FICHE DE LECTURE - « Et ce sera justice ( Punir en démocratie ) » A. Garapon, F. Gros, T.Pech. Editions Odile Jacob, 2001. Présentation des auteurs et de l’ouvrage. A. Garapon est un magistrat, membre du comité de rédaction de la revue « Esprit » et a fondé l’Institut des hautes études sur la justice. Il a publié notamment « Le gardien des promesses » et « Bien juger ». F. Gros est philosophe, maître de conférence à l’université Paris-XII. Il a notamment publié « Foucault et la folie » et « Création et génie ». Il a également collaboré à l’édition des cours de Michel Foucault au Collège de France. T. Pech est assesseur au tribunal pour enfants de Paris et collaborateur de l’Institut des hautes études sur la justice. Il a notamment publié « Conter le crime ». Cet ouvrage est consacré à une réflexion audacieuse et profonde sur ce que doit être le sens de la peine dans les sociétés qui se veulent « évoluées ». De la punition ou de l’impunité, quel est le plus grand scandale ? D’un côté, le citoyen justiciable s’émeut des conditions dans lesquelles sont maintenus ceux qui peuplent nos prisons ; de l’autre, un odieux assassinat lui fait réclamer plus de dureté à l’égard de ceux qui faillissent. Comment concilier équité et respect de la personne humaine ? Faut-il prendre en compte l’intérêt et la souffrance des victimes ? Quelle différence alors entre punition et vengeance ? L’ambition du livre est de penser une peine cohérente qui ne blesse ni l’individu, ni l’égalité, ni la dignité. L’idée centrale est qu’une peine juste est une peine qui régénère les liens blessés par le crime. Analyse et clés de lecture. Les auteurs, pour parvenir à la définition la plus parfaite possible de cette peine juste, ont empruntés trois chemins. Le premier est celui de la tradition philosophique qui témoigne de l’existence de « quatre foyers de sens » de la peine ( la loi, la société, l’individu, le crime ). Le second consiste en l’analyse des instruments nouveaux et des politiques pénitentiaires contemporaines. Enfin, la troisième voie est celle de la « justice reconstructive », unique moyen d’inscrire la peine dans une dynamique et diplomatie du social. La première partie de l’ouvrage est consacrée aux quatre foyers de sens de la peine. Le constat initial est le suivant : la nécessité du châtiment. Mais comment penser une « violence juste » ? Dans l’histoire occidentale, quatre systèmes de justification de l’existence de la peine ont été élaborés : Punir, c’est tout d’abord rappeler la Loi ( discours sacré ou moral, suspendu à un interdit transgressé ). Punir, c’est ensuite défendre la société ( discours politico-économique qui prétend se régler sur les intérêts d’une communauté menacée ). Punir, c’est également éduquer un individu ( discours psycho-pédagogique qui voudra obtenir par la peine la transformation de l’individu ). Punir, c’est enfin transformer la souffrance en malheur ( discours juridico-éthique qui tentera de remonter la pente de la vengeance pour penser une justice relationnelle ). Punir, c’est rappeler la Loi. La peine répond tout d’abord à un régime expiatoire. Il ne faut pas chercher les racines de la pénalité publique dans le règlement des offenses entre familles ( vengeance, vendetta ) car la peine légale est publique et individualisée. L’ancêtre de la pénalité d’Etat a des origines religieuses : c’est la sanction infligée pour la transgression d’un interdit sacré. L’avènement du christianisme va prétendre viser la régénération intérieure, la rémission des fautes et la réconciliation. Le droit canon va permettre au droit pénal étatique d’affiner sa théorie de la responsabilité pénale. Avec la séparation de l’Eglise et de l’Etat, ce dernier va faire sienne l’œuvre de régénération morale ( « le salut des âmes » ). La peine correspond ensuite à un régime rationnel. Pour Kant, le droit de punir est exclusivement réservé au souverain. Le crime est à lui seul la justification du droit de punir, et la pénalité doit se fonder sur un principe d’égalité ( loi du Talion ). Hegel a critiqué la vision de Kant en ce que sa définition de la pénalité ne permet aucune réconciliation : le criminel ne peut être réconcilié avec la Loi car cette dernière, au nom de la pénalité, lui est imposée comme être vivant et le fait souffrir en son nom. La peine ne fait ainsi que rétablir un droit : elle supprime une violation ( crime ) par une violation ( peine ). Selon Marx, la