Conseil scientifique du musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée1 Séance du conseil consacrée à la recherche Dimanche 2 octobre 2005, matin Introduction par le Président de séance : Francis Conte La nature et l’organisation de la recherche au sein du MCEM sont des thèmes de réflexion essentiels pour mener à bien un projet aussi complexe. En préambule, le président pose la question de l'équilibre de la représentation des composantes euroméditerranéennes au sein du conseil. Il a perçu certains regrets émanant des collègues de l'Europe du nord ou de l'Europe orientale qui estiment ne pas être suffisamment représentés. Annick Sjögren évoquait hier un vent frais venant du nord ; à son tour, il parle d’un vent frais venant de l'est. Autour de la table, se trouvent des représentants de l'Europe centrale, orientale, balkanique, nordique, des chercheurs provenant de pays qui paraissent lointains mais qui, en réalité, ont des centres d’intérêt proches de ceux du MCEM. Il lui semble que les questions qui se posent concernent peut-être beaucoup moins la légitimité de la recherche dans ce genre de musée que les raisons et la manière d’en faire. Cette légitimité de la recherche a été parfaitement ciblée, dès les années 1937, par Georges-Henri Rivière. En exergue, il estime devoir citer une de ses phrases : « au départ de tout projet muséographique, il devrait y avoir une recherche, en tout cas, l'élaboration d'un projet de recherche ". Plusieurs fois, depuis avant-hier, le terme de musée philosophique a été utilisé, c’est cette dénomination qui lui fait repenser à ce que souhaitait Michel Coté pour son musée des confluences, à savoir : « expliquer l'homme dans le monde ». Plusieurs fois, le musée philosophique est revenu dans les publications et a été commenté : "le conservateur n'est plus un chercheur, c'est un philosophe plus qu'un érudit. Il doit par contre s'entourer d'une équipe sachant effectuer un travail de documentation et de recherche. Il a un rôle maïeutique". Ce rôle maïeutique nous ramène en réalité à la création des premiers musées. On parle ici d’un musée citoyen et quand on réfléchit à la création des musées, ne serait ce qu'en France, on doit se souvenir du rôle des grands idéologues issus des Lumières qui voulaient effectivement créer des musées citoyens. Il évoque le rôle de François Guizot dans la création de ce type de musées. Cent ans avant Georges-Henri Rivière, Guizot résumait les enjeux intellectuels des nouveaux musées en notant que, "les esprits sont devenus capables de comprendre l'homme à tous les degrés de civilisations". Guizot a été le premier, dès 1830, à penser à la création d'un musée d'ethnographie. C'est un terme qui était très peu utilisé à l'époque et Guizot voulait créer ce musée à Versailles. Il cite les mémoires de Guizot qui écrit : " ce musée où seraient recueillis les monuments et les débris des mœurs, des usages, de la vie de la France d'abord et aussi de toutes les nations du monde". En conclusion de son introduction au débat, le Président rappelle que les musées doivent donner à voir, donner à réfléchir, donner à comprendre. C'est la recherche qui fonde l'activité d'un musée et qui lui assure sa cohérence et sa légitimité. Il passe la parole à Jean-Pierre Dalbéra et à Claire Calogirou pour présenter l’état de la réflexion du MCEM sur l’organisation de la recherche. 1 http://www.musee-europemediterranee.org/projet_conseilsc_liste.html 1 Jean-Pierre Dalbéra (MCEM) et Claire Calogirou (CNRS) : l’organisation de la recherche au MCEM 2 Le musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MCEM) est un musée de société à vocation de synthèse, par opposition aux musées thématiques ou dédiés à un territoire plus restreint, ville, région ou nation. Il a l'ambition de construire, en faisant appel à des connaissances en continuelle évolution, des raisonnements comparatifs et interprétatifs, élargissant des problématiques habituellement fragmentées, concernant la culture populaire (civilisation) de l'espace euro-méditerranéen. La recherche est dès lors indispensable au musée, à la fois pour guider la politique d'acquisition, pour étudier la relation entre culture matérielle ou immatérielle et société, et pour mettre au point des procédés adaptés de médiation utilisant notamment les technologies de l’information et de la communication. De tels objectifs ne seront atteints que si, autour de programmes, convergent les efforts des services du musée qui traitent des collections, des expositions, du public ou des ressources documentaires et d'un réseau de laboratoires de recherche extérieurs, en partenariat avec l'établissement. 1. UN RESEAU ARTICULE AUTOUR DE TROIS POLES DE RECHERCHE Le schéma directeur de la recherche dans les musées nationaux en a souligné les spécificités et proposé des orientations pour son développement dans le cadre interdisciplinaire qui le caractérise. L’importance des travaux de recherche pour la programmation sont à réaffirmer, les recherches poursuivies concernent de plusieurs manières le MCEM : elles alimentent la réflexion théorique sur l’ensemble des problèmes de société, elles se lient à des collectes permettant d’enrichir les collections du musée, leurs résultats contribuent à des expositions, elles favorisent l’animation culturelle. C'est pourquoi, à la lumière de l'expérience des relations avec le CNRS : entre le centre d'ethnologie française3 (unité mixte de recherche associant le CNRS et le ministère de la culture) et le musée national des arts et traditions populaires, un nouvel équilibre pourrait être trouvé par la création d'un réseau articulé autour de 3 pôles principaux: un pôle de recherche sur les collections ethnographiques et sur les sociétés concernées, appuyé sur quelques laboratoires principaux, respectivement compétents sur le monde euro-méditerranéen (l'Institut d'ethnologie méditerranéenne et comparative: IDEMEC4), le monde slave (l'UFR d'études slaves de la Sorbonne5), le monde scandinave et anglo-saxon ; 2 Exposé : http://jpadalbera.free.fr/mcem/mucem_recherche.ppt la transformation du centre d'ethnologie française (UMR n° 306) en formation de recherche en évolution (FRE n° 2803), décidée unilatéralement par le département des sciences de l'homme et de la société (SHS) du CNRS, pour un an en vue de sa suppression au 31/12/2005, a conduit la direction des musées de France (MNATP) à mettre fin à son partenariat avec le CNRS dans cette unité et à en dénoncer la convention de collaboration. 