Projet de mesure de distances de planètes Jérôme Paufique, Ronan Bouvier, Zied Jemaï, François Schulz Introduction L’idée de base de ce projet consiste à mesurer les distances dans le système solaire à partir de simples mesures de parallaxes (différentes perspectives lorsque l’on change le point d’observation). Vu l’énormité des distances qui nous séparent des planètes, il semble difficile de mesurer cette parallaxe depuis la Terre. Néanmoins, si l’on considère qu’en restant au chaud à Molines, nous changeons sans arrêt de perspective, du fait du mouvement de la Terre autour du Soleil, l’opération devient envisageable. En réalité, étant donné que le mouvement de la Terre sur 24 h est d’environ ~0.01 U.A. (unité astronomique), il devient possible de mesurer avec un simple téléobjectif des parallaxes d’objets du système solaire jusqu’à des distances de l’ordre de 50 à 100 U.A. en l’espace d’une ou deux nuits. Nous avons donc mis en pratique cette idée lors de la Campagne astro 2006 de Planète Sciences, sous le ciel bienveillant de Molines-en-Queyras. Les planètes observables à cette époque étaient Jupiter et Pluton (en début de nuit), Uranus et Neptune (à peu près l’ensemble de la nuit). Le principe de la mesure La mesure est basée sur la mesure de parallaxe. Le déplacement de la Terre peut s’exprimer de la forme suivante : 2 durée D 365.25 où D est la distance en U.A. parcourue par la Terre sur son orbite durant l’intervalle de temps durée (en jours) séparant les deux mesures. On suppose ici que l’orbite terrestre est un cercle, hypothèse dont on pourrait vérifier la précision en mesurant le diamètre solaire tout au long de l’année. Dans un premier temps, on négligera la vitesse de déplacement de la planète mesurée : elle est supposée immobile. Nous verrons plus loin comment s’affranchir de cette hypothèse excessive pour obtenir une précision de mesure décente. Le déplacement angulaire de la planète sur la voûte céleste s’écrit donc : D tan R Cette formule est rigoureusement vraie pour un objet en opposition. Si l’objet n’est pas en opposition, la mesure variera avec le cosinus de l’angle Soleil-Terre-planète : D cos R Le dispositif expérimental Le déplacement des planètes sur le ciel sera d’autant plus aisé à mesurer que la focale utilisée sera grande. En revanche, avec un champ plus étendu, le nombre d’étoiles permettant une bonne prise de références sera plus élevé. Il y a donc là un compromis à trouver. A une distance de 100 U.A., la parallaxe de la Terre est de l’ordre de 20"/jour , ce qui est en pratique mesurable avec un téléobjectif de 200 mm de focale (et la précision peut évidemment être améliorée en réalisant un suivi sur deux ou trois nuits). Notre choix initial s’était porté sur un téléobjectif de 1000 mm de focale utilisé avec un appareil photographique numérique, mais à l’usage, il s’est avéré que : Le pointage avec un champ de 1º d’un appareil photo reflex est hasardeux, et nous avons perdu une nuit d’observation sur Neptune du fait d’une erreur de pointage La qualité du suivi n’étant pas irréprochable, une focale plus courte minimisait son influence (en partie esthétique, mais pas seulement) Si bien qu’à la troisième nuit, nous nous sommes finalement dirigés vers une focale plus courte (300 mm), amplement suffisante pour nos besoins, et autorisant une recherche plus facile de la planète. Pour satisfaire notre quête du moindre effort, nous avons utilisé une simple monture sans suivi manuel, en faisant confiance à la qualité des raquettes de guidage du Perl-Vixen que nous avions utilisé. En limitant le temps de pose à un maximum de 30 s, la qualité du suivi était amplement suffisante à nos besoins. Par ailleurs, nous avons utilisé une technique de pointage sophistiquée pour nous assurer du bon cadrage des images : Pendant que l’un de nous pointait une étoile repère visible à l’œil nu à l’aide d’un pointeur laser vert, un autre vérifiait le bon pointage de ce laser aux jumelles et le troisième pointait l’objectif dans la zone de recherche. Le laser étant facilement visible dans l’objectif, le pointage en était grandement facilité, et