991 (année de la réforme fiscale) que
le nombre de brevets de la Suède décolle.
Cela nous invite à repenser le rapport entre pression fiscale et incitations :
 une fiscalité fortement redistributive peut augmenter les opportunités d'investissement dans
une économie où les marchés du crédit sont imparfaits
 si les revenus fiscaux sont affectés en priorité aux investissements de croissance plutôt qu'à
la satisfaction d'objectifs clientélistes, alors des hausses de taux d'imposition peuvent avoir
un effet positif sur l'innovation et la croissance. En effet lorsque le degré de corruption
diminue, le seuil de la courbe de Laffer se déplace vers la droite.
Courbe de Laffer
Autrement dit, moins le gouvernement est corrompu, plus est élevé le seuil à partir duquel une
augmentation du taux d'imposition commence à avoir un effet négatif sur la croissance.
Comment augmenter le consentement à l'impôt ? Selon une étude de Stephen Coleman,1 les
individus seront d'autant moins enclins à tricher fiscalement qu'ils pensent que leurs concitoyens ne
fraudent pas non plus. Il faut donc renforcer le contrôle fiscal, car cela aura un effet doublement
positif. D'autre part, le système fiscal sera d'autant plus perçu comme juste si on investit dans
l'éducation, la santé et la croissance.
Il est donc urgent de mettre fin aux niches fiscales. De fait toutes ces mesures se sont
avérées infructueuses :
 la réduction des taux de TVA dans le BTP et la restauration a créé 6000 emplois, ce qui
revient à un coût moyen par emploi payé de 500 000€.
 La défiscalisation des heures supplémentaires a eu des effets négligeables ou nuls sur
l'emploi et l'équilibre macroéconomique alors que son impact budgétaire est de 4,2 milliards
d'euros.
 La réduction de l'impôt sur le revenu pour les investissements productifs réalisés dans les
DOM-TOM coûte 700 millions d'euros et bénéficie à seulement 8600 ménages...
=> Proposition : imposition fortement progressive sur les revenus du travail, imposition à taux
constant sur les revenus du capital, impôt très progressif sur les successions et les rentes
foncières pour corriger les fortes inégalités de patrimoine et éviter les phénomènes d'exclusion
« par le haut ».
=>Pour une « social-démocratie de l'innovation » ≠ « Social-démocratie de la consommation » (qui
conçoit la redistribution sans se poser la question des incidences sur l'innovation et la production)
Chapitre 4 : Approfondir la démocratie
Idée que la démocratie est aussi bonne pour la croissance, car :
1) Davantage de démocratie et de décentralisation dans la gouvernance d'un pays, d'une université
ou d'une entreprise, stimule la créativité des individus et favorise l'émergence de nouveaux
paradigmes.
2) Système plus démocratique = moins corrompu, donc moins de lobbies et plus d'innovation, car
cela facilite l'entrée de nouvelles entreprises sur les marchés et cela force les anciennes à se
renouveler.
3) Cela évite que les politiques d'intervention ciblées ne se traduisent par du clientélisme ou du
1
« The Minnesota Income Tax Compliance experiment : State Tax Results », Minnesota Department of
Revenue, 1996
favoritisme.
L'indicateur « contrôle de la corruption » de la Banque mondiale (qui « mesure » la
démocratie) indique que la France se situe en queue de peloton des démocraties. Or des études
montrent qu'il existe une corrélation fortement positive entre démocratie et croissance dans les pays
de l'OCDE. De fait, dans les économies développées, le principal moteur de la croissance est
l'innovation de pointe, or la démocratie a un effet très positif sur cette innovation (par exemple, les
entreprises deviennent plus innovantes lorsqu'elles sont moins hiérarchiques et qu'elles
décentralisent le pouvoir, surtout lorsqu'il s'agit d'innovation qui ne se contente pas d'imiter, c'est-àdire de l'innovation de pointe).