3 4 L'IDEMEC (institut d'ethnologie méditerranéenne et comparative), dirigé par Christian Bromberger, professeur des universités, est une unité mixte de recherche (UMR n° 6591) associant le CNRS et l'université de Provence; elle fait partie de la maison méditerranéenne des sciences de l'homme (MMSH) à Aix-en-Provence. 5 Le Centre de recherches sur les littératures et civilisations slaves de Paris-Sorbonne est rattaché à l'École doctorale des "langues, civilisations, cultures et sociétés" de l'université de Paris IV. Il est constitué pour l'essentiel des enseignantschercheurs de l'UFR. 2 un pôle sur les applications des technologies numériques, appuyé sur deux laboratoires pivots, respectivement compétents sur l'architecture et les espaces urbains (laboratoire : « modèles et simulations pour l'architecture, l'urbanisme et les paysages »: MAP6) et l'édition scientifique multimédia (Laboratoire d'évaluation et de développement pour l'édition numérique : LEDEN7) ; un pôle de recherche et d'étude sur la muséologie, la muséographie et les publics, appuyé sur un laboratoire pivot compétent en sociologie de la communication (laboratoire : communication, culture et société : C2So8) et un master en muséologie avec l'Ecole du Louvre, associant à celle-ci l’université d'Aix-Marseille. L'association de l'Ecole du Louvre au MCEM apparaît du plus grand intérêt pour articuler les recherches menées sur les problématiques du musée avec une structure d'enseignement supérieur sous tutelle du ministère de la culture. 2. UNE DIRECTION DE LA RECHERCHE Une direction de la recherche, sera créée au sein du MCEM, elle pourrait être chargée de piloter ces partenariats et de mener une réflexion stratégique pour identifier les thématiques de recherche porteuses pour répondre aux enjeux culturels et scientifiques du musée. Ce service sera aussi chargé du soutien et de l'encadrement des partenaires individuels ou institutionnels des programmes de recherche du musée (appels d'offres, etc.). Une commission d'évaluation et de programmation l'assistera, composée de spécialistes extérieurs et statuant de manière consultative. Les relations de cette direction et de cette commission avec les autres départements et commissions, notamment avec le département des collections et la Commission des acquisitions, restent à approfondir dans le cadre de la définition de la future organisation du MCEM. De même, la question reste posée de la situation, dans l'organigramme, de la recherche en matière de publics (évaluation, mise au point de techniques...). Doit-elle être rattachée à la direction de la recherche? Doit-elle figurer parmi les attributions de la direction des publics et de l'action culturelle et pédagogique? 3. UNE POLITIQUE CONTRACTUELLE EN COURS DE DEFINITION En matière d’organisation, la période 2005-2006 doit être considérée comme transitoire. Au cours de celle-ci, il s'agira de construire le réseau et les pôles de recherche, adaptés aux thématiques euroméditerranéennes du futur musée et capables de préfigurer le dispositif scientifique pluridisciplinaire qui sera associé au MCEM. Les conventions types proposées à ce jour à l'IDEMEC et aux autres laboratoires cités ne préjugent pas de la forme que pourraient prendre, dans l'avenir, les laboratoires pivots, les pôles ou le réseau lui-même. Elles sont destinées à engager de nouveaux partenariats sans tarder et à retrouver une visibilité auprès de la MRT, après la sortie du Centre d’ethnologie française de l’accord cadre entre le CNRS et le ministère de la culture. 6 L'UMR n° 694: «Modèles et simulations pour l'Architecture, l'urbanisme et le Paysage" (MAP) associe le CNRS et le Ministère de la Culture et de la Communication (MRT et direction chargée de l'architecture). Elle est constituée de cinq équipes (Lyon, Marseille, Toulouse, Nancy, Strasbourg) dont les problématiques portent sur les applications de l'informatique à l'architecture. 7 Le laboratoire d'évaluation et de développement pour l'édition numérique est dirigé par Ghislaine Azémard, professeur à l'université Paris VIII. Il appartient à la Maison des sciences de l'homme de Paris-Nord. 8 Le laboratoire «Communication, Culture et Société» (C2So) est une jeune équipe de recherche reconnue par le Ministère chargé de l'enseignement supérieur (JE 2419). Il est l'une des équipes d'accueil de l'Ecole Doctorale "Humanités et Sciences humaines" commune à Lyon 2 et à l'Ecole Normale Supérieure Lettres et Sciences humaines. Il est dirigé par Joëlle Le Marec, maître de conférence. 