Loi n’est ni un interdit sacré ni une norme universelle : c’est un instrument politique de conservation des rapports de force sociaux, l’expression des intérêts de la minorité dominante. Dès lors, punir c’est s’attacher à conserver ces intérêts. Punir, c’est défendre la société. La peine va revêtir plusieurs conceptions. Elle est tout d’abord un outil de protection du corps social. On est passé ici d’une conception rétributive de la peine à une conception utilitariste qui est l’œuvre des positivistes italiens ( Lombroso, Ferri, Garofalo ). Le système pénal ne doit plus être fondé sur la responsabilité mais sur l’idée d’une « pure défense sociale ». le sens de la punition va se diluer dans des opérations vagues de prophylaxie et d’hygiène médicale. Pour Durkheim, la peine doit être réfléchie comme jeu de représentation. Elle va relever d’une symbolique générale : sa fonction est de manifester l’unité d’une société et son attachement irréductible à des valeurs sacrées. Il faut bien distinguer le sens social de la peine d’un sens individuel. Selon Hobbes, la peine est un moyen de défense du corps social : c’est acte politique attribué à l’Etat constitué lors de la disparition de l’état de nature. Quand il punit, le souverain use de droits qu’il juge bons pour garantir la sécurité de tous. Beccaria, quant à lui, considère la peine comme un « minimum requis de contrainte » : punir est une nécessité, tout autant qu’il est nécessaire de sacrifier une part de libertés pour vivre ensemble. Dès lors, seule peut être légitime la plus petite quantité de peine requise pour la conservation des liens sociaux. Locke estime que la peine est une garantie publique destinée à assurer la protection d’un droit naturel fondamental : la propriété. La peine est ici un instrument politique au service de la conservation et du maintien des propriétés. Enfin, selon Bentham, il faut envisager la pénalité sous l’angle de la prévision des coûts : Punir, c’est intervenir sur le marché des délits et des crimes. La loi pénale est l’expression d’une arithmétique des plaisirs et des peines. Punir, c’est éduquer un individu. Le point de départ est le suivant : l’individualisation des peines est essentielle en ce qu’elle va permettre de passer de l’idée de la réadaptation sociale à celle de le « régénération intérieure » ( Saleilles et Tocqueville ). Individualiser, c’est le principe depuis lequel un sujet est reconnu comme socialement responsable des actes qu’il a commis et c’est ensuite le processus par lequel on entreprend de le transformer pour le réhabiliter. La punition vise aussi l’inclination intérieure en ce qu’elle devrait permettre une rédemption salvatrice. Tocqueville parle d’amendement ( la peine doit instruire, éduquer ). Platon était d’accord avec cette idée : ce qui fonde le sens de la peine n’est pas un effet social mais sa capacité à restaurer la justice dans l’âme de celui qui s’est rendu coupable. Punir, c’est transformer une souffrance en malheur. Traditionnellement, la justice allait de paire avec l’oubli des victimes. Le sens de la peine restait étranger à la souffrance de celles-ci. Il y a cependant eu un renversement des valeurs : on exige aujourd’hui que le sens de la peine s’ordonne à cette souffrance. La prise en considération massive de la souffrance pour donner du sens à la peine renverse les trois premiers foyers de justification car elle contribue à une resacralisation des références sociales, à une recomposition communautaire, à une reconstruction psychologique du sujet. Mais ce mouvement ne donnerait-il pas corps à une certaine forme « d’éthique de la vengeance » ? La seconde partie de l’ouvrage, intitulée « neutraliser la peine », est consacrée à démontrer l’inutilité de penser la souffrance et la réparation comme uniques fondements de la peine. La nouvelle légitimité de la sanction doit se baser sur l’idée que la peine doit avoir pour objectif de faire accepter au délinquant la société qui l’entoure et de lui apprendre à la respecter en se respectant lui-même. Tout ceci peut devenir concret grâce à un travail, une instruction, et surtout des conditions de détention décentes. C’est surtout à propos de ces dernières que le bât blesse. Comment parvenir à créer une peine neutre, libérale lorsque le délinquant est enfermé derrière l’arbitraire administratif et des pratiques pénitentiaires obscures ? Pour l’auteur, la réponse se trouve dans le droit et