la cible mieux centrée. Une fois les images acquises, nous avons utilisé un logiciel de traitement d’images (PRISM) pour extraire les coordonnées des planètes observées (en étalonnant les mesures par rapport aux autres étoiles du champ). Nous avons également utilisé une technique alternative, plus simple à mettre en œuvre tant en photographie numérique qu’en photographie argentique : la projection murale. Sur le mur, nous avons repéré les étoiles du champ sur une photographie, puis projeté sur ces repères la seconde pose. Après alignement des étoiles repères, la planète prend alors une position différente, la distance entre les deux positions peut alors être directement calculée. Les résultats Jupiter : mesurée les 22 et 23 août Uranus : mesurée du 20 au 24 août Neptune : mesurée du 21 au 24 août Pluton : tentée du 22 au 24 août Les autres planètes n’étant pas visibles, nous avons dû nous arrêter là… Mesures brutes La première planète à nous révéler son mouvement fut donc Uranus, et nous avons mesuré un déplacement de 122 arcsec, sur une durée de 0,823 jour. Ceci correspond à une distance Terre-Uranus d’environ 24 U.A. L’affinement des résultats Comme nous l’avons rappelé dans la section décrivant le principe de la mesure, nous avions fait l’hypothèse de la fixité des planètes. Il est possible de prendre en compte le déplacement des planètes mesurées précédemment, en utilisant la troisième Loi de Kepler, déterminant le rapport entre demi-grand axe des orbites et période de révolution : a3 cte T2 Nous connaissons la période de révolution de l’orbite terrestre, et donc nous connaissons le a3 rapport 2 pour les planètes. Or, nous venons de déterminer une estimation de a 1 (ou plus T exactement a sin si la planète n’est pas à l’opposition). Il est donc possible d’utiliser la première estimation de a pour faire une estimation de T. Cette estimation de T permet d’estimer le déplacement de la planète pendant l’intervalle de temps entre photographies, et donc de soustraire ce déplacement à celui de la Terre. La distance à la planète est de ce fait réduite, et l’on peut itérer plusieurs fois cette opération, jusqu’à obtenir la convergence : un résultat stable d’une itération à l’autre. En pratique, un petit nombre d’itérations suffit. Dans le cas d’Uranus, deux ou trois itérations sont largement suffisantes. Ces itérations nous ont permis d’obtenir les résultats suivants : planète Jupiter Uranus Neptune Distance mesurée Période de (planète-Soleil, en U.A.) révolution (ans) Incertitude sur la distance (U.A.) avec la méthode PRISM 1: 19.8 UA avec la méthode PRISM 2: 21.1UA Avec la méthode de projection : 32.6 UA avec la méthode PRISM : 28.7 UA +/- 0.5 avec la méthode PRISM 1 : 88.2 avec la méthode PRISM 2 : 97.2 Avec la méthode de projection : 186 avec la méthode PRISM : 154 +/- 1 Pluton Conclusions La réalisation de ces mesures nous a permis de prendre contact ou d’approfondir nos compétences/connaissances dans différents domaines : Prise d’images avec un appareil numérique reflex Techniques de pointage Préparation d’observation, cartes de champ Traitement d’images Reconnaissance de champ Astrométrie Par ailleurs, nous avons réalisé un véritable projet expérimental basé sur des hypothèses cohérentes, et n’utilisant que très peu de mesures extérieures : la seule théorie que nous utilisons (pour affiner nos résultats) est celle de Kepler, théorie au demeurant relativement facile à mettre en évidence (ou illustrer) par l’observation des satellites de Jupiter, par exemple. Enfin, notre projet est tout à fait réalisable dans le cadre d’opérations menées avec un matériel relativement restreint, par exemple : Un appareil photographique argentique, doté d’un objectif de 200 mm et d’une pellicule NB sensible (400 ou 800 ISO) Une monture de télescope motorisée (ou un télescope non motorisé, utilisé en manuel –avec toutefois une focale plus courte dans ce cas, et donc un nombre de nuits un peu plus élevé pour obtenir la même précision de résultat) Un projecteur de diapositives et de grandes feuilles de papier pour effectuer la projection et prendre des références.