3 Les contrats pourront être de diverses natures : unité mixte de recherche (UMR), groupement d’intérêt scientifique (GIS), groupement de recherche international (GRI), accord de partenariat pour un master, etc. C’est la formule de GIS qui paraît la mieux adaptée au type de réseau envisagé, elle fera l’objet d’un examen approfondi dans les prochains mois. 4. VALORISER ET DIFFUSER LES RESULTATS DES RECHERCHES Toute politique de recherche doit s'exprimer par un projet de communication, aux membres de la communauté scientifique pour alimenter la discussion spécialisée et favoriser la critique, au grand public pour lui faire partager les acquis et les découvertes. Par ailleurs les expositions temporaires du musée offriront l'occasion de publier des catalogues thématiques ; enfin les catalogues scientifiques des collections constituent un autre moyen de diffusion scientifique, permettant de publier «sur papier» les chapitres généraux et interprétatifs, et en ligne sur internet les notices d’objets. La politique de valorisation pourrait se structurer de la façon suivante et comporter : des catalogues scientifiques des collections, complétés par une édition en ligne, des catalogues d’expositions temporaires associés à des expositions virtuelles pour chacune d’entre elles, des petits journaux d’expositions et des documents pédagogiques multimédias afférents, une collection « Travaux et Documents », constituée de monographies (résultats des plus intéressantes enquêtes-collectes) et une collection multimédia associée qui a vu le jour en 2005, une revue grand public : « Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée », du type de « L'Alpe », diffusée en kiosque (proposition de l'éditeur Jacques Glénat) 5. LA POLITIQUE MULTIMEDIA Le portail d’information et de ressources du MCEM, qui sera accessible sur internet, permettra de consulter l’ensemble des catalogues9 des collections et des fonds du musée, de visualiser des documents numérisés comme les impressions populaires (dont la numérisation se terminera début 2006), ou les collections de photographies (des crédits de numérisation ont été demandés lors de l’appel d’offres 2005 de la DDAI10), d’entendre les enregistrements sonores de la photothèque (en grande partie numérisés), de voir des films ethnographiques, de connaître l’actualité et l’avancée des différents chantiers en cours pour la construction du MCEM. Les langues d’Europe et de la Méditerranée, nationales et minoritaires, seront traitées spécifiquement au sein du portail, grâce à la création d’un réseau de partenaires spécialisés. Ce projet est mené en collaboration avec Henri Giordan, socio-linguiste, ancien directeur de recherche au CNRS et de la Délégation générale à la Langue Française et aux Langues de France (DGLFLF). La politique de production multimédia a commencé à être mise en œuvre en 2005, en collaboration avec le laboratoire LEDEN de la Maison des sciences de l’Homme de Paris-nord et de l’université de Paris VIII, et grâce au soutien financier de la mission de la recherche et de la technologie (MRT) du ministère de la culture, avec : 9 Le catalogue de la bibliothèque du MCEM sera disponible sur le réseau interne du musée début 2006, celui de la phonothèque devrait faire l’objet d’une numérisation en 2005. 10 DDAI : Délégation au Développement et aux Affaires Internationales. 4 le lancement d’une collection sur les enquêtes-collectes, comprenant d’ores et déjà un volume : « L’Olivier, trésor de la Méditerranée »11, qui sera suivi, début 2006, par un deuxième consacré aux « arts du verre en Europe et en Méditerranée », puis par un troisième sur « les cornemuses d’Europe et de Méditéerranée », qui fait l’objet d’une campagne-collecte en 2005. la réalisation d’un espace multimédia interactif au sein de l’exposition « Hip Hop, art de rue, art de scène »12 associé à un site web personnalisable, qui a reçu également le soutien du DICREAM (le Dispositif pour la Création Multimédia est géré par le Centre National de la Cinématographie) la mise au point d’une maquette d’un portail sur les langues d’Europe et de la Méditerranée13, avec le soutien de la DGLFLF, la réalisation par le laboratoire de l’IRCAM14 d’un catalogue collectif15 commun aux phonothèques du MCEM, de la MMSH, du musée de l’Homme et des archives nationales. le lancement d’un programme de numérisation en 3D du fort Saint-Jean à Marseille par le laboratoire MAP16. Discussion Francis Conte remercie les deux intervenants qui, estime-t-il, ont informé le conseil de façon précise, rationnelle et efficace sur l’état d’avancement des réflexions sur la recherche au sein des équipes du musée. Il passe la parole à Christian Bromberger pour présenter brièvement l'IDEMEC puis il parlera ensuite de l'UFR d'études slaves. Christian Bromberger L'IDEMEC (Institut d'Ethnologie méditerranéenne et comparative) est un laboratoire qui a été associé au projet de MCEM dès l'origine et dont le centre de gravité est la Méditerranée. Le laboratoire regroupe vingt cinq enseignants-chercheurs, et chercheurs du CNRS, quelques conservateurs de musées, une quarantaine de doctorants. L'IDEMEC a été à l'origine du développement de l'ethnologie à Aix-en-Provence qui est devenu le second pôle d'enseignement de l'ethnologie en France puisque sont venus s'adjoindre aux méditerranéistes et aux européanistes, des équipes d'océanistes, de spécialistes d'Asie du sud-est et des africanistes. Le pré carré de l'IDEMEC est le monde méditerranéen dans une optique comparative avec un certain nombre d'axes, de programmes, qui touchent aux phénomènes d'identité dans le monde méditerranéen, un autre axe touche aux réseaux, aux relations familiales et aux territoires dans cet espace, un troisième axe tourne autour des relations entre les genres et traite du statut à la fois des hommes et des êtres sensibles dans le monde méditerranéen, c'est à dire des animaux. Le quatrième axe est centré sur les croyances et les confrontations religieuses dans l'espace euroméditerranéen. Le cinquième axe concerne les jeux, les sports, et les spectacles. 