l’indépendance nécessaire de certaines institutions au sein de la prison, et dans une collaboration plus étroite entre le judiciaire et l’administration carcérale. Il existe donc une utopie de la peine neutre, « débarrassée de toute référence au sacré, de toute violence, de toute passion et de tout arbitraire dans son exécution », et qui peut se réaliser grâce à un triple processus : le « pacte humanitaire », tout d’abord, qui garantit aux condamnés des conditions de vie acceptables encadrées par le droit et la jurisprudence de la CEDH ; le « consensus procédural », ensuite, qui va opposer à l’arbitraire des protocoles de décisions de types juridictionnelles afin d’aboutir à une juste exécution de la peine ; « l’Ethos de la performance », enfin, relatif à la transformation du condamné et basé sur une dynamique personnelle du détenu et une politique contractuelle instaurée entre lui et les institutions judiciaires et carcérales. Il faudrait donc arriver à une redéfinition libérale d’une peine apolitique, neutre. L’auteur propose ainsi une pluralité de moyens de contrôle judiciaire pour lutter contre l’arbitraire administratif et l’instrumentalisation de la peine qu’il engendre. Neutraliser la peine ne signifie pas ici tendre à son éradication mais plutôt tendre à une certaine forme d’objectivité. Et le moyen le plus efficace d’y parvenir, c’est de recours à toutes les formes de procéduralisme et de juridicisation possibles, seuls vecteurs de garanties. Cela permettra que « le droit ne s’arrête plus aux portes des prisons », cela ralentira le développement des sanction administratives internes ( « peines dans la peine » ). L’enjeu du procéduralisme est de ne pas s’arrêter au stade du prononcé des peines et de faire de la peine un véritable objet du droit ( importance du JAP et du JLD ). Tout cela permettra la mise à l’écart du pouvoir politique, la marginalisation du pouvoir administratif, la mise en place d’un cadre légal moins contraignant dans lequel le détenu sera amené à participer, la montée en puissance du cadre juridictionnel et des exigences du « procès équitable ». L’auteur va également s’attacher et définir une conception contractuelle du processus pénal au service d’une renaissance de l’individu. Cela participe à la définition d’une peine neutre. Pour ce faire, l’individu doit comprendre et adhérer à sa peine en ayant par là même l’intention d’en tirer profit. Il doit travailler avec les institutions répressives, s’érigeant ainsi en coproducteur de sa sanction, et ce du prononcé de la sentence jusqu’à extinction de la peine. Encore faut-il réussir à inciter l’individu en développant des « stratégies d’implication ». Dans cette optique, il faut s’attacher à étudier les facteurs du passage à l’acte criminel afin de trouver des solutions pour éviter la récidive lors du retour dans le milieu social. L’objectif est en même temps de pousser l’individu à l’autocontrôle, à la responsabilisation, de sorte qu’il ne « fasse plus sa peine » mais l’optimise, l’aménage dans son intérêt. On tente de faire évoluer l’individu sans le toucher, et ceci autant pour éviter la récidive que pour effacer cette vision de la prison comme « humiliation de la République », celle-ci devant devenir un co-contractant, un partenaire, un coefficient multiplicateur des efforts individuels. Et ce sera justice Punir en démocratie A. Garapon, F. Gros, T. Pech. Editions Odile Jacob, 2001. Introduction Cet ouvrage est le fruit de la collaboration de trois auteurs différents, un philosophe et deux juristes. Chacun a contribué par l'écriture d'une des parties du livre, lui laissant sa propre empreinte et contribuant à rendre le livre plus vivant. Frédéric Gros est maître de conférence en philosophie à l'Université Paris-XII, il a notamment publié, Foucault et la folie et Création et Génie. Thierry Pech est lui assesseur au tribunal pour enfant de Paris, et un fréquent collaborateur à l’Institut des Hautes Etudes sur la Justice. Enfin, Antoine Garapon, troisième co-auteur de l'ouvrage est lui magistrat. Docteur en droit, il a en effet été juge des enfants durant plusieurs années et il cumule aujourd'hui ses activités de magistrat avec les fonction de secrétaire général de l' Institut des Hautes Etudes sur la Justice (qu'il a d'ailleurs contribué à fonder), de membre du comité de rédaction de la revue Esprit, et de directeur de la collection Bien commun aux Editions Michalon. M. Garapon