Il faut lutter contre la corruption avec de permettre la libre entrée des entreprises sur le
marché ce qui est porteur d'innovation et qui constitue une menace donc une incitation à innover
pour les entreprises existantes. L'influence des lobbies est aussi bien sûr condamnable.
Deux instruments permettront de lutter contre le clientélisme en politique :
1) des médias suffisamment indépendants, contrairement à la situation française actuelle. En
effet :
- Journaux et chaînes de télévision sont de plus en plus souvent rachetés par des
conglomérats qui opèrent dans d'autres secteurs que la presse, des secteurs dans lesquels les
hommes au pouvoir peuvent donc intervenir et imposer leurs décisions
- La loi du 5 février 2009 stipule que les présidents des sociétés de programmes ne seront
plus directement nommés par le CSA mais par le président de la République sur avis conforme du
CSA)
- L'article 6 de la loi de juillet 1881 stipule que le propriétaire d'un média est de jure
directeur de la publication, donc il peut imposer sa ligne éditoriale et il n'y a pas de réelle
indépendance des journalistes.
2) Il faut développer une culture de l'évaluation des politiques publiques, car la France manque
de centres de recherche de renom consacrés à l'évaluation des politiques publiques et d'organismes
directement dépendants du Parlement constitués d'experts et chargés d'examiner toutes les
politiques publiques.
Les institutions existantes sont insuffisantes : la Cour des comptes a certes la mission
d'évaluer les politiques publiques depuis 2008, mais cela n'est pas systématique, contrairement au
Congressional Budget Office aux États-Unis. De plus, leur recrutement est le même que celui des
décideurs politiques (ENA), et ni la Cour des comptes ni l'Inspection des finances ne font l'objet de
contrôles.
Conclusion :
Il est donc possible pour la gauche de répondre aux préoccupations que posent la
mondialisation et l'innovation, en repensant l'État, son rôle et son mode de gouvernance.
Critique positive :
Un livre intitulé « Repenser l'État » publié en septembre 2011, on peut s'attendre à ce qu'il
soit en rapport direct d'une part avec la conjoncture (crise économique, États qui semblent
impuissants face à celle-ci) et d'autre part avec les élections présidentielles qui prendront place en
2012. L'idée d'une réforme en profondeur du système démocratique français n'est pas nouvelle,
mais elle est d'autant plus séduisante en temps de crise.
L'avantage de cet ouvrage, c'est qu'il présente un programme de réformes complètes, qui
invite à mettre en question l'État français dans ses grandes lignes. S'il est indéniable qu'il est engagé,
il ne s'en cache pas. Peut-être que le plus intéressant est alors de prendre cet engagement comme
acquis dès la lecture, et non de le critiquer. Il ne s'agit pas d'un ouvrage qui se veut descriptif ou
exhaustif, mais d'un ouvrage qui veut donner de la matière à penser à la fois aux électeurs et aux
candidats à la présidentielle. Voilà pourquoi il se veut à la fois abordable : ses objectifs sont la clarté
(ce qui parfois passe par la vulgarisation) et le pragmatisme (il préfère donner une synthèse des
auteurs). Il semble donc qu'une lecture critique est attendue de la part des auteurs : bien sûr, ils
avancent des concepts, des réflexions, mais cela appelle surtout à être repris dans les débats.
Si les critiques négatives peuvent être nombreuses (et nécessaires à toute personne n'ayant
pas lu l'ouvrage pour se former sa propre opinion), il faut donc garder à l'esprit que certaines
peuvent dépasser les intentions des auteurs.
Deux critiques positives : l'ouvrage est bien illustré (utilisation de nombreuses courbes) et si
l'on peut critiquer les auteurs sur leurs propositions, leurs critiques sont, elles, précises.
Critique négative :
Pour commencer, ce livre d’une qualité indéniable a le mérite d’être d’une grande actualité,
car il traite de la question de l’État qui a connu une résurgence depuis la crise de 2008. Dans ce
débat, les auteurs donnent un arrière-plan politique et électoral à leur ouvrage et la place même peut
être dans la poche du candidat socialiste à la présidentielle… Toujours est-il que l’œuvre a
clairement une visée sociale-démocrate qui l’imprègne dans son entier et est centrée sur l’État
français avant tout, finalement le titre aurait pu être : « Repenser l’État français en 2012
».Cependant, cela n’enlève pas du tout son intérêt à ce livre, il jouit d’un langage clair et d’un souci
de la synthèse louable. Néanmoins, sur le point de la méthode, l’analyse est fondée presque
uniquement sur le « benchmarking » qui consiste à comparer la situation des différents pays afin de
déceler les meilleures performances. Cette méthode est garante d’une certaine objectivité, d’ailleurs
le livre est parsemé de tableaux comparatifs et de données originales donnant naissance à des
développements intéressants, mais qui accouchent aussi quelquefois de rapprochement quelquefois
un peu trop rapide : par exemple, la pertinence de l’indice de démocratie (p.96) pourrait être remise
en cause (comment est-il calculé ?), de même la relation entre le nombre de brevets et les
prélèvements obligatoires (p.79) est un peu courte et enfin le fameux indice de contracyclité des
politiques budgétaires (p.61) est on ne peut plus douteux. Les sources quant à elles sont bien citées
et beaucoup utilisées et même peut être un peu trop, on rencontre souvent un « les études montrent
» salvateur qui insinue le doute et écourte le raisonnement. De plus, les sources sont unilatérales et
viennent souvent du côté de l’école d’Harvard et de Philippe Aghion. Enfin, on peut se demander si
le livre est si novateur dans son questionnement qu’il le prétend, en effet la notion de socialdémocratie n’est pas nouvelle et ensuite la plupart des orientations prises dans l’ouvrage se sont
déjà retrouvées dans des ouvrages précédents.
Si l’on colle plus au texte, les idées présentes dans le chapitre 1 ne sont pas nouvelles malgré
des développements intéressants et originaux sur l’immigration et la place de l’école et la
maternelle. Mais les analyses sur l’enseignement secondaire, les politiques industrielles (qui en plus
ne sont pas très approfondies, 2 pages) et le capital humain ont déjà été rencontrées. De plus, les
auteurs n’abordent pas du tout le problème de la planification, ce qui aurait été normal dans le cadre
de l’action de l’état. Le chapitre 2 repose essentiellement sur un éloge de la « flexi-sécurité », de la
démocratie sociale avec l’action des syndicats et des politiques contra-cycliques sur le modèle des
pays scandinaves. Mais peut-on extrapoler des résultats à partir des comparaisons avec les pays
scandinaves, c’est le problème du benchmarking (la population totale de la Scandinavie est égale à
40 % de la population française). Ensuite, l’éloge des politiques contra-cycliques sent un peu le
réchauffé même si c’est peut être un rappel nécessaire et enfin il n’y a rien dire sur la démocratie
sociale. Le chapitre 3 repose encore sur l’exemple scandinave et n’envisage pas que la faible mixité
sociale et ethnique de ces pays comme explication du haut degré de civilité. De plus, les auteurs ne
s’alarment pas du haut degré des prélèvements obligatoires dans les pays scandinaves. Enfin, dans
le chapitre 4, les deux auteurs s’aventurent sur un terrain peu exploré par les économistes : les
institutions politiques. Quelques résultats et développements sont un peu simplistes : la démocratie
serait favorable à la croissance dans les pays développés, la corruption est un danger pour la
croissance, raisonnement sur l’importance du degré de démocratie (média, etc.). Il y a tout de même
un développement intéressant sur l’évaluation des politiques publiques même si le raisonnement
économique semble limité sur le problème de la démocratie et qu’il y a une critique peu cachée de
la figure de l’énarque et son rôle dans les institutions françaises.
Pour conclure, malgré des raisonnements originaux et intéressants qui donnent une certaine
valeur à cet ouvrage, celui-ci est désavantagé par une novation toute relative et une méthode de «
benchmarking » qui est faillible.
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