11 http://www.musee-europemediterranee.org/olives/flash/index2.html http://hiphoponline.fr 13 http://lem.anyware-tech.com 14 IRCAM : Institut de Recherche et de Coordination Acoustique / Musique 15 http://129.102.192.83/sdx-ircam/planson/ 16 http://www.map.archi.fr/ 5 12 L'IDEMEC dispose de spécialistes de tous les pays des rives de la Méditerranée et de l'espace méditerranéen, qu'il s'agisse de la rive nord, des rives orientale ou méridionale. Par ailleurs, il entretient des relations de travail, à travers des colloques et des échanges, avec un très grand nombre d'institutions situées sur les deux rives. Dès le départ du MCEM, l’IDEMEC a organisé des séminaires communs avec l'équipe du musée ; ces séances de travail ont permis, au fur et à mesure, de dégager ou d'affiner un certain nombre de thèmes de recherche qui ont été présentés au conseil. Parallèlement, l’IDEMEC a développé des liens avec des chercheurs du Centre d'ethnologie française. Une documentation importante est regroupée dans la médiathèque de la Maison méditerranéenne des sciences de l'homme (MMSH) et des publications régulières, sur cette aire complexe et sur chacune de ses composantes, sont éditées par la MMSH. Francis Conte La souplesse des liens à tisser entre le MCEM et la communauté scientifique lui semble essentielle à rechercher. Il évoque à son tour l'Institut d'études slaves dont il a été le directeur pendant une dizaine d'années. Ces dernières semaines, il a eu le plaisir d'accueillir Michel Colardelle et son équipe dont Claire Calogirou, Florence Pizzorni, Jean-Pierre Dalbéra et d'autres personnes dans un nouveau bâtiment dépendant de l’université Paris IV, situé rue Serpente à Paris, qui comporte 6000 m² dévolus entièrement à la recherche. L'Institut d'études slaves représente soixante trois enseignants-chercheurs et deux mille étudiants inscrits, qui viennent souvent de l'étranger, d'Italie, d'Allemagne, de Grèce, mais aussi d'Europe centrale et orientale. Le centre de recherche s’intéresse à huit pays, dont la Russie, la Pologne, la République Tchèque, la Bulgarie, l'Ukraine, etc. Ses enseignements et ses recherches portent sur les langues et la cognition, les langues et les cultures et sur l'étude des systèmes de représentation symbolique et du modèlement du monde par les diverses langues. A coté du centre de linguistique appliquée, il existe un centre qui travaille depuis plusieurs années sur l'Europe centrale dont Marketa Theinhardt est une des responsables. C'est un centre important qui travaille sur les systèmes de représentation, sur les confins, sur les frontières, sur des thèmes intéressant le MCEM. Par ailleurs, une structure fédérative de recherche a été créée, elle regroupe en France et à l'étranger une quarantaine de chercheurs sur des thèmes qui concernent les pratiques, les représentations, les discours dans les cultures d'Europe centrale et orientale. Enfin, il existe un autre centre de recherche qui travaille sur la civilisation traditionnelle en Russie. Enfin, un master inter UFR vient d’être créé à l'Université de Paris IV sur la gestion culturelle et la muséologie. Ce n'est pas le seul master sur ce sujet mais cette formation sera centrée très précisément sur l'Europe centrale et orientale. Elle recevra le soutien des chercheurs des différentes UFR. Richard Lioger Il tient à souligner combien les recherches sur l'ethnologie de la France et de l'Europe vont peu soutenues en France, à l'heure actuelle. Il estime que la discipline a besoin à la fois du développement du MCEM et de sa volonté d’association avec des institutions de recherche. 6 La communauté des ethnologues décroît régulièrement ; au CNRS, il reste deux cents personnes ; à l'université, cent cinquante personnes. A peine plus de deux à trois postes sont ouverts chaque année dans chacune des institutions. Il existe de nombreux doctorants auxquels il faudrait offrir une perspective de carrière. Actuellement, en France, pour un poste ouvert au recrutement, on compte cent cinquante candidats. Il s’interroge sur la situation de l’ethnologie dans les pays d'Europe. Au Danemark, par exemple, un numerus clausus a été instauré sur les études d'ethnologie, presque plus sévère que sur les études de médecine, parce que l’ethnologie exerce une attractivité très grande sur les jeunes. Une réflexion est à mener sur la place des ethnologues dans la société européenne. On sait que l'ethnologie a toujours été très liée à l'histoire des musées, particulièrement l'ethnologie de la France qu’il convient maintenant de transformer en ethnologie de l'Europe, voire de la Méditerranée. Il faut, estime-t-il, associer le plus tôt possible le musée aux études d’ethnologie, pas simplement au niveau du doctorat mais aussi au niveau des masters voire au niveau des stages de licence. L’enjeu lui paraît capital. Il souligne l’absence du CNRS dans le débat sur l’ethnologie et rappelle que ce n'est pas faute d'avoir essayé d’associer cet organisme à la réflexion. Il ne perçoit pas la politique du CNRS en matière de sciences humaines et sociales (SHS) en général et d'ethnologie en particulier. Il se dit prêt à signer une tribune dans un journal ; il faut, selon lui, alerter la communauté scientifique académique française, car le CNRS est en train de se désengager des sciences humaines. La nouvelle loi sur la recherche proposée par le gouvernement peut faire craindre une transformation du CNRS en agence de moyens. Le désengagement du département des SHS du CNRS, et particulièrement au sein de la section 38 dans laquelle il a siégé, est préoccupant sur ce point. Il en va de l'avenir de la discipline. L'autre point abordé par R. Lioger concerne le cinéma ethnologique. Il estime qu’il faut que le MCEM soit le lieu où se trouvent rassemblés les archives et les documents relatifs