intervient même fréquemment sur la radio France Culture dans l'émission Le bien commun et a notamment publié Bien juger et Le gardien des promesses. Et ce sera justice est un essai, une réflexion tant juridique que philosophique sur la place, le fondement et la fonction de la peine dans notre (voire même plus généralement, "nos") société, à l'heure actuelle. Débutant leur propos par un provocant " De la punition ou de l'impunité, quel est le plus grand scandale? ", les auteurs de l'ouvrage tentent d'appréhender le concept de peine juste et efficace. Car il est pour eux injuste voire invraisemblable que la réponse de la société à un acte criminel ou délictueux et donc une souffrance causé à autrui s'administre sous la forme d'une nouvelle souffrance au criminel ou au délinquant. Comment donc accepter la peine, destructrice de liberté, irrespectueuse de la personne et de la dignité humaine dans nos états de droits, dans nos sociétés démocratiques dites, "civilisées"? Quels intérêts doivent prévaloir dans l'administration d'une peine, ceux de la société, de la victime ou du délinquant et quelle place accorder à chacun d'entre eux dans la mécanique pénale en général? Voila quelques une des interrogations auxquelles les auteurs de l'ouvrage nous invitent à réfléchir et sur lesquelles ils ne proposent pas de solution définitive, pas de grande vérité mais plus simplement comme ils le disent eux mêmes de modestes éléments de réponses. Et pour guider leur réflexion, ils ont scindé leur propos en trois parties distinctes qui se complètent afin d'arriver à ce qui constitue le point d'orgue du livre, c'est à dire, la peine envisagée dans une dimension reconstructive ; reconstruisant les liens brisés par l'acte infractionnel entre le délinquant et sa victime. Dans ce sens, l'ouvrage s'inscrit dans un contexte de réflexion de la peine non plus comme une punition, une vengeance ou une protection du corps social mais plutôt comme une réparation. Ces dernières années de nombreuses initiatives ont d'ailleurs eu lieu en ce sens, on pourrait citer par exemple le cas de la commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud ou bien l'exemple du Canada. Au Québec ou dans les provinces de l'Alberta, du Manitoba et de la Colombie-Britannique notamment, de nombreuses initiatives de penser la peine comme moyen de réparation ont lieu. Appelés "cercles de guérisons" ou "cercles de détermination de la peine" ("Healing circles" dans les provinces anglophones), ces institutions adoptent le point de vue des autochtones amérindiens et leur vue sur le justice et utilise la peine comme réparation des souffrances causés à la victime et comme moyen de renouer les liens que le délinquant entretient avec celle ci avec lui même et la société en général. Et ce sera justice formule donc une des préoccupations majeures du droit pénal contemporain aux enjeux dépassant la simple science juridique. Analyse de l'ouvrage Dans une première partie, Frédéric Gros se propose d'étudier les quatre foyers de sens de la peine. Cette première partie dévolue à la philosophie et à l'histoire de la peine est peut être la plus délicate à aborder pour celui qui ne dispose pas de connaissances en philosophie mais elle est de mon point de vue la plus intéressante, son analyse dépassant en outre, parfois, le cadre de l'ouvrage et appelant à des réflexions philosophiques d'ordre plus général. Gros part du postulat que la violence ou le châtiment sont justifiés dans la répression des infractions, mais que ces violences doivent être juste. Il examine donc les quatre grands foyers de sens de la peine qui ont tenté de donner une telle dimension à cette prétendue "violence légitime". Punir, c'est rappeler la Loi. Ce premier modèle pense d'abord la peine comme expiatoire, celle-ci se justifie par la transgression de l'individu à un interdit sacré. Frédéric Gros évacue la filiation entre peine et vengeance ou vendetta, car au contraire de la vendetta, peine privée et collective, la peine légale est publique et repose sur l'individu. La peine repose donc ici sur la violation par l'individu de la loi, considérée comme sacrée (loi des Dieux chez les grecs ou lois de Dieu pour le Christianisme), et a donc une dimension éminemment religieuse. Frédéric Gros dégage ensuite un fondement rationnel à ce modèle. Emmanuel Kant va réserver le droit de punir au gouvernant seul, justifiant la souffrance de la peine