à ce type de cinéma. Il y a urgence en la matière. Henri Langlois a voulu le faire, il y a quelques années. Le cinéma ethnologique en France a été florissant, avec Jean Rouch et bien d'autres ; il estime que les formations, comme celle de Nanterre, sont coupées de la communauté anthropologique. Le MCEM devrait être le lieu de conservation de la mémoire cinématographique pour la rendre accessible au grand public et aux étudiants. Il faut, selon lui, une très grande ambition de ce point de vue. La société française d'anthropologie visuelle est détentrice d'un certain nombre de droits sur les films. Elle peut collaborer avec le MCEM. De nombreuses institutions, des universités comme celle d'Amiens, où Thierry Roche fait un travail remarquable à ce sujet, peuvent être des partenaires. Joaquim Pais de Brito Il se félicite d’abord des orientations qui se dessinent et des initiatives prises par le MCEM concernant les nouvelles conventions avec des institutions de recherche, et la définition des trois grands axes de recherche autour des collections et des sociétés ; des techniques numériques ; de la connaissance des publics, des moyens et des outils de la muséographie. Quel est le territoire de la recherche ? quel doit être le rapport du MCEM avec l'extérieur ? Deux questions auxquelles il souhaite apporter des éléments de réponse. Le premier objectif doit être d’établir des collaborations durables avec des institutions mais aussi de faire naître du neuf avec elles. En général, les conventions entre institutions renforcent leurs identités, selon la 7 logique de chacune d’entre elles. Ce qui parait important pour le MCEM, c'est qu'il puisse créer des champs neufs de travail dans la muséologie, dans cette interrogation des objets et dans cette pensée avec les objets et les images qu’il se propose de développer. Il estime qu'il ne doit pas y avoir de séparation entre la muséologie et l'ethnologie. L'ethnologie ne sauvera pas les musées, les musées ne sauveront pas l'ethnologie. Le musée doit proposer une articulation qui sera réellement effective s’il existe conjointement des actions de formation, de recherche et de valorisation des résultats à travers des expositions ou d'autres manifestations. Ainsi, le MCEM devrait disposer de salles d'expérimentation pour les étudiants terminant leurs masters ou d'autres diplômes, et offrir des espaces qui soient des terrains d'expérimentation, de formation et de réflexion. Il aborde ensuite un problème, qui existe, selon lui, depuis le lancement du MCEM, un problème qui lui semble très spécifique à la France, comme une sorte de péché originel. La suggestion a été faite hier par plusieurs membres du conseil d’internationaliser les bibliographies des recherches sur les cinq thèmes de l’exposition permanente. Pour l’instant, ces bibliographies demeurent limitées au domaine francophone. En effet, un des objets des musées est d’aborder les questions linguistiques car elles traduisent les pratiques sociales, et révèlent la construction du monde propre à chaque civilisation. Le MCEM doit s’intéresser aux langues, et aux apprentissages des langues. Comment peut-il aller dans ce sens ? Peut-être en introduisant des programmes d'enseignement des langues, en les intégrant aux expositions et en privilégiant le recrutement de jeunes qui parlent plusieurs langues. Certains chercheurs ne connaissent guère les travaux de leurs collègues étrangers. A titre d’exemple, il cite un chercheur norvégien qui est venu étudier un village de pêcheurs au Portugal appelé Nazare ; ce village est le plus emblématique et le plus emblématisé par le régime et le folklorisme. C'est peut-être l'endroit du Portugal qui a suscité le plus de livres et d'articles. Selon lui, toute l’histoire de l'ethnologie révèle cette méconnaissance des travaux des autres. Il faut changer cette situation, faire cesser cette absence de curiosité, abolir cette contradiction dans un musée comme le MCEM et aller à la découverte de l'autre et de ce qui n’est pas traduit en français. Il se souvient du congrès de Tours et où le doyen Isac Chiva avait animé une réunion de travail sur le projet d’une collection où les grands travaux des ethnographies européennes seraient réunis, le but était de mieux les faire connaître. Le musée ne peut rester dans l’ignorance des travaux étrangers et se satisfaire de cette centralité très française. Les pays périphériques connaissent tous les livres que les français utilisent, mais ils en connaissent aussi d'autres, ceux des anglais et ceux écrits dans d’autres langues. Konrad Vanja Il est difficile d’être très précis sur les relations scientifiques qui existent entre l'Allemagne et l'Europe. Différentes institutions allemandes travaillent avec l'Europe du Nord, par exemple la Deutsche Forschung Gemeinschaft (DFG). D’autres travaillent avec des collègues français de l'université de Strasbourg. La semaine dernière à Dresde dans un congrès, Freddy Raphael a présenté les enjeux de ces interrelations et les problèmes culturels qui se posent. Des collaborations très intéressantes existent sur de nombreux sujets. Par exemple, à Dresde les chercheurs allemands travaillent avec les polonais et les tchèques. Le musée de Berlin, après l'entrée des nouveaux états dans l'Union Européenne, a commencé à travailler avec les instituts d’ethnologie de la Pologne. Des partenariats ont été établis pour la réalisation d’une exposition sur les crèches de Cracovie l’hiver dernier. Des collaborations ont été engagées avec des historiens et des travaux sont menés sur l'émigration des Polonais au 19e siècle et sur ses conséquences, jusqu’à aujourd’hui. 8 Des études sur les courants de migration ont également été menées. C'est un terrain très fructueux pour discuter des contacts culturels en Europe. Le troisième terrain de collaboration, ce sont les images. Un collègue du Deutsches historisches Museum de Berlin a proposé l'idée d’une Europe des images. Le musée de Berlin possède une importante collection d’images populaires des pays d’Europe et des Etats-Unis et s’intéresse aux relations avec les civilisations européennes émigrées vers les autres continents. Sur la question des langues, l’Allemagne a moins d’expérience que la France car elle ne possède pas de grandes communautés bilingues. Annick Sjögren Elle s’interroge sur les apports potentiels de la Suède au MCEM. La première idée est d’écouter les voix de ces pays et d’essayer de les comprendre par le biais de leurs activités scientifiques et de leurs musées en s’abstenant de rechercher une hypothétique identité nationale, qui est très difficile à définir. Sur le plan scientifique, l’ethnologie en Suède a connu un réel essor. Les étudiants sont nombreux et les chercheurs sont sensibles à la diffusion des travaux et à leur utilisation par la société. Leurs actions peuvent se dérouler au niveau des communes, comme dans ce centre multiculturel installé dans la banlieue de Stockholm où elle a travaillé pendant dix ans et qui pourrait être un partenaire intéressant pour le MCEM. Elle fait observer que la ville de Stockholm, une petite capitale très vivante, possède deux sites touristiques majeurs liés à l'ethnologie et à l'histoire : le premier est le site de plein air de Skansen, qui reçoit un million de visiteurs par an pour une ville d'un million d'habitants ; le deuxième est la bateau Vasa, datant de 1636, retiré de l'eau il y a 50 ans et qui donne lieu à de nombreuses recherches. Il est présenté d’une façon magnifique grâce aux travaux des ethnologues. Elle souligne que, dans cette université de Stockholm Sud, créée en 1996, au milieu de banlieues multiculturelles, il existe un intérêt très vif pour une ethnologie vivante, l'une tournée vers l'Europe et l'autre orientée vers les migrations, vers les pays slaves et de la Baltique. C’est très enrichissant de voir comment différentes équipes de chercheurs travaillent sur des sujets voisins. Elle termine son intervention en invitant les chercheurs du MCEM à participer en juin prochain à un congrès qui se tiendra à Stockholm et à en profiter pour nouer de nouveaux partenariats. Isac Chiva Il évoque les actions et travaux de Philippe Cordès, un ancien élève de Michel Colardelle à l'Ecole du Louvre, qui est parti en Allemagne, et y prépare actuellement un doctorat. Il prend cet exemple pour montrer l’intérêt de la mobilité des chercheurs. A propos de la crise de l’ethnologie, il approuve les propos qui ont été tenus précédemment et pense que l'ethnologie souffre de ne pas servir à la formation des non-ethnologues. Dans le monde anglo-saxon, les médecins, ingénieurs, avocats, économistes, psychologues, sont tous sensibilisés à l'approche ethnologique, lors de leurs formations professionnelles. Pour expliquer les difficultés rencontrées par l’ethnologie, il souligne la décomposition des institutions, par le double biais d’une « cristallisation » et d’un « évanouissement ». La paralysie du Musée de l’Homme, les difficultés rencontrées pour nouer facilement des relations entre institutions, le désintérêt des grands organismes pour les sciences de l’homme et de la société expliquent en grande partie la crise traversée par l’ethnologie. 9 Il stigmatise la volonté des pouvoirs publics de « couler » une initiative positive comme celle du MCEM et espère que le conseil scientifique réagira en prenant position et en engageant un mouvement de protestation pour défendre l’ethnologie en France. Il estime qu’il est nécessaire qu’une institution comme le MCEM fédère les musées de société et leur apporte un soutien en animant des réseaux fondés sur un partenariat actif. Eurydice Retsila Elle s’interroge sur les projets de collaborations du MCEM avec des universités européennes. Elle indique que dans son université, où des codiplômes ont été créés, des collaborations sont possibles au niveau du master notamment à travers le laboratoire de géo-politique. Le ministère grec de l'éducation est très favorable à des collaborations internationales pour favoriser la mobilité des étudiants et des chercheurs. Liliane Kleiber Elle s’étonne du fait que dans ce débat sur la crise de l’ethnologie et sur le besoin de collaborations internationales, aucun organisme de recherche du monde arabe n’ait été cité. Elle rappelle que le MCEM a déjà entamé des collaborations avec l'IFPO (Institut français du ProcheOrient) dont on a parlé hier, et qui recouvre l'ensemble des pays du Proche-Orient de l'Antiquité à l'époque contemporaine, avec le récent regroupement des instituts implantés au Liban, en Jordanie, en Syrie, en Egypte, en Palestine et en Irak. Une collaboration a déjà été amorcée lors de la campagne sur le verre, ce qui a permis de réaliser un film sur les techniques de soufflage en Syrie. Dans le monde arabe, les musées ne font guère de recherche, c’est le domaine privilégié de l'université, il s’agit d’un élément à prendre en compte. Pour le monde arabo-persan, l'IFRI (Institut français de recherche iranienne) fondé par Henri Corbin, est un partenaire important et un centre de ressources essentiel. Elle remercie Joachim Pais de Brito pour son intervention sur l’importance des langues, un thème qui demande une mobilisation particulière dans un musée comme le MCEM mais aussi une certaine imagination, en raison des difficultés à les muséographier et à y intéresser le public. Christian Bromberger Il approuve les suggestions de Liliane Kleiber sur les collaborations avec l'IFPO et l'IFRI, et souligne qu’il existe également l'IFEA (Institut français études anatoliennes) d'Istambul, l'Ecole française d'Athènes qui couvre la Grèce et les Balkans, l'IRMC à Tunis et à Rabbat et également d’autres centres en Egypte. Il rappelle que l’IDEMEC a des conventions avec la plupart de ces centres (mais pas avec l'IFPO ce qu’il regrette). C'est un moyen de nouer des liens avec ces institutions universitaires et de recherche dans les pays du monde arabe et de la Méditerranée qui peuvent être extrêmement féconds et que l'on devrait activer davantage dans le but de réaliser ce musée. Jean-Louis Fabiani Il partage dans leurs grandes lignes les points de vue de ses collègues sur la crise de l’ethnologie. 10 Il trouve les exposés sur la recherche très convaincants et juge positivement l’évolution engagée pour créer « un lien privilégié et fonctionnel » avec des pôle de recherche et certains laboratoires. C'est au musée d'organiser ce système de relations croisées, en associant des laboratoires français et étrangers comme la discussion l’a montré. Il faut que le MCEM sache s’y adapter. Comme J. Pais de Brito l’a suggéré, le MCEM doit saisir l’occasion de sortir des frontières nationales qui contraignent un peu trop sa réflexion. Il faut imaginer les formes les moins bureaucratiques possibles de relation avec une grande pluralité de structures de recherche sans s’y perdre. Ce passage du lien organique avec le CNRS (l’unité mixte : centre d’ethnologie française), qui lui semble avoir été critiquable dans le passé, à un ensemble de liens privilégiés, lui paraît très positif. Enfin, il souhaite réaffirmer l’importance d’un espace de partenariat à la fois pour les conservateurs et pour les chercheurs. Il faut tirer parti de circonstances qui ne sont pas actuellement favorables pour obtenir des réorientations de fond. Il ne dispose pas de recettes miracles et souhaite éviter le registre de la plainte par rapport aux autorités. Le détour européen et méditerranéen est aujourd'hui la voie par laquelle il faut progresser. Ali Amahan Pour lui, le MCEM devrait privilégier les regards croisés. Il aimerait qu’un ethnologue marocain, tunisien ou égyptien puisse travailler sur l'Europe. Quel regard porterait-il sur des objets qui ne sont pas les siens, sur des objets d'ici ? Il ne faut pas limiter le regard du MCEM ? Certes, le public du MCEM sera d’abord français, mais il aurait aimé aussi multiplier les regards. Une telle démarche lui semble possible parce qu'aujourd'hui il existe des institutions dans les pays du sud qui peuvent travailler en collaboration avec des institutions du nord. Il ne pense pas aux universités marocaines, car elles se comportent un peu comme le CNRS français. Leurs préoccupations sont très éloignées des questions patrimoniales et de la culture matérielle, elles font de la littérature sur « un » patrimoine. Au Maroc, le terme de patrimoine est avant tout lié à l'Islam, à ses différentes interprétations mais en général sans relation avec le patrimoine matériel. Quand on parle d'identité, il s’agit d’une identité millénaire, pas d'une identité contemporaine, du 19ème siècle ou du 20ème siècle. Il termine son intervention en proposant que le MCEM étudie des collaborations avec l'Institut des sciences de l'archéologie et du patrimoine qui dépend du ministère de la Culture du Maroc et qui lui apparaît comme un partenaire adéquat. Dejan Dimitrijevic Il attire l’attention sur les programmes de recherche qui sont réalisés par des équipes nationales ou internationales et qui pourraient intéresser le MCEM. Il faudra trouver un espace pour que ces programmes trouvent leur place au sein du musée, et qu’ils constituent une ressource pour son développement et sa réflexion. Le débat d’hier sur les cinq thèmes a montré qu’il existe des lacunes qui ne pourront être compensées qu'en profitant de ces ressources nouvelles. Par exemple, dans le programme portant sur la ville, des sujets de recherche qui touchent au domaine politique, pourraient être abordés. Il s’agit par exemple de ce qu’on appelle « les brigades internationales de la paix », cette ONG qui défend les droits humains et facilite la résolution non-violente des conflits 11 dans des pays où sévissent des régimes autoritaires. Il se dit sensible à de telles initiatives parce qu'un mouvement qui s'est développé en Serbie pendant les années Milosevitch sert de modèle de résistance démocratique. De tels mouvements ont été actifs en Ukraine, maintenant en Asie centrale et dans d’autres pays… Ce sont de jeunes démocrates serbes qui agissent comme formateurs dans un grand nombre d’endroits. Il s’agit d’actions nouvelles auxquelles on ne pense pas, parce que le savoir sur ces questions n'est pas encore établi. Toutefois, il est en construction et il faut y être très attentifs. Josepa Cuco-Giner L’Espagne compte huit mille étudiants en ethnologie et la situation de la discipline n’y est pas meilleure qu’en France. On constate un divorce entre l’ethnologie ou l’anthropologie et les pouvoirs publics. Ainsi, le « ministre de l’inculture » a transformé le vénérable musée d’anthropologie de Madrid en musée du vêtement et de la mode. Soixante dix mille pièces rassemblées par les ethnologues depuis le début du siècle sont devenues inaccessibles. On peut s’interroger sur les raisons d’une telle décision. Les ethnologues sont-ils incapables de faire comprendre et de valoriser leurs travaux ? Une réflexion collective lui semble s’imposer à ce sujet. Jean-Yves Marin En tant que porte-parole des directeurs de musée de société, membres du conseil, il ne s’associe pas aux « jérémiades » sur la crise de l’ethnologie des collègues universitaires présents. En effet, il souligne que, lorsque des emplois de conservateurs en ethnologie sont ouverts au recrutement, comme ce fut récemment le cas dans son musée, il n’y a pas eu de candidat. Il s’agit certainement d’un problème franco-français lié à l’organisation et aux options de l’Institut National du Patrimoine que les ethnologues n’ont pu faire évoluer malgré leurs efforts. Par ailleurs, il n’approuve pas la proposition d’Isac Chiva de donner au futur MCEM le rôle de tête de réseau de musées plus petits. Il s’agit, selon lui, d’une vision dépassée et d’un type de relations qui ne peut plus fonctionner aujourd’hui. Joaquim Pais de Brito Il revient sur la proposition, qui a été faite précédemment, de confier au MCEM la conservation et la gestion des archives du cinéma ethnographique. A ce sujet, il estime que d’autres institutions, comme des services d’archives du film, seraient mieux à même de remplir cette mission. Ainsi, au Portugal, ce sont les archives nationales qui en sont chargées. Dans le projet de construction du MCEM, il n’y a rien de prévu pour le stockage de ce type d’objets. Par contre, il insiste sur la nécessité pour le MCEM de développer des formations en anthropologie visuelle, en vue d’apprendre à créer de bons documentaires. Aujourd'hui, les chaînes de télévision commencent à être sensibles à ce type de cinéma, en particulier au Portugal. La révélation par les images des réalités des sociétés, est très importante pour un musée qui est une institution « scopique ». L'image constitue le matériau de travail de base :. « un musée est une maison des images, parce que les objets ne sont finalement que des images ». Richard Lioger Il revient sur les propos d’Annick Sjögren avec lesquels il est d’accord, notamment sur l’implication des ethnologues dans le tissu social. Il affirme, à son tour, l’importance de l’apport de l’ethnologie en matière de formation para-professionnelle, notamment dans le cadre du travail social où les ethnologues sont complètement absents. 12 Il regrette ce cloisonnement entre disciplines, si typique du système français, où la formation en ethnologie ne concerne que la formation d’ethnologues professionnels. Il réagit également à l’intervention de Dejan Dimitrijevic, en évoquant la création en 2005 en France d'une Agence Nationale de la Recherche (ANR) 17 qui est dotée d’importants crédits de recherche qu’elle distribue après appels à propositions. Récemment, trois cents millions d'euros ont été consacrés au financement de « programmes blancs » dans tous les domaines, c’est à dire que n'importe quelle équipe pouvait, sur n'importe quel thème, soumettre des projets de recherche. Il rappelle que seulement deux propositions ont été faites par des équipes d'ethnologues ; à l’évidence, il s’agit d’une absence de dynamisme et de mobilisation des professionnels de la discipline qui révèle de graves problèmes internes. Christian Bromberger Il approuve les positions de Richard Lioger sur les faiblesses de la profession, même s’il pense qu’on ne peut nier la crise actuelle. Il estime que les conflits qui existent entre les trois ou quatre associations françaises d’ethnologues sont très regrettables et bloquent les initiatives de défense de la discipline. Dans le milieu des ethnologues, il existe également une certaine frilosité vis à vis des activités qui ne relèvent pas uniquement de l'enseignement supérieur et de la recherche. Selon lui, il serait intéressant de demander à un futur professeur des écoles d'avoir une licence d’ethnologie pour se présenter au concours de professeur. En effet, une licence d’ethnologie serait aussi formatrice qu’une licence d’anglais ou d’espagnol. Il existe de nombreux domaines, dont fait partie le travail social, dans lesquels l'ethnologue pourrait disposer d’une capacité d'intervention par son « regard décapant » et « la manière dont il voit le monde ». Il faut que cesse le repli frileux sur la discipline qui existe aujourd’hui. Francis Conte Il estime que le débat a permis d’échanger des informations d’une manière très enrichissante, de faire émerger des propositions intéressantes et de confronter des regards très différents sur les problèmes posés par les relations du MCEM avec la recherche. Venant d’une université, il constate avec intérêt que le débat, ouvert à l’occasion de la création de ce musée, incite au décloisonnement tant souhaité par les membres du conseil. A propos de la place des images dans le musée, il indique que de nombreux centres en France travaillent sur ces sujets dans le domaine ethnologique. Cette année, une vingtaine d’étudiants de l’université de Paris IV se sont regroupés pour organiser un séminaire sur le thème "l'image et ses usages" et tout particulièrement dans le domaine de l'ethnologie. Ce séminaire est dirigé par un jeune normalien (AMN : assistant maître normalien), C. Stepanov, qui fait sa thèse sur un sujet d'anthropologie visuelle. Le MCEM lui paraît offrir des possibilités de formation inédites pour la jeune génération. C'est un des atouts de ce musée, à la fois de pouvoir contribuer au décloisonnement des disciplines et de participer à la formation des jeunes par des stages, mais aussi par des travaux de terrain. Il ne tient pas à se lancer seul dans une conclusion mais il souligne la capacité du conseil à contribuer au renouveau de l’ethnologie et à favoriser les collaborations du MCEM avec la communauté scientifique nationale et internationale. Pour lui, l'important est maintenant que l’équipe de direction du musée intègre toutes ces suggestions pour guider le cheminement futur du projet. Il remercie l’ensemble des intervenants et clôture la séance. Transcription des débats : Jean-Pierre Dalbéra(MCEM) et Edouard de Laubrie (MCEM/RMN) 17 http://www.gip-anr.fr/presentation.htm 13