imposée au criminel par la souffrance imposée par celui ci à sa victime. Le principe d'égalité et la loi du Talion fondent ici le droit et le sens de la punition. Hegel va tout d'abord critiquer Kant, proposant une peine qui réconcilie le criminel avec la vie en le faisant prendre conscience que son acte n'a pas seulement atteint sa victime mais aussi lui même et par delà, la vie elle même (principe de l'identité du bourreau et de sa victime). Pour Hegel punir n'est donc pas rappeler la loi mais apprendre au criminel à aimer la vie. Mais dans des écrits plus tardifs (1821), Hegel reviendra vers une vision plus proche de l'optique Kantienne, fondant sa peine sur le rappel de la loi. Il démontre ainsi que la violation d'un droit (provoquée par le crime), se trouve supprimée par une autre violation (c'est à dire la peine),et de fait, que la peine rétablit le droit violé dans le crime. La peine annule en quelque sorte l'effectivité du crime. Mais Hegel prend bien soin de dissocier le fait que la peine doit être juste (et donc participer à rétablir le droit lésé), du fait qu'elle corresponde aux notions abstraites de "Bien" et d'"Utile". Karl Marx, plus politisé, voit lui dans la peine uniquement un instrument politique de conservation des rapports de force sociaux, c'est à dire l'expression de la volonté bourgeoise (de la classe dominante) qui ne sert évidemment que son propre intérêt : conserver une position en tête de la hiérarchie sociale. Marx de ce fait doute de la loi et de la peine, il doute de leurs justice puisqu'elles servent à conserver une société inégalitaire et donc injuste. Punir, c’est défendre la société. On observe ici le passage de la peine à celui d'instrument social. La société peut ainsi être perçue comme un corps vivant (cf. Cicéron), et le peine permettrait de se débarrasser d'une partie gangrenée du corps social afin d'empêcher tout nouveau dégât. L'Ecole Positiviste italienne (Lombroso, Ferri, Garofalo), fonde le système de répression sur la défense sociale et non sur une idée de responsabilité, la société doit ainsi au moyen de la peine expulser ses éléments néfastes dans une sorte d'opération nécessaire "d'hygiène sociale". Pour Durkheim, punir n'est pas tant satisfaire à la loi, que de manifester au travers de la peine et de son administration, l'unité du corps social et son attachement à des valeurs sociales et sacrées communes. On peut ainsi se demander si la peine régule le corps social ou bien si elle en est constitutive. Fauconnet, lui pose d'ailleurs la question, dans une sorte d'énigme de la poule et de l'oeuf, de savoir si la peine précède la responsabilité pénale. C'est à dire de savoir si l'on punit quelqu'un car il est responsable pénalement ou bien si on le déclare responsable aux fins de le punir. Pour Hobbes et son Léviathan, la peine est un instrument de défense sociale, les hommes sortis de l'état de nature ayant abandonné de manière consentante une part de liberté à l'état lors de l'établissement de la société, celui ci peut donc à des fins de protection sociale user du châtiment. Beccaria, lui, exploite également le paradigme du Contrat Social, l'aliénation partielle de liberté des hommes étant fondé sur la nécessité d'une vie harmonieuse en société, la peine doit être juste et utile, c'est à dire correspondre au moyen de conserver des rapports sociaux sains et stables, pas plus, pas moins. John Locke organise lui le sens de la peine au nom de la défense publique de la propriété privée, droit naturel fondamental qui aurait selon lui pousser à l'édification de l'état. Jeremy Bentham pense que rendre le mal par le mal n'est qu'une absurdité, la souffrance de la peine doit au contraire avoir comme seule fin de réduire la souffrance engendrée par le crime. Bentham a une logique arithmétique et économique, la peine et le droit pénal doivent prévenir la commission d'infractions futures. Enfin Foucault pose une interrogation essentielle, faut il punir un individu en raison de ses actions criminelles ou en raison de sa nature criminelle? Punir, c'est éduquer un individu. Ici, changement d'optique, la peine est conçue comme un moyen d'éducation du délinquant. Pour Tocqueville et Saleilles, il s'agit de rendre les peines individualisées pour chaque criminel, et de les concevoir en fonction notamment de leur volonté criminelle. Ces auteurs développent l'idée d'une responsabilité sociale, l'individu devant être puni en raison de ses actes et non en raison de son état dangereux. Cette individualisation fait passer la peine d'une fonction de réhabilitation sociale à une fonction de régénération intérieure du délinquant. Intervient l’idée de la responsabilisation du délinquant, inséparable de l’éducation et de la réinsertion. Châtier de manière adéquate et donc individuelle chaque criminel, permet a celui-ci de prendre conscience de ses agissements et lui permet en quelque sorte de voir que la société le traite en adulte et donc en tant que membre a part entière du corps sociale et non comme une sorte de vilain petit canard a mettre a l’écart absolument. Intervient également au travers du thème de la régénération intérieure du délinquant, celui du salut de l’âme, ainsi pour Platon, la fonction essentielle de la peine est de sauver l’âme du délinquant en restaurant la notion de Justice au sein de celle-ci. Punir, c’est transformer une souffrance en malheur. Ce quatrième mouvement tente de rétablir le lien avec un des « oubliés » de la peine : la victime. Les foyers de sens précédents n’ayant jamais vraiment pris en considération celleci, et la souffrance qui lui a été causé par le criminel et ses actes. Aujourd’hui on observe cependant un changement, un renversement des valeurs affichées jusqu’ici, puisque la victime et sa douleur sont de plus en plus pris en compte et contribuent d’autant plus a donner un sens a la peine. Un tel bouleversement permet a la victime une régénération des effets de l’acte criminel qu’elle a subi plus efficace, et contribue a rendre la justice plus proche d’elle, de donner le sentiment qu’on la comprend et qu’on tient compte d’elle, elle qui a souffert et de manière plus secondaire celui qui l’a fait souffrir. On peut cependant s’interroger sur les dangers d’une centralisation trop poussée de la peine autour de la victime, ne peut on en effet voir la resurgir le spectre de la vendetta ? Dans une seconde partie, Thierry Pech se propose de partir en quête de la peine neutre, cette peine débarrassée de la souffrance, de l’arbitraire notamment. Cette utopie, il tente de l’appréhender dans un triptyque : « Le pacte humanitaire », qui vise a garantir aux condamnés des conditions de vie et un environnement décent, « le consensus procédural », ou comment exécuter la peine de manière plus juste, et enfin « l’ethos de la performance », qui vise a transformer le condamné, a le rééduquer afin de le (re)socialiser. Pour Thierry Pech, il s’agit de briser l’arbitraire administratif qui a cours dans le cadre de l’application de la peine, afin de rendre celle-ci plus neutre et plus conforme à l’idée que l’on se fait d’une peine juste. Il plébiscite pour cela deux moyens : la procédure et le contrôle juridictionnel. A ce prix seulement, explique t’il, pourra t’on tendre vers une certaine objectivité, protégeant les condamnés de l’arbitraire. Leur permettant mieux d’accepter le système également, (comment en effet respecter une institution fondée sur l’arbitraire et ne respectant pas le droit, notamment le droit européen et la CEDH.). Mais rendre les conditions de vie en prison plus acceptables ne suffit pas, de meme que rendre l'execution de la peine d'avantage transparente et respectueuse des droits et libertés des détenus. Il faut socialiser, eduquer, faire faire au delinquant l'apprentissage de normes sociales. Pech insiste sur l'importance à accorder aux Juges de l'Application des Peines et au Juge des libertés et détentions dans le combat pour donner à l'execution de la peine un cadre juridique plus souple et moins soumis aux aléas administratifs. Mais rendre le régime plus éthique, plus juste et plus humain ne suffit pas, il faut également s'attacher l'accord et la confiance des détenus. C'est la que l'auteur fait intervenir la notion de contrat. Contrat passé entre le détenu et la justice pénale dans son ensemble. Le détenu ne doit plus etre un acteur passif de sa sanction, il ne doit pas la subir, mais la vivre pleinement comme toute experience de vie. Et toute experience pressupose l'apprentissage. Mais pour en arriver à un détenu fqisant cette experience, coparticipant de sa peine avec l'administration pénitentiaire il faut réussir à le pousser à s'impliquer et lui donner des raisons de s'impliquer. Il s'agit d'etre respectueux de l'individu, de ne pas le pousser, ne pas l'éduquer de force en ménageant ainsi sa personnalité et sa volonté mais de développer un cadre propice à son auto motivation, son auto implication. Ceci afin de développer son autonomie (en vue de sa réinsertion), sa confiance en soi et sa confiance dans le système carcéral qui pourrait se traduire par un regain de confiance dans le système social dans son ensemble, tout ceci en ayant en vue d'éviter toute récidive et de réussir une intégration maximum des détenus dans la vie sociale en en faisant dès leur incarcération des partenaires. Dans une troisième et dernière partie, Antoine Garapon va développer son thème de justice reconstructive. Garapon est désorienté par le fait que la justice pénale dans son ensemble a uniquement rapport avec un homme seul : le criminel. Or comme il le souligne, un individu est toujours pris dans un faisceau de relations sociales, et le tirer de celles-ci ne peut en aucun cas permettre de comprendre et de juger ses actes et rend pour le moins délicate sa resocialisation. Se fondant sur le quatrième foyer de sens de la peine, Garapon plaide tout d’abord pour la mise au premier plan, aux cotés du délinquant, de la victime. Celle-ci doit participer et être mise au cœur du litige, capable de faire entendre sa voix lors des débats, afin de lui permettre de guérir, d’exprimer la souffrance qu’elle a pu ressentir et de retrouver confiance en elle-même et la société. Parallèlement à l’individualisation des peines, il importe de prendre en charge les victimes de manière adéquate et de manière individualisée aussi. En bref, la victime doit pour cicatriser son malheur, être amenée à jouer le rôle le plus large possible. Lui permettre de se plaindre, d’exprimer sa souffrance, sa colère, le mépris dont elle a fait l’objet, mais ceci pas dans le simple but de « publier sa souffrance » comme nous allons le voir. Certains redoutent cette intrusion de la victime au sein du modèle établi, crainte de voir ressurgir l’antique vengeance, de voir les peines « flamber »… Mais comment donc sortir de ce que l’auteur qualifie de « tragique de la peine » ? En fondant la justice sur une rencontre, une relation entre la victime et son agresseur. Ce modèle, qui a le mérite de concilier et d’aménager une place aux deux parties, se fonde sur la rencontre malheureuse qui a eu lieu et des obligations qui en découlent pour chacun. La relation entre les deux parties a été viciée par l’acte criminel et il importe de restaurer ces liens. Pour la victime tout d’abord, afin qu’elle cesse de souffrir, qu’elle retrouve l’estime de soi, qu’elle puisse a nouveau entretenir d’autres relations (publiques ou privées) de manière saine et en confiance (qu’elle retrouve sa « puissance d’agir »). Pour le délinquant ensuite, qui doit retrouver sa propre estime, au travers notamment de cette réconciliation, de la réparation du tort qu’il a pu causer, en quelque sorte « se retrouver » grâce a cette justice. Néanmoins comme le souligne l’auteur, du au besoin des victimes de pouvoir mettre un visage sur le délinquant, et aux nécessités de la justice reconstructive d’une rencontre entre victime et délinquant, il est parfois délicat dans le cadre de certaines infractions de mettre en jeu les mécanismes d’une telle justice (exemple du crime de labo). Le face a face entre victime est agresseur étant en effet un moment clef du processus de réconciliation, renversant la situation : c’est le condamné qui est ici en position d’infériorité et la victime qui demande des comptes. La victime peut ainsi s’exprimer librement, mais on attend surtout un déclic, qui réveillerait la conscience des deux parties, mettant fin au malheur et débutant la reconstruction. La victime attend notamment une certaine reconnaissance, reconnaissance sociale d’abord, qui se manifeste par la prise en compte de sa douleur, par son droit de plainte, par le fait d’être écoutée et mise sur le devant de la scène. Reconnaissance du délinquant également, qu’il s’agisse d’émotions manifestées, ou encore d’aveux. Car il est généralement observé que cette reconnaissance est la l’élément le plus recherché par les victimes, au contraire d’une peine lourde, de sanctions rétributives, la victime cherche a évacuer son malheur, a être reconnue, a ne plus être seule a porter son fardeau. La rencontre de la victime et de son agresseur est ainsi censée produire un acte positif, annulant les effets du crime, contre-pied du modèle actuel qui tente de réparer une souffrance